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				Brève histoire du 
				wuxia xiaoshuo  
				I. Origines : des 
				Royaumes combattants à la dynastie des Tang 
				        
				I.1 Naissance et évolution de l’image du xia 
				par Brigitte Duzan, 24 novembre 
				2013     
				 
				Le wuxia xiaoshuo
				(武侠小说), 
				nouvelle puis roman de wuxia, est l’un des genres les 
				plus populaires de la littérature chinoise, l’un des plus 
				anciens aussi, et le seul de la littérature traditionnelle qui 
				ait survécu à la chute de l’Empire et soit encore vivant 
				aujourd’hui. Son histoire est intimement liée à
				celle du xiaoshuo 
				lui-même dont il a partagé l’évolution.  
				     
				 
				Alliant les qualités 
				martiales dénotées par le terme à connotations militaires wu
				(武) 
				aux valeurs héroïques et chevaleresques du xia (侠), 
				personnage empreint de noblesse d’âme et d’esprit de sacrifice, 
				le wuxia est intraduisible (1) : il se réfère à une 
				tradition et une culture typiquement chinoises. Il ne se définit 
				que par la personnalité particulière du xia tel qu’elle a 
				évolué au cours de l’histoire. 
				     
				 
				Origines de la 
				tradition et de la symbolique du wuxia 
				     
				 
				Origine du terme de 
				wuxia 
				     
				 
				Le terme même de 
				wuxia est relativement récent, puisqu’il date de la fin de 
				la dynastie des Qing, soit du tout début du 20ème 
				siècle. Comme beaucoup d’autres, il a alors été importé du Japon 
				où le néologisme bukyo avait été inventé à la fin de la 
				période Meiji (dans le titre d’un roman) : bu désignant 
				le samouraï et kyo dénotant un caractère viril. La 
				transcription chinoise de wuxia fut rapportée en Chine 
				par les jeunes intellectuels qui étaient partis étudier au 
				Japon, dans l’espoir que leur pays adopterait les valeurs de 
				modernité scientifique et militaire que le terme véhiculait et 
				qui avaient permis au Japon de devenir une grande puissance. 
				     
				 
				Au 19ème 
				siècle, auparavant, ce genre de littérature était désigné en 
				Chine par le terme de xiayi (侠义) 
				qui mettait donc l’accent sur le yi (义),
				
				c’est-à-dire la droiture et le sens de la justice inhérents au 
				personnage du xia. Le nouveau terme, lui, soulignait ses 
				qualités chevaleresques de pourfendeur de torts à la pointe de 
				l’épée impliquées par la substitution de wu à yi.
				   
				     
				 
				Le terme de wuxia
				est ensuite devenu courant et populaire au début des années 
				1920, avec une formidable expansion de ce type de littérature, 
				doublée d’un non moins formidable engouement pour les films de
				wuxia vers la fin de la décennie.  
				     
				 
				Le xia, associé 
				au wu, cependant, a une longue histoire, qui remonte à la 
				période des Royaumes combattants (403-221 avant JC). 
				     
				 
				Origines du xia 
				     
				 
					
						| 
						Les références 
						les plus anciennes que l’on a trouvées proviennent du 
						Han Feizi (《韩非子》), 
						écrit à la fin de la période des Royaumes combattants. 
						Outre un condensé de la pensée légaliste, l’ouvrage 
						contient nombre d’observations et anecdotes sur 
						l’époque, celle qui précède l’instauration du Premier 
						Empire, donc marquée de conflits incessants. C’est dans 
						ce contexte que Han Fei critique ceux qu’il désigne par 
						le terme de xia en leur reprochant de 
						transgresser les lois en recourant à la violence – wu
						.  
						     
						 
						Il le fait dans 
						un texte célèbre intitulé « Les cinq poisons » (五蠹) 
						(2) où il critique de la même manière les lettrés et les
						xia, en rapprochant le wen et le wu 
						que la culture chinoise oppose normalement :
						 
						
						儒以文乱法,侠以武犯禁,而人主兼礼之,此所以乱也。 
						     les 
						lettrés utilisent leurs écrits (文) 
						pour perturber les lois,      les 
						xia recourent à la violence (武) 
						pour transgresser les 
						    
						 
						 interdits, et comme le 
						souverain les tolère, le désordre 
						    
						 règne. |  | 
						
						 
						Le Han Feizi |  
				     
				 
				Et si les xia 
				sont respectés au lieu d’être châtiés, ajoute Han Fei un peu 
				plus loin, c’est parce qu’ils mettent leur épée au service de 
				causes privées. On voit donc se profiler l’image de mercenaires 
				parcourant les royaumes en guerre pour s’offrir à qui veut bien 
				les recruter, des youxia (游侠)
				ou « chevaliers 
				errants » selon la traduction courante. Errants certes, mais 
				très peu chevaliers.  
				     
				 
				Le concept de xia 
				évolue avec Sima Qian (145- ?? avant JC) . 
				     
				 
				Le xia selon Sima 
				Qian 
				     
				 
					
						| 
						
						 
						Les Mémoires historiques |  | 
						Dans ses « Mémoires 
						historiques » (《史记》), 
						achevées en 91 avant JC, Sima Qian (司马迁) 
						consacre le chapitre 124 de ses biographies aux 
						youxia : « Biographies 
						de chevaliers errants » 
						(《游侠列传》), 
						selon la traduction de Jacques Pimpaneau. Il s’agit en 
						l’occurrence de deux personnages présentés comme des 
						exemples-types de xia : 
						Lu Zhujia (魯朱家) 
						et Guo Jie (郭解).
						 
						     
						 |  
				     
				 
				Mais il faut y 
						ajouter les six biographies du chapitre 86 : « Biographies
						d’assassins » (《刺客列传》), 
				assassins qui sont en fait des héros :
				
				Cao Mo (曹沫), 
				général du duc Zhuang de Lu qui força le duc Huan de Qi à rendre 
				les territoires conquis,  Zhuan Zhu (专诸), 
				assassin du roi Liao de Wu, Yu Rang (豫让) 
				qui vengea son maître d’un geste symbolique avant de se 
				suicider, Jing Ke 
				(荆轲),
				auteur 
				de la tentative ratée d’assassinat du futur Premier Empereur et
				Nie Zheng (聂政) 
				(3).      
				 
					
						| 
						Nie Zheng est 
						en fait le cinquième dans l’ouvrage de Sima Qian car les 
						« assassins »  
						y sont classés 
						par ordre chronologique,  
						mais c’est un 
						modèle du genre. Pour échapper à ses ennemis, Nie Zheng 
						s’était réfugié, avec sa mère et sa sœur, dans l’Etat de 
						Qi (齐国)
						où il 
						devint l’ami de Yan Zhongzi (严仲子) 
						qui était poursuivi par le premier ministre de l’Etat de 
						Han (韩国), 
						Xia Lei (侠累). 
						Nie Zheng assassina Xia Lei, puis se suicida, mais, pour 
						que sa sœur Nie Rong (聂荣) 
						ne soit pas inquiétée, il se défigura au préalable. 
						Personne ne sachant qui était  |  | 
						
						 
						Nie Zheng |  
				 
						l’assassin, le souverain de Han 
				fit exposer le 
				corps en public ; Nie Rong reconnut son frère, et dévoila son 
				identité pour que son grand mérite fût connu de tous.  
				     
				 
				Cette biographie de 
				Nie Zheng 
				combine les principales caractéristiques qui font la noblesse du
				xia : esprit filial, ici envers la mère, fidélité à ses 
				amis, loyauté envers ses maîtres, lutte contre l’injustice et 
				les persécutions, esprit de sacrifice, et ici non seulement du
				xia mais de sa sœur aussi. Sima Qian cite bien Han Fei au 
				début de son chapitre, mais son propos est opposé : loin de 
				dénoncer le xia comme fauteur de troubles, il professe 
				son admiration pour son courage et son intégrité ; si ses 
				actions sont un défi au pouvoir établi, et peuvent donc 
				représenter un danger pour l’ordre public, il est toujours du 
				côté des opprimés et des victimes d’injustices, qu’il défend au 
				mépris de sa propre existence. 
				     
				 
				De toutes ces qualités, 
				c’est sans doute la loyauté qui prime : loyauté envers l’ami, ou 
				loyauté  
				envers celui qui a su 
				reconnaître sa valeur et l’emploie à son service (zhijizhe
				
				知己者) 
				- et l’on ne  
				
				peut s’empêcher de 
				penser que c’est là une idée très personnelle de Sima Qian. 
				Comme le dit Yu Rang : 
				         
				
				士为知己者死,女为说己者容。 
				
				         L’homme meurt 
				pour celui qui a reconnu sa valeur,  
				
				comme la femme se pare 
				pour celui qui apprécie sa beauté. 
				
				     
				 
				Zhuangzi lui-même – dans son célèbre texte, chapitre 30 du Zhuangzi, « Convaincre 
				par l’épée » (《说剑》) 
				- avait loué 
				l’efficacité des armes dans les cas où les formes 
				traditionnelles de persuasion prônées par Mencius, celles 
				fondées sur le langage, se heurtaient à  une fin de non recevoir 
				(4). Convaincre par l’épée, c’est la solution qu’avait adoptée 
				Cao Mo… Pour agir sur un souverain ne connaissant que sa volonté 
				de domination et ses désirs de conquête, et sourd aux conseils 
				de modération de ses ministres, la violence devenait le seul 
				recours contre la violence.   
				     
				 
				Les xia ont 
				cependant été pourchassés pendant toute la première période de 
				la dynastie des Han (220 avant JC-23 après JC) et les historiens 
				postérieurs à Sima Qian sont revenus à l’opinion négative de Han 
				Fei. En même temps, cependant, l’imagination populaire 
				s’emparait de l’image de « nobles assassins » transmise par les 
				Mémoires historiques, mais en élaborant peu à peu une tradition 
				que l’on trouve déjà traduite en termes littéraires à l’époque 
				des Six Dynasties (222–589). 
				     
				 
				Les chuanqi des 
				Tang     
				  
				C’est cependant sous la 
				dynastie des Tang, lorsque les contes et récits extraordinaires 
				de la période  
				des Six Dynasties se 
				transforment en véritables œuvres de fiction et que naissent les 
				contes fantastiques ou chuanqi (传奇), 
				que se développe en même temps toute une tradition littéraire
				 
				autour d’une image 
				idéalisée et romancée du xia.  
				     
				 
				L’image abstraite 
				du xia en poésie 
				     
				 
				Les poèmes de l’époque 
				peuvent être de simples versifications d’ouvrages historiques, 
				mais certains sont des portraits de xia, dont l’image 
				devient alors liée au port de l’épée. Le xia devient 
				bretteur et spadassin, jianxia (剑侠), 
				ou jianke (剑客). 
				     
				 
				C’est le titre d’un 
				poème de Jia Dao (贾岛)  
				- « Le spadassin » (《剑侠》) 
				–  considéré comme symbolisant l’esprit du xia (5) : 
				十年磨一剑 
				voilà 
				dix ans que j’affûte mon glaive 
				霜刃未曾试 
				sa lame 
				acérée n’a pourtant point subi d’épreuve 
				今日把似君
				
				aujourd’hui, seigneur, je la mets à votre service 
				谁有不平事 
				pour 
				aider ceux qui souffrent d’injustice.     
				 
					
						| 
						
						 
						Li Bai Xiakexing |  | 
						Mais le poème 
						le plus célèbre dans ce registre reste celui du grand 
						poète Li Bai (李白) : 
						« La voie du xia » 
						(《俠客行》). 
						On a dans ce poème une série d’allusions à des 
						personnages devenus légendaires, et une application du 
						principe énoncé par Zhuangzi dans son texte « Convaincre 
						par l’épée ». Le ton est satirique, mais plutôt 
						laudatif. Le titre 
						 |  
				du poème a 
				été repris par
				
				Jin Yong (金庸) 
				pour son douzième roman, en 1966, preuve que le modèle est 
				devenu emblématique. 
				     
				 
				Le xia dans les 
				chuanqi 
				     
				 
				En même temps, le genre 
				des contes fantastiques, ou chuanqi, se développe à 
				partir des recueils de récits de manifestations surnaturelles de 
				la période des Six Dynasties. L’idée n’est plus d’édifier le
				 
				lecteur mais de donner 
				libre cours à l’imagination et au talent littéraire. La plupart 
				des œuvres sont des histoires d’amour complexes où se mêle le 
				merveilleux, traduisant la fascination de l’époque pour le 
				surnaturel et l’insolite. 
				     
				 
				Les histoires de xia
				y gagnent deux nouvelles caractéristiques qui vont être 
				indissociables du genre : un élément de fantastique et un 
				élément féminin, souvent combinés dans les personnages 
				d’héroïnes martiales ou nüxia (女侠)
				qui forment 
				l’aspect le plus intéressant des nouvelles créations de la 
				période. Le modèle-type, tiré des Printemps et Automnes de Wuyue 
				(《吳越春秋》), 
				date de la période des Han orientaux, mais il est 
				développé au neuvième 
				siècle comme personnage de fiction : c’est la Belle de Yue ou 
				Yuenü (越女), 
				à laquelle est par ailleurs consacrée la dernière œuvre de
				Jin Yong. 
				     
				 
					
						| 
						Deux autres 
						figures féminines symboliques qui inspireront 
						 
						de nombreux 
						cinéastes émergent vers la fin du neuvième siècle : 
						l’une est 
						Nie 
						Yinniang (聂隐娘),
						et l’autre Hongxian (红线), 
						dont les histoires sont attribuées respectivement à Pei 
						Xing (裴铏)
						
						et Yuan Jiao (袁郊).
						 
						     
						 
						La première, 
						fille de général, est kidnappée par une nonne 
						 
						qui la forme 
						aux arts martiaux et à la pratique de la magie, puis la 
						fait entrer au service d’un gouverneur militaire qu’elle 
						doit défendre contre les assassins envoyés par un rival,
						 
						avant de 
						partir, une fois sa mission accomplie, sur un 
						 
						âne blanc vers 
						une destination inconnue. La seconde, servante d’un 
						autre gouverneur militaire, accomplit des exploits tout 
						aussi extraordinaires, dans un récit conté avec élégance 
						et maîtrise du mystère.      
						 
						Ces deux 
						héroïnes reprennent la trame dessinée par les histories 
						d’assassins de Sima Qian, mais en fusionnant les 
						 |  | 
						
						 
						Nie Yinniang |  
				personnages du 
				valeureux xia et de l’élégante beauté que Sima Qian avait 
				associés dans les propos de Yu Rang à des fins d’analogie.      
				  
					
						| 
						
						 
						L’histoire de l’homme à la barbe frisée |  | 
						L’imaginaire 
						fantastique, dans ces récits, s’oppose à la narration 
						précédemment tirée de la réalité historique. Une 
						génération plus tard, l’art narratif du chuanqi 
						atteint un sommet dans le récit de Du Guangting (杜光庭), 
						l’un des plus célèbres de l’époque Tang : « L’histoire 
						de l’homme à la barbe frisée » (《虬髯客传》).
						 
						     
						 
						A la fin de la 
						dynastie des Sui, un certain Li Jing (李靖)
						remarque 
						une jeune et jolie servante du nom de Hongfu (红拂), 
						employée chez un fonctionnaire auquel il a rendu visite.
						 
						Elle le rejoint 
						ensuite dans l’auberge où il est descendu, et 
						 
						lui demande de 
						l’emmener avec elle car elle a lu en lui un avenir plein 
						de promesses. Dans une autre auberge, peu de temps 
						après, ils rencontrent un étranger à l’allure martiale
						 
						et à la barbe 
						frisée auquel Li Jing présente l’une de ses 
						connaissances, du nom de Li Shimin (李世民). 
						En le  
						voyant, 
						l’étranger déclare reconnaître en lui un futur empereur, 
						et renoncer donc lui-même à l’empire qu’il voulait
						 |  
				conquérir, puis 
				disparaît. Dix ans plus 
				tard, ministre de la nouvelle dynastie des Tang fondée par Li 
				Shimin, Li Jing entend parler d’un royaume conquis dans les mers 
				du sud-est : il sait que l’étranger a réalisé ses ambitions dans 
				un autre pays.  
				     
				 
				Du Guangting utilise 
				habilement le contexte historique de la fondation de la dynastie 
				des Tang pour dresser une double narration de fondation 
				dynastique à thème patriotique : le xia étrange à la 
				barbe frisée valide le mandat du ciel du fondateur des Tang tout 
				en réalisant lui-même une fondation en miroir dans un royaume 
				plus ou moins fantastique.  
				     
				 
				Ces thèmes propres aux
				chuanqi vont ensuite alimenter une littérature 
				vernaculaire de wuxia de plus en plus élaborée sous les 
				Song et les Yuan, puis sous les Ming, où les récits abandonnent 
				la forme courte pour passer à la forme du roman à épisodes. 
				     
				 
				Le développement 
				des récits de wuxia des Song aux Ming 
				     
				 
				Histoires de xia 
				dans les huaben des Song 
				     
				 
					
						| 
						Au début de la 
						dynastie des Song, nous dit 
						
						Lu Xun dans sa 
						« Brève histoire du roman chinois » (《中国小说史略》) 
						(6), « les contes extraordinaires se voulaient 
						« crédibles », aussi ce genre allait-il désormais 
						s’engager sur la voie du déclin ». Dans le chapitre sur 
						les écrits de type chuanqi de l’époque Song, il 
						nous parle d’un Mémoire en trois volumes sur des « personnages 
						hors du commun dans les vallées du Yangzi et de la Huai » 
						(《江淮异人录》), 
						écrit à la fin du dixième siècle par un certain Wu Shu (吴淑). 
						L’ouvrage comporte en particulier un chapitre sur des 
						redresseurs de tort errants (侠客),
						
						magiciens (术士) 
						et prêtres taoïstes (道流) 
						impliqués dans des événements insolites.   
						     
						 
						
						
						Lu Xun 
						souligne que Wu 
						Shu serait le premier à consacrer  
						un ouvrage 
						entier bâti autour « des évolutions de tout  
						un peuple 
						imaginaire d’étranges protagonistes, dans un univers 
						chimérique. » C’est cet ouvrage qui fut ensuite 
						 
						copié à 
						l’époque Ming et lança la mode des « histoires de 
						bandits d’honneur aux prouesses miraculeuses », autant 
						de récits influencés par les croyances taoïstes en la 
						magie et aux esprits. |  | 
						
						 
						Personnages hors du commun  
						du Yangzi et de la Huai |  
				     
				 
				Mais les plus 
				intéressants développements littéraires, à l’époque des Song, ne 
				sont pas à rechercher du côté des lettrés, ils se passaient sur 
				la place publique. C’est là en effet que s’est développée une 
				littérature en langue populaire, sous forme de livrets appelés
				huaben (话本), 
				utilisés par les bateleurs et conteurs, où étaient annotées des 
				trames ou des ébauches de récits oraux, souvent colportés par 
				ouï-dire. Or ces conteurs étaient divisés en écoles, que 
				plusieurs documents des Song du Sud cités par Lu Xun classent en 
				quatre catégories (7) ; dans la première, celle des conteurs de
				xiaoshuo, on trouve les histoires d’amour habituelles, 
				ainsi que celles de monstres et de prodiges, mais aussi les 
				histoires de brigands, de xia et de combats martiaux, 
				auxquelles sont joints cas judiciaires et enquêtes.  
				     
				 
				L’important ici est la 
				différence d’approche narrative, liée à l’oralité : les 
				huaben n’ont plus rien de la concision de la langue 
				classique procédant par allusions, mais sont au contraire 
				prolixes et riches en développements mélodramatiques, voire 
				burlesques, aptes à captiver un auditoire populaire. Au 
				croisement de ce nouveau genre, la tradition des récits de 
				xia prend un tour nouveau, où l’héroïsme se teinte d’humour 
				populaire. On n’est pas très loin des personnages incarnés au 
				cinéma par Jacky Chan.     
				  
				Parmi les récits 
				populaires des huaben de l’époque, on trouve ainsi 
				quelques histoires qui forment comme une légende dorée de 
				l’empereur Taizu avant la fondation de la dynastie des Song : il 
				y apparaît comme un xia martial et impulsif – mais un 
				tantinet excessif - à la fois digne descendant des xia 
				des Royaumes combatttants et précurseur des bandits d’honneur du
				jianghu dont la légende commence aussi à se former à 
				l’époque. 
				     
				 
				Ainsi, dans « Zhao 
				Taizu enfourche le dragon » (《赵太祖飞龙记》),
				
				le 
				futur empereur est figuré, déjà, en conquérant, mais 
				dans « Zhao 
				Taizu escorte Jingniang sur mille lis » (《赵太祖千里送京娘》), 
				l’image tourne à la caricature de foire : il 
				insiste 
				noblement pour ramener chez elle une jeune paysanne qui a été 
				enlevée par des bandits, et recueillie dans un monastère à des 
				milliers de lieues de chez elle ; mais il fera tant et si bien 
				qu’il la conduira au suicide. L’histoire sera reprise par Feng 
				Menglong (冯梦龙) 
				dans son deuxième recueil, à la fin des Ming, mais dans un 
				esprit différent. 
				
				     
				 
				Les 
				huaben perpétuent aussi la tradition des chuanqi des 
				Tang, en particulier en brodant sur les personnages féminins de
				xia. On en trouve des échos dans les huaben des 
				Ming, comme, par exemple, le récit intitulé « Cheng Yuanyu paie 
				la note de quelqu’un à l’auberge, la Onzième sœur discute de 
				xia sur le mont Yungang » (《程元玉店肆代偿钱,十一娘云冈纵谭侠》),
				
				
				développé dans un recueil de Ling Menchu (凌濛初), 
				écrit en 1627, à la toute fin des Ming. 
				     
				 
				A la fin des Song du 
				Sud, les spectacles populaires subirent une éclipse ; en même 
				temps les conteurs se firent plus rares, mais les huaben 
				subsistèrent, avec la tradition qu’ils avaient établie, et ils 
				inspirèrent les écrivains ultérieurs.  
				     
				 
				Premier récit du 
				jianghu sous les Yuan 
				     
				 
				Sous  les Yuan, les 
				récits des chuanqi et huaben ont alimenté le genre 
				prévalent de l’époque : le théâtre. Mais les récits de xia 
				n’y sont pas une source d’inspiration fréquente.  
				     
				 
					
						| 
						
						 
						Vestiges de l’ère Xuanhe |  | 
						En revanche, 
						c’est dans un livre vraisemblablement écrit  
						sous les Yuan 
						(mais repris de textes antérieurs) que l’on trouve le 
						premier récit sur la  rébellion des marais de Liangshan 
						(梁山泺聚义) 
						qui va donner sous les Ming l’un  
						des récits 
						fondateurs du roman de  wuxia. Le livre est
						 
						intitulé « Vestiges 
						de l’ère Xuanhe des Song » (《大宋宣和遗事》) ; 
						c’est une compilation de textes qui retracent les 
						événements survenus depuis les souverains mythiques Yao 
						et Shun jusqu’à l’établissement de Gaozong à Lin’an 
						(Hangzhou) en 1127.  
						     
						 
						Il est en dix 
						parties ; la quatrième raconte comment, après deux 
						autres rebelles, Song Jiang (宋江) 
						est obligé de se retirer dans le temple de la déesse 
						noire Xuannü (玄女庙) 
						après avoir tué Poxi (婆惜), 
						et comment, alors que les soldats qui le poursuivaient 
						se sont retirés, un rouleau tombe du ciel, sur lequel 
						sont inscrits les noms de trente six généraux sommés de 
						se soumettre à lui comme chef suprême  |  
				et protecteur des 
				justes causes, « afin de répandre l’honneur et la justice et 
				d’anéantir les méchants et les fourbes ». 
				     
				 
				Les rebelles pillent, 
				brûlent et assassinent. L’empereur ordonne de les capturer, mais 
				un général réussit à les pacifier, ils reçoivent des postes 
				d’inspecteurs, et Song Jiang finit gouverneur militaire (节度使). 
				     
				 
				On a là l’ébauche du 
				grand classique « Au bord de l’eau » (《水浒传》)  compilé au quatorzième siècle. Le texte est un récit populaire 
				inspiré par des événements  historiques, qui fournit un modèle 
				de xia émergeant de son isolement pour prendre la tête 
				d’une bande de hors-la-loi ; formant une communauté, il initie 
				par là même tout un système de codes d’honneur et de loyauté qui 
				vont devenir des règles du genre. Le xia n’est plus un 
				individu isolé ; il est en outre immergé dans l’histoire. 
				 
				     
				 
				C’est aussi un être 
				moral qui finit par se rallier au régime. Il s’agit d’une 
				idéalisation typique des personnages de xia : en fait, 
				les rebelles autour de Song Jiang furent capturés et passés par 
				les armes. Mais les événements survenus après que les rebelles 
				se soient rendus ne sont pas rapportés dans les annales, la 
				rumeur publique et l’imagination populaire ont donc pu s’en 
				emparer et les enjoliver à volonté.  
				     
				 
				On est là à une période 
				charnière dans l’évolution de la littérature de wuxia. Le 
				genre va prendre une forme beaucoup élaborée sous les Ming, 
				grâce au développement du roman à épisodes (章回小说). 
				     
				 
				     
				 
				II. Développement 
				sous les Ming et les Qing 
				     
				 
				(à venir) 
				     
				 
				     
				 
				Notes 
				(1) On le trouve 
				parfois rendu par "roman d’arts martiaux", ce qui entraîne un 
				amalgame avec le kungfu, qui n’en est qu’un dérivé, ou 
				par "roman de chevaliers errants", qui induit une confusion avec 
				une tradition moyenâgeuse très différente – ne serait-ce que 
				parce que le xia n’est pas issu d’une élite nobiliaire. 
				Le terme le plus proche de la réalité du xia serait 
				"redresseur de torts" ; c’est le terme retenu par Jacques 
				Pimpaneau dans sa traduction des Mémoires historiques de Sima 
				Qian, bien qu’il le couple à celui de chevalier. 
				(2) Han Feizi, livre 
				XIX, chapitre XLIX : 
				五蠹. 
				Le texte en chinois classique et sa traduction en anglais : 
				
				
				www2.iath.virginia.edu/saxon/servlet/SaxonServlet?source=xwomen/texts/hanfei. 
				
				
				xml&style=xwomen/xsl/dynaxml.xsl&chunk.id=d2.49&toc.depth=1&toc.id=d2.20&doc.lang=bilingual 
				儒以文亂法,俠以武犯禁,而人主兼禮之,此所以亂也。 
				(3) Le texte chinois du
				Shiji :
				
				www.guoxue.com/shibu/24shi/shiji/sjml.htm 
				Les biographies 
				d’assassins :
				
				www.guoxue.com/shibu/24shi/shiji/sj_086.htm 
				(4) Voir : Persuasion à 
				la pointe de l’épée, l’imagination thérapeutique en action, 
				étude et traduction du Shuo Jian 《说剑》, 
				chapitre 30 du Zhuangzi 庄子, 
				par Romain Graziani 
				
				
				www.afec-etudeschinoises.com/IMG/pdf/Graziani.pdf 
				Le texte chinois :
				
				www.douban.com/note/248594645/ 
				(5) Ces quatre vers du 
				poète Jia Dao (779–843) 
				ont été élevés 
				au rang de symboles par le professeur James J.Y. Liu  dans :
				The Chinese Knight Errant, 
				University of Chicago Press, 1967. 
				(6) Brève histoire du 
				roman chinois (qui est en fait l’histoire du xiaoshuo, et 
				pas seulement du roman), traduit par Charles Bisotto, 
				Gallimard/Connaissance de l’Orient, 1993, pp 128 sq. 
				Texte chinois :
				
				www.tianyabook.com/LUXUN/zgxs/index.html 
				(7) Brève histoire du 
				roman chinois, p 143. 
				     
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