Le 6 octobre 2021 a marqué la renaissance du Club de
lecture de littérature chinoise après un an de
confinement, avec deux changements par rapport au
fonctionnement du Club dans le passé : un nouveau
lieu de réunion qui est celui du club
Voix au
chapitre, et des séances le mercredi au lieu du
mardi.
Le nombre de
participants étant limité en raison des distances à
respecter dans le cadre des mesures anti-covid, nous
étions dix à cette première séance, dont une
nouvelle venue
[1].
Le programme
La séance était consacrée à l’écrivaine
Chi Li (池莉),
le programme de lecture comportant les dix romans
Chi Li
et
novellas traduits en français et publiés chez Actes Sud,
c’est-à-dire, dans l’ordre chronologique de leur publication
originale en Chine :
-
Triste vie《烦恼人生》1987
(Littérature de Shanghai
《上海文学》1987
n°8).
La
publication des traductions s’étale de 1998 pour « Triste vie »
à 2018 pour « Une ville à soi », après le « Show de la vie » en
2011 ; cette reprise des traductions traduit sans doute un
regain d’intérêt pour Chi Li, après la publication en Chine, en
2016, de son recueil de poèmes « 69 poèmes de Chi Li » (《池莉诗集·69》),
dont aucun n’est encore traduit.
Ces textes
offrent une image évolutive de l’œuvre de l’auteure sur une
dizaine d’années, de 1993 à 2003, en considérant les deux
premiers zhongpian comme l’avant-garde du courant
néo-réaliste, « Triste vie » étant à mettre en parallèle avec
« Une vue splendide » (《风景》)
de Fang
Fang (方方)
qui date de la même année, la légère différence de ton entre les
deux traduisant les différences de personnalité de leurs
auteures et annonçant celles des deux œuvres.
Ces textes
sont pour la plupart des novellas (zhongpian xiaoshuo
中篇小说)
plus ou moins longues, et en ont les caractéristiques : une
narration épurée, en lien avec l’aspect néo-réaliste, et dans la
plupart des cas centrée sur deux personnages principaux et
quelques proches. Le personnage principal est le plus souvent
une femme, ce qui donne une galerie de portraits féminins
originaux.
Ce
programme était complété par une nouvelle courte, datant de
1986, traduite pour l’occasion afin d’en montrer les qualités
narratives et stylistiques :
« Une
taille de guêpe » (《细腰》).
Synthèse des avis exprimés
Vastes
lectures, plaisir général
Selon le
principe fondamental de fonctionnement du club, la séance a
commencé par la confrontation des avis de lecture des membres
présents. Ce qui était remarquable, dès l’abord, c’est la
quantité des titres lus : la totalité dans bien des cas, et une
bonne moitié pour la majorité, avec des lectures étalées sur
tout l’été, et reprises à l’automne. Certains ont relu des
textes lus dans le passé mais oubliés.
Ce qui
ressort, de manière générale, de tous ces avis, c’est un profond
plaisir de lecture, unanimement partagé, avec des nuances tenant
aux goûts et à la personnalité de chacun. Il a été souligné que
c’était un plaisir particulier de pouvoir découvrir un auteur en
lisant plusieurs de ses nouvelles et romans, au lieu d’avoir à
se contenter d’un gros roman, qui ne donne forcément qu’une
vision partielle d’une œuvre et de son auteur. Le contre-exemple
cité a été la « découverte » de
Jia Pingwa (贾平凹)
à travers le monumental roman « L’art
perdu des fours anciens » (《古炉》)
[séance
du 12 février 2019].
L’intérêt
de replacer les textes dans leur ordre chronologique de
publication, et non de traduction, a été également souligné.
Avis
nuancés
Au-delà de
cette première approche, les participants à la séance ont
apporté quelques nuances personnelles sur les romans et
nouvelles :
- Les deux premières nouvelles publiées, « Triste
vie » et « Soleil levant », ont été perçues comme
une triste peinture de la réalité urbaine des années
de l’ouverture, vue sous l’angle de la vie
quotidienne des couches les plus modestes de la
population, la vie au ras du sol bien loin du
sublime de la littérature romanesque
révolutionnaire. C’est la vie à Wuhan prise comme
ville emblématique, ou plutôt, comme il a bien été
précisé, de Hankou (汉口)
qui en est l’une des trois composantes initiales, et
la ville de Chi Li, sur laquelle elle a écrit des
livres entiers
[2].
Ce qui a frappé, c’est, pour le premier, le
fatalisme avec lequel sont acceptées les
perpétuelles embûches de la vie courante, pour le
second, le regard distancié sur le couple, et pour
les deux, le profond attachement au nouveau-né et à
l’enfant, l’enfant qui devient la raison de vivre et
d’espérer dans un monde qui en offre bien peu
d’autres. Se pose constamment au lecteur la question
Soleil levant, recueil 1992 长江文艺出版社
de savoir
pourquoi il doit en être ainsi, qui ne semble pas se poser aux
protagonistes eux-mêmes. Dans tous les cas, c’est la stabilité
de la situation qui est privilégiée plutôt qu’une tentative de
changer les choses.
-
« Préméditation » a suscité un intérêt particulier et amusé
parce que le récit inverse les rôles traditionnels de méchants
et de modèles depuis au moins la Réforme agraire : le
propriétaire étant forcément le méchant et le paysan le
révolutionnaire modèle et progressiste. Ici, les rôles sont
inversés de manière très réaliste parce que le propriétaire
terrien a été privé de ses biens et du statut qu’ils conféraient
traditionnellement et ravalé au rang de misérable prolétaire,
avec toutes les rancœurs accumulées de ce fait, et le désir de
vengeance attisé par la grand-mère.
La
noirceur du personnage déchu de Wang Liegou, qui va sans le
moindre émoi jusqu’à enterrer vivant un « ennemi » parce qu’il
en a reçu l’ordre, a rappelé à certains l’autobiographie de
Shen Congwen (沈从文)
qui avait choqué certains lors de la séance consacrée à cet
auteur. [séance
du 28 janvier 2020]
- Situé
dans les années 1990, un peu plus tard donc que les nouvelles
précédentes, « Pour qui te prends-tu ? » a été apprécié pour sa
galerie de personnages succulents sous prétexte de réunion
familiale, sous les auspices de la matriarche délégant à son
fils le soin de gérer le conseil de famille. Fils qui s’en sort
avec les honneurs, mais dont la situation personnelle est assez
triste : l’amour de sa maturité se termine en fiasco quand la
jeune femme qui l’aimait, les pieds sur terre, préfère partir au
Canada en épousant un brillant scientifique.
Il y a ici
plus de perspectives qu’auparavant, mais l’avenir de la femme
passe par des compromis sur la vie affective, celui de l’homme
est toujours aussi sombre et bouché, et in fine voué à la
solitude.
- « Je
suis une rivière » est une esquisse de saga familiale, mais
réduite à une mère laissée seule par la mort tragique de son
mari – toujours la solitude, liée ici à la pauvreté, qui oblige
à se démener, inventer, improviser, pour élever sept enfants. Le
roman égrène les allusions critiques : la vente de sang pour
survivre, la famine, l’accumulation d’événements qui dispersent
les enfants. La seule qui s’en sort est une fille, qui a réussi
à entrer à l’université et à faire des études, mais qui nourrit
une rancune féroce à l’égard de sa mère. En cause ici, le manque
d’amour qui est autant inculture que misère, un vide affectif
effrayant né des conditions de vie mêmes. Quand on se bat pour
survivre, il n’y a guère de place pour les sentiments.
- Les deux
coups de cœur du groupe dans son ensemble sont allés à « Les
Sentinelles des blés » et surtout « Le Show de la vie », tous
deux pour leurs superbes portraits féminins, et le premier tout
particulièrement pour sa douce philosophie de la vie et son ton
poétique où les souvenirs d’enfance affleurent de manière
récurrente avec une touche de nostalgie.
On peut
rapprocher les deux personnages féminins pour leur résilience
face aux responsabilités qui leur incombent, ou qu’elles
endossent volontairement : dans le premier, responsabilité de
mère adoptive désemparée, cherchant à connaître sa fille, comme
dans un parcours initiatique ; dans le second, prise en charge
de toute la famille, dans une solitude assumée, mais tranquille,
comme si c’était la solitude qui était finalement un idéal de
vie tranquille, loin des tracas affectifs, comme dans
l’enseignement du Bouddha, mais hors de toute connotation autre
que purement et banalement quotidienne.
- Autre
aspect évoqué : l’humour de Chi Li, d’une ironie légère, qui
affleure en petites touches et souvent dans la bouche de ses
personnages, comme un clin d’œil populaire.
- En marge : « Trouée dans les nuages », qui se
présente presque comme un roman policier, mais qui
est toujours une réécriture de la vie de couple, vie
sans histoire, apparemment, et sans enfant. Et
pourtant, quand la façade se fissure, à l’occasion
d’une réunion d’anciens camarades, affleurent les
non-dits et surgit le passé inavoué de l’un et de
l’autre, dans un huis-clos fatal dont le suspens
fait froid dans le dos, la tension remplaçant
l’émotion que Chi Li se fait un plaisir d’éviter. Le
regard est acéré, au bord de la cruauté.
- « Une ville à soi », enfin, est une ouverture sur
la vie moderne, mais toujours de personnages
féminins, dont l’une perpétue le modèle de la forte
femme, commerçante et pratique. Mais ici affleure
des éléments nouveaux : un personnage de bourgeoise
délaissée qui se réfugie chez la première, une
allusion à de possibles sentiments
Trouée dans les nuages
amoureux
entre les deux femmes, mais vite réprimés pour que la vie n’en
soit pas perturbée et que soit respecté le poids des traditions,
et un formidable personnage de belle-mère, quasiment figure
tutélaire logée dans un premier étage au-dessus de la foule,
dont émane sagesse et bienveillance.
On
croirait presque à un nouveau tournant dans les romans et
nouvelles de Chi Li, mais le récit date de 2000, et n’est tout
au plus qu’une variation sur le thème de femmes aux prises avec
la vie, face à des hommes faibles et sans relief.
- Zhang
Guochuan, elle, avait lu, en chinois, le roman de Chi Li paru en
juillet 2019 dont le titre pourrait se traduire « L’arbre et
le(s) vermisseau(x) » (《大树小虫》),
s’agissant d’une sorte de saga familiale partant d’un jeune
couple dont le mariage arrangé comme autrefois permet d’unir
leurs deux familles, et remontant à l’histoire de la génération
des parents, puis des grands-parents.
Saga
familiale très spéciale car Chi Li a ici aussi conçu un récit
épuré, avec une construction et une forme narrative originales.
Zhang Guochuan en fera un compte rendu séparé.
Avis
rédigés
·Françoise
Josse
Tout
d’abord, j’ai eu beaucoup de plaisir à lire les dix romans à la
suite les uns des autres - sans compter le bijou que constitue
la nouvelle ajoutée au programme : on rêverait d’en faire une
adaptation au cinéma.
J’en ai
apprécié l’écriture simple mais subtile, délicatement poétique,
et laissant place à la réflexion des personnages sur leur
situation.
J’ai
trouvé une grande cohérence dans le point de vue adopté par Chi
Li. Au-delà de l’histoire propre à chacun des titres, elle
décrit le poids de la normalité, des conventions sociales et
familiales, dans la société d’hier comme dans celle
d’aujourd’hui. L’individu est soumis à ces contraintes dans la
famille, au travail, vis-à-vis des institutions. S’y ajoute
désormais la recherche du bonheur dans la seule accumulation
matérielle. Elle rappelle le déterminisme de la naissance
toujours à l’œuvre, paysan tu nais, paysan, tu resteras (dans
Le Show de la vie, Éternité n’épousera jamais Neuvième sœur,
une migrante, elle a beau avoir des manières de la ville, elle
reste une paysanne).
J’ai été
touchée par la solitude des personnages. Yin Jiahou dans
« Triste Vie » ; Lu Wuqiao dans « Pour qui te prends-tu » (à 40
ans, il ne sait pas dire non, sa relation avec Yixin est sans
avenir) ; Dong’Er de « Tu es une rivière » (elle comprend tout,
perçoit tout, et c’est sans doute la source de sa mésentente
avec sa mère) ; Célébrité, forte femme mais seule, dans « Le
Show de la vie » ; Bian Rongda dans « Un homme bien sous tous
rapports » ; Ming Li dans « Les Sentinelles des blés ». Ils ont
en partage une pesante solitude qui me les a rendus attachants.
J’ai noté
la présence de la maladie dans la plupart des titres, le passé
de médecin de Chi Li n’y est probablement pas étranger, mais je
me suis interrogée sur les appellations employées, entre autres
pour la maladie psychique. Peut-être est-ce pour exprimer un
ressenti populaire, non une appréciation scientifique. ?
·Geneviève
Bousquet
Chi Li et
Maigret
Chi Li et
Simenon sont deux écrivains populaires . Plusieurs films ont été
tirés de leurs œuvres.
1.Depuis
presque deux ans, « Le Monde » sort régulièrement une réédition
des « Maigret »,中篇小说
de Simenon – dont la popularité reste intacte.
Un lecteur
chinois qui se plongerait dans l’œuvre de cet auteur français,
trouverait une peinture de la réalité sociale française des
années 1930 aux années 1960.
Son
humanisme s’étend à tous : petit peuple des travailleurs, cadres
moyens et parfois riches bourgeois de province.
Son regard
attentif, sa clairvoyance et sa bienveillance agissent sur
Maigret, tout en sachant qu’il ne sera pas en son pouvoir de
contrer le mauvais sort qui attend certains d’entre eux.
2.Chi Li,
dont la popularité ne se dément pas, dépeint elle aussi la
société chinoise, dans le cadre d’un district de Wuhan.
Elle
élargit la perspective en racontant par le truchement de ses
personnages l’histoire terriblement mouvementée du XXe siècle
chinois et de ses conséquences au niveau des citadins
ordinaires.
Son
regard, hors de la norme politique en vigueur, est incisif,
clairvoyant, sans pitié, démolissant allègrement le fameux 面子de
certains personnages. Par contre, elle est au plus près de ses
personnages féminins : dignes, à la vie dure, qui construisent
leur chemin avec une incroyable débrouillardise et une volonté
farouche.
Il est
compréhensible qu’elle trouve actuellement un refuge dans la
poésie, un remède à ses interrogations.
·
Martine Breton
Parallèle Chi Li / Ma Jian
« Il
suffisait que perdurent les ruelles du bloc de la rue Shuita ou
que demeure dressé un seul pilier dans Lianbaoli pour que
continue d’exister cette confiance inconditionnelle qui unissait
par tradition et depuis des générations la population de la
ville. Ce qui les reliait entre eux, c’était une forme de
loyauté et de générosité, une attention et une sincérité
mutuelles qui faisaient que, si on vous empruntait une cuillerée
de sel fin, on vous rendait une coupelle de légumes salés ;
c’était une alliance spirituelle et émotionnelle, et grâce à
cette éthique commune, les bâtiments pourraient être
reconstruits, les rues réparées. Mijie et sa famille
s’accrochaient aux vieux quartiers du centre, persuadés que
Lianbaoli serait rebâti, persuadées qu’une ville devait rester
une ville. Aussi, afin d’éviter que de petits commerçants
d’origine paysanne ne se mettent à dépecer les vieux quartiers,
les deux femmes étaient restées, pour devenir à leur tour de
petites commerçantes. Elles préféraient subir et attendre,
vivant dans la crainte que cette éthique commune ne vienne à
disparaître complètement, que les voisins n’abandonnent leurs
responsabilités, qu’ils ne se préoccupent plus les uns des
autres, qu’ils fassent fi de la moralité. »
« Tu ne
verras plus de gens comme cela, lâcha Mijie dans un soupir, ces
vieux de l’ancienne société qui étaient animés d’une telle
bienveillance et d’un tel sens moral. »
Ces deux passages de
la novella « Une ville à soi » m’ont fait penser à
un texte de Ma Jian paru dans Le Monde
[3],
intitulé Tous les
Chinois ont été mentalement incarcérés par le PCC.
(Alors qu’il se trouve à Taïwan, Ma Jian se rend
dans un marché de nuit pour manger des tangyuan,
boulettes de riz gluant. Il s’adresse à une vieille
tenancière d’un petit stand qui n’en a plus, mais
qui lui suggère d’aller en acheter un sac de
surgelés au supermarché d’en face, et qu’elle les
lui ferait cuire. Elle les lui sert mais refuse de
se faire payer. Ce qui entraine la réflexion
suivante de Ma Jian.)
« Ce n’étaient pas les boulettes de riz en soi, ni
les souvenirs qu’elles évoquaient, qui me donnaient
cette impression. C’était la gentillesse de cette
vieille femme qui ne me connaissait pas. Cette bonté
m’a frappé comme étant toute chinoise. Elle était
empreinte de ce que nous appelons le renqing
[人情] :
cette émotion, ce sentiment
Une ville à soi, recueil 2011
qui pousse
une personne à faire une faveur à une autre, simplement parce
qu’elle le peut, sans en attendre aucune récompense. De tels
sentiments unifiaient la société chinoise traditionnelle. Ils
s’enracinent dans les valeurs confucéennes de bienveillance, de
droiture et de bienséance. Et en leur cœur se trouve l’idée que
pour mener une bonne vie. Il faut traiter les autres avec
compassion, que tout être humain est potentiellement bon, mérite
le respect et la dignité. »
Les courts
romans de Chi Li que j’ai lus ont été écrits dans les années
1980-2000, années de réforme et d’ouverture. Ces années
d’enrichissement à tout va vont finir de bouleverser la société
chinoise et faire disparaître en grande partie les valeurs
traditionnelles. Il me semble que Chi Li s’était rendu compte
tout de suite des changements en « mal » subis par la société et
qu’elle avait alors tenu à dépeindre des personnages qui ne se
laissent pas engloutir dans les nouveaux remous d’eau boueuse
charriée par les temps nouveaux. Elle dépeint des résistants.
Que ce
soit Célébrité dans Le show de la vie, Mijie dans Une
ville à soi, Yin Jichou dans Triste vie, ou la
magnifique Mingli dans l’admirable Les sentinelles des blés,
tous incarnent les valeurs confucéennes traditionnelles, ce
renqing dont parle Ma Jian. Je peux citer aussi le couple
de Soleil levant qui, après avoir surmonté toutes les
difficultés psychologiques et matérielles, témoigne de l’amour
absolu des Chinois pour leurs enfants.
Je
voudrais dire aussi un mot du style de Chi Li. Elle nous donne à
lire des histoires réalistes où la vie quotidienne est vue à
hauteur des gens du peuple. Pour l’incarner elle utilise
beaucoup de dictons, d’adages, d’expressions de la sagesse
populaire, des comme on dit, comme on dit chez nous à la
campagne. Par exemple dans Pour qui te prends-tu ? il
y en n’a pas moins de 9. Je qualifierai son style de lisse, de
sans relief (au contraire de l’exagération, de l’extravagance,
du grotesque, du tumultueux d’un Mo Yan). Chi Li n’en jette pas
plein la vue, elle écrit sans esbroufe. Il n’y a pas d’aspérités
non plus. On la lit rapidement et sans effort (mais je me doute
que cela est le résultat d’un intense travail d’écriture). Il
n’y a rien de grinçant et assez peu d’humour.
Pour
revenir sur l’adjectif « réaliste » elle écrit ceci : « La
réalité, il n’y a que cela, elle brise n’importe quelle
forteresse de chimères. » (Une ville à soi, page 67). Les
gens que Chi Li dépeint se battent pour vivre au jour le jour,
ils doivent avoir les pieds sur terre ; ils n’ont pas le temps
de rêvasser ou de se construire des châteaux en Espagne.
En
conclusion : une lecture qui m’a ravie. J’ai relu Le show de
la vie et Les sentinelles des blés, et lu les six
autres d’une seule traite avec beaucoup de plaisir. J’aime
infiniment ces courts textes de littérature chinoise, qui
fourmillent d’annotations sur les petits riens de la vie de tous
les jours. On découvre une peinture de la société par petites
touches : l’argent, l’amour, la question féminine, la guerre des
sexes, la solitude des femmes, l’amour des enfants. J’ai aussi
trouvé magnifiques les portraits de ses personnages du fait de
très fines et très sensibles descriptions psychologiques. Bref,
des romans délicats, à la fois pleins de vie et graves.
·Christiane
Pompei
(n'ayant pu assister à la séance, a envoyé son avis par
courriel)
J’ai beaucoup aimé les petits romans de Chi Li […],
« Un homme bien sous tous rapports »
un peu moins que les autres, le fait qu’il soit
centré sur un homme semblant moins inspirer Chi Li.
« Les sentinelles des blés » m’a paru assez
différent des autres, d’une part parce qu’il est
écrit à la première personne, d’autre part parce que
le récit est teinté de mélancolie, plein de
remarques douces amères sur la vie, les couples,
l’intérêt ou pas de la passion ; on se heurte dans
d’autres récits […] à la dureté de la vie, voire au
tragique, mais ce ton de douce mélancolie me semble
propre à « Sentinelles des blés », axé
sur la fidélité à l’enfance et aux amitiés
d’enfance, qui résistent à tout, même à la folie
[…].
Ce qui m’a plu dans ces romans est qu’ils sont
centrés sur la vie quotidienne des
personnages, leur lieu de vie, ville (Wuhan),
quartier, voire rue, aussi la façon dont le temps, avec
les changements qu’il provoque sur
Les sentinelles des blés, éd. 2007
l’évolution des mentalités qui accompagne les changements
sociaux, creuse des fossés entre générations, ou entre citadins
et ruraux :
« Des générations de vie à la ville avaient fini par creuser
un fossé entre citadins et ruraux. »
(Une ville à soi, page 126).
Ce qui anime ses romans, ce n’est pas le souffle de
l’épopée avec ses faits d’armes héroïques ou ses
tragédies, chez elle l’Histoire est saisie à travers
le prisme de la vie quotidienne de gens qu’on dirait
« ordinaires », n’était leur extraordinaire force de
rebondissement face aux aléas d’une vie dure. C’est
le cas des femmes surtout, dont Célébrité dans « Le
show de la vie » est le plus bel exemple,
mais aussi d’hommes comme l’émouvant Wu Qiao dans « Pour
qui te prends tu? ». On est plus dans une
sociologie du quotidien que dans la fresque
historique. Il en ressort quelque chose de très
vivant, aussi bien dans la description des
personnages que dans celle de la ville.
A travers la vie de ces personnages, Chi Li souligne
comment l’évolution de la société chinoise, lors de
la politique d’ouverture de la Chine, a créé autant
d’opportunités que de fractures à l’intérieur des
familles.
Le show de la vie, affiche du film
(2002)
C’est le
cas dans « Tu es une rivière », histoire
dramatique d’une femme qui devient veuve à 34 ans avec sept
enfants à charge, alors qu’elle en attend un huitième. Elle
élève courageusement ses enfants dans des conditions de plus en
plus difficiles […], mais chaque enfant va évoluer de façon
différente, tantôt broyé par l'Histoire […] tantôt cherchant à
s’en tirer comme l’aînée des filles, qui se marie à un bon parti
mais tourne le dos à sa mère trop rustre qui déplaît à la belle
famille, sans compter Sheyuan, son préféré, fils attentionné
mais voyou qui finit par mourir exécuté pour un viol qu’il avait
commis par défi adolescent face à ses amis. Un jumeau meurt en
bas âge, sa jumelle se retrouve enceinte à 16 ans alors qu’elle
ne quittait pas la maison. Le petit dernier fugue. Ses enfants
lui sont tous source de problèmes et de tourments, y compris la
deuxième fille, Dong’er, qui parce qu’elle souffre de ne pas
être reconnue par sa mère rompt les liens avec sa famille et
finit par entrer à l’université sans réussir jamais à renouer
avec sa mère.[…].
Ce n’est
pas seulement entre parents et enfants mais aussi dans les
couples que cette différence de mentalités, […] crée des failles
infranchissables. Par exemple, dans « Trouée dans les
nuages », un couple apparemment harmonieux se fracture à
la suite de la révélation de secrets enfouis
[4]. Ce qui fait l’intérêt du roman, outre le
suspense dans la découverte progressive de la vérité, est
essentiellement une différence de mentalités irréductible entre
le mari et son épouse. Mais le dénouement du roman, inattendu,
ne manque pas d’humour…
L’évolution de la société a d’autres conséquences encore sur les
relations humaines:
- dans « Pour
qui te prends tu? » la jeune chercheuse Yi Xin, qui a
une brève aventure avec Wu Qiao, le quitte pour s’expatrier en
épousant un Canadien, chercheur comme elle, « un mari
étranger qui toute sa vie me considèrera comme une énigme »; mais
elle ajoute (p.148): « Mais entre toi (Wu Qiao) et moi les
choses sont claires. Tu es ma Chine éternelle, mon pays
éternel ». […].
- cette
évolution produit aussi tout un bouleversement du statut social.
Ainsi, dans « Pour qui te prends tu? », les
parents de Wu Qiao, qui en tant qu’ouvriers se prenaient pour «
l’avant-garde et la classe dirigeante » (chapitre 2
p.21), ont perdu tout repère en voyant que les ouvriers ne sont
plus grand chose.
- elle
s’accompagne d’un changement des mœurs et des mentalités tous
azimuts. : « Dans la société actuelle, les coucheries sont
monnaie courante: personne n’y trouve rien à redire.(…) Mais dès
qu’il y a du sentiment, les choses se compliquent. » (« Le
show de la vie» p.71)
On pense à
Barthes soulignant que le tabou, aujourd’hui, c’est le
sentiment…
Au total,
ces romans de Chi Li apparaissent comme des variations autour
d’un même thème: le changement des conditions de vie et des
systèmes de valeurs dus à l’évolution de la société; mais on y
trouve aussi une
sagesse
faite de lucidité pleine de finesse et d’acceptation de la vie,
et de sa fin.
« Tout
ce que j’espère, c’est ne rencontrer que des gens qui
connaissent et apprécient leur propre parcours, et de
m’acheminer ainsi, pas à pas, en toute sérénité, vers l’autre
rivage. Ces secrets de la vie sont le terreau dont se nourrit le
temps qui passe. » (« Les sentinelles des blés»
p.149)
Et puis…
j’apprécie son humour très particulier, qui interpelle le
lecteur et l’amène à se questionner. Il est sensible notamment
dans le dénouement de « Trouée dans les nuages » […] Mais la plus belle perle de cet humour, à mon sens, se
trouve dans cette répartie d’une cireuse de chaussures à Bian
Rongda (« Un homme bien sous tous rapports »,
p.57):
« Allons,
grand frère! Pour gagner de l’argent, il faut toujours une mise
de départ. Parce que, d’après vous, on pourrait gagner de
l’argent sans se faire malmener? Mais ce serait le communisme!"
·Gérard
Castex
Je n'ai
pas eu le temps de rédiger mes commentaires sur "Le Show de la
vie", qui en mériterait peut-être le plus. Au fil des
lectures , c'est toute une typologie de personnages qui finit
par se dégager, tous parfaitement croqués, parfois
avec tendresse (ou indulgence), parfois avec ironie, ou les deux
à la fois.
Triste vie
Il s’agit
d’un court roman (100 pages), écrit en 1987 ; Chi Li n'avait
alors que 30 ans et débutait en littérature, après une carrière
aussi brève que discrète dans l'univers médical à Wuhan. Le
livre fut bien reçu et inaugura une longue suite de romans tous
qualifiés de « néo-réalistes ».
Yin Jiahou
est ouvrier sur un train de laminage, « un ouvrier moderne dans
une usine métallurgique de pointe ». C'est une de ses longues
journées de labeur qui nous est livrée, comme un concentré de
ses espoirs, rêves et frustrations. Le récit commence un beau
matin de mai, très tôt, il fait nuit noire, et se termine le
même jour, peu avant minuit. Yin Jiahou est marié, le couple a
un enfant, Leilei, quatre ans. La journée démarre péniblement.
Yin subit les sarcasmes de sa femme qui lui reproche de n'avoir
pas su décrocher un logement décent. Son refuge , c'est son
fils, qu'il doit ce jour-là amener au jardin d'enfants, en
empruntant un bac et des bus bondés, avant de prendre son poste.
Tout, dans la vie de Yin , paraît dur et épuisant. Tout le
ramène à ses soucis du quotidien. Le spectacle de la traversée
du Yangtse, à l'aube, lui échappe complètement comme il échappe
aux autres passagers fourbus. Un retard d’une minute trente va
lui être décompté, et sa prime mensuelle revue de façon injuste
et arbitraire. Nous sommes loin, très loin, du romantisme
révolutionnaire, de la solidarité de classe, tout l'élan
d'autrefois est retombé, chacun se débrouille comme il peut.
C'est la lutte pour les bonnes places, au sens propre comme au
sens figuré ( cf. les files d'attente et les ruées à la cantine,
sur l'embarcadère, le pont du ferry). Dans ce marasme, Yin reste
le plus souvent placide, à peine quelques élans de colère
vis-à-vis de certains collègues. Yin est jeune encore, mais
réagit comme un homme déjà vieux, faible et résigné. Est-ce à
cause de Leilei, envers qui il a toutes les attentions d'un père
aimant, et pour qui il donne l'impression de sacrifier tout ?
N'est-ce-pas aussi tout simplement par peur de rompre le fragile
équilibre familial, la cohabitation avec une épouse désagréable
qui lui apporte malgré tout le « réconfort » et la stabilité
d'un foyer ? A cet égard, pathétiques sont ses désirs frustrés,
ses amours seulement rêvés, inaccomplis, tel celui qu'il éprouve
pour la belle et téméraire Yali qui l'invitait pourtant à se
ressaisir et à changer de vie. Triste vie, en effet.
Préméditation
Petit
roman sur le thème de la jalousie et de la vengeance.
Nous
sommes à Mianshui, petit village dans la province du Hubei. Wang
Liegou et Ding Zongwang ont à peu près le même âge. Le premier
est issu d'une riche famille déclassée, ruinée par l'opium à la
fin du XIXème. Le second au contraire d'une famille pauvre
enrichie par le travail et le mérite à la même époque. Nous
avons donc les Wang déchus d'un côté et les Ding magnanimes et
prospères de l'autre. Lorsque meurent successivement le père et
la mère de Wang Liegou, les Ding subvinrent aux besoins de
celui-ci et de sa grand-mère et lui offrirent même d'apprendre
les arts martiaux en même temps que Ding Zonwang. Malgré cela,
et sous l'influence de sa grand-mère, Wang Liegou nourrit une
jalousie et une haine farouche contre les Ding, et spécialement
contre Ding Zongwan, à qui tout réussit. En épousant la belle
Ansu que Wang convoitait, Ding Zongwang ne fait que renforcer
cette haine à son insu. A partir de là les deux personnages sont
ballottés par le vent de l'Histoire, mais c'est surtout Wang
Liegou que nous suivons dans ses péripéties peu glorieuses, au
temps de la guerre sino-japonaise, puis des luttes entre
nationalistes et communistes, jusqu'au triomphe de la révolution
et à la réforme agraire au début des années 1950. Il est dommage
que le récit se polarise sur le personnage de Wang Liegou,
personnage peu sympathique, brutal et cruel. Au service d'un
général du Guomingdang, au début des années 40, il va juqu'à
enterrer vivant un soldat aux arrêts, sans état d'âme, au
prétexte que « les ordres sont les ordres ». Les ressorts de sa
haine maladive vis-à-vis de Ding Zongwang, sur une si longue
période, ne sont pas vraiment creusés, explicités. Cette haine
va si loin qu'elle paraît à la limite peu crédible. Au final, la
réforme agraire, avec ses exactions et exécutions sommaires, se
présente comme l'occasion rêvée pour notre triste héros
d'accomplir son dessein, en présentant Ding comme un traître. Il
n'y parvient pas et la morale est sauve. J'aurais préféré
personnellement que Chi Li se focalise sur le « bon élément »
Ding Zonwang, ou qu'au moins les deux personnages soient traités
à égalité. On sait très peu de choses finalement sur la
psychologie et les états d'âme de ce dernier. En fait , la
principale singularité de ce roman est d'être à rebours des
standards habituels en montrant pour une fois un prolétaire
odieux face à un « bourgeois » sympathique.. Mais après tout,
d'aucuns pourraient dire que les vrais bourgeois, les « mauvais
éléments » étaient et sont restés les Wang, malgré leur chute,
les Ding représentant les hommes intègres traversant l'histoire
de la Chine éternelle.
Pour
qui te prends-tu ?
Nous
sommes dans les années 1990.
Lu Wuqiao,
la quarantaine bien sonnée, divorcé, gère à Wuhan une
gargote-rôtisserie très fréquentée à défaut d'être réputée, au
nom insolite de « l'Excentrique affiché ». Fils aîné du vieux Lu
Nigu et de l'énergique Wu Guifen, tous deux ouvriers à la
retraite, il va devoir démontrer ses talents à l'occasion d'un
conseil de famille impromptu initié par cette dernière. Lu Nigu
et Wu Guifen, représentants d'une classe ouvrière engloutie,
nourrissent une indéfectible nostalgie pour les temps héroïques
de la construction du socialisme. Mais si le vieux Lu Nigu tombe
le plus souvent dans le radotage d'un passé mythifié, son épouse
attend des réunions de famille qu'elles soient organisées avec
le même sérieux que les réunions d'usine d'autrefois. En tant
qu'aîné et chef d'entreprise, Wuqiao, un grand gaillard à
l'allure imposante, a déjà pour habitude de régler les
difficultés de toutes sortes pouvant surgir dans une famille
protéiforme. Le conseil de famille voulu par Wu Guifen va
cristalliser cette vocation en quelques épisodes comiques
racontés avec facétie et talent par Chi Li. Celle-ci campe avec
bonheur toute une série de personnages, membres de la famille,
collatéraux ou amis. On a ainsi Lu Zhangzhu, la fille cadette
sensible et fragile. Lu Zhangshu n'arrive pas à se détacher de
son ambitieux mari qui lui demande le divorce après qu'il s’est
amouraché d'une femme plus jeune. (Chi Li s'amuse ici à faire un
rapprochement avec deux héros de la littérature classique,
rapprochement souvent utilisé pour d'autres situations tout au
long du livre). C'est ce projet de divorce inadmissible qui
entraine précisément la réunion du conseil de famille. On a
aussi Lu Jianshe, un cadet de Wuqiao, enfant non programmé,
petit et rabougri, vivant d'expédients avec son complice Li
Haomiao, un bon à rien lui-même fils d'un professeur
d'université d'un autre temps et complètement dépassé. La scène
du bonneteau, au chapitre IX, dans laquelle les deux jeunes
comparses essaient de rouler les badauds sur un trottoir de
Wuhan, est à elle seule un vrai morceau de plaisir. Wuqiao doit
aussi veiller sur une autre sœur, Lu Wuli, charmante mais
immature. Lui-même fait la connaissance, dans son restaurant,
d'une ravissante étudiante Yi Xin. Leur entente va sembler
parfaite. Mais les trajectoires de vie sont imprévisibles. Si
Wuqiao sait redresser la situation de ses proches, il n'a pas de
prise sur son propre destin. Le personnage de Yi Xin est assez
fascinant. Est-il représentatif de certaines femmes chinoises?
La question peut se poser. C'est un mélange de volonté, de
résolution implacable, de lucidité, n'excluant nullement, c'est
le cas ici, des sentiments vrais et une affection profonde. .. «
Tu es mon amant éternel, ma Chine éternelle , mon pays éternel..
» lui dit-elle en le quittant (p.146). Au final, un excellent
roman drôle, émouvant et subtil , instructif et très agréable à
lire.
·Zhang
Guochuan
Zhang
Guochuan avait commencé la lecture du dernier roman de Chi Li,
encore inédit en français : littéralement « Grand arbre, petit
ver »
《大树小虫》
Elle en a
rédigé des notes de lectures très fouillées :
Il en existe deux traductions de référence, l’une en
français, l’autre en anglais :
- en anglais : The
Peony Pavilion, Mudanting, Second Edition,
translated with a new preface by Cyril Birch and
introduction to the 2nd edition by
Catherine Swatek, Indiana University Press, 2002,
400 p.
- en français : Le Pavillon aux pivoines,
trad. André Levy, Festival d’automne/Musica Falsa,
1998, 420 p.
Le texte original et la traduction anglaise sont
disponibles, en particulier à la librairie Le
Phénix. Pour ceux qui
Mudanting,
le rêve dans le jardin
(lll. de l’édition la plus ancienne,
1617)
peuvent la
lire, la traduction anglaise est très intéressante pour la masse
d’informations données dans la préface et les notes et
commentaires, qui éclairent les difficultés du texte chinois.
La traduction française est épuisée et indisponible. Depuis près
d’un an que l’on parle du Mudanting dans le club,
certains membres ont réussi à en trouver quelques exemplaires
d’occasion. Pour les autres, et exceptionnellement dans ces
conditions, nous disposerons d’une version scannée du texte,
grâce à Zhang Guoquan qui l’a utilisée l’an dernier à l’Inalco.
Elle est à télécharger à partir du lien ci-après, avant le 15
octobre :
https://we.tl/t-nS1ehTmoug
Lors de
cette séance, nous procèderons selon nos principes de
fonctionnement usuels, donc en commençant par les avis de
lecture des participants, mais avec quelques modifications dues
au sujet : la séance du 17 novembre sera une séance
introductive, où l’on s’intéressera aux impressions laissées par
la lecture de l’œuvre dans son ensemble, mais en commençant par
la première partie (scènes 1 à 20, autour de Du Liniang), en
mettant l’accent sur le rêve dans le jardin, rêve interrompu qui
entraîne le développement narratif de la pièce. C’est dans la
deuxième séance, le 15 décembre, que l’on abordera plus
particulièrement les spécificités de la pièce, du point de vue
du contenu et de l’écriture, mêlant poésie, drame et comédie, en
particulier dans les deuxième et troisième parties, moins
connues.
Pour cette
première séance, on pourra regarder l’enregistrement de la
représentation de la scène de la promenade dans le jardin, avec
Mei Lanfang dans le rôle de Du Liniang, comme exemple-type,
historique, de la représentation du personnage au théâtre :
La
promenade dans le jardin
游园惊梦
La
rencontre avec Liu Mengmei
Rappel
En raison
des règles sanitaires en vigueur, le nombre de participants à
chaque séance est limité.
[4]
Attention spoiler : le développement qui suit dévoile
une partie de l’intrigue.
Jin
Xiang, le mari, avait caché à sa femme Zeng Shanmei
qu’il avait empoisonné neuf personnes, dont les parents
de celle-ci, alors qu’il était encore un jeune
adolescent. De son côté Shanmei finit par lui avouer
qu’elle avait été violée par son oncle qui l’élevait
après la mort de ses parents, séduite par son cousin, et
qu’elle avait subi deux avortements qui l’avaient rendue
stérile. Mais ce qui fait l’intérêt du roman, outre le
suspense dans la découverte progressive de la vérité,
est essentiellement une différence de mentalités
irréductible : pour Jin Xiang, paysan fils d’un soldat
de l’armée de libération, tuer n’est rien, mais la
virginité de celle qu’il a épousée et la nécessité
d’avoir un fils sont tout; pour Shanmei, l’absence de
remords de Jin Xiang est un signe de monstruosité
morale, mais elle n’en veut pas du tout à sa tante qui
n’a pas su empêcher son viol, parce qu’elle a conscience
que celle-ci avait besoin de son mari pour les élever,
elle et ses trois enfants.
La
librairie Le Phénix a confirmé la disponibilité des
œuvres au programme, à l’exception de « Vagues » de Bei
Dao, épuisé chez Philippe Picquier, et de l’édition
chinoise de la novella de Yan Geling, mais, à défaut, on
dispose du texte chinois sur internet.