Poète et
chanteur populaire, ami de
Han Han (韩寒),
Zhou Yunpeng est devenu aveugle à l’âge de neuf ans.
Selon une légende qu’il a contribué à diffuser, la
dernière image qu’il aurait gardée en mémoire serait
celle d’un éléphant jouant de l’harmonica avec sa trompe
vu lors d’une visite au zoo de Pékin, et c’est ce qui
aurait inspiré sa vocation. Chantant les beautés de la
nature et la misère du
Zhou Yunpeng
monde, il se fait le chantre des pauvres et des opprimés,
dénonce les injustices et les catastrophes mal gérées…
Il est aussi écrivain, et c’est l’un de ses textes –
« Le train vert » (《绿皮火车》)
- que Han Han a choisi pour ouvrir le premier numéro (qui devait
aussi être le dernier) de sa revue littéraire
Duchangtuan
(《独唱团》).
Un recueil de ses
souvenirs, traduits par
Brigitte Guilbaud, est
sorti en juin 2015 aux éditions Philippe Picquier sous le titre
« Vagabond de nuit »
[1].
La vie par la lecture
Zhou Yunpeng (周云蓬)
est né en 1970 à Shenyang (沈阳)
dans le Liaoning. Perdant peu à peu la vue à la suite d’un
glaucome, il a passé beaucoup de temps sur les routes et dans
les trains pour aller consulter des médecins, mais finalement,
il est devenu totalement aveugle à Shanghai, et il raconte que
c’est une chance pour lui d’avoir perdu la vue après avoir pu
voir les splendeurs de cette ville ; ses derniers souvenirs
visuels sont liés au ciel de Shanghai, vision nocturne aux
lumières éblouissantes.
Mais il a quand même continué ses études, en commençant par
l’école de Shenyang pour les aveugles, et en continuant au
lycée. Il a étudié très sérieusement, à corps perdu. Il a aussi
appris à faire des massages, mais il n’a pas aimé cette
activité ; devant les clients allongés, il avait l’impression
d’avoir à pétrir de la pâte pour faire du pain ; c’était en
outre épuisant, et douloureux pour le dos. Sa passion était la
lecture.
Zhou Yunpeng, l’homme en colère
A part les œuvres de Mao Zedong et des manuels de
massage, les livres en braille de la bibliothèque
étaient tous des anciens classiques, comme « Le rêve
dans le pavillon rouge », mais révisé, avec suppression
de toutes les scènes d’amour. Il lisait beaucoup, malgré
tout. L’un de ses livres préférés était le recueil
d’aphorismes « Les oiseaux de passage » (« Stray
Birds ») de
Rabindranath Tagore, qu’il connaissait tellement bien
qu’il aurait pu en réciter des passages entiers.
Il a appris la guitare à quinze ans et a commencé à écrire des
poèmes à vingt-et-un. Il est un regret lancinant qui parcourt
toutes ses écrits : tout ce qu’il a perdu en perdant la vue, et
surtout la capacité de lire librement. Alors, l’une de premières
choses qu’il a faites quand il a été suffisamment bon en guitare
pour pouvoir donner des cours a été d’en offrir contre des
séances de lecture. Et quand on lui lisait quelque chose qui lui
plaisait, il faisait stopper la lecture pour le noter en
braille.
Pour l’aveugle, dit-il, la lecture est une manière de voir la
lumière au bout d’un long tunnel. C’est d’elle que naît
l’imagination. C’est la raison pour laquelle il a participé au
projet « Bulldozer rouge » car il était destiné à promouvoir la
lecture chez les enfants aveugles.
A la fin de ses études universitaires, cependant, à l’âge de 23
ans, il a été confronté à des choix impossibles : travailler en
usine pour 150 yuan par mois, ou rester chez lui et laisser son
père lui trouver une épouse. Alors il est parti. Parti sur les
routes avec sa guitare pour viatique, en chantant ses poèmes de
ce de là, sur des musiques de sa composition. La beauté, chez
lui, est d’ordre musical.
En 2013, il a acheté une maison à sa mère à Shenyang. Sa
mère est ravie. Il a écrit dans un poème : elle a donné
le jour à un fils de l’obscurité, et il est devenu une
source lumineuse d’espoir.
Poète et chanteur populaire
Il a pendant longtemps écrit des poèmes et des chansons
de dénonciation, de protestation, de colère. Comme la
chanson « Enfants de Chine » (《中国孩子》),
écrite en 2007, et devenue la chanson symbole du
tremblement de terre du Sichuan – popularisée en anglais
sous le titre Chinese Kids :
**
Shalan est une ville du Heilongjiang qui fut inondée en 2005 ;
les enfants de l’école ne furent pas évacués à temps.
La chanson Enfants de Chine
Souvenirs d’un enfant aveugle
Il s’est calmé, depuis lors, a tempéré ses chansons, il dit
qu’on ne peut pas être en colère tout le temps, que la colère ne
nourrit pas son homme. Il écrit ses souvenirs d’enfance…
Beaucoup de ses écrits relatent les souvenirs du temps où il est
devenu aveugle. L’un de ses souvenirs récurrents est la petite
maison où vivaient ses parents, dans le quartier de Tiexi (铁西区),
celui qu’il décrit dans
« Le
train vert » et qui
correspond à cette zone « à l’ouest des rails » que Wang Bing (王兵)
a pris comme objet d’étude dans son premier documentaire-fleuve
[2].
On retrouve chez lui le sentiment que décrit aussi
Bi
Feiyu (毕飞宇)
dans son roman Tuina (《推拿》) :
le sentiment d’être différent, de ne pas partager exactement le
même univers que les voyants. Cependant, il dit aussi que son
point fort est d’écrire du point de vue unique d’un écrivain
aveugle, sans tenter de le nier ou le cacher, de même que
Shi Tiesheng atteint des profondeurs insondables
d’émotion et de sensibilité parce qu’il était handicapé.
Cependant, pour le lecteur, c’est l’écrivain qui doit primer, et
non l’aveugle ou le handicapé.
Avec son épouse Lü Yao
Il continue à écrire sur le bleu du ciel et le vert des
feuillages. Le vert surtout. Comme le train. Comme son
épouse Lü Yao (绿妖),
elle-même écrivain, qui vient de publier son premier
livre. C’est la couleur de ses rêves, dit-il, un vert
pâle et lumineux, une couleur pleine d’espoir et
d’anticipation.
[1]
Le recueil comprend « Le train vert », mais dans une
version légèrement différente.