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Murong Xuecun 慕容雪村

Présentation

par Brigitte Duzan, 21 septembre 2013, actualisé 21 juillet 2020

   

Murong Xuecun est l’un des écrivains chinois de la génération "post’70" qui s’est d’abord fait connaître, au début des années 2000, en publiant ses récits sur internet. Il a acquis une grande notoriété quand ses romans, dénonçant les travers de la société chinoise, ont été traduits à l’étranger. Il serait dommage pour autant d’oublier ses premiers récits…

    

Formation d’avocat

    

Murong Xuecun est son nom de plume ; il s’appelle en réalité Hao Qun (郝群). C’est sous ce nom qu’il est né, en 1974, à Pingdu dans le Shandong (山东平度).

    

En 1978, à l’âge de quatorze ans, il déménage à Hunjiang (浑江), aujourd’hui Baishan, dans la province du Jilin (吉林白山), à l’extrême nord-est du territoire chinois. Il fait

 

Murong Xuecun

ensuite des études de droit à Pékin, à l’université de droit et science politique de Chine (中国政法大学).

     

Il en sort diplômé en 1996 et commence alors une carrière d’avocat, avant de devenir directeur des ventes d’une société du secteur automobile. De 1996 à 2000, il est à Chengdu, puis il part à Shenzhen. Ce sont les lieux de ses deux premiers romans, publiés d’abord sur internet.

    

Très vite, cependant, il se rend compte qu’il ne peut mener de front travail et écriture, et, en 2002, démissionne de son poste pour devenir écrivain à plein temps. Il bouge alors beaucoup : en 2004 il part à Hangzhou, puis se rend à Lhassa. Sa vie se confond alors avec ce qu’il écrit.

    

Juge sans appel

    

San doute conditionné par son premier métier d’avocat, Murong Xuecun est un critique virulent de la société urbaine autour de lui, dont il dresse un portrait sans aménité, mais d’un ton plein d’humour. En 2002, son premier roman est le modèle de ceux qui suivront.

    

2002 : Oublier Chengdu

    

Chengdu, Leave Me Alone Tonight

 

Le titre est ambigu : Chengdu, cette nuit laissez-moi oublier, ou s’il vous plaît oubliez moi – d’où la traduction en anglais ‘leave me alone’ (《成都,今夜请将我遗忘》). C’est le souhait du personnage principal, qui est arrivé au bout du rouleau, comme on dit.

     

Ce Chen Zhong (陈重) est un petit frère de Murong Xuecun, ou son alter ego, si l’on préfère. Il a vingt-huit ans, et il est directeur commercial dans une société d’huile de moteur. Mais la ressemblance s’arrête là. Chen Zhong passe ses soirées à jouer au mahjong avec deux anciens copains d’université, dont l’un gagne de l’argent en jouant en bourse et l’autre est un commissaire de police corrompu. Chen Zhong délaisse sa femme, qu’il aime mais trompe allègrement, son plus grand souci étant d’obtenir la direction générale de son entreprise.

         

Sa femme finit par le tromper aussi, et c’est le début d’une lente descente aux enfers, ou d’un naufrage, corps et âme (1). Murong Xuecun s’est ainsi imposé comme l’un de ces nouveaux écrivains chinois s’attachant à dénoncer les dérives d’une société rongée par la soif de l’argent, société qui ne laisse pas grand espoir, d’où, peut-être le réflexe de fuite, à Shenzhen, à Lhassa….

    

Le roman a soulevé de vives discussions dès sa parution sur internet ; l’intérêt suscité a motivé sa publication intégrale, qui a été suivie de trois adaptations différentes : une pièce de théâtre, une série télévisée puis un film ; mais celui-ci a en vain attendu trois ans un visa d’exploitation. Murong Xuecun, lui, était devenu célèbre.

    

2003 : oublier Shenzhen aussi

    

Avec son second roman, il continue son exploration des dérives urbaines, cette fois en suivant son propre parcours, qui l’a conduit à Shenzhen. Ici le titre est on ne peut plus clair : pour le paradis, c’est à gauche, et pour Shenzhen c’est à droite (《天堂向左,深圳往右》) (2). Shenzhen n’est pas plus reluisante que Chengdu.

    

L’histoire commence en 2002. Le millionnaire Xiaoran (肖然) rentre chez lui au petit matin, après une soirée un peu trop arrosée ; éméché, il se tue au volant de sa voiture. Il est au sommet de sa carrière d’arriviste fortuné. Les réactions à sa mort sont diverses : les uns disent que c’est un accident, les autres que c’est un coup monté, d’autres encore que c’est un suicide…

    

Le récit revient alors dix années en arrière, en 1992. Xiaoran et ses petites amies sont arrivés à Shenzhen de

 

To Heaven Go Left,

To Shenzhen Go Right

tous les coins du pays, pleins d’enthousiasme, d’ambition et de rêves. Comme dans le cas de Chen Zhong, l’apparence de réussite sociale n’est que le vernis superficiel d’une progressive déchéance morale.

    

2005 : se méfier de l’argent

    

Le cerisier de l’Eden

 

Murong Xuecun revient en 2005 avec un roman qu’il présente comme le troisième volet d’une « trilogie féroce de la jeunesse »  ("青春残酷三部曲") : « Le cerisier de l’Eden » (《伊甸樱桃》) (3). L’argument est semblable à celui des deux romans précédents, mais plus précis : c’est le désir exacerbé de richesses qui fait le malheur des hommes.  On peut y voir une pensée liée à son séjour à Lhassa.

    

Le roman est divisé en vingt-deux chapitres (plus une conclusion) qui portent des marques d’objets de luxe : Louis Vuitton (路易威登), Montblanc (万宝龙), Bentley (宾利), Dior (迪奥), etc… Autant de marques liées à des objets de prestige qui symbolisent le monde matériel convoité, et sont autant de pièges.

    

La nouveauté est dans le style : Murong Xuecun introduit ici un élément de surnaturel, de surréalisme. C’est parce que le jeune homme au centre du récit rencontre un jour

par hasard un mystérieux personnage qui lui fait cadeau d’un stylo Montblanc qu’il est pris dans l’engrenage infernal qui finit par lui corrompre l’esprit, et ruiner ses relations humaines. Le récit a des éléments de fable.

    

Le roman a été ensuite réédité sous le titre « La plupart des gens meurent d’avidité »  (《多数人死于贪婪》).

    

2007/8 : soulever la poussière rouge
    
   

Après cette trilogie, Murong Xuecun revient en boucle sur son sujet, mais dans son style réaliste initial, avec un roman intitulé littéralement « pardonnez-moi d’avoir soulevé la poussière rouge » (《原谅我红尘颠倒》) et traduit en français par « En dansant dans le poussière rouge ». Il a été publié en 2008, mais avait été publié l’année précédente sur son blog (4), chapitre par chapitre, du 24 janvier au 31 décembre.

    

On retrouve un avocat véreux au centre du récit, écrit à la première personne. Weida (魏达) c’est moi, semble dire l’auteur. Mais, cette fois-ci, il l’oppose à un avocat intègre, Pan Zhiming (潘志明). Les deux voies cependant s’avèrent également sans issue, celle de la corruption comme celle de la droiture morale, et mènent au même échec, puni de mort.

      

Dans l’univers décrit par  Murong Xuecun,  la corruption

 

La poussière rouge

est tellement généralisée qu’elle ne laisse pas de place à une possible déviance, les gens intègres étant inexorablement broyés par le système ; mais, en détruisant toute illusion et tout idéal, elle réduit les gens à une déchéance sans espoir. La poussière rouge du titre, c’est ce triste monde humain, dont il s’excuse d’avoir ainsi exposé les turpitudes.

       

On est prêt à lui pardonner, non tant pour les avoir exposées, que pour la manière dont il le fait : d’un ton alerte, dans une langue savoureuse, proche de la langue parlée, mêlant expressions populaires et dialectales, avec l’humour typique de l’homme de la rue. Ses citations font florès, on en compte une soixantaine, représentatives de son style, qui circulent sur internet (5). 

    

On croyait le sujet épuisé. Pas du tout : avec Murong Xuecun, il est inépuisable.

    

De la fiction à la revendication engagée

    

China, in the Absence of a Remedy

 

En 2009, il disparaît une vingtaine de jours : il a infiltré un réseau pyramidal. Il revient avec l’histoire de son expérience et en fait un roman : « Chine, il te manque un remède » (《中国,少了一味药》).

    

Le livre a un grand succès, et il est couronné en 2010 du prix décerné par la revue Littérature du peuple (人民文学奖), non pour ses qualités littéraires, faut-il préciser, mais pour le courage de l’auteur. Devant prononcer un discours pour l’occasion, Murong Xuecun en profite pour en faire une tribune revendicative, avec son humour habituel. Il y explique les différentes étapes des discussions engagées avec son éditeur, angoissé à l’idée de publier un roman potentiellement aussi dangereux, et qui tente d’éliminer, ou au moins édulcorer, les passages les plus incisifs. C’est un réquisitoire très drôle sur l’autocensure dans l’édition.

      

Le discours a évidemment été interdit, mais il a été traduit en anglais, envoyé au Club des correspondants étrangers à Hong Kong en février 2011, puis publié dans le New York Times en novembre (6). C’est un texte savoureux, qui pétille d’humour. « La langue chinoise, dit Murong Xuecun, est divisée en deux parties : une sûre et une à risque…. Cela me gêne de revendiquer le titre d’écrivain ; je suis un criminel du vocabulaire… un eunuque proactif, qui me suis castré avant même que l’on ait levé le scalpel pour le faire… »

    

A partir de là, il a de plus en plus radicalisé son discours et son attitude. Son blog a été fermé, et, en 2013, tous ses comptes weibo (twitter chinois) également. Il en a fait une histoire, revendiquant plus de 8,5 millions de lecteurs et racontant dans un article publié dans The Guardian les péripéties de ses fermetures de comptes et « renaissances » successives (7). Il dit : la chose la plus terrifiante, comme à l’approche d’une tempête de sable, est le sentiment d’incertitude et d’impuissance vis-à-vis de ce qui va arriver.  Et il décrit ainsi sa « mise à mort » finale :

    

Le matin du 13 mai, j’ai essayé d’accéder à nouveau à mon compte weibo, mais, après avoir passé une heure à taper une trentaine de codes d’entrée, je n’y suis pas arrivé. Mon identification, qui ne peut être modifiée, a été bloquée. Pour enregistrer un nouveau compte, il faudrait qu’un nouveau code de vérification soit envoyé à mon téléphone portable, mais je n’en ai qu’un, et il est aussi bloqué…

    

La liberté d’expression prend les allures d’un jeu du chat et de la souris.

    

Cela n’empêchera pas Murong Xuecun de publier un autre roman, qui ne devrait pas tarder. En attendant, il a aussi publié des recueils d’essais « au fil de la plume » (随笔集) et divers essais repris du blog fermé fin 2012. Etonnamment, on semble avoir oublié ses premiers récits…

    

Premiers récits

    

En 2002, il a publié un recueil de nouvelles et essais sous le titre « Oublié hors du temps » (《遗忘在光阴之外》), titre de la première des cinq nouvelles qu’il comporte, qualifiées de « nouvelles de jeunesse (早年的短篇).
 
Ce sont des sortes de contes modernes, qui reprennent des légendes et personnages anciens de la littérature classique, pour imaginer une histoire au goût du jour, plus précisément au goût des jeunes passionnés de lecture sur internet.
 
- « Oublié hors du temps » (《遗忘在光阴之外》) s’inspire de la littérature de wuxia ; c’est une histoire de xia qui rencontre l’amour sur un écran d’ordinateur ;
- « Une histoire d’amour du moine Tang Seng » (《唐僧情史》) est imaginée d’un passage du « Voyage vers l’Ouest » (《西游记》), Tang Seng (唐僧) étant un autre nom du moine Xuanzang (玄奘) ;

 

Oublié hors du temps

- « Le baiser du serpent vert » (《青蛇之吻》) rappelle la légende du serpent blanc, mais se passe dans une auberge en plein désert, près de la passe de Yumen, comme dans un wuxia classique, et Le baiser du serpent vert est le nom d’un alcool servi par la jeune et jolie aubergiste :
“在望不到头的沙漠里,有一位姑娘叫珊丽,如果她向你微笑,你就会爱上这沙漠。”
“这里有一种酒,叫青蛇之吻,如果你喝了,你就会变得善良和勇敢。”
Dans ce désert sans fin, il y a une jeune fille nommée Shanli ; si elle te sourit, tu tombera amoureux du désert.
Il y a là aussi un alcool nommé "Baiser du serpent vert" ; si tu en bois, tu deviendras bon et courageux.
- « La légende de Li Taibai » (《李太白传奇》), Li Taibai étant une autre appellation du poète Li Bai ;
- « La légende de Ximen Qing » (《西门庆传奇》), Ximen Qing étant un personnage du Jin Ping Mei (《金瓶梅》), marchand corrompu, arriviste et lubrique, qui semble faire la transition vers les romans qui vont suivre ….
 

 

 

Notes

(1) Le texte chinois, en 35 chapitres : http://www.tianyabook.com/wangluo2005/chengdujinyeqingjiangwoyiwang/

(2) Le texte chinois : http://book.kanunu.org/book3/7131/

(3) Le texte chinois (le 1er chapitre est en fait au chapitre 3 第三章):

http://www.tianyabook.com/wangluo2005/yidianyingtao/

(4) son blog Hulu Hulu 葫芦葫芦, interrompu en novembre 2012 :

http://blog.sina.com.cn/hawking  

(5) Voir : http://baike.baidu.com/view/1796746.htm

Exemple :

三十七岁了,有人怕我,有人恨我,可是从来没有人真心爱过我。而这所有的蝇营狗苟、处心积虑,又有什么意义?                                              

J’ai 37 ans, il y a des gens qui me craignent, d’autres qui me détestent, mais jamais personne ne m’a jamais vraiment aimé ; ce système où tout le monde n’a qu’une idée en tête, trouver la meilleure combine pour réussir, sans aucune honte, ça veut dire quoi ?

蝇营狗苟、处心积虑  yíngyínggǒugǒu, chǔxīnjīlǜ  

chercher son profit à tout prix, ne penser que manigances – le premier chengyu, très imagé, suggérant le bruit de mouches sur un tas d’excréments et le va et vient de chiens autour d’un amas d’ordures.

(6) http://www.nytimes.com/2011/11/06/world/asia/murong-xuecuns-acceptance-speech-for-the-2010-peoples-literature-prize.html

(7) L’article du Guardian : http://www.theguardian.com/profile/murong-xuecun

    


    

Principales œuvres publiées

    

Romans

(les titres anglais sont ceux des éditions chinoises)

2002 《成都,今夜请将我遗忘》 Chengdu, Leave Me Alone Tonight

2003 《天堂向左,深圳往右》 To Heaven Go Left, To Shenzhen Go Right

2005 《伊甸樱桃》又名《多数人死于贪婪》 Le cerisier de l’Eden – ou Most Die of Greed  

2008 《原谅我红尘颠倒》 Danse dans la poussière rouge

2010 《中国,少了一味药》 China: In the Absence of a Remedy
 
Recueil de nouvelles et essais
2002 《遗忘在光阴之外》 Oublié hors du temps
2008 《葫芦提》 Les dits de la gourde (en référence à son blog)
2011 《慕容雪村随笔集》 Recueil d’essais ‘au fil de la plume’

    


    

Traductions en français

 
- Oublier Chengdu, traduit par Claude Payen, L’Olivier, mai 2006
-
En dansant dans la poussière rouge, traduit et annoté par Claude Payen, Gallimard/Bleu de Chine, septembre 2013.

- Il manque un remède à la Chine, traduit et annoté par Hervé Denès (avec la collaboration de Chia Chunjuan), Gallimard/Bleu de Chine, octobre 2015.

    


    

Adaptations au cinéma et à la télévision 

 

- « Forgive and Forget »《成都,今夜请将我遗忘》film de Xie Mingxiao (谢鸣晓) sorti en 2007. 《请将我遗忘》;

 

 

- « Another Way to Heaven » 《相爱十年》série télévisée adaptée de 《天堂向左,深圳往右》tournée début 2012 et présentée en juin 2013 au 19ème festival de télévision de Shanghai.

 


    

A lire en complément

 
« Un jour ou l’autre, je vais me faire arrêter », propos recueillis par Brice Pedroletti à Pékin, Le Monde, 4 juillet 2015 : www.lemonde.fr/festival/article/2015/06/30/l-ecrivain-chinois-murong-xuecun-un-

jour-ou-l-autre-je-vais-me-faire-arreter_4664453_4415198.html

 

Article en anglais publié dans le South China Morning Post, 18 juillet 2020 :

‘I’m a Chinese writer, I write about this place and I don’t wish to go elsewhere,’ 

(Je suis un écrivain chinois, j’écris sur l’endroit où je vis et je n’ai aucune envie d’aller ailleurs)

https://www.scmp.com/magazines/post-magazine/long-reads/article/3093416/im-chinese-writer-

i-write-about-place-and-i-dont

 

 

 

 

 

 

    

 

 

 

     

 

 

 

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