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Li Chengpeng 李承鹏

Présentation

par Brigitte Duzan, 02 avril 2015 

      

Li Chengpeng est l’un de ces bloggeurs chinois impénitents qui défraient régulièrement la chronique en Chine par leur attaques mordantes contre la corruption, les injustices, l’autoritarisme sous toutes ses formes, en un mot contre le système. Son humour dévastateur lui vaut autant d’ennemis que de fans. Il a longtemps été toléré, mais son blog et son compte weibo ont été finalement fermés en juillet 2014 ; ils comptaient 7,4 millions de lecteurs et abonnés.

       

Li Chengpeng est également l’auteur de plusieurs romans. Les articles de son blog sont aujourd’hui édités, sous le titre « Tout le monde le sait » (《全世界人民都知道》), et traduits [1]. Il n’est plus seulement un « local hero », comme l’avait labellisé The Economist en janvier 2013, au moment où la sortie de ce livre en Chine l’avait excessivement médiatisé, lui valant une interdiction qu’il avait réussi à éviter jusqu’alors.

 

Li Chengpeng (photo AP)

       

Dans les arcanes du foot… et du wuxia

       

Journaliste sportif

       

Li Chengpeng est né en septembre 1968 à Hami, dans le Xinjiang (新疆哈密). Son père était militaire et sa mère jouait dans une troupe d’opéra de Pékin. Ses parents sont revenus chez eux, à Chengdu, dans le Sichuan, quand il avait deux ans, et c’est là qu’il a fait ses études.

       

Diplômé en 1990 de l’université normale du Sichuan, section littérature chinoise (四川师范大学中文系), il opte alors pour le journalisme, et le journalisme sportif faute de mieux : il devient reporter au Journal sportif du Sichuan (《四川体育报》) jusqu’en 1996, puis dans un journal de Chengdu, et, de 2000 à 2008, au Journal du football (《足球报》).

       

Mais le sport devient pour lui une autre manière d’aborder les problèmes de société (借足球说社会), avec un style acéré bien à lui. Pour l’acuité de ses observations et analyses, il est surnommé "Li œil de lynx" (李大眼).

        

Spadassin moderne

      

Un héros du jianghu

 

Il publie un premier livre en 2000, « Sabre au clair » (《手起刀不落》), dont le titre, comme il l’explique dans la préface, lui a été inspiré par une chanson : « on erre dans le jianghu, pas un endroit où l’on ne soit menacé d’un glaive ... » (人在江湖飘,能不挨刀……”) [2]. Le jianghu, c’est cet endroit légendaire où vivaient les rebelles du grand classique « Au bord de l’eau » (水浒传). Li Chengpeng se replaçait ainsi dans la lignée des héros de wuxia [3]. Profession de foi comme un art de vivre qui augurait bien de l’avenir.

      

Finalement, début janvier 2010, il publie un livre où il dénonce les matchs truqués et la corruption dans le milieu du foot : « Dans les coulisses du foot » (《中国足球内幕》). Brûlot qui lui vaut un formidable succès, mais aussi la vindicte des professionnels du secteur, et des entraîneurs en particulier.

  

Un entraîneur d’un club sportif de Chongqing lui intente un procès pour diffamation. Li Chengpeng est reconnu coupable, condamné à payer 200 000 yuan d’amende et à publier une rétractation officielle, ce qu’il refuse de faire. Il fait appel de la décision, et, en décembre 2012, une cour de Canton renverse le premier jugement, et l’entraîneur est condamné à payer les frais de la procédure.

       

Mais Li Chengpeng, entretemps, s’est lancé dans une autre croisade, bien plus virulente, après avoir abandonné son travail de journaliste et choisi de devenir écrivain indépendant.

       

Dans les coulisses de Wenchuan

       

Conscience citoyenne

       

C’est le tremblement de terre de Wenchuan qui bouleverse

 

Dans les coulisses du foot

son existence. Les secousses se font sentir jusqu’à Chengdu. Li Chengpeng accourt sur place, et constate ce que d’autres ont également observé : que des milliers d’enfants sont morts dans les décombres de bâtiments scolaires légèrement construits, qui se sont effondrés sur eux comme des châteaux de cartes. Les fonds qui auraient dû financer les constructions sont passés dans les poches de fonctionnaires locaux.

       

Li Chengpeng en fait dès lors son combat quotidien. Il pourfend les impétrants sur son blog, élargit ses critiques à la société entière, et au système qui permet à la corruption et à l’injustice de fleurir impunément ; tout y passe : les problèmes de sécurité alimentaire, les scandales de l’immobilier, la fièvre des grands barrages, les suicides à répétition dans des usines, la politique de l’enfant unique et les avortements forcés. Il frappe à droite et à gauche, c’est le titre d’un de ses livres, en deux volumes, publié en 2006 (《左一刀、右一刀》), comme une extension du premier.

       

Tentative démocratique

       

Il tente alors audacieusement d’investir le système en se basant sur la constitution : en 2010, il se présente aux élections locales, comme candidat indépendant à un siège au Conseil du peuple dans le district de Wuhou, à Chengdu. La constitution chinoise permet en effet à tout citoyen de plus de dix-huit ans de se présenter sans être affilié au Parti et désigné par lui.

       

Sa candidature fut bien sûr rejetée. Mais elle avait réuni le soutien de personnalités comme Han Han (韩寒), les juristes réformateurs Yu Jianrong (于建嶸) et He Weifang (贺卫方), et même le cinéaste Feng Xiaogang (冯小刚) [4]. Elle lui valut encore plus de popularité, montrant qu’il était aussi capable d’action, pas seulement de paroles. Mais il en est quand même réduit à celles-ci.

       

Li Kele le rebelle

      

En 2011, Li Chengpeng ajoute un nouveau héros au catalogue du jianghu : Li Kele (李可乐), dont il avait commencé à conter les exploits en 2009. Li Kele est le PDG d’une agence de détectives dont le métier est de retrouver des gens, contre monnaie sonnante et trébuchante, d’où le titre : « Li Kele recherche des gens » (《李可乐寻人记》). C’est un défilé de toutes sortes de personnages, prétexte à peinture décapante de la société.

 

Li Kele recherche des gens

      

Li Kele dénonce les démolitions

 

Li Kele est un autre Li, qui ressemble comme un frère à l’auteur, critique tout, et, dans un second opus, dénonce même les démolitions abusives (《李可乐抗拆记》).

       

Le premier volume a été adapté au cinéma, sur un scénario de Li Chengpeng lui-même ; le film, intitulé « The Story of Cola Lee » (《李可乐寻人记》) et réalisé par Zhou Wei (周伟), est sorti en 2014.

       

Li Kele a même un avatar : un gamin nommé Li Keyi (可以), héros d’un premier mini-film (微电影) de Li Chengpeng, intitulé « Together » (《可以在一起》) et diffusé sur youku en 2012. Avec l’aide d’une copine, Li Keyi tente d’empêcher ses parents de divorcer, parce que « on peut vivre ensemble », c’est le titre exact du film, évidemment emblématique.

       

Together, 31’, avec sous-titres anglais

       

Tout le monde le sait

        

En 2013, enfin, Li Chengpeng a réuni ses articles de blog dans un livre intitulé « Tout le monde le sait » (《全世界人民都知道》), qui est déjà traduit en anglais et en français. Sous-entendu : tout le monde le sait, mais personne n’ose rien dire. Ce fut un immense succès, dû bien sûr en grande partie au toupet avec lequel il critique la société chinoise, avec une conscience sociale et une responsabilité de citoyen, mais surtout à l’humour avec lequel il le fait, un humour à la Charlie Hebdo.

       

Li Chengpeng a des millions de fans, mais autant d’ennemis, ces (ultra) patriotes dont on ne sait trop, aujourd’hui, s’ils sont sincères ou payés pour l’être. Lors de la présentation de son livre à Pékin, malgré le froid glacial, une dizaine de milliers de personnes ont fait la queue pour avoir son autographe, mais les « patriotes » aussi étaient dans la foule : il a été frappé à la tête et menacé d’un couteau. C’est bien ce qu’il dit : partout le jianghu… Pour la présentation à Chengdu, on lui a interdit d’adresser la parole au public :

 

Tout le monde le sait

il est arrivé avec un masque sur le visage et un t-shirt marqué « je vous aime tous ». A Shenzhen, il fut accueilli par des cris l’accusant de traîtrise. La présentation de Canton fut annulée.

        

Li Chengpeng et sa séance de signature silencieuse

 

Il s’était jusqu’alors habilement maintenu sur le fil du rasoir, son humour semblant désamorcer la colère. Mais « troubler l’ordre public » est autre chose que des paroles, aussi critiques soient-elles. Son blog et son compte weibo ont été fermés en juin 2014, le livre a été interdit.

 

       

Mais Li Chengpeng n’a sans doute pas dit son dernier mot ; comme il l’a déclaré à l’université de Pékin en novembre 2012, et repris en conclusion de son livre, il faut parler, car, a dit Lu Xun :« d’abord on n’ose pas, ensuite on ne peut plus »…

      

 

Acteur dans le film adapté de son roman

 « Li Kele cherche quelqu’un »

       

        

Principales œuvres  

       

Publications (avec traduction des titres)

        

2000 《手起刀不落》     (sabre au clair)

2006 《左一刀、右一刀》       (sabrer à gauche, sabrer à droite)

[2010   édition complétée]

2007 《你是我的敌人》    (tu es mon ennemi)

2010 《中国足球内幕》    (dans les coulisses du foot)

2009 《寻人启事》édition complétée 2011 《李可乐寻人记》    (Li Kele cherche des gens)

2011 《李可乐抗拆记》      (Li Kele dénonce les démolitions)

2013 《全世界人民都知道》    (tout le monde le sait)

       

Film

2012 Together, "mini-film" 31’         微电影《可以在一起》    

       

Traduction en français

       

Confession d’un traître à la patrie, traduit du chinois par Hervé Denès, en collaboration avec Li Ru, éditions Liana Levi 2015.

       

       

       


[1] Partiellement traduit en français sous le titre d’un autre des articles qu’il comporte : « Confessions d’un traître à la patrie » (《一个卖国贼的自白》).

[2] La chanson :

 

 

 

[4] Li Chengpeng a défendu son film « Aftershock » (《唐山大地震》) dans l’un des articles de son blog : voir : www.chinesemovies.com.fr/films_Feng_Xiaogang_Aftershock.htm

       

      

      

      

      

 

 

 

 

     

 

 

 

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