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Bolihua : la
collection Mei Lin de peinture chinoise « sur verre inversé »
par
Brigitte Duzan, 3 juin 2020
Dans son
ouvrage, intitulé dans sa version bilingue
anglais-chinois, Bolihua : Chinese Reverse Glass
Painting from the Mei Lin Collection
,
le sinologue allemand
Rupprecht Mayer
présente cent trente-huit peintures chinoises
« sur verre inversé » de la collection qu’il a
constituée depuis les années 1990 avec son épouse
Liem Haitang. Ce sont des tableaux réalisés entre
1850 et 1965, c’est-à-dire de la fin des Qing, à
l’apogée de cet art en Chine, à la veille de la
Révolution culturelle qui en sonne le glas.
On y trouve des motifs traditionnels de bon augure
typiques des images du Nouvel An, des paysages et
des portraits féminins, mais aussi de nombreuses
illustrations d’opéras et d’œuvres littéraires
classiques d’une grande richesse. L’importance de la
collection est soulignée dans une préface par nul
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Bolihua : Chinese Reverse Glass
Painting from the Mei Lin Collection |
autre que
Feng Jicai (冯骥才)
qui salue en Rupprecht Mayer un « archéologue de l’art et de la
culture » dont les recherches répondent donc aux siennes. Il dit
d’ailleurs au passage s’être lui-même essayé à ce genre de
peinture quand il était jeune et, en connaissant donc toutes les
difficultés, en apprécier d’autant plus la valeur.
Un art ancien aujourd’hui méconnu
Une longue histoire
La peinture sur verre inversé remonte à l’Egypte ancienne, vers
le 3e siècle avant Jésus-Christ : les artisans
avaient mis au point une technique permettant de fixer des
feuilles d’or ou d’argent entre deux plaques de verre ; mais
elle s’est développée, comme art religieux, au Moyen Age, puis à
Venise vers le milieu du 15e siècle et de là en
Italie et dans le reste de l’Europe. C’est un art réservé à une
élite d’artistes qui créent des compositions élaborées demandant
une technique très complexe : il faut en effet travailler à
l’inverse d’une peinture normale,
en posant d'abord les contours, en dessinant les détails, puis
en peignant les aplats et enfin les fonds, le tout étant inversé
en miroir, la difficulté venant aussi de la nécessité de faire
adhérer la peinture sur le verre.
Au 18e siècle, apprécié par l’Eglise et l’élite
nobiliaire, cet art se développe en Europe avec des thématiques
spécifiques selon les pays, influencées par les arts décoratifs
en France
,
la peinture de paysages selon chaque type de peinture nationale
en Italie, en Suisse ou aux Pays-Bas ; en Allemagne prédomine la
peinture allégorique et dans toute l’Europe centrale l’influence
de la peinture iconographique. De là, cet art délicat a essaimé
en Inde et au Moyen Orient, avec, en Iran par exemple,
l’influence des miniatures persanes.
De la même manière que cette peinture s’est diversifiée en
adoptant des thématiques et des esthétiques propres à chaque
région, elle a fait de même en arrivant en Chine.
Développement en Chine
Le développement de la peinture sur verre inversé ou Bolihua
(玻璃画)
est relativement récente en Chine puisqu’elle est liée à
l’introduction des techniques occidentales à la cour impériale
par les missionnaires jésuites, et entre autres la production de
verre et de miroirs. Si la Chine était en avance sur le reste du
monde dans beaucoup de domaines, ce n’était pas le cas des
miroirs et du verre plat qui ont été importés en grandes
quantités d’Europe à partir du 17e siècle. Le verre,
surtout produit à Venise, était en règle générale importé en
échange de céramique, par des marchands hollandais de la
compagnie des Indes orientales.
Ce sont ces importations qui ont permis le développement de la
peinture sur verre inversé Elle aurait été introduite à la cour
impériale par le jésuite Guiseppe Castiglione, arrivé à Pékin en
décembre 1715 et resté peintre de la cour pendant 51 ans sous
l’empereur Kangxi (康熙帝)
et ses deux successeurs, les empereurs Yongzheng (雍正帝)
et Qianlong (乾隆帝).
C’est ce dernier qui a commissionné un grand nombre d’œuvres,
auprès de Castiglione, mais aussi de Jean-Denis Attiret arrivé à
Pékin en 1739.
Par ailleurs, des ateliers de peinture sur verre se
sont développés à Canton sans doute dès le début du
17è siècle, en lien avec le commerce maritime
est-ouest. Vers le milieu du 18e siècle,
ces ateliers spécialisés travaillaient surtout pour
l’exportation. Pour leurs clients étrangers (en Asie
du Sud-Est, Europe et en Amérique du Nord), ils
offraient des reproductions de gravures et peintures
occidentales, très prisées. Les peintres sur verre
de Canton devinrent des experts dans ce genre. Une
peinture de l’époque en montre un en plein travail,
en train |
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Un peintre sur verre copiant une
gravure, vers 1790, anonyme (Canton),
aquarelle et encre sur papier, (42 x
35 cm). Victoria and Albert Museum, Londres |
de reproduire une gravure placée devant lui : on distingue le
motif des arbres de l’original inversé sur le verre.
Cependant, au 18e siècle, grande période de l’essor
de cet art en Chine, il devint un art essentiellement chinois,
sur des sujets et dans des styles imités de la peinture
traditionnelle, pour une clientèle chinoise. Les peintures sur
verre inversé furent d’abord utilisées pour la décoration des
palais, puis développées dans des ateliers indépendants pour la
fabrication de panneaux décoratifs, paravents, lanternes et
autres. Après le règne de Qianlong, au début du 19e
siècle, ces peintures ont essaimé en province, et d’abord dans
des ateliers de la province du Shanxi. C’était un art délicat
qui nécessitait un verre très fin qui n’était pas fabriqué en
Chine et qu’il fallait d’abord importer. Le verre en lui-même
était considéré comme un luxe raffiné. La peinture sur verre
inversé était donc très chère, réservée à une élite fortunée.
A partir de 1851 et de la Révolte des Taiping (1851-1864),
cependant, la longue période de troubles qui s’installe détruit
les grandes fortunes familiales, mais aussi les collections
d’objets aussi fragiles que la peinture sur verre.
Après 1911, au début de la République, le principal lieu de
production s’est déplacé dans le Hebei, à
Qinhuangdao (河北省秦皇岛),
sur les rives de la mer de Bohai ; c’est dans cette préfecture
que se trouve Beidaihe (北戴河)
qui, dans les années 1890, était encore un village de pêcheurs
mais, découvert par les ingénieurs de chemins de fer
britanniques, devint vite une station balnéaire ; ouverte en
1898, elle accueillit peu à peu toute une population aisée et
cultivée de diplomates et d’hommes d’affaires de Pékin et de
Tianjin…
La peinture sur verre inversé restait à la fin de l’empire un
art recherché qui s’était répandu des palais impériaux jusque
chez les citoyens fortunés. La Révolution culturelle lui a été
fatale.
Un art tombé dans l’oubli
A la fin de la Révolution culturelle, toutes les œuvres avaient
pratiquement disparu. Aujourd’hui encore, il n’y a aucune
collection publique, et les œuvres dans des collections privées
sont rares, la peinture sur verre inversé ayant longtemps
souffert de l’idée (fausse) que c’était un art occidental
importé.
En 2015 et 2016 cependant, une exposition itinérante a rassemblé
quelque deux-cents peintures du fonds de l’Institut central des
Beaux-arts de Pékin, dont, pour la première fois … dix peintures
sur verre inversé de la fin du 19e siècle.
L’exposition est restée pendant deux mois, à partir d’octobre
2015, au
Musée des Beaux-arts Jinling de Nankin (金陵美术馆)
.
A cette occasion, le professeur
Guo Hongmei (郭红梅),
de l’Institut
central des Beaux-arts, a souligné les caractères distinctifs de
cette peinture : « une technique classique de peinture combinant
les intérêts esthétiques de la noblesse de cour occidentale et
le style artistique de la peinture à trois couleurs des lettrés
chinois ainsi que l’art populaire des images du Nouvel An… Ces
œuvres ont été particulièrement recherchées au 18e
siècle, comme des trésors rares. Seul le palais impérial pouvait
en justifier le coût, et il était surtout utilisé pour décorer
les résidences des concubines. Plus tard, cet art est peu à peu
devenu populaire auprès des grands aristocrates, mais il était
hors de portée des familles ordinaires. L’une de ses fonctions,
en fait, à l’époque, était de faire étalage de sa richesse. » Et
c’était d’autant plus vrai que, pour avoir une belle peinture,
il fallait avoir un verre très fin, de première qualité.
C’est pourquoi la collection Mei Lin de Rupprecht Mayer et de
son épouse Liem Haiting est aussi précieuse. Le catalogue des
quelque cent quarante œuvres qu’il a sélectionnées est d’une
étonnante beauté, mais pas seulement : chaque œuvre est en outre
expliquée en profondeur en en soulignant les caractéristiques
artistiques, mais aussi en en donnant les sources thématiques.
On peut donc presque le lire comme un manuel illustré de
littérature et d’opéra. C’est un véritable travail de sinologue.
Comme le remarque
Feng Jicai dans sa préface : « J’ai été étonné
par la beauté de certaines de ces peintures, véritables joyaux
d’une grande valeur culturelle. Il faut bien admettre que, dans
le passé, nos chercheurs n’avaient aucune idée claire de ce
qu’était cet art. Mayer a réalisé une prouesse semblable à celle
qu’a accomplie Vassily M. Alexeev
,
le sinologue russe spécialiste des images du Nouvel An
chinoises. »
La collection Mei Lin
Des tableaux d’une grande beauté
Les œuvres minutieusement présentées dans l’ouvrage
Bolihua : Chinese Reverse Glass Painting from the Mei Lin
Collection
sont d’une exceptionnelle beauté, soulignée par les commentaires
qui expliquent les caractéristiques liées au support verre, avec
parfois des effets de miroir que l’on ne peut que deviner à
partir des photos. Dans quelques cas, le peintre a même joué sur
la transparence du verre pour faire apparaître un fond de
paysage peint sur le support en bois sur lequel est monté le
tableau.
Les thèmes sont ceux de la peinture traditionnelle chinoise -
peinture de paysage, de fleurs et d’oiseaux, de personnages –
mais traités de manière personnelle, et souvent moderne, comme
les portraits de femmes. Mais certains sujets rapprochent aussi
beaucoup ces peintures des images du Nouvel An avec leurs motifs
de bon augure ; ils en ont l’aspect coloré et parfois un style
un peu naïf.
Les styles, justement, sont souvent liés au sujet traité. On
distingue, à l’intérieur d’un même thème, des signatures
différentes, de peintres reconnus dont les notices accompagnant
les tableaux donnent les noms, Li Yunting (李雲亭)
ou Wu Baozhen (吴葆贞)
et son atelier
de Laizhou (莱州),
dans le Shandong,
étant les plus souvent cités. A la fin de l’une des notices
explicatives
,
il est précisé que cette ville de Lanzhou se trouve non loin de
Boshan (博山)
qui était le centre traditionnel de production du verre en
Chine ; or le Shandong est passé sous protectorat allemand au
début 20e siècle et de nombreuses entreprises
allemandes ont développé des opérations dans la région, en
particulier pour tenter de développer une production
industrielle de verre. Comme Li Yunting, Wu Baozhen a développé
des compositions complexes, très souvent sur des sujets inspirés
de la littérature ou de l’opéra. Parfois, les tableaux sont
doubles et se répondent presque en miroir, comme si peints par
l’atelier du peintre en réponse à plusieurs commandes, par
exemple comme cadeaux d’anniversaire, le même thème étant alors
traité avec des variantes.
Livres et bambous |
|
Les commentaires extrêmement fouillés donnent le
détail des inscriptions qui figurent sur les
tableaux, et en particulier les poèmes, souvent
nécessaires à leur compréhension. C’est le cas en
particulier d’un superbe tableau plein d’humour
intitulé « Livres et bambous » (《书与竹》)
(121). Il représente trois personnages en train
d’admirer des sentences parallèles (duilian
对联)
à la porte
d’une maison. Il s’agit de celle du poète, grand bibliophile des
Ming, Xie Jin (解缙)
et le tableau illustre une anecdote célèbre le concernant. |
Pour le Nouvel An, il avait écrit des sentences parallèles pour
orner sa porte :
门对千竿竹;
devant la porte mille bambous,
家藏万卷书。
dans la maison dix-mille livres.
Sur quoi le riche voisin d’en face qui possédait le bosquet de
bambous et jalousait Xie Jin pour son talent littéraire fait
couper les bambous. Suscitant la réaction immédiate de Xie Jin
amusé, se contentant d’ajouter un caractère à la fin de chacune
de ses sentences - duan
短
(court) et chang
长
(long). Nouvelles sentences :
门对千竿竹短;devant
la porte mille bambous raccourcis,
家藏万卷书长。dans
la maison dix-mille livres bien plus précieux.
Fureur du voisin qui fait arracher jusqu’aux souches des
malheureux bambous. Nouvelle réplique humoristique de Xie Jin
qui ajoute deux nouveaux caractères à la fin des deux
sentences : wu
无
(il n’y a pas), you
有
(il y a).
门对千竿竹短无;devant
la porte mille bambous éphémères ne sont plus,
家藏万卷书长有。dans
la maison dix-mille livres éternels sont toujours là.
On a là un tableau formidable dont l’humour répond à celle de
l’anecdote, avec le visage de Xie Jin hilare à moitié caché dans
sa manche. Les drapés sont dessinés avec vigueur et les couleurs
donnent du tonus au dessin. Les personnages dissimulent en
partie les caractères des sentences parallèles, ce qui montre à
quel point l’histoire était célèbre : il n’était pas besoin de
lire tous les caractères pour comprendre ce dont il s’agissait.
C’est un très bon exemple de l’intérêt de l’ouvrage, qui va bien
au-delà de la simple présentation des tableaux et de leur
beauté : on a envie à chaque page de creuser les sources qui les
ont inspirés.
Des thèmes variés
Le tableau précédent pourrait entrer dans le thème des anecdotes
historiques qui abondent dans l’ouvrage, mais souvent en lien
avec des œuvres littéraires et des adaptations à l’opéra.
D’autres thématiques sont plus proches des images de Nouvel An
avec des thèmes de bon augure tandis que toute une série de
tableaux sont des portraits féminins ou des scènes d’intérieur.
1/ Thèmes de bon augure
(12-19 et 21-23)
Ce sont des tableaux essentiellement décoratifs qui
jouent sur les symboles de bon augure et de
longévité – souvent par le biais d’homonymes - pour
servir de cadeaux en diverses occasions.
Beaucoup d’animaux et de plantes sont là pour leur
valeur symbolique : très souvent le coq (jī
鸡),
animal aux cinq vertus, symbolique de la chance car
homonyme de
jí
吉
auspicieux, ou la pivoine (mǔdān
牡丹)
emblème |
|
Le coq, animal de bon augure |
de richesse et haut standing.
Cerfs et grues |
|
On a aussi un très beau tableau (13) portant en son
centre l’inscription
hé lù tóng chūn
(《鹤鹿同春》),
c’est-à-dire « grues et cerfs apportent le
printemps », autrement dit la jeunesse (éternelle) –
la grue pour la longévité et le daim pour la
prospérité – les deux animaux promettant longue vie
et prospérité
aux jeunes couples mariés
.
Le peintre a ajouté trois autres symboles courants de
longévité : les fleurs de prunus, quelques branches |
de pin et des champignons lingzhi (灵芝蘑菇),
ainsi que l’autre symbole de richesse, la pivoine.
Le sujet est traité de manière très colorée, et
remarquablement bien composé, avec l’inscription au
centre épousant l’espace délimité par les branches
de pin et la tête du cerf central. Celui-ci est
d’ailleurs superbement campé, dans une cambrure et
un dessin général rappelant le « cerf aux neuf
couleurs » (九色鹿)
de la légende bouddhiste illustrée dans la fresque
de la grotte 257 à Dunhuang
.
2/ Paysages
(90-97)
Il n’y a pas beaucoup de représentations de paysages, et celles
qui existent sont plutôt dans le genre du rouleau narratif
horizontal, avec des temples et des pavillons dans la montagne,
et une foule de personnages se livrant à diverses activités,
souvent dans des bateaux sur l’eau. C’est vivant et très coloré.
Un tableau se détache des autres : un paysage de nuit, au clair
de lune dit le titre (《月光下的山水》).
Un petit pavillon carrré que dresse au bord de l’eau dans un
paysage accidenté, sous un pin aux lignes tourmentées. Le dessin
est tracé en lignes dorées sur un fond sombre, donnant
effectivement l’impression d’une scène au clair de lune.
3/ Scènes familiales et intimes
(24-28 et 39-44), portraits de femmes et d’enfants
(29-38)
Les scènes familiales sont des tableaux de mœurs dont beaucoup
illustrent en particulier la place de la femme dans l’intimité
familiale à la fin de la dynastie des Qing, et leur rôle
fondamental en tant qu’éducatrices des enfants. Ce sont surtout
des garçons avec leurs drôles de petites nattes à la mode
« pointant vers le ciel » (chōngtiān
chǔbiàn
冲天杵鞭),
croqués en train de manger ou de jouer avec leurs animaux
favoris, chien ou chat.
La figure de la femme à travers les siècles est un
motif central. La collection permet d’apprécier les
changements de modes et de comportement d’une époque
à l’autre, de la fin des Qing aux années 1920 et
1930 avec des portraits « de quatre beautés » et des
concerts privés passant des instruments
traditionnels à la musique sur gramophone. Un
portrait de la courtisane et chanteuse Yang Cuifeng
(《歌妓扬翠凤》)
la représente songeuse sur un superbe fond rouge
sombre, tenant un éventail de plumes dans les bras
(51) tandis que deux portraits de femmes à la
fenêtre, montre au poignet et livre ouvert sur les
genoux, ont des allures et des couleurs de Matisse
(58, 59).
Un tableau étonnant de 1952 (64) représente une
jeune paysanne assise devant une table et tenant une
branche de coton au lieu d’une fleur
traditionnelle ; sur la table est posé un livre où
l’on peut lire « Ecrits du président Mao » (zhǔxí
zhùzuò
《主席著作》).
Le commentaire nous explique que 1952 est l’année où
fut publié le second volume des |
|
Portrait de femme : Cuifeng |
Œuvres choisies du président Mao, et qu’une campagne a été
lancée en même temps pour promouvoir leur étude. La peinture sur
verre inversé n’a donc pas disparu avec l’avènement de la
République populaire, c’est la Révolution culturelle qui en a
signé la mort.
4/ Divinités, mythes, légendes et anecdotes
(101-111, 122-126)
A part une Guanyin d’ailleurs inhabituelle, les divinités sont
surtout tirées du panthéon du taoïsme populaire, et
essentiellement les sept Immortels et Magu. Le mythique
qilin
(麒麟)
est lui aussi bien représenté, dans des styles colorés proches
des images du Nouvel An
Ces mythes et légendes sont parfois illustrés à travers leurs
représentations dans la littérature ancienne. Ainsi une superbe
représentation de la déesse Magu avec une grue, « Magu offre la
longévité » (《麻姑献寿》)
(71), est à rattacher à l’épisode la concernant dans les
« Biographies de divinités et d’immortels » (神仙转)
de Ge Hong (葛洪)
datant du 4e siècle. Magu est représentée dans une
figuration traditionnelle, sur fond blanc : en vol, face à la
grue, sa houe sur l’épaule, les pans de ses vêtements et de sa
ceinture flottant dans les airs derrière elle comme les apsaras
des fresques de Dunhuang.
Aux tableaux inspirés de légendes, on peut ajouter ceux inspirés
d’anecdotes historiques qui tiennent plus de la légende dorée
que de l’histoire stricto sensu. Il en est ainsi du tableau
« Yue Fei tatoué par sa mère » (《岳母刺字》)
illustrant une anecdote tirée du roman historique de 1744
« Récit de toute l’histoire de Yue Fei » (《说岳全转》).
5/ Sujets inspirés de la littérature classique et/ou de l’opéra
Nombre de tableaux illustrent des épisodes célèbres de grands
classiques, voire d’opéras traditionnels chinois.
Ce sont des pièces de toute beauté du début du 20e
siècle, dont plusieurs sont signées Li Yunting et d’autres
émanent de l’atelier de Wu Baozhen, à Laizhou. On ne peut qu’en
citer quelques exemples.
- Le Roman des Trois
Royaumes
(《三国演义》)
(1-11)
Ce sont onze illustrations d’épisodes de ce roman historique du
14e siècle attribué à Luo Guanzhong (罗贯中)
qui ouvrent le catalogue. Les trois premières illustrent
l’histoire célèbre de Diaochan (貂蝉),
l’une des « quatre beautés de la Chine ancienne », qui fut
utilisée dans un stratagème pour persuader Lü Bu (呂布)
d’assassiner le cruel et tyrannique Dong Zhuo (董卓).
Les autres illustrent des scènes tout aussi célèbres, souvent
traitées comme des scènes d’opéras adaptés du roman.
Voir
« Le
roman des Trois Royaumes ».
- La Pérégrination vers l’Ouest (Xiyouji
《西游记》)
(68)
Le tableau illustre la capture du démon responsable des
inondations Wuzhiqi (巫支祁)
par Yu le Grand. L’épisode est raconté en particulier dans le
« Livre des monts et des mers »
(Shanhaijing
《山海经》).
- L”Histoire du pavillon de l’Ouest (Xixiangji
《西厢记》)
(118)
« L’Histoire du pavillon de l’Ouest » est l’un des grands
classiques du théâtre zaju (杂剧)
qui a pour origine un chuanqi des Tang intitulé
« L’Histoire de Yingying » (《莺莺传》)
.
La peinture sur verre de la collection Mei Lin a pour
originalité d’être montée en plateau (tuōpán
托盘) représentant
la scène des adieux de Yingying à son amant Zhang Sheng (张生)
alors qu’il part passer les examens impériaux.
Les deux tableaux sont conçus sur le même modèle, comme émanant
du même atelier, les quatre personnages dans la même pose dans
un décor similaire, mais l’un des tableaux est traité en
couleurs, l’autre en lignes claires se détachant sur un fond
sombre comme une gravure en lavis, avec quelques rehauts de
couleur pastel.
-
Des récits de
Feng Menglong
(冯夢龙)
(65,66 /98,99 / 112, 116, 120)
Le catalogue de Rupprecht Mayer comporte une dizaine de tableaux
illustrant des récits de
Feng Menglong tirés des
trois recueils en langue vulgaire inspirés de
huaben (话本)
regroupés sous le titre « Trois propos » (《三言》)
et publiés dans les années 1620.
Les deux premiers tableaux (65,66) illustrent une anecdote
concernant le poète Li Bai, « La
revanche du poète » (《诗人的复仇》).
Le premier est traité comme une illustration de l’opéra adapté
de cette histoire, « Taibai écrit en état d’ivresse » (《太白醉写》).
Deux autres tableaux illustrent des histoires très populaires de
femmes bafouées, la seconde (116) étant celle de
Du Shiniang (杜十娘),
maintes fois adaptée à l’opéra et au cinéma.
- Un récit de
Ling Mengchu
(凌蒙初)
(45,46)
Il s’agit de deux illustrations du même récit, « Une lettre
vierge et un acte généreux » (《空函认义》),
tiré du premier des deux recueils de huaben
« Frapper sur la table en criant de surprise » (《拍案惊奇》)
de
Ling Mengchu.
- Des contes du Liaozhai de Pu Songling (蒲松龄)
(74-84 et quatre doubles panneaux 82-85)
On n’est pas surpris de trouver autant
d’illustrations des « Contes du Liaozhai »
(Liáozhāi
zhìyì《聊斋志异》)
de Pu Songling. Ces contes sont une mine de récits
populaires qui ont été maintes fois adaptés. Ceux
qui ont inspiré les illustrateurs des tableaux de la
collection Mei Lin ne sont pas les plus connus ; ils
sont
d’autant plus intéressants. Particulièrement remarquable est la
série de quatre tableaux de près d’un mètre de haut illustrant
huit contes, deux par tableau.
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Série de 4 panneaux sur le thème du
Liaozhai |
Voir : les contes du Liaozhai dans
les peintures sur verre de la collection Mei Lin.
- Trois épisodes du Rêve dans le pavillon rouge (113,
114, 115)
Les tableaux illustrant trois épisodes du Hongloumeng (《红楼梦》)
se marient parfaitement avec les thématiques et les styles des
illustrations des œuvres de Feng Menglong qui les encadrent. Il
s’agit de deux scènes liées au jeune Jia Baoyu (贾宝玉),
et une troisième – signée Li Yunting et datée de 1931 -
représentant « Lin Daiyu jouant du qin » (《黛玉抚琴》)
devant ses appartements, scène tirée du chapitre 86 du roman.
-
Un chuanqi des Tang
(117)
L’étranger à la barbe frisée |
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Après les illustrations du Hongloumeng se
trouve une illustration pour le moins inattendue,
d’un conte fantastique de Du Guangting (杜光庭)
intitulé « Histoire de l’homme à la barbe frisée » (Qiúrán
kèzhuàn《虬髯客传》).
Ce très populaire chuanqi des Tang qui brode
sur la légende de Li Shimin (李世民),
fondateur de
la dynastie des Tang, a été adapté en pièce de théâtre zaju
par Ling Mengchu. Le tableau de la collection Mei Lin représente
les deux protagonistes Li Jing (李靖)
et son épouse
Hong Funü
(红拂女)
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faisant leurs adieux à l’étranger « à la barbe fleurie » qu’ils
ont rencontré et qui voulait réunifier l’empire ; laissant ce
soin à Li Shimin, il va tenter sa chance ailleurs, typique en
cela des aventuriers de l’époque qui ont inspiré la
littérature de
wuxia.
- Une scène d’opéra légendaire (67)
Beaucoup de tableaux illustrent indirectement des
scènes d’opéra à travers les adaptations de
classiques littéraires. L’un d’eux illustre une
scène d’opéra très connue : « La favorite ivre » (《贵妃醉酒》),
tirée de l’opéra « Yang Guifei » (《杨贵妃》) :
la favorite délaissée par l’empereur se console en
buvant quelques verres, et finit légèrement
ivre. C’est l’une des scènes rendues célèbres par
l’interprétation légendaire de Mei Lanfang,.
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La favorite ivre |
Mei Lanfang dans « La favorite ivre » (opéra de Pékin)
https://www.youtube.com/watch?v=a0TmGyDmUXk
6/ Modernité
Un bateau en eaux étrangères |
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Le catalogue s’achève sur quelques représentations
de la modernité : des jeunes téléphonistes, un train
qui passe en fumant, un bateau à vapeur arborant un
dragon sur son drapeau arrivant dans « des eaux
étrangères »… qui pourraient être un port ouvert en
Chine dans les années 1910 ou 1920. Ce qui frappe
ici, c’est la similitude avec des estampes japonaise
de la période meiji, sur le même thème, et en
particulier dans des bleus très semblables… |
Et puis l’art du verre inversé s’est perdu… il faut rendre
grâce à Rupprecht Mayer d’en avoir conservé quelques si beaux
exemplaires et d’avoir si bien su les présenter dans son
catalogue.
Bolihua : Chinese Reverse Glass Painting from the Mei
Lin Collection, Rupprecht Mayer, édition bilingue
anglais-chinois, Hirmer Verlag, juillet 2018, 272 p.
(il existe également une version en allemand)
Doyen du Grand Secrétariat de l’empereur Yongle (永乐帝),
il était tellement apprécié de l’empereur que c’est lui
qui fut nommé pour diriger la compilation de
l’« Encyclopédie Yongle », achevée en 1408. Ce qui ne
l’empêcha pas d’être exilé pour s’être opposé à
l’attaque du Vietnam, puis de se retrouver en prison
deux ans plus tard…. et de mourir assassiné par la garde
de l’empereur en 1415. L’anecdote illustrée par le
tableau montre à quel point il devait avoir la langue
acérée et se faire des ennemis sans compter.
L’anecdote est célèbre :
https://www.haik8.com/o/ny221.shtml
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