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				Lu Tianming 
				陆天明 
				
				Présentation 
				
				par Brigitte Duzan, 10 juin 2016   
						
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							Lu Tianming est un écrivain représentatif de ce 
							qu’il est usuel d’appeler la « littérature des 
							jeunes instruits » ou zhiqing wenxue (知靑文学), 
							l’un des nombreux courants littéraires qui forment 
							la littérature dite « de l’ère nouvelle » (新时期文学), 
							de la chute de la Bande des quatre en 1976 aux 
							événements de Tian’anmen en 1989.  
							
							  
							
							Cette « littérature des jeunes instruits » s’est 
							développée, parallèlement à la
							
							« littérature des cicatrices », 
							au retour des jeunes instruits de leur exil prolongé 
							à la campagne, pour dépeindre leur expérience. Lu 
							Tianming est un cas peu courant, puisque, d’une 
							part, c’est au Xinjiang qu’il a passé la période de 
							la Révolution culturelle, etd’autre part qu’il y est 
							parti volontairement, après quelques années dans 
							l’Anhui.    
							
							Contrairement à d’autres, qui ont développé une 
							vision idéalisée et nostalgique de leur séjour 
							prolongé dans des zones rurales excentrées et peu 
							amènes, il a adopté une  |  | 
							
							 
							Lu Tianming |  
					
					position volontairement réaliste pour raconter sa vie et ses 
					souvenirs, une fois son enthousiasme initial douloureusement 
					expurgé.  
				
				  
				
				
				Volontaire enthousiaste à quatorze ans  
				
				  
				
				Né en 1943 à Kunming (昆明), 
				et grandi à Shanghai, Lu Tianming a perdu son père à l’âge de 
				dix ans. C’est sa mère qui l’a élevé, lui et ses quatre frères 
				et sœurs cadets 
				
				
				. 
				Il a donc eu l’habitude très tôt d’aider aux tâches ménagères et 
				d’acquérir un certain esprit de dévouement.  
				
				  
				
				
				De l’Anhui … 
				
				  
						
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							L’appel aux jeunes de 1957 |  | 
							
							A 12 ans, il entre dans une petite troupe culturelle 
							et fait preuve de dons et de goût pour l’écriture. 
							Mais, deux ans plus tard, en 1957, au tout début du 
							Grand Bond en avant, est lancé l’appel aux jeunes 
							qui viennent de terminer le secondaire : « Soyez la 
							première génération de paysans instruits de la 
							nation » (“祖国第一代有文化的农民”)
							
							
							
							.
							 |  
					
					C’est 
					l’enthousiasme, avec défilés de tambours et gongs dans les 
					rues, et des articles dans les journaux incitant les 
					étudiants à se porter volontaires et partir. Lu Tianming a 
					14 ans, qu’à cela ne tienne, il trafique ses papiers 
					d’identité pour se donner deux ans de plus. 
				 
				
				  
				
				Mais sa mère n’est pas d’accord ; alors, pour tenter de la 
				convaincre, il lui écrit un mot tous les jours, qu’il glisse 
				sous son oreiller : elle finit pas céder. Il part dans l’Anhui, 
				dans un petit village au pied des monts Huangshan, comme simple 
				paysan. Il est le plus jeune de l’équipe de « jeunes 
				instruits », le plus âgé est un étudiant de première année de 
				l’Institut d’art dramatique de Shanghai. Il est paysan, mais 
				« instruit », alors il enseigne dans la ferme et participe à la 
				campagne pour instaurer les communes populaires. C’est alors 
				qu’il entre à la Ligue de la jeunesse. 
				
				  
						
							| 
							
							Il s’inspirera de cette expérience pour écrire le 
							scénario du film « Sortir de la ligne d’horizon » (zǒuchū 
							dìpíngxiàn《走出地平线》), 
							réalisé par Yu Benzheng (于本正) 
							et produit par le studio de Shanghai en 1992. 
							
							  
							
							Il est dans l’Anhui au moment de la Grande Famine, 
							et il survit parce que, étant enseignant, il a un 
							traitement préférentiel ; mais il attrape la 
							tuberculose pour cause de malnutrition, et rentre à 
							Shanghai se faire soigner. Il aurait pu y rester. |  | 
							
							 
							Sortir de la ligne d’horizon |  
					
					  
				
				
				…. au Xinjiang  
				
				  
						
							| 
							
							 
							Lu Tianming en 1964, lors de 
							 
							son départ pour le Xinjiang |  | 
							
							En 1964, pourtant, une fois guéri, il repart, 
							toujours porté par le même enthousiasme et le même 
							idéalisme, et cette fois il va au Xinjiang. Il a en 
							effet entenduun discours du directeur du bureau de 
							mise en valeur de la province, Wang Zhen (王震)
							
							
							
							, 
							appelant les jeunes diplômés à partir aider au 
							développement rural du Xinjiang.  
							
							  
							
							Lu Tianming prend le train, et voyage cinq jours et 
							cinq nuits pour rejoindre une ferme militaire 
							dépendant du Corps de production et construction du 
							Xinjiang (新疆生产建设兵团) 
							où il travaille dans une équipe de défrichage, selon 
							le principe « Construire la frontière, protéger la 
							frontière » (“建设边疆,保卫边疆”). 
							
							  
							
							L’approvisionnement était encore difficile, ils se 
							nourrissaient de nouilles de farine de maïs. En 
							1964, les paysans n’avaient pas le droit d’élever 
							des poulets ou des porcs, c’était  |  
					
					considéré comme « la queue du capitalisme » (资本主义尾巴). 
					Même les femmes qui venaient d’accoucher devaient faire une 
					demande spéciale pour avoir des œufs. Pourtant le but des 
					fermes militaires était de construire une économie 
					auto-suffisante.
					 
				
				  
				
				Ils étaient une quarantaine, moitié hommes moitié femmes, et ils 
				dormaient dans des dortoirs séparés. Les lits du bas étaient 
				au-dessous du niveau du sol, à même la terre, et ils mangeaient 
				avec des tiges de roseaux en guise de baguettes. Ils 
				travaillaient toute la journée, sauf une courte sieste 
				l’après-midi et, le soir, avaient des discussions sur le travail 
				réalisé dans la journée. 
				
				  
				
				
				Ecrivain pour témoigner 
				
				
				  
				
				Ils n’avaient pas beaucoup de temps à eux dans ces conditions, 
				mais Lu Tianming a commencé à raconter des histoires à ses 
				camarades pour égayer leurs soirées libres.  
				
				
				  
				
				
				Des histoires pour distraire les camarades 
				
				  
				
				Il était chef d’équipe, dans la ferme, et avait la charge d’une 
				quinzaine de jeunes instruits comme lui. La vie était monotone 
				et ils avaient très peu de divertissements. Alors il leur 
				racontait des histoires, et, au bout de plusieurs années, au 
				début des années 1970, il a eu le désir de les écrire. C’était 
				entièrement spontané, contrairement à ce qui s’est passé pendant 
				la Révolution culturelle. Il dit avoir toujours eu envie 
				d’écrire. L’une des raisons pour lesquelles il a choisi de 
				partir au Xinjiang est qu’il voulait « se plonger dans la vie » 
				(到生活中去) ; 
				or, ce faisant, il avait des pans de vie à raconter. Tous les 
				zhiqing ont fait cette expérience, et cette authenticité 
				fait une grande partie de l’intérêt de cette littérature. 
				
				  
				
				La première œuvre qui a fait connaître Lu Tianming est la 
				nouvelle « Mettre les voiles » (yangfang wanli《扬帆万里》), 
				écrite en quelques jours d’un hiver très froid au début des 
				années 1970 en hommage au mouvement d’envoi des jeunes instruits 
				à la campagne. Adaptée en pièce de théâtre huaju, publiée 
				en 1973, elle a été mise en scène à Xi’an, puis a tourné dans 
				toute la Chine en 1974-75.  
				
				  
				
				Elle a eu un grand impact à l’époque.
				
				
				Zhang Kangkang (张抗抗) 
				a dit qu’elle en avait collé des pages sur le mur de sa chambre, 
				quand elle était, elle, dans le Grand Nord. Lu Tianming était 
				sincère, persuadé qu’aller au Xinjiang pour améliorer la vie des 
				paysans était le mieux à faire pour des jeunes comme lui. Ses 
				convictions ont commencé à changer seulement quand il a été 
				transféré à Pékin.  
				
				  
				
				
				Transfert à Pékin 
				
				  
				
				En 1975, après le succès de sa pièce, Lu Tianming est transféré 
				à Pékin avec sa femme et ses deux enfants 
				
				
				 
				- non sans crise de conscience car il était parti pour instaurer 
				la révolution, et le but n’était pas atteint. Son transfert 
				avait d’abord pour but de lui permettre de diriger les 
				représentations de sa pièce, puis il a été affecté à l’unité 
				centrale de production radio-télévisée de Chine (中央电视台电视剧制作中心) 
				pour écrire des pièces.  
				
				  
				
				C’était une chance inespérée à l’époque, personne ne pouvait 
				encore revenir en ville ; d’ailleurs, en 1977, on l’a accusé 
				d’avoir bénéficié d’un passe-droit et d’avoir été transféré par 
				la Bande des quatre. Heureusement, ces accusations se sont vite 
				révélées sans fondement. 
				
				  
				
				Après la chute de la Bande des quatre, en 1976, il traverse une 
				période difficile d’adaptation. Pour un jeune instruit qui avait 
				délaissé une carrière à Shanghai pour aller travailler la terre 
				pendant dix ans au Xinjiang, la graduelle prise de conscience de 
				l’absurdité du mouvement des jeunes instruits a été extrêmement 
				douloureux, pour lui comme pour tant d’autres. Il a dès lors 
				vécu pour témoigner, témoigner que tout n’était pas inutile dans 
				cette expérience. 
				
				  
				
				
				La fiction en renfort des souvenirs 
				
				  
				
				
				Une vision sobre et réaliste 
				
				  
				
				Lu Tianming s’est lancé à corps perdu dans l’écriture, et, à 
				partir du début des années 1980, a d’abord publié nombre de 
				nouvelles, dont, en 1984, la nouvelle moyenne « Fleurs de 
				chanvre sauvage » (《啊,野麻花》) 
				est l’une des plus connues et a donné son titre à un recueil.
				 
				
				  
				
				Mais c’est son roman « Le soleil des hauteurs de Sangna » (《桑那高地的太阳》), 
				publié en 1987, qui l’a rendu célèbre. C’est le premier volet de 
				ce qui devait être une « trilogie du soleil » (太阳三部曲) 
				inspirée par son expérience au Xinjiang, mais s’est limitée à un 
				second volet, « Soleil boueux » (《泥日》) 
				en 1992. 
				
				  
				
				Ce roman est important pour le développement de la littérature 
				« des jeunes instruits » d’une part parce qu’il dépeint le 
				mouvement des jeunes instruits au Xinjiang au début des années 
				1960, peu connu par ailleurs, et d’autre part parce qu’il 
				fournit un témoignage sensible sur les destins tragiques des 
				jeunes qu’il dépeint, et leur assimilation dans le monde paysan. 
				Ce premier roman traite en effet du conflit entre culture 
				urbaine et culture rurale, en décrivant comment elles ont lutté 
				pendant les décennies maoïstes, et comment, finalement, ce sont 
				les ruraux qui ont vaincu les intellectuels. 
				
				  
				
				Lu Tianming ne dépeint pas que des jeunes instruits, mais aussi 
				toute une série de personnages autour d’eux. L’un des portraits 
				les plus réussis est celui du vieux chef de la ferme militaire, 
				un soldat démobilisé parti au Xinjiang ; il est victime du 
				système, mais il se retourne contre les zhiqing. Il 
				apparaît comme le symbole du monde rural en lutte contre la 
				culture urbaine, et intellectuelle. 
				
				  
				
				« Le soleil des hauteurs de Sangna » est une critique acerbe du 
				concept de faire éduquer les jeunes instruits par les paysans 
				pauvres et moyen-pauvres, et un rejet de la politique 
				discriminatoire du Parti envers les intellectuels.  
				
				  
				
				Lu Tianming en a eu une vision très nette quand il est revenu au 
				Xinjiang en 1985. Il a revu certains de ses amis qu’il avait 
				entraînés là-bas et qui, eux, n’ont jamais pu retourner à 
				Shanghai parce qu’ils avaient épousé des filles de la région, ou 
				qu’ils étaient des travailleurs modèles qui n’ont pas été 
				autorisés à partir. Mais le plus tragique est qu’ils étaient 
				convaincus dans l’ensemble qu’ils devaient rester … La machine 
				s’était refermée sur eux. 
				
				  
				
				
				Des romans « anti-corruption » 
				
				
				  
						
							| 
							
							En 1995, le roman « Le firmament sur la tête » (《苍天在上》) 
							est le premier d’une série de quatre qui 
							s’inscrivent dans le contexte de la
							
							« littérature 
							anti-corruption »
							
							
							(“反腐四部曲”). 
							
							  
							
							Ce type de roman apparaît, chez Lu Tianming, comme 
							une autre façon de retrouver l’idéalisme de sa 
							jeunesse, en dénonçant les dérives d’une société qui 
							a trahi les idéaux pour lesquels il a sacrifié de 
							nombreuses années de sa vie.   
							
							  
							
							
							La première vague    
							
							Selon ses propres dires, il appartient à la première 
							vague de la littérature de zhiqing ; comme il 
							s’est engagé très tôt, il est même l’un des plus 
							âgés. Son sentiment est que, s’ils ont énormément 
							sacrifié, ils ont aussi beaucoup appris. Il n’y a 
							pas trace d’amertume dans son œuvre ni ses 
							déclarations. 
							
							La seconde vague est différente, a-t-il expliqué, 
							c’est celle d’auteurs comme Liang Xiaosheng (梁晓声) 
							– parti dans le Grand Nord en juin 1968 - qui ont 
							développé une véritable nostalgie des dix ans passés 
							loin de chez eux et ont créé une vision idéalisée de 
							la vie de zhiging, qu’ils peignent avec des 
							couleurs romantiques et révolutionnaires alors que 
							la vie en ville leur a semblé terne et ennuyeuse à 
							leur retour. 
							
							  
							
							Ils se sont surtout sentis perdus et démunis car ils 
							sont revenus les mains vides, sans formation pour 
							pouvoir travailler en ville. Quand ils sont arrivés 
							chez eux, ils ont d’abord été accueillis avec 
							enthousiasme et les bras ouverts par leurs parents 
							et amis ; mais la vie en ville était difficile, les 
							logements exigus, ce qui a créé des tensions, en 
							particulier à Shanghai. Les zhiqing ont eu du 
							mal à trouver leur place ; c’est ce que décrit la 
							superbe nouvelle de Wang Anyi (王安忆) 
							« Terminus » (《本次列车终点》), 
							l’une de ses premières, datée de 1981. 
							
							  
							
							Ces tensions ont conduit à des manifestations : une 
							dizaine de milliers de zhiqing ont manifesté 
							à Shanghai au printemps 1979. Mais le mouvement ne 
							s’est pas limité à Shanghai, il y a eu des 
							manifestations aussi au Xinjiang. C’est alors que 
							s’est cristallisée une nostalgie pour cette sorte de 
							paradis perdu réinventé, que l’on trouve dans 
							l’œuvre de 
							
							Wang Meng (王蒙), 
							par exemple, autre écrivain qui a passé de longues 
							années au Xinjiang, mais, lui exilé, comme les 
							ministres châtiés par l’empereur sous les Qing. 
							
							  
							
							Lu Tianming est un cas spécial : sa vision du 
							Xinjiang a le réalisme de ceux qui ont vécu une 
							passion, et se sont rendu compte qu’elle n’était pas 
							totalement justifiée. Son approche dépassionnée est 
							d’autant plus intéressante.   
							
							  
							
							
							Principales œuvres  
							
							
							  
							
							
							Nouvelles  
							
							1984 Fleurs de chanvre sauvage 
							
							《啊,野麻花》 
							
							
							  
							
							
							Romans  
							
							1987 Le soleil des hauteurs de Sangna 《桑那高地的太阳》 
							
							1992 Soleil boueux 
							
							《泥日》 
							
							1995 Le firmament sur la tête 
							《苍天在上》 
							
							1998 Reliefs en bois 
							《木凸》 
							
							2000 Neige immaculée 
							《大雪无痕》 
							
							2002 Le secrétaire du comité provincial 
							《省委书记》 
							
							2004 Vols de moineaux noirs 《黑雀群》 
							
							
							  
							
							
							Scénarios 
							
							1992 Scénario du film « Sortir de la ligne 
							d’horizon » 
							
							《走出地平线》 
							
							Dix scénarios pour la télévision, dont les 
							adaptations de  |  | 
							
							 
							Le firmament sur la tête   
							
							 
							Neige immaculée   
							
							 
							Vols de moineaux noirs   
							
							 
							Le secrétaire du comité provincial |  
					
					Le firmament sur la tête 
					
					《苍天在上》 
					
					(feuilleton en 17 épisodes) 
				
				Neige sans traces 
				《大雪无痕》 
				
				(feuilleton en 20 épisodes) 
				
				Le secrétaire du comité provincial 
				《省委书记》(feuilleton 
				en 20 épisodes) 
				
				  
				
				  
				
				
				Bibliographie 
				
				  
				
				Morning Sun: Interviews with Chinese Writers of the Lost 
				Generation, by Laifong Leung, M.E. Sharpe East Gate Book, 1994. 
				
				pp. 121-132 Lu Tianming, volontaire au Xinjiang. 
				    
					
 
						
						
						 
						Sa sœur cadette Lu Xing’er (陆星儿), 
						née en 1949 à Shanghai, a été influencée par son frère 
						lorsqu’elle était adolescente. Malgré les objections de 
						sa mère, elle a écrit avec son sang une demande pour 
						partir dans le Grand Nord. Elle est restée dans le 
						Heilongjiang de 1969 jusqu’à ce qu’elle entre à 
						l’Institut central d’art dramatique de Pékin en 1978. 
						Elle a été dramaturge, avant d’écrire des séries de 
						nouvelles et plusieurs romans.  
						 
						 
						 
						 
						
						
						 
						Dont le réalisateur Lu Chuan (陆川) 
						qui a vécu ses quatre premières annéesau Xinjiang.     
				  
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