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Le magazine de Ou
Ning a vécu… Requiem pour Chutzpah !
par
Brigitte Duzan, 08 mars 2014
Décidément, les magazines littéraires ne font pas de
vieux os, en Chine.
Chutzpah ! Tian Nan《天南》avait
pourtant suscité beaucoup d’espoirs quand il avait vu le
jour en 2011, dans la foulée d’une série de lancements
qui semblaient vouloir faire bouger le secteur et
avaient semblé, à l’époque, comme une
petite révolution dans les
magazines littéraires chinois.
Mais tous ces titres ont très tôt disparu, de celui de
Han Han,
Duchangtuan (《独唱团》),
sorti en juillet 2010 et disparu avant même le deuxième
numéro, à celui d’Annie Baobei,
Da Fang
(《大方》),
lancé le 1er mars 2011, et sabordé en
novembre après deux numéros.
Chutzpah !
aura duré bien plus longtemps puisqu’il en était à son
seizième numéro, soit près de quatre années |
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L’ultime numéro 16 |
d’existence (1). Mais
Ou Ning a annoncé la nouvelle
le 20 février sur son compte weibo (2) : la maison mère,
Modern Media, refusait de continuer à soutenir le magazine.
Raisons économiques donc : le journal coûtait trop cher, environ
500 000 RMB par numéro, soit plus de 80 000 dollars, et il
n’avait pas beaucoup d’encarts publicitaires. On avait pressenti
des problèmes quand le magazine était il y a peu passé de
bimensuel à trimestriel, pour tenter, justement, de maîtriser
les pertes. Mais le groupe Modern Media était lui-même dans une
situation financière difficile, entraînant des alertes sur les
bénéfices ces derniers temps, et donc obligé d’élaguer les
branches malades.
Chutzpah !
se voulait cosmopolite, avec pour objectif premier d’introduire
des auteurs du monde entier auprès des lecteurs chinois, mais
aussi de faire découvrir de jeunes écrivains chinois, ou des
moins jeunes n’ayant pas eu l’attention qu’ils méritaient. Non
seulement les textes des auteurs étrangers étaient traduits en
chinois, mais, pour promouvoir les auteurs chinois après du
public anglophone, beaucoup de leurs textes publiés dans le
magazine étaient traduits en anglais, et les traductions
encartées au milieu de chaque numéro dans un "magazine dans le
magazine" intitulé Peregrine. Chutzpah !avait donc un
contenu presque entièrement constitué de traductions. Et cela
coûte cher.
Il y avait en outre un certain illogisme dans cette double
orientation, vers un double public : le magazine n’était
distribué qu’en Chine, et assez confidentiellement d’ailleurs.
Ce n’est que récemment que la distribution à l’étranger avait
été envisagée, justifiant ainsi les traductions en anglais des
principaux textes chinois. On aurait donc pu réduire les coûts
au départ en concevant un projet en deux étapes, les traductions
en anglais ne débutant qu’une fois la distribution à l’étranger
assurée, voire en permettant, dans une étape intermédiaire,
l’achat en ligne d’une version numérisée comportant les
traductions.
On ne peut que regretter que disparaisse un magazine qui, en si
peu de temps, aura contribué à faire connaître autant d’auteurs
qui seraient encore longtemps restés dans l’ombre. Pour notre
part, nous avons ainsi découvert
Wong Bik-wan (黄碧云),
Lu Nei
(路内),
Lu Min (鲁敏),
Zhu Yue (朱岳)
et d’autres encore dont il reste encore à creuser les écrits. Ou
Ning faisait un travail de recherche et prospection
particulièrement appréciable.
Nous nous joignons donc à tous ceux qui attendaient avec
impatience les nouveaux numéros de
Chutzpah !,
en espérant que ce n’est pas un arrêt définitif, et que le
phénix renaîtra de ses flammes.
Notes
(1) Le numéro 16, consacré à la « Diamond Generation », celle
née en 1989 ou après–douze jeunes auteurs chinoisà découvrir
(entre autres) :
http://www.chutzpahmagazine.com.cn/CnNewDetails.aspx?id=375
(2) L’annonce sur weibo :
http://www.weibo.com/1652601023/Axqpw8kxg
A lire en complément
L’interview de Lee Yew Leong, qui a participé par deux fois à
l’aventure du magazine :
http://www.asymptotejournal.com/blog/2014/03/03/on-the-end-of-chutzpah/
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