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				Li Peifu 
				李佩甫 
				
				Présentation 
				par 
				Brigitte Duzan, 20 août 2015    
					
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						En 2015, Li Peifu a été l’un des cinq lauréats du 
						prestigieux 
						prix Mao Dun, pour son 
						roman « L’album de vie » (《生命册》), 
						publié en 2012. 
						
						  
						
						« L’album de vie » est le troisième volet de la 
						« Trilogie de la plaine » (“平原三部曲”), 
						immense saga des gens de la Plaine centrale (中原腹地人), 
						après « La porte des moutons » (《羊的门》) 
						et « Les lumières de la ville » (《城的灯》). 
						
						  
						
						Il a commencé à publier à la fin des années 1970. Il a 
						écrit une dizaine de romans, de nombreux recueils de 
						nouvelles et il a une longue liste de prix à son actif. 
						Il a été plusieurs fois dans la pré-sélection du prix 
						Mao Dun, mais n’en avait encore jamais été lauréat ; on 
						avait fini par dire en plaisantant qu’il était "l’auteur 
						auquel il manque toujours une voix" (‘差一票作家’). 
						En 2015, quand il a fini par décrocher le prix, ses
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						Li Peifu en 2015 |  
				
				collègues du Henan se sont exclamés : bien mérité ! (“实至名归”). 
				   
				
				Mais cela ne change rien de fondamental pour lui. Il a célébré 
				la nouvelle avec deux cigarettes et un bol de nouilles du Henan. 
				L’écriture est devenue pour lui un mode de vie au quotidien.
				 
				
				  
				
				
				Ecrivain du Henan 
				  
				
				
				Natif de la Plaine centrale 
				
				  
				
				Li Peifu (李佩甫) 
				est né en octobre 1953 à Xuchang, dans 
				le centre du Henan (河南许昌). 
				C’est une ville très ancienne, dont l’histoire remonte aux 
				Printemps et Automnes. Elle a bénéficié de sa position centrale, 
				au sud du fleuve Jaune, comme les anciennes capitales impériales 
				de Luoyang et Kaifeng qui se trouvent non loin, au nord-ouest et 
				nord-est. Elle-même a eu son heure de gloire à la fin du 
				deuxième siècle : la vieille capitale de Luoyang ayant été 
				dévastée par la guerre, Cao Cao (曹操) 
				y installa la cour impériale en 196, puisson fils et successeur 
				Cao Pi (曹丕) 
				en fit en 220 la capitale du nouvel Etat de Cao Wei (曹魏).
				 
				
				  
				
				La région a développé au cours des siècles une riche tradition 
				locale, littéraire en particulier, dont Li Peifu est l’héritier. 
				Ses biographies donnent peu de détails sur ses années de 
				formation, mais il suffit de lire ses nouvelles pour en avoir 
				une idée – beaucoup comportent des éléments autobiographiques,
				
				
				
				« La 
				libellule noire » (《黑蜻蜓》) 
				par exemple. On y devine en filigrane une enfance dans des 
				conditions difficiles, pendant le Grand Bond en avant, et la 
				Grande Famine qui en a résulté.  
				
				  
				
				
				Débuts au lendemain de la Révolution culturelle 
				
				  
				
				Il lui faut attendre la fin de la Révolution culturelle pour 
				faire des études universitaires et débuter sa carrière. Il 
				commence à travailler en 1979 au bureau de la culture de Xuchang 
				et devient rédacteur de la revue Mangyuan (《莽原》)
				
				
				
				. 
				En 1984, il sort avec un diplôme de littérature chinoise de 
				l’Université de la radio et de la télévision du Henan (河南广播电视大学), 
				créée par la province en 1979. 
				
				  
				
				Il devient membre de l’Association des écrivains en 1988, écrit 
				beaucoup de nouvelles, mais ce sont ses romans qui le font 
				connaître, à la fin des années 1990. 
				
				  
				
				
				1. Les romans 
				
				  
				
				
				Ecrivain du terroir, romans anti-corruption 
				
				  
					
						| 
						
						 
						Le clan des Li |  | 
						
						C’est avec « Le clan des Li » (《李氏家族》) 
						et surtout « La porte des moutons » (《羊的门》)  
						qu’il devient célèbre.    
						
						« Le clan des Li » 
						《李氏家族》est 
						une chronique qui relate l’ascension, la prospérité et 
						la chute d’une grande famille. Il y a beaucoup de romans 
						de ce genre, mais celui de Li Peifu a une construction 
						originale, alternant douze chapitres intitulés « Les 
						mensonges de grand-mère » (奶奶的“瞎话儿) 
						et douze chapitres intitulés « Mouton » (羊) 
						avec un autre animal en sous-titre, un peu comme les 
						animaux du zodiaque, sauf que ce ne sont pas tout à fait 
						les mêmes, ou comme une référence à des animaux 
						totémiques.   
						
						« La porte des moutons » (《羊的门》)  
						en semble un développement, ou une variation. Le récit 
						trace un portrait très sombre de la vie dans une 
						communauté paysanne, et de la manière dont les paysans 
						se sont enrichis après la  |  
					
						| 
						
						politique de réforme d’ouverture. Avec ce roman, Li 
						Peifu semble en revenir aux idées et à la tradition 
						critique du 4 mai, après le réalisme socialiste qui 
						glorifiait les paysans comme des révolutionnaires 
						éclairés.    
						
						Dans « La porte des moutons »,  il dépeint un village 
						contrôlé par un homme – le secrétaire du Parti - qui 
						veille sur les villageois comme « dieu veillant sur ses 
						ouailles ». En apparence, il s’agit d’une utopie 
						communiste, sans exploitation, ni corruption ni 
						pauvreté, mais, sous ces dehors bienheureux, se cache la 
						réalité du système autoritaire qui règne sur le 
						village ; le chef n’hésite pas à punir le moindre signe 
						de défection et le réseau de contrôle politique 
						patiemment et longuement mis en place s’étend du village 
						jusqu’à la capitale. Li Peifu décrit les villageois 
						comme des moutons bien nourris, et les cadres aux divers 
						niveaux comme des loups affamés qui usent de leurs 
						positions pour servir leurs intérêts personnels. |  | 
						  
						
						 
						La porte des moutons |  
				
				  
				
				Il s’agit d’un fief, d’un « royaume dans le royaume » (“国中之国”), 
				et d’un potentat à l’ancienne, un « parrain » de village (“乡村教父”). 
				Mais, à travers ce potentat oriental, c’est Deng Xiaoping qui 
				est évoqué, et la vie du village est une image de la vie 
				nationale, du processus de croissance économique et 
				d’enrichissement que la politique de réforme d’ouverture a 
				enclenché, avec ses dérives, de plus en plus nettes à partir du 
				milieu des années 1990.  
				
				  
				
				C’est justement à ce moment-là que s’esquisse en Chine un 
				mouvement littéraire que l’on a désigné du terme de
				
				
				« romans anti-corruption » (反腐小说), 
				qui dure en gros de 1999 à 2002, et disparaît alors, sapé par 
				ses propres excès avant d’être censuré pour cause de réunion du 
				Comité central du Parti. Le roman de Li Peifu s’inscrit dans ce 
				mouvement, comme le seront ses romans ultérieurs et certaines 
				des nouvelles qu’il écrit au même moment.  
				
				  
				
				« La porte des moutons » est interdit. Il n’en a que plus de 
				succès. C’est le début de la célébrité pour Li Peifu. 
				
				  
				
				L’année suivante, en 2000, il publie un nouveau roman, « La 
				maison dorée » (《金屋》), 
				où il poursuit sa satire des conséquences nocives de 
				l’enrichissement sur la vie des villages – ce qu’il dépeint est 
				le Henan qu’il connaît pour y vivre, mais a valeur emblématique 
				et s’applique aussi bien à l’ensemble de la Chine.  
				
				  
				
				Le récit dépeint un petit village tranquille, lové dans la 
				Plaine centrale. Yang Ruyi (杨如意) 
				était un petit villageois méprisé du reste du village ; il a 
				fait fortune à la force du poignet après avoir fondé une usine 
				de peinture, mais il a gardé un esprit de revanche. Il revient 
				au village et se fait construire une superbe demeure, une 
				« maison dorée » comme dans les fables. Cela sème la discorde 
				dans le village : entre ceux qui cherchent à lui faire épouser 
				leur fille, et ceux qui tentent d’émuler la maison, c’est un 
				esprit de concurrence acharné qui se développe dans des esprits 
				jusqu’alors très paisibles.  
				
				  
					
						| 
						
						Le récit joue à plaisir des parallèles et des 
						oppositions : civilisation contre ignorance, pouvoir et 
						argent, et bien sûr présent et passé, celui-ci 
						dépositaire des grands valeurs morales et culturelles 
						sans lesquelles le village est condamné à revenir à des 
						conflits et rivalités qui sont autant de marques d’une 
						régression de la civilisation. 
						
						  
						
						
						Peinture et dénonciation des méfaits du pouvoir   
						
						Du village, Li Peifu se tourne ensuite vers la ville, 
						pour généraliser son attaque contre les dérives de la 
						société chinoise. Ses romans du début des années 2000 
						ont pour thème principal la peinture des méfaits du 
						pouvoir dans la société. Son « Livre blanc de la 
						ville » (《城市白皮书》) 
						est conté du point de vue d’une sorte de folle dont 
						l’hypersensibilité lui permet de découvrir les 
						absurdités de la vie et le manque d’ancrage spirituel 
						dans la ville chinoise moderne. |  | 
						
						 
						Le livre blanc de la ville |  
				
				  
					
						| 
						
						 
						Les lumières de la ville |  | 
						
						En 2003, il revient vers le village pour étudier le 
						passage de la campagne à la ville ; il publie « Les 
						lumières de la ville » (《城的灯》), 
						qui dépeint le voyage difficile de jeunes qui ont quitté 
						la campagne et doivent peu à peu s’adapter à la ville. 
						C’est le deuxième volet de la « Trilogie de la plaine » 
						("平原三部曲"), 
						commencée avec « La porte des moutons » et achevée 
						seulement en 2012 avec « L’album de vie » (《生命册》).
						   
						
						Après 2003, ses romans traitent de la corruption en 
						milieu urbain, envisagée sous l’angle de la lutte 
						effrénée pour le pouvoir, pouvoir économique entraînant 
						les autres. C’est le cas, en 2005, de « Noces d’acier » 
						(《钢婚》) 
						et, en 2007, de « Dans l’attente d’une âme » (《等待灵魂》), 
						dont le titre résume à lui seul le propos de l’auteur.
						 
						
						  
						
						Ce dernier roman traite de la compétition effrénée dans
						 |  
					
						| 
						
						monde des affaires, en montrant comment le pouvoir 
						corrompt les hommes. Le roman esquisse le portrait d’un 
						homme dont les succès puis l’échec final sont causés par 
						son ambition et sa soif de pouvoir.    
						
						Ce roman lui a demandé près de vingt ans de 
						préparation ; c’est une véritable étude de terrain. Li 
						Peifu a étudié une centaine de cas commerciaux et 
						rencontré toutes sortes de chefs d’entreprise. De la 
						peinture classique des bureaucrates, il est passé à 
						celle des marchands. Son récit a pour cadre les guerres 
						commerciales dans la capitale, et pour personnage 
						central un militaire qui a changé de carrière et s’est 
						‘lancé dans la mer ‘ (下海), 
						selon le terme désormais consacré pour désigner tous 
						ceux qui se sont lancés dans les affaires pour faire 
						fortune quand Deng Xiaoping a lancé sa politique de 
						réformes et a demandé aux Chinois de s’enrichir. 
						 
						
						  
						
						
						L’album de vie |  | 
						
						 
						En attendant une âme |  
				
				   
				
				Avec « L’album de vie », publié en 2012, Li Peifu est revenu 
				vers ses racines. Il a dit qu’il considérait ses romans sur des 
				sujets urbains comme épisodiques dans son œuvre. Ils ont été 
				conçus, a-t-il expliqué, pour élargir son horizon et chercher à 
				dépasser le roman rural, par le sujet, mais aussi par la langue. 
				Son véritable sujet, cependant, celui qui lui tient le plus à 
				cœur, reste la terre, la terre au sens de ‘terre ancestrale’ (乡土), 
				terre des racines. 
				
				  
				
				C’est en 2007 qu’il a commencé « L’album de vie ». Il a passé 
				trois ans à l’écrire, mais cela représente en fait, selon lui, 
				cinquante ans de réflexion et de préparation. L’écriture 
				elle-même a suivi un processus un peu tortueux : il a commencé à 
				l’écrire dans son bureau, mais, au bout de quelque 80 000 
				caractères, il n’était pas content de ce qu’il avait écrit. 
				Alors il a pris ses notes et a terminé le roman dans sa chambre 
				à coucher. C’est l’endroit où il préfère écrire. 
				
				  
				
				Mais, pour trouver l’inspiration et le ton juste, il est souvent 
				allé se promener près de chez lui, à Changge (长葛) 
				ou Xiangcheng (襄城), 
				revenant après avoir parlé avec une personne ou une autre, ou 
				n’avoir pas vu âme qui vive à trente lieues à la ronde, juste un 
				chien parfois, mais avec des idées pour la suite de son roman. 
				Il écrit peut-être dans sa chambre, mais ce qu’il écrit est tiré 
				de la glèbe et de la vie quotidienne. 
				
				  
				
				« L’album de vie » a été publié pour son soixantième 
				anniversaire. C’est l’achèvement de la « Trilogie de la 
				plaine », il marque aussi dans son œuvre une somme, comme une 
				sorte de point d’orgue, couronnée in fine du prix Mao Dun. 
				
				  
				
				
				Principaux romans publiés : 
				
				
				  
				
				1999 Le clan des Li 《李氏家族》 
				
				1999 La porte des moutons 
				《羊的门》 
				
				2000 La maison d’or 
				
				《金屋》 
				
				2001 Le livre blanc de la ville 
				
				《城市白皮书》 
				
				2001 ShenFengmei 
				
				《申凤梅》 
				
				2003 Les lumières de la ville 
				《城的灯》 
				
				2005 Noces d’acier 《钢婚》 
				
				2007 En attendant une âme 
				《等待灵魂》 
				
				2012 L’album de vie 
				《生命册》 
				
				  
				
				Cependant, si ces romans permettent de baliser l’œuvre et d’en 
				visualiser l’évolution, il n’en faut pas pour autant négliger la 
				foison de nouvelles que Li Peifu a écrites, et qui constituent 
				comme un contre-point à ses romans.  
				
				  
				
				
				2. Les nouvelles  
				
				  
				
				Il a surtout écrit des nouvelles « moyennes » (中篇小说), 
				souvent assez longues, dont il a publié plusieurs recueils. Les 
				meilleures datent des années 1996-1997 : ce sont les plus 
				personnelles.  
				
				  
				
				
				Plusieurs recueils 
				
				  
				
				L’un de ses principaux recueils est celui publié en 2001, 
				intitulé « La libellule noire » (《黑蜻蜓》), 
				titre de la seconde des treize nouvelles qu’il comporte, 
				considérées comme les plus représentatives de celles écrites 
				dans la seconde moitié des années 1990.  
				
				  
				
				1 
				
				无边无际的早晨      
				
				
				une aurore sans limites2 
				
				
				黑蜻蜓                 
				
				
				
				la libellule noire
 3 
				
				豌豆偷树              
				
				
				le cri du coucou
 
				
				4 
				
				送你一朵苦楝花      
				
				
				voilà pour toi une fleur de lilas des Indes5 
				
				红蚂蚱绿蚂蚱  
				
				       
				sauterelle rouge, sauterelle verte
 6 
				
				学习微笑              
				
				
				apprendre à sourire
 7 
				
				邨/村魂                l’esprit 
				du hameau
 8 
				
				乡村蒙太奇            montage 
				de village
 9 
				
				田园                    campagne
 10 
				
				小小吉兆村          un 
				minuscule village béni des dieux
 11 
				
				满城荷花         
				
				   
				des lotus plein la ville
 12 
				
				红炕席              
				
				 le 
				tapis de kang rouge
 13 
				
				画匠王              
				
				 le 
				roi des artisans-peintres
 
				
				  
				
				Ce sont des nouvelles datant pour la plupart de 1996-97 qui 
				avaient déjà été publiées en 1997 dans un autre recueil ; il 
				portait le titre de la première et en comportait cinq de plus, 
				dont « L’œil du ciel » (《天眼》), 
				qui raconte l’histoire d’un homme qui a une tumeur au foie.
				 
				
				
				  
				
				
				Apprendre à sourire  
				
				  
				
				Initialement publiée en 1996, 
				
				« Apprendre 
				à sourire » (《学习微笑》), 
				est une nouvelle caractéristique de la période. 
				
				Li Peifu se place dans le contexte de la restructuration de 
				l’industrie chinoise du début des années 1990, après la relance 
				par Deng Xiaoping de la politique de réformes, en 1992. 
				 
				
				  
				
				Le récit relate l’histoire d’une ouvrière d’une usine d’Etat de 
				produits alimentaires au bord de la faillite, Liu Xiaoshui (刘小水). 
				Elle s’est retrouvée au chômage, réduite à devenir gardienne des 
				toilettes publiques, encaissant les entrées tout en gardant son 
				bébé de huit mois à côté d’elle : 
				
				  
				“公共厕所前摆着一张收费的小桌,她的苍老的母亲就坐在小桌的后边,母亲旁边是一个小孩车,车里站着她那八个月的孩子。有风刮过来了,荡起一片腥腥的灰尘,母亲的脸很脏,孩子的脸也很脏,她的母亲一边收费一边摇着小孩车照看她的孩子。孩子许是饿了,在车里一蹿一蹿地动着,哇哇乱叫。”—— 
				
				
				A l’entrée des toilettes publiques était placée une petite table 
				pour encaisser l’argent des visiteurs ; la mère [du bébé] était 
				assise derrière, avec à côté d’elle une petite poussette où 
				était son bébé de huit mois. En passant, le vent soulevait une 
				poussière nauséabonde ; le visage de la mère était sale, tout 
				comme celui de l’enfant. Tout en encaissant l’argent, elle 
				surveillait le bébé en le berçant, mais, peut-être parce qu’il 
				avait faim, il gigotait en hurlant.  
				
				  
				
				Li Peifu décrit sa situation : son mari a été mis à la retraite, 
				deux ans auparavant il a fait une thrombose cérébrale et il est 
				resté hémiplégique ; pour pouvoir s’acheter les médicaments 
				nécessaires, il vend des bouteilles de boissons gazeuses à côté 
				du cinéma. Comme si cela ne suffisait pas, quand le père de Liu 
				Xiaoshui est mort, les collègues de son atelier ont invité son 
				mari à jouer, il s’est fait prendre et a écopé d’une amende de 
				trois mille yuans… Pour Liu Xiaoshui, « la vie est devenue 
				impossible » (“这日子没法过了”).
				 
				
				  
				
				L’entreprise est renflouée par un investisseur de Hong Kong. En 
				guise de reconversion, Liu Xiaoshui participe avec huit autres 
				de ses collègues féminines à un stage d’ « apprentissage du 
				sourire ». Le principe de base qui leur est enseigné est que le 
				sourire est l’expression de sa confiance en soi (“微笑表现的是一种自信”).
				
				
				Mais où la trouver quand « la vie est devenue impossible » ?  
				Quand elle sourit, Liu Xiaoshui verse des larmes. Pendant une 
				bonne partie de la nouvelle, elle ne fait que pleurer : pleurer 
				est devenu son attitude au quotidien, sa manière de survivre.
				 
				
				  
				
				La nouvelle est jusque là un superbe portrait de femme, et une 
				satire ironique du renflouement des usines d’Etat. Mais Li Peifu 
				continue en décrivant le directeur et les cadres de l’usine, et 
				son propos tourne alors à la dénonciation de la dépravation des 
				dirigeants, et de l’exploitation des ouvrières. Liu Xiaoshui est 
				invitée, avec ses huit collègues, à accompagner les cadres dans 
				leurs sorties et leurs « divertissements ». Li Peifu montre 
				comment le pouvoir corrompu des uns finit par corrompre les 
				autres et les priver de leur liberté de choix. 
				
				  
				
				Cependant, quand son mari meurt, Liu Xiaoshui refuse les 
				subsides offerts par l’usine, en recouvrant sa dignité perdue. 
				Le récit se présente une sorte de fable philosophique. 
				Finalement, la conclusion de Li Peifu est positive : selon lui, 
				les gens comme Liu Xiaoshui conservent les valeurs morales 
				traditionnelles de la société chinoise, en les adaptant aux 
				changements socio-historiques, mais en en préservant l’essence.
 
				
				Ce récit est 
				précurseur des romans « anti-corruption » qui vont suivre 
				quelques années plus tard 
				
				
				. 
				Il fait d’ailleurs partie d’un recueil de six nouvelles publié 
				en 2000 qui a cette thématique générale. 
				La dernière du recueil – « Recréer le jianghu » (《重现江湖》) 
				- a un titre qui renvoie au grand classique « Au bord de l’eau » 
				(《水浒传》) 
				et à son histoire de brigands au grand cœur vivant en marge 
				d’une société rongée par l’injustice et la corruption, dans un 
				marais-refuge au milieu des « rivières et des lacs », le 
				jianghu 
				
				
				 : 
				appel à la révolte contre la corruption du vingtième siècle en 
				prenant pour modèle le précédent des Song...  
				
				  
				
				
				Précis d’histoire locale 
				
				   
					
						| 
						
						Cependant, Li Peifu a écrit des nouvelles dans une toute 
						autre veine qui sont au moins aussi intéressantes 
						aujourd’hui. Il y a une série de nouvelles sur 
						l’histoire et la culture locale, comme « L’histoire 
						de la rivière Ying » (《颖河故事》), 
						principal affluent de la rivière Huai (淮河) 
						qui prend sa source à Zhoukou (周口), 
						à l’est du Henan…    
						
						A cette veine se rattache le roman paru en 2001 : « Shen 
						Fengmei » 
						(《申凤梅》). 
						Li Peifu y rend hommage à Shen Fengmei, une actrice 
						d’opéra née en 1928 à Linying (临颍), 
						célèbre interprète d’opéra yuediao (越调剧), 
						une des formes régionales d’opéra du Henan. Née dans une 
						famille pauvre, elle a commencé à être formée à l’opéra 
						à l’âge de onze ans, est entrée dans une troupe de 
						l’Armée populaire de Libération en 1947, et a continué 
						sa carrière jusqu’à devenir une célébrité nationale.
						 |  | 
						 
						Shen Fengmei, le roman |  
				
				  
					
						| 
						
						 
						Shen Fengmei dans le rôle de Zhuge Liang 
						dans  
						l’opéra yuediao « Zhuge Liang recrute 
						Jiang Wei » |  | 
						
						Elle est en particulier célèbre pour son interprétation 
						du rôle de Zhuge Liang (诸葛亮) 
						dans « Zhuge Liang présente ses condoléances » (《诸葛亮吊孝》), 
						opéra filmé en 1980 par Chen Huaikai (陈怀皑), 
						avec elle dans le rôle principal. 
						
						  
						
						Les plus belles nouvelles de Li Peifu, cependant, les 
						plus attachantes et les plus émouvantes, sont sans doute 
						celles qui lui ont été inspirées par ses souvenirs, et 
						en particulier les personnages de son enfance. |  
				
				  
				
				
				Les nouvelles inspirées du passé 
				
				  
				
				Li Peifu est un formidable portraitiste. Il excelle à évoquer 
				des figures de son passé, par petites touches impressionnistes, 
				sans appuyer ni souligner, avec une atmosphère qui rappelle 
				l’univers de 
				
				Shen Congwen (沈从文). 
				Li Peifu est d’ailleurs un peu au Henan ce que Shen Congwen est 
				au Hunan. Il se borne à suggérer, mais ses personnages ont la 
				qualité visuelle d’une peinture ou d’un film. On en verrait 
				bien, d’ailleurs, quelques-unes de ces nouvelles adaptées au 
				cinéma.  
				
				  
				
				C’est le cas, par exemple, de 
				« Voilà 
				pour toi une fleur de lilas des Indes » 
				(《送你一朵苦楝花》), 
				quatrième nouvelle du recueil de 2001. Li Peifu y décrit une 
				« petite sœur » (小妹) 
				à laquelle écrit son frère aînée : c’est la septième fois 
				qu’elle s’enfuit, la « petite sœur » ; à neuf ans, elle gardait 
				les moutons pour payer les frais d’étude de son frère, et elle 
				lui cueillait des fleurs de lilas des Indes en lui 
				disant : « Tiens, voilà une fleur de lilas sauvage pour toi ».
				 
				
				  
					
						| 
						
						Et puis le frère est parti à l’université, il a eu son 
						diplôme, la « petite sœur » n’a plus eu besoin de garder 
						les moutons, mais elle a perdu un but dans la vie… La 
						première fois qu’elle s’est enfuie, elle a envoyé une 
						lettre à son grand frère : j’en ai assez de vivre (哥,我不想活了)… 
						mais elle ne voulait pas mourir, pas encore… c’est venu 
						plus tard, quand le grand frère n’a pas répondu à ses 
						lettres…    
						
						C’est d’une infinie tristesse, mais la forme, aussi, est 
						intéressante : le narrateur parle de lui à la 3ème 
						personne, tout en s’adressant à la « petite sœur » à la 
						deuxième personne. Il y a ainsi un effet de 
						distanciation qui enlève au récit un excès d’effet 
						mélodramatique, et le rend d’autant plus douloureux. 
						C’est en même temps, indirectement, un tableau très fin 
						de la situation des femmes dans les années 1990 dans les 
						campagnes du Henan. 
						
						  |  | 
						
						 
						La libellule noire |  
				
				Autre exemple de nouvelle très réussie, celle qui a donné son 
				titre au recueil de 2001 : 
				
				« La 
				libellule noire » (《黑蜻蜓》). 
				C’est l’une de ses plus belles.   
				   
				
				   
				
				
				Traduction en anglais 
				
				  
				
				In : Running Wild – New Chinese Writers, par David Der-Wei Wang, 
				with Jeanne Tai, Columbia University Press, 1994 – 14 short 
				stories, including “The Adulterers” by Li Peifu, tr. by Charles 
				Laughlin with Jeanne Tai, pp. 168-174 (une histoire très courte, 
				de disparition de porcs dans un village…et d’adultère). 
				
				  
				
				  
				
				
				A lire en complément 
				
				
				  
				
				Son blog (en chinois) : 
				
				
				http://blog.sina.com.cn/u/3314222873 
				
				(Il comporte le texte entier du roman “La porte des moutons”, 
				publié par chapitre à partir de décembre 2013, outre divers 
				articles de critiques, en particulier de « L’album de vie ») 
				
				  
				
				
				
				« La 
				libellule noire » (《黑蜻蜓》) 
					
 
 
						 
						 
						 
						
						
						 
						《败节草》/《学习微笑》/《六神有主》/《镇长》/《本乡有案》/《重现江湖》 
						 
						 
						     
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