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Yan Geling 严歌苓

Présentation

IV. Les nouvelles

par Brigitte Duzan, 31 janvier 2021, actualisé 25 juillet 2021

 

Outre ses nombreux romans [1], Yan Geling a écrit et publié un grand nombre de nouvelles, publiées dans différents recueils regroupant nouvelles courtes (duanpian xiaoshuo 短篇小说) et nouvelles dites « moyennes » (zhongpian xiaoshuo 中篇小说). Comme beaucoup d’auteurs chinois, c’est par des nouvelles courtes qu’elle a commencé à écrire, et celui de ses récits qu’elle dit préférer, l’un des plus beaux aussi, « La prairie au féminin » (《雌性的草地》), est justement un zhongpian….

 

La thématique de ce corpus de nouvelles suit l’évolution de la thématique générale de son œuvre, en trois périodes : souvenirs de l’armée jusqu’en 1989, thèmes liés aux Etats-Unis, et aux immigrantes chinoises en particulier, jusqu’en 2004, et retour à des thèmes inspirés de la Chine et de ses souvenirs de l’armée ensuite.

 

1.       1981-1989 : débuts et thématique initiale des souvenirs de l’armée

 

a) Débuts : quatre nouvelles

 

Ses premiers écrits répertoriés sont quatre nouvelles courtes publiées dans la revue littéraire Jeunesse (《青春》杂志) entre septembre 1981 et février 1984.

 

Elle a cependant auparavant écrit une toute première nouvelle qui avait pour thème les rapports mère-enfant : un soir, la voiture d’une femme, cadre de haut rang, tombe en panne ; elle rencontre alors son fils qui sort du cinéma et la ramène chez elle sur son vélo. La nouvelle insinuait que les hautes fonctions de la mère lui avaient fait perdre ses sentiments maternels. Yan Geling a envoyé le récit à son frère qui l’a beaucoup aimé et l’a transmis à la revue Jeunesse.

  

Le sujet et l’histoire ayant été jugés trop sensibles, le journal ne l’a pas publiée. Mais c’était le moment où les revues cherchaient de nouveaux textes et de nouveaux auteurs et Yan Geling fut jugée prometteuse ; toujours par l’entremise de son frère, qui était un ami du rédacteur en chef, elle a donc reçu un appel à contribution. Peu de temps plus tard, elle a envoyé à la revue une autre nouvelle, intitulée « As-tu besoin d’oignons verts ? » (《你需要大葱吗?), qui cette fois-ci a été publiée, en septembre 1981, mais sous le titre simplifié « Oignons » (《葱》).

 

Elle a été suivie de trois autres sur des sujets sociaux courants à l’époque, respectivement publiées en juillet 1982, septembre 1983 et février 1984 : « Sœur La » (《腊姐》), « Liens de sang » (《血缘》) et « Petits bureaucrates et affaires de petits bureaucrates » (《芝麻官与芝麻事》). C’était le pied à l’étrier. Aussitôt après cette

 

Petits bureaucrates et affaires de

petits bureaucrates, fév. 1984

dernière nouvelle, les Éditions des lettres et des arts de l’Armée de Libération lui ont commandé un roman.

 

Ce premier roman, « Sang vert » (《绿血》), paru en février 1986, avec « Murmures d’une femme soldat » (《一个女兵的悄悄话》), paru un an plus tard, sont les deux premiers volets de sa « trilogie de la femme soldat » (女兵三部曲), souvenirs des années 1970 qui forment l’une des principales sources d’inspiration de la plupart des nouvelles des trois années suivantes.

 

b) Souvenirs de l’armée

 

1/ Le troisième volet de la trilogie, « La Prairie au féminin » (《雌性的草), est un zhongpian  (中篇小说) initialement publié en 1988 aux éditions de l’armée de Libération comme les deux romans précédents, et à Taiwan [2]. Il sera réédité en 1998 aux éditions Chunfeng.

 

Yan Geling a entendu parler de l’histoire d’une femme qui élevait des chevaux sur le haut plateau du Qinghai quand, en 1974, elle est allée là avec sa troupe pour donner des représentations aux soldats en poste dans la région. Cette femme était en fait l’une des femmes d’un peloton de sept jeunes soldates envoyées sur le plateau tibétain au début des années 1970 pour élever des chevaux pour l’armée ; elles étaient connues comme « l’escouade de fer des gardiennes de chevaux » (“铁女子牧马班”), la plus âgée avait vingt ans. Yan Geling raconte dans la préface comment elle est allée les voir avec deux

 

La prairie au féminin,

édition originale 1988

collègues, dans la prairie de la zone tibétaine à la limite du Gansu.

 

Ces jeunes femmes vivaient dans des conditions très dures : elles n’avaient quasiment rien à manger, devaient porter des uniformes masculins mal taillés, vivre sous des tentes et se défendre contre la brutalité des bergers locaux à leur égard, sort inhumain qui plus est en pure perte : l’armée n’ayant plus besoin de chevaux, l’escouade était oubliée et les femmes abandonnées à leur sort. Yan Geling les décrit le visage couvert de plaques dues au froid et aux intempéries, comme des blessures, vivant dans une relation particulière avec la nature et les bêtes du haut plateau, obligées de se défendre aussi bien des loups que des hommes. En même temps, comme le lui a dit son amie Chen Chong, c’est un tableau très « sexy » de ce groupe de femmes, où la sexualité affleure à l’état brut, d’un point de vue féminin, mais de manière diffuse, sans qu’il soit donné aux sentiments de s’exprimer.

 

2/ C’est l’un des récits les plus atroces de Yan Geling, celui qu’elle dit encore préférer parmi tous ceux qu’elle a écrits. Le thème reviendra très souvent dans son œuvre, comme un cauchemar récurrent. C’est le cas en particulier de la nouvelle « Le Bain céleste » (Tianyu 《天浴》), qui ne sera publiée qu’en 1996.  C’est un récit très court, écrit avec une extrême concision et une froideur presque clinique, comme si l’auteure s’efforçait de surtout ne pas laisser les sentiments affleurer [3].

 

L’histoire est celle d’une jeune fille de Chengdu âgée de quinze ans nommée Xiu Xiu (秀秀). En 1975, à la fin de la Révolution culturelle, elle est envoyée dans la prairie du haut plateau tibétain apprendre l’art de s’occuper des chevaux auprès d’un cavalier tibétain, pour qu’elle puisse ensuite prendre en charge une unité de cavalerie féminine.

 

Tianyu, rééd. 2014 天津人民出版社

 

Celle-ci n’existera cependant jamais que dans l’esprit de quelques bureaucrates : nous sommes à un an de la mort de Mao, les projets de cavalerie, comme beaucoup d’autres, sont bientôt remisés, et Xiu Xiu est abandonnée à son sort au bout du monde. Lorsqu’elle se rend compte qu’elle a peu d’espoir de rentrer chez elle, Xiu Xiu commence à s’offrir à tous les officiels du coin, dans l’espoir illusoire qu’ils vont pouvoir l’aider à regagner Chengdu ; son mentor tibétain n’ose trop intervenir pour ne pas réduire les dernières illusions de cette course à l’abîme, et ne peut que l’observer sans rien dire, étant lui-même devenu impuissant à la suite d’une blessure reçue pendant le conflit sino-tibétain. 

 

La nouvelle a été adaptée au cinéma par la grande amie de Yan Geling, Chen Chong (陈冲) [4]. Tourné dans des conditions extrêmement difficiles, avec un budget limité, le film a été acclamé à sa sortie, et en particulier sélectionné en 1999 par le festival de Berlin où il a concouru pour l’Ours d’or. Mais, tourné en zone tibétaine sans l’autorisation nécessaire, il fut interdit et coûta très cher à Chen Chong [5].

 

Tianyu a été rééditée en juillet 2014 aux éditions du Peuple de Tianjin dans un recueil comportant six autres nouvelles : La rivière à l’envers ou Daotang He 《倒淌河》/   L’acteur 《扮演者》 /   Jugement de la laideur《审丑》/   La mort du lieutenant《少尉之死》/ Le vieux prisonnier《老囚》/ Mon chien adoré Keren《爱犬颗韧》

 

3/ Entre-temps, en 1988, Yan Geling a publié à Taiwan la novella « La jeune Xiao Yu » (《少女小渔》), une histoire d’immigrants illégaux aux Etats-Unis. La nouvelle sera primée à Taiwan en 1991, et adaptée avec succès au cinéma en 1995, par Sylvia Chang (张艾嘉), sur un scénario co-écrit par Yan Geling… et Ang Lee (李安), avec l’actrice René Liu (刘若英) dans le rôle principal [6].

 

C’est une nouvelle dont le thème amorce une transition vers les thématiques de la période aux Etats-Unis, après 1989.

 

La jeune Xiaoyu, éd. 2014

 

2.       1990-2004 : nouveau cadre de vie, nouveaux thèmes

 

Les années 1990 et le début des années 2000 sont marquées par une série de nouvelles sur le thème de l’immigration aux Etats-Unis.

 

Pendant cette période, Yan Geling publie à Taiwan une série de recueils de nouvelles courtes dont « Sur l’autre rive » [Across the Sea] (海那边) en 1996 et « Le Chant du cerf-volant » (风筝歌) en 1999.

 

Across the Sea

 

Quelle famille a une fille adulte ?

 

Mais ce sont les nouvelles moyennes de cette période qui sont les plus originales, en général sur des sujets d’actualité - en particulier :

- « C’est aussi Adam et c’est aussi Eve » (《也是亚当,也是夏娃》), publiée dans le recueil « Quelle famille a une fille adulte ? » (《谁家有女初长成》) paru en 2000. Yan Geling y raconte l’histoire d’un homosexuel américain qui, désirant avoir un enfant, paie une étudiante chinoise pour ce faire, en utilisant l’insémination artificielle comme mode de procréation. Écrite à la première personne, la nouvelle pose la question : en l’absence d’un amour physique et spirituel (comme celui qui liait entre Adam et Eve), doit-on engendrer des enfants ?

- ou encore la nouvelle-titre du même recueil qui raconte l’histoire d’une femme kidnappée amenée à commettre un double meurtre. Cette nouvelle a été primée par la revue Littérature de Pékin.

 

Le Serpent blanc

 

Le chef-d’œuvre de la période est cependant une autre nouvelle moyenne : « Le Serpent blanc » (《白蛇》) [7] : Yan Geling y décrit l’histoire d’une ancienne danseuse d’une trentaine d’années incarcérée pendant la Révolution culturelle ; dans sa cellule, elle reçoit un jour la visite d’un jeune homme envoyé par le gouvernement pour prendre des renseignements sur elle, et avec lequel s’établit une relation de plus en plus intime jusqu’au moment où elle s’aperçoit que ce personnage a en fait des mains fines et délicates …

 

Il s’agit d’un habile jeu d’écriture sur le thème de la fameuse légende du serpent blanc, l’histoire étant subtilement déclinée par des témoins et narrateurs différents. Elle été initialement publiée en 1998, dans un recueil de 17 nouvelles, et souvent rééditée par la suite dans des recueils différents. En 2001, elle a été primée

lors de la 7ème édition des prix littéraires décernés par la revue Octobre (《十月》).

 

La nouvelle annonce le retour à des thématiques chinoises, à partir du départ des Etats-Unis.

 

             3.       À partir de 2004 : retour au thème des souvenirs de l’armée

 

1/ Ce retour aux sources, en quelque sorte, se traduit par diverses nouvelles moyennes, éditées pour la plupart en Chine continentale, parallèlement à une série de romans : « Fleur et le jeune homme » (花儿与少年》) publiée en 2004 aux éditions Kunlun (昆仑出版社) ; « Wuchuan est une jeune fille jaune » (吴川是一个黄女孩) parue en 2006 aux éditions Chengdu Times (成都时代出版社) ; « Pacific Tango » (太平洋探戈) publiée à Taiwan en juin 2006.

 

2/ Par ailleurs, Yan Geling revient à son inspiration première : les souvenirs de ses années passées dans l’armée, c’est-à-dire les années 1970. Le thème est décliné dans un recueil publié en avril 2005 aux presses de l’université normale du Guangxi (广西师范大学出版社) : « Le Dit de Suizi » (《穗子物语》) [8].

  

C’est un recueil de douze nouvelles reliées entre elles par le personnage de Suizi, avatar de l’auteure qui sera la

 

Le Dit de Suizi

narratrice de « Fanghua » (《芳华》) douze ans plus tard. Le recueil a été initialement publié comme un roman car les nouvelles peuvent être considérées comme les chapitres d’un récit en trois parties représentant l’enfance, l’adolescence et la jeunesse de Suizi :   

 

穗子·童年  L’enfance de Suizi

La vieille sirène《老人鱼》

La sœur aînée Liu Xi《柳腊姐》

L’actrice Zhu Yijin《角儿朱依锦》

L’ombre noire《黑影》

穗子·少女  L’adolescence de Suizi

La maladie des fleurs de poiriers《梨花疫》

La brigade des sandales《拖鞋大队》

L’histoire de Xiao Guyan《小顾艳传》

穗子·青春    La jeunesse de Suizi

Les chaussons de danse gris《灰舞鞋》

Le génie《奇才》

Le rat《耗子》

Mon chien adoré Keren《爱犬颗韧》

Le moineau blanc 《白麻雀》    

+ Je ne suis pas un esprit malin《我不是精灵》

 

Ces récits sont ce qu’il y a de plus proche de l’expérience personnelle de Yan Geling, comme elle l’explique dans la préface :

 

我做过这样的梦:我和童年的自己并存,我在画面外观察画面中童年或少年的自己,观察她的一举一动,她的一颦一笑;她或者聪慧,或者愚蠢可笑。当童年的我开始犯错误时,我在画面外干着急,想提醒她,纠正她,

Voilà le genre de rêve que j’ai fait : je coexiste avec moi-même enfant ; j’observe de l’extérieur de l’écran l’image de moi-même enfant ou adolescente qui est à l’intérieur, observe ses moindres mouvements, ses rires comme ses froncements de sourcils, la vois intelligente ou ridiculement stupide. Quand, de l’extérieur de l’écran, je me vois enfant commencer à faire des erreurs, cela me rend nerveuse, j’ai envie de la mettre en garde, la petite fille, l’aider à se corriger…

在这个小说集里,我和书中主人公穗子的关系,很像成年的我和童年、少年的我在梦中的关系。

Dans ce recueil de nouvelles, mon rapport avec le personnage principal, la jeune Suizi, est très proche de la relation qui est la mienne dans mon rêve entre mon moi adulte et mon moi enfant et adolescent. …

 

Ces nouvelles comportent un grand nombre d’histoires partiellement autobiographiques, et de personnages dont on retrouve certains, sous une forme légèrement différente, dans « Fanghua ».

 

« Les chaussons de danse gris » (《灰舞鞋》), par exemple, est l’histoire (autobiographique) du premier amour de Xiao Suizi (萧穗子) à quinze ans, alors qu’elle est membre d’une troupe artistique (文艺女兵) et qu’elle tombe amoureuse d’un commandant de 22 ans auquel elle déclare son amour dans des lettres, et qui, effrayé, la laisse tomber quand les lettres d’amour sont découvertes.  C’est arrivé à Yan Geling, et lui a valu bien des ennuis.

 

Quant à la nouvelle « Le rat » (《耗子》), c’est l’histoire de Huang Xiaomei, avatar du personnage de He Xiaoman dans « Fanghua », qui commence par la même histoire de cheveux.

  

La dernière nouvelle, « Le moineau blanc » (《白麻雀》), a pour personnage principal une jeune Tibétaine qui a été enrôlée dans une troupe de chants et de danse pour sa voix ; mais la formation qu’elle reçoit lui en fait perdre la beauté naturelle. Soumise à de fortes pressions, elle trouve consolation dans son lien affectif avec He Xiaorong (何小蓉), la cheffe de la troupe. L’histoire rappelle celle du « Serpent blanc ».

 

En décembre 2011, la nouvelle « Les chaussons de danse gris » (《灰舞鞋》) a été publiée dans un nouveau recueil de sept nouvelles, dont quatre inédites :  Un spécimen de papillon blanc《白蝶标本》/La dernière journée de Jasmine《茉莉的最后一日》/La mansarde dans la maison《屋有阁楼》/La fiancée-enfant《童养媳》.

 

4.       2019 : Non fiction

 

En août 2019, Yan Geling a publié un recueil de textes non fictionnels intitulé « La Ménagerie de Suizi » (穗子的动物园 ), avec un clin d’œil donc à son avatar,

 

La Ménagerie de Suizi

récurrente dans son œuvre. Il s’agit de vignettes sur divers animaux qu’elle a croisés dans sa vie. 

 


  

Traduction en français

Le Serpent blanc, traduit, annoté, pré- et postfacé par Brigitte Duzan, L’Asiathèque, coll. Novellas de Chine, avril 2022.

 


 

Traduction en anglais

 

White Snake and Other Stories, recueil de six nouvelles traduites par Lawrence Walker, Aunt Luke Books, 1999.

La novella « White Snake » (《白蛇》) et cinq nouvelles courtes :« Celestial Bath » (《天浴》), « Siao Yu » (《少女小渔》), « The Death of the Lieutenant » (《少尉之死》), « Red Apples » (《红苹果》) et « Nothing More than Male and Female (《无非男女》).

 


 


[2] Voir le texte chinois en ligne, en 13 chapitres et une préface : http://yangeling.zuopinj.com/885/

[4] Actrice passée derrière la caméra à cette occasion. Voir : http://www.chinesemovies.com.fr/acteurs_Chen_Chong.htm

[6] Voir : scénarios de Yan Geling et adaptations cinématographiques de ses oeuvres, chinese movies (à venir)

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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