|
Chen
Zhongshi 陈忠实
1942-2016
Présentation
par Brigitte
Duzan, 30 juin 2012, actualisé 2 avril 2023
Ecrivain prolifique, auteur d’un grand nombre de
nouvelles et textes divers, Chen Zhongshi a pourtant
tendance à être universellement connu comme l’auteur d’un
roman : « La plaine du Cerf blanc » (《白鹿原》).
Considéré comme une œuvre majeure de la littérature
chinoise contemporaine, couronné de l’un des prix
littéraires les plus prestigieux de Chine, le prix Mao
Dun, le roman a fait l’objet d’adaptations au théâtre et
à la télévision, et, récemment, au cinéma. Il a par
ailleurs été traduit en français et publié en mai 2012
aux éditions du Seuil.
Chen
Zhongshi ne se limite cependant pas à ce livre…
Un écrivain du terroir |
|
Chen Zhongshi |
Chen Zhongshi (陈忠实)
est né en juin 1942 à Xi’an, dans le Shaanxi, ou plus
exactement, mais en simplifiant, dans le village de Xijiang,
dans le district de Baqiao (西安市灞桥区西蒋村
), dans la grande banlieue est de Xi’an : un village d’une
centaine de foyers, à vingt cinq kilomètres de Xi’an, mais à un
monde de distance.
Petit instituteur,
petit fonctionnaire
Carte de Xi’an, avec Baqiao à l’est |
|
Baqiao
(灞桥),
c’est le pont sur
la Ba, l’une des rivières secondaires du Shaanxi. Région
natale de Chen Zhongshi, entre les monts Qinling au sud
et le plateau de loess au nord, c’est celle où il a vécu
toute sa vie, qui lui a inspiré l’ensemble de son œuvre
et en est le cadre.
Région
chargée d’histoire, au passé quasi mythique, elle prend
chez lui des aspects bien plus ordinaires : la vie du
paysan, qui est la même partout, mais aux détails de la
culture locale près, et c’est cela, |
finalement, qui
est le plus important ; c’est toute la richesse d’une culture
rurale vivante, exprimée dans une langue et des usages propres,
qui transparaît dans ses écrits.
Ses biographies
commencent en général à sa sortie du collège de Baqiao, en 1962.
Mais, comme pour les évangiles, il y a les récits apocryphes. Et
ceux-ci dépeignent un misérable gamin, fils d’un paysan pauvre,
cheminant à pied dans des vieilles sandales de toile usées pour
aller en classe. Son père était trop pauvre pour pouvoir payer
les frais d’études de deux enfants. C’était en outre, chose
qu’on lit entre les lignes, l’époque de la grande famine qui
suivit le Grand Bond en avant. Le cadet Chen Zhongshi a donc dû
attendre que son frère aîné soit entré à l’école normale
(gratuite) pour pouvoir continuer ses études ….
Pour le reste,
il n’y a pas grand-chose à raconter : dès la sortie du collège,
il est devenu instituteur, dans l’école même de son village, et
les années suivantes l’ont vu progresser lentement d’un
établissement scolaire à un autre, entrer au Parti en 1966 et
devenir en 1968 secrétaire adjoint de la cellule du Parti d’une
commune de la banlieue de Xi’an, à une encablure de chez lui.
Il lui a fallu
ensuite dix ans pour accéder, en 1978, au poste de directeur
adjoint de l’office culturel de la banlieue de Xi’an (西安市郊区文化馆副馆长),
et, en 1980, à celui de directeur adjoint du bureau de la
culture du district de Baqiao (西安市灞桥区文化局副局长).
En 1982, enfin, il devient écrivain professionnel, membre de la
branche du Shaanxi de l’association des écrivains de Chine, dont
il est élu vice-président en 1985.
Il a
pourtant commencé à écrire dès 1965.
L’écrivain de
Baqiao
Ses premiers
écrits sont des essais (散文) :
ce sont des sortes d’élégies rurales (les cerises sont rouges
《樱桃红了》,
sous l’amandier
《杏树下》,
chant pour accueillir le printemps
《迎春曲》)
reflétant une grande sérénité et une harmonie avec la nature qui
ne laissent pas de surprendre quand on pense qu’ils ont été
écrits au début de la Révolution culturelle ; ils suggèrent un
écrivain en dehors des péripéties de l’histoire, mais peut-être
aussi parce qu’il pouvait difficilement écrire autre chose.
Il faut attendre 1973 pour voir publiée sa première nouvelle :
« Après la relève de l’équipe » (《接班以后》).
Elles constituent dès lors la majeure partie de son œuvre,
dépeignant la vie locale et les personnages de son entourage,
comme « les frères Gao » (《高家兄弟》)
en 1974 ou « Le secrétaire de la commune » (《公社书记》)
en 1975.
Mais ce
n’est qu’avec la fin de la Révolution culturelle que se
multiplient ses nouvelles. L’une des premières à attirer
l’attention du monde littéraire sur lui s’intitule « Confiance »
(《信任》) :
elle obtient le prix de la meilleure nouvelle de l’année
1979. Il devient alors prolifique, publiant sept ou huit
nouvelles par an qui reflètent
directement son expérience personnelle, ses idées et
convictions, et leur évolution.
Il est
alors encore parfaitement convaincu que le système des
communes est le meilleur qui soit. Mais, en 1982, le
système est démantelé, et lui-même bénéficie du
programme de distribution de terres. Il exprime ses
doutes et ses inquiétudes dans une nouvelle intitulée « Petit
matin lumineux » (《霞光灿烂的早晨》),
dans laquelle un vieux paysan qui s’est occupé toute sa
vie du bétail de la commune s’en va, le cœur lourd,
alors que les paysans emmènent les bêtes chez eux.
|
|
Le sieur à la robe bleue |
L’un de ses premiers recueils |
|
Tous
ses doutes s’évanouissent cependant devant les
résultats : à l’automne est engrangée la meilleure
récolte jamais vue depuis des années. Lui-même et sa
femme, sur leur lopin personnel, récoltent vingt sacs de
blé, de quoi nourrir la famille pendant deux ans… Ses
nouvelles célèbrent le changement.
Chaque
découverte, chaque nouvelle situation suscite une
nouvelle. Ainsi en 1985, alors qu’il est en voyage
officiel en Thaïlande, il a la surprise de constater
dans un supermarché que tous les clients sont habillés
différemment ; en Chine, tout le monde arbore encore des
vêtements identiques, aux couleurs limitées au bleu,
noir et kaki. Rentré chez lui, il écrit « Le sieur à
la robe bleue » (《蓝袍先生》) :
l’histoire d’un homme issu d’une famille |
d’instituteurs
ruraux dont la longue robe bleue signalait l’appartenance à
l’élite lettrée locale ; mais il l’enlève après avoir fréquenté
une école aux idées progressistes et libérales.
La
majeure partie des nouvelles reste cependant des
peintures de la vie rurale, un témoignage personnel qui
dresse un tableau vivant de la culture locale. Le
premier recueil est publié en juillet 1982 sous le titre
de l’une des plus célèbres : « La campagne » (《乡村》).
Il commence l’année suivante à écrire des nouvelles
« moyennes » (中篇小说),
publiées en juin 1986 dans un recueil intitulé « Le
début de l’été » (《初夏》),
la nouvelle éponyme ayant reçu le prix Dangdai en 1984.
Il
écrit en même temps des réflexions sur son travail et
ses écrits, regroupées dans un recueil d’essais intitulé
« Discussions sur la création littéraire » (《创作感受谈》),
publié en 1991 ; certains forment des postfaces à ses
nouvelles et l’une, de 1990, comporte une profession de
foi qui sous-tend toute son œuvre : « seuls les vrais
sentiments peuvent émouvoir » (《惟有真情才动人》).
Ces
années 1980 sont donc une période d’intense activité, |
|
Le recueil de novellas
"Les quatre sœurs"《四妹子》(1986) |
d’autant plus
qu’il était en même temps en train de préparer le grand roman
paru en 1992 : « La plaine du Cerf blanc » (《白鹿原》),
couronné du prix Mao Dun en 1997.
La plaine
du Cerf blanc
« La
plaine du Cerf blanc » est une immense saga villageoise
couvrant un demi-siècle d’histoire de la Chine moderne,
ou plus précisément de la vallée de la Wei (渭河平原),
la rivière qui
passe à Xi’an. Il s’agit d’une immense fresque
historique vue au niveau d’un village, à travers les
hauts et les bas de deux familles, des années 1910 aux
années 1940, de la chute de la dernière dynastie
impériale à l’aube de la Chine nouvelle.
Le
roman est basé sur l’expérience personnelle de Chen
Zhongshi, comme un prolongement de ses nouvelles, et
c’est sans doute ce qui confère un caractère aussi
authentique à ses personnages ; mais il est aussi nourri
de longues recherches et de divers modèles littéraires
étrangers.
Préparation et fondement du roman
Chen
Zhongshi a expliqué qu’il a commencé à penser à
|
|
La plaine du Cerf blanc,
édition 1997 |
ce roman dès
1985. Comme il n’avait jusque là écrit que des nouvelles, et que
ses maîtres étaient Gorky, Tchekhov et Maupassant, il s’est
plongé dans la lecture de romans étrangers pour s’inspirer de
leur construction et de leur style.
Son premier
modèle fut bien sûr « Les cent ans de la solitude » de Gabriel
García Márquez
,
mais il cite aussi parmi ses influences l’écrivain cubain Alejo
Carpentier. « Les écrivains latino-américains m’ont appris
comment envisager l’histoire nationale, a-t-il expliqué. C’est
grâce à eux que j’ai réalisé combien superficielle était ma
compréhension de l’histoire de mon propre pays. »
Deux autres
auteurs étrangers l’ont aidé, aussi, à créer la tension des
passages érotiques dont abonde son texte : Moravia et D.H.
Lawrence.
Mais il s’est
surtout plongé dans les textes chinois, et d’abord des livres
d’histoires ; puis il a compulsé des recueils d’annales aux
pages jaunies d’une dizaine de districts de la région de Baqiao,
mais aussi des volumes de classiques dits « des femmes
exemplaires » (《烈女传》),
chantant les vertus de
femmes soumises, érigées en modèles. Lui est alors venue l’idée
d’un personnage principal qui serait l’exact opposé : une femme
vivant selon ses propres désirs. De là est née son héroïne Tian
Xiao’e (田小娥).
Les personnages
sont dans l’ensemble emblématiques, tirés de ses recherches sur
le terrain,
mais aussi inspirés de personnages réels, tel ce « monsieur
Zhu » (朱先生),
inspiré d’un éminent lettré local,
Niu Zhaolian (牛兆濂),
né en 1867 et mort soixante dix ans plus tard, un pacifiste dont
il avait entendu raconter beaucoup d’histoires quand il était
enfant : comment, dans les années 1920, il avait persuadé un
féroce seigneur de guerre de ne pas mettre Xi’an à feu et à
sang, ou comment, dans les années 1930, il avait emmené se
battre contre les Japonais un groupe de seniors de son âge (dans
les soixante dix ans).
Niu Zhaolian
était un néo-confucianiste, adepte de l’enseignement du penseur
du Shaanxi Zhang Zai (张载)
qui pensait que le sage est
en parfaite symbiose avec l’univers, mais que c’est la vie qui
est le fondement de la sagesse. Le personnage central de
monsieur Zhu, dans le roman, est donc le porte parole de Chen
Zhongshi, et de sa foi dans les valeurs confucéennes comme bases
de la nation chinoise, et, de ce fait, garantes du renouveau
national et de l’ordre social.
Petite
histoire dans la grande
Au pays du Cerf blanc, traduction
française |
|
L’histoire contée dans « La plaine du Cerf blanc » est
celle de deux familles, ou deux clans, d’un village, les
Bái (ou blanc白)
d’un côté, et les Lù (ou cerf
鹿)
de l’autre, si bien que le titre pourrait aussi se
traduire par : la plaine des familles Bai et Lu. C’est
une originalité, car les sagas historiques de ce genre
sont en général centrées sur une seule famille, sur
plusieurs générations, et cela donne un schéma narratif
fondé sur l’opposition et l’alternance.
Le roman
commence comme une chronique, celle des six premières
épouses de Bai
Jiaxuan (白嘉轩),
le chef du clan Bai,
un homme sérieux, vivant selon de saines valeurs
confucéennes. Son alter ego du clan Lu, Lu Zilin (鹿子霖),
est l’exact
opposé : bon vivant, noceur à ses heures, corruptible au
besoin, mais très gentil. Chacun des deux clans a
temporairement le dessus, en fonction des aléas de
l’Histoire dont ils sont les jouets plus que les
acteurs. |
La vie suit son
cours, toutes les catastrophes possibles s’abattent sur le
village, y compris le choléra (on pense à « L’amour au temps du
choléra » de Márquez) ; le village souffre et se dépeuple, les
structures claniques souffrent encore plus, mais les femmes
s’émancipent peu à peu, même si c’est dans la douleur. C’est
peut-être là le changement le plus significatif.
C’est un roman
empreint de réalisme, dégagé de la « littérature des racines »
qui prévalait au milieu des années 1980, dégagé aussi du
romantisme rural des classiques des années 1950 comme « Le chant
du drapeau rouge » (《红旗谱》)
de Liang Bin (梁斌).
Succès
Une
première esquisse (草稿)
a été rédigée en 1988, mais le roman n’a été achevé
qu’en 1992, et une première partie a été publiée à la
fin de l’année dans la revue Dangdai (当代).
Puis le roman entier est paru en juin 1993 aux éditions
Littérature du peuple (人民文学出版社).
Il a
tout de suite été salué par la critique comme l’une des
œuvres les plus importante de la littérature chinoise
contemporaine, et couronné du prix Mao Dun (茅盾文学奖)
en 1997
.
Mais il a aussi été source de controverses : les juges
du prix Mao Dun ont demandé à l’écrivain de réviser le
roman en deux endroits pour qu’il puisse être
sélectionné ; le jury trouvait en effet que le roman
donnait une image faussée de la révolution chinoise et
qu’il comportait des descriptions sexuelles trop
explicites. Ce n’est que quinze ans plus tard, en 2012,
que la version non révisée a été publiée.
Après
l’attribution du prix, le roman a ensuite été adapté
|
|
Réflexion sur la création littéraire
(à la recherche de ses propres mots) |
à la
télévision, et au théâtre en 2005, contribuant à
relancer lanotoriété de l’œuvre. Il a fait l’objet d’une
thèse en France, en 2006
.
Dès cette époque, plusieurs réalisateurs ont conçu le
projet de l’adapter au cinéma, mais c’est Wang Quan’an (王全安)
qui l’a finalement emporté et a réussi à faire passer à
son scénario les divers obstacles de la censure ; le
film, « White Deer Plain » (《白鹿原》),
a été présenté au festival de Berlin en février 2012,
mais on n’en a guère plus entendu parler depuis lors.
La traduction
du roman en français est parue en mai 2012 au Seuil, qui en a
acquis les droits mondiaux hors Chine et Japon.
Après
« La plaine du Cerf blanc »
Chen Zhongshi pratiquant la calligraphie |
|
La
carrière de Chen Zhongshi a été propulsée par ses succès
en librairie : il a été élu président de l’association
des écrivains du Shaanxi en 1993 et, en 2001,
vice-président de l’association des écrivains de Chine.
Écrivain célèbre du Shaanxi, il est souvent associé à
Jia Pingwa (贾平凹).
Mais,
après « La plaine du Cerf blanc » il n’a plus écrit que
des essais (散文
et
随笔),
des compilations de souvenirs personnels qui prennent
souvent la forme d’articles de « littérature de
reportage » (报告文学)
et des réflexions sur la création littéraire. Il faisait
de plus en plus figure de sage et affirmait n’avoir
aucune intention d’écrire un autre roman : les temps
changent, disait-il, l’écriture doit changer aussi –
« sans changement, pas de progrès » ("没有改变就没有前途"). |
Il est mort
d’un cancer de la langue le 29 avril 2016.
Principales
publications en chinois
(hors《白鹿原》)
Nouvelles
courtes
1973 :
Après la relève de
l’équipe《接班以后》
1974 : Les
frères Gao
《高家兄弟》
1975 : Le
secrétaire de la commune《公社书记》
1976 :
Intrépides《无畏》
1979 :
Confiance《信任》
1982 : La
campagne《乡村》(recueil)
1989 : Honte
《害羞》
1991 : Réfugié
derrière le peuplier blanc
《到老白杨树背后去》(recueil)
2007 : Li le treizième et la meule
《李十三推磨》(recueil
en 2009)
2015 : Chroniques de Bailuyuan
《白鹿原纪事》(recueil)
Nouvelles
moyennes
1984 : Le début
de l’été
《初夏》(recueil
en 1986)
1985 : Le sieur
à la robe bleue《蓝袍先生》
1986 : Les
quatre sœurs《四妹子》
1988 : Le
sous-sol
《地窖》
Essais
1991 :
Discussions sur la création littéraire
《创作感受谈》
2010 : Le
Guanzhong en un clin d’œil
《俯仰关中》
Traduction
en français
Au pays du cerf blanc,
trad. Shao Baoqing et Solange Cruveillé, éditions du Seuil, mai
2012, 813 p.
Traductions
en anglais
Outre ceux pour
la France, les éditions du Seuil ayant acquis les droits de
Bailuyuan à l’international
,
mais aucun accord n’ayant été conclu avec les éditeurs
intéressés pour une traduction en anglais, seules quatre
nouvelles ont été traduites en anglais :
-
The Commune Secretary, Chinese
Literature 3 (Mar. 1976), pp. 18-57.
-
The Undaunted, Chinese
Literature 9 (Sept. 1976), pp. 17-54.
-
The Luos at Loggerheads,
Chinese Literature 8 (Aug. 1980), pp. 90-98.
Autre traduction de la même nouvelle : “Trust”, in
Mao’s Harvest: Voices from China’s New Generation,
Helen Siu and Zelda Stern eds, Oxford University Press, 1983,
pp. 146-56.
-
A Tale of Li Shisan and the Millstone, tr. Nan Jianchong, in
Old Land, New Tales: Twenty Short Stories of the Shaanxi Region
in China, Chen Zhongshi and Jia Pingwa eds., Amazon
Crossing, 2014, pp. 21-40.
A lire en
complément
Bailuyuan
(analyse en préparation)
Le roman
« Au pays du cerf blanc » adapté en
lianhuanhua par Li Zhiwu
Le roman a inspiré l’ensemble des écrivains chinois au
début des années 1980, après l’obtention du prix Nobel
par l’écrivain colombien en 1982 qui lança une vague de
traductions et publications.
|
|