Club de lecture du
Centre culturel de Chine
Année 2018-2019
Compte rendu de la
première séance
et annonce de la
séance suivante
par Brigitte Duzan, 19 octobre
2018
La
première séance de l’année 2018-2019 du Club de
lecture du Centre culturel de Chine s’est tenue le
mardi 16 octobre 2018, dans la médiathèque du
Centre. Le Club fêtait en même temps sa première
année d’existence.
La
première séance de cette nouvelle année était
consacrée à
Mo Yan (莫言),
et plus particulièrement à deux de ses œuvres,
traduites en français par Chantal Chen-Andro et
publiées au Seuil :
- Chien
blanc et balançoire 《白狗秋千架》,
recueil de sept nouvelles initialement parues entre
1983 et 2004, Seuil 2018.
- Grenouilles 《蛙》,
roman paru en Chine en Chine en 2009 et couronné du
prix Mao Dun en 2011, Points 2011.
Animée par
Brigitte Duzan, la séance s’est déroulée en |
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Mo Yan |
présence
du Directeur des études du Centre culturel et de
nombreux nouveaux membres ; en revanche,
Chantal Chen-Andro, la
principale traductrice de Mo Yan, n’a pu y assister comme
initialement prévu, ayant été retenue en province, mais une
présentation de son parcours et de son travail a été réalisée
pour l’occasion, avec une riche bibliographie comprenant en
particulier tous les articles qu’elle a écrits sur les œuvres de
Mo Yan qu’elle a traduites.
Selon le protocole
établi l’an dernier, les membres présents ont d’abord exposé
leurs impressions de lecture, ainsi que les divers commentaires
et questions suggérés par leurs lectures, et c’est sur cette
base que s’est ensuite ouverte la discussion.
Impressions de
lectures, commentaires et questions
Vue d’ensemble
Très peu de membres
n’avaient encore jamais lu d’œuvres de Mo Yan, encore plus rares
étaient ceux qui découvraient la littérature chinoise à travers
ces deux livres, mais cela a éveillé leur curiosité et ils ont
ainsi été incités à poursuivre leurs découvertes.
La plupart des
participants avaient en fait déjà lu des œuvres de Mo Yan, à
commencer par le roman « Beaux seins, belles fesses » (《丰乳肥臀》)
découvert, dans la majorité des cas, dès sa parution en France,
en 2004, et qui a emporté l’adhésion générale par son exubérance
autant le que réalisme du style dans les descriptions de la
campagne.
Les lectures
s’étendaient à divers autres romans appréciés, eux, diversement,
« Le clan des chiqueurs de paille » (《食草家族》)
étant l’un des rares exemples de réaction essentiellement
négative. Ce qui plaît chez Mo Yan, c’est son mélange d’humour
et de satire, de violence et de chaleur humaine, l’un des
exemples plébiscités étant « Le maître a de plus en plus
d’humour » (《师傅愈来愈幽默》).
Appréciations
généralement positives des œuvres au programme…
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Les
participants ont généralement apprécié leur lecture
des textes proposés, avec des préférences également
partagées pour les nouvelles et pour le roman, les
nouvelles étant cependant très souvent privilégiées
pour une plus grande maîtrise de la ligne narrative
et de belles échappées poétiques, une grande dureté,
voire brutalité, avec en même temps une tendresse
cachée sous les descriptions des personnages et de
la nature. Un lecteur rapproche le style des
nouvelles de Mo Yan de celles de Maupassant. |
La nouvelle la plus
souvent citée a été « Le chien blanc et la balançoire » (《白狗秋千架》),
avec une empathie particulière pour le chien, personnage à part
entière rappelant bien d’autres exemples du bestiaire de
l’auteur. Mais aussi « Oreiller en bois de jujubier, moto » (《枣木凳子,摩托车》),
appréciée pour les allusions voilées aux blessures intimes du
personnage principal, qui ne se révèlent soudain que dans un
incident fortuit, déclenchant des larmes retenues toute une
vie : tout un capital de tendresse sous une façade d’apparence
insensible, tendresse qui est aussi celle de Mo Yan pour les
petites gens de sa région natale.
Dans tous les cas, le
contexte historique est en toile de fond. Il est plus
présent dans les romans et peut y prendre une importance
primordiale, le roman devenant saga familiale représentant une
fresque de toute une époque, comme dans « Le Clan du sorgho » (《红高粱家族》)
.
« Grenouilles » est le
cas typique du roman qui brosse le tableau d’une époque et en
fait en même temps une critique acerbe, à la fois politique et
sociale. Le roman a été particulièrement apprécié pour sa
construction faussement épistolaire, et une mise en abyme du
récit par le biais de l’adresse à un écrivain japonais derrière
lequel on devine un écrivain réel, mais intégré dans la fiction
par sa parenté avec un Japonais du passé de la « tante ». Cette
construction apparaît bien menée, en allégeant un récit qui
aurait pu être très lourd.
Cependant, la dernière
partie de la narration, et la pièce de théâtre finale, sont
moins favorablement perçues, l’irruption dans la période
moderne, débouchant sur un retour au fantastique cher à
l’auteur, étant considérée par beaucoup comme plus artificielle
que le récit du passé. Il est néanmoins généralement reconnu
qu’il reste malgré tout, en refermant le livre, des personnages
attachants dont le moindre n’est pas la « tante », et des scènes
épiques difficiles à oublier, l’une de celles citées étant la
dramatique poursuite en bateau de la malheureuse Geng Xiulian
qui refuse de se laisser avorter
.
Dans ce même ordre
d’idée, une lectrice souligne l’aspect rabelaisien que personne
d’autre n’avait encore mentionné, le côté « énaurme » qui
noie
la satire dans le rire.
…et quelques
questions
Sur la perception
de Mo Yan par les jeunes Chinois
Une
lectrice a fait part de son étonnement quand, étant
allée dans une librairie acheter « Grenouilles » et
l’ayant demandé à un jeune libraire chinois,
celui-ci a fait la moue en l’incitant à acheter
plutôt autre chose qu’un livre de Mo Yan. Pourquoi
cette attitude ?
Une
lectrice chinoise dans l’assistance a donné une
explication plausible : les jeunes citadins chinois,
aujourd’hui, n’ont plus de lien avec la campagne
chinoise ; l’univers de Mo Yan leur est |
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étranger et ils ont d’autant plus de mal à s’intéresser à
ses histoires qu’elles ont pour cadre sa région natale de Gaomi,
avec ses légendes et son dialecte propres.
Sur le théâtre dans
l’œuvre de Mo Yan
La pièce de théâtre
qui constitue la dernière partie de « Grenouilles » a amené
plusieurs lecteurs à se demander si cette pièce était destinée à
être mise en scène, et si l’œuvre de Mo Yan comportait du
théâtre.
De la pièce à la fin
de « Grenouilles », Mo Yan a dit lui-même qu’il était fort peu
probable qu’elle soit jamais mise en scène : elle est surtout
l’élément final de sa construction en narration épistolaire ; le
narrateur explique en fait à l’écrivain japonais auquel il
s’adresse les données qui sont l’aboutissement de ses recherches
et seront la base de la pièce qu’il lui a annoncée au début.
Mo Yan s’est très
récemment intéressé au théâtre, c’est la première étape de son
retour à la création depuis le Nobel. En 2017, il a participé à
l’adaptation en opéra (民族歌剧)
de son roman
« Le
supplice du santal » (《檀香刑》).
Mais il a aussi tout récemment écrit une pièce de théâtre
adaptée d’une des Biographies d’assassins des
« Mémoires historiques » (Shiji《史记》)
de Sima Qian (司马迁) :
« Xing Ke, Assassin » (《我们的荆轲》),
Xingke étant celui qui a raté l’assassinat du futur Premier
empereur. Chantal Chen-Andro vient d’en terminer la traduction
et la pièce sera donnée en mai 2019 à La Criée à Marseille.
Ce qui étonne le
plus, c’est que « Grenouilles » ait été publié en Chine
Il est vrai que le
roman est une charge particulièrement forte contre la politique
de l’enfant unique dont il fait l’historique et la critique, en
débouchant à la fin sur une satire des pratiques illégales de
mères porteuses dans la Chine d’aujourd’hui.
En fait, quand le
roman est paru en Chine, cette politique avait déjà commencé à
être amendée et le nombre d’exemptions allait croissant. Son
assouplissement progressif a été officiellement annoncé le 15
novembre 2013, et son abandon définitif le 29 octobre 2015, au 5e
Plénum du Comité central du Parti. Quand le roman est paru, il
allait donc plutôt dans le sens de la tendance générale de la
politique de contrôle des naissances, il a d’ailleurs été
couronné du prix Mao Dun.
On peut remarquer
aussi qu’un autre livre sur la pratique des mères porteuses a
également été publié, en 2016 : c’est celui de
Sheng Keyi (盛可以)
« Un
paradis » (《福地》)
récemment traduit en français. C’est en outre une satire
déguisée du mode de gouvernement chinois, mais le récit a été
publié dans un recueil de nouvelles, et n’a pas attiré
l’attention des censeurs…
La séance se clôt sur
l’annonce de la séance suivante.
Deuxième séance de
l’année 2018-2019
La deuxième séance de
l’année aura lieu le mardi 4 décembre prochain. Elle sera
consacrée à l’auteur
Liu
Xinwu (刘心武).
Liu Xinwu est l’un des
grands écrivains chinois qui ont marqué le renouveau de la
littérature chinoise après la fin de la Révolution culturelle,
en 1977. La séance du Club de lecture coïncidera avec un
programme spécial de cinéma, en décembre, au musée Guimet
,
qui comportera l’adaptation d’une nouvelle de Liu Xinwu de 1982,
« Le talisman » (Ruyi《如意》),
dont la traduction a été publiée en édition bilingue chez You
Feng en 1999.
Les lectures suggérées
sont plus particulièrement deux des recueils de nouvelles parues
chez Bleu de Chine en 2004 et 2005 : « Poussière et sueur » (《尘与汗》)
et « La démone bleue » (《蓝夜叉》)
traduits par Roger Darrobers. Mais on pourra lire aussi « Les dés
de poulet façon mégère » (《泼妇鸡丁》),
nouvelle parue également chez Bleu de Chine, en 2007, et
illustrée de petits dessins… savoureux.
L’invitée de cette
séance sera
Marie Laureillard, traductrice
de cette dernière nouvelle.
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