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Zhu Yue
朱岳
Présentation
par Brigitte Duzan, 18 septembre 2012, actualisé
13 décembre 2016
Si Zhu Yue (朱岳)
est encore peu connu dans son propre pays, il est
totalement méconnu hors de Chine. Il n’a encore écrit
que des nouvelles et des textes philosophiques, mais on
voit émerger une plume très originale.
Deux
recueils de nouvelles
Né en 1977 à
Pékin, Zhu Yue (朱岳)
indique cependant sur
l’un de ses blogs (1) qu’il est
d’une famille originaire de la ville
d’ Ulaan Chab, ou
Wulanchabu (乌兰察布),
en Mongolie intérieure. Il a fait des études de droit et
a d’abord été avocat avant de devenir rédacteur.
Il a commencé à
écrire des nouvelles en 2004, à l’âge de 27 ans, et a
publié son premier recueil deux ans plus tard, en
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Zhu Yue |
décembre 2006 : « Le
voyageur à la vision trouble » (《蒙着眼睛的旅行者》).
Il
a ensuite fait paraître des nouvelles dans la revue "La
littérature du peuple" (《人民文学》), avant de publier un second recueil en avril 2011 :
vint huit nouvelles regroupées sous le titre de la douzième, « Les
maîtres du sommeil » (《睡觉大师》),
en reprenant une dizaine de textes du premier volume.
Un style très personnel
Les nouvelles du premier recueil
sont des textes
relativement courts, dans un style qui rappelle Borges.
C’est d’ailleurs ainsi que Zhu Yue a été initialement
promu par son éditeur : le « Borges chinois ! » (“中国的博尔赫斯!”).
Au grand dam de l’auteur lui-même.
Goût pour
l’étrange
Il est vrai que
ses nouvelles ont, pour la plupart, un côté surréaliste,
voire absurde (on a évidemment aussi cité Kafka). Elles
se passent souvent dans des contrées étranges, aux
confins du monde connu ; elles pourraient être des
traductions de textes anciens, exotiques, voire
sibyllins.
Mais Zhu Yue
est surtout caractérisé par une imagination fantastique.
L’une de ses nouvelles, par exemple, « Le solvant
universel » (《万能溶剂》),
raconte l’histoire d’un savant qui rappelle un peu le
docteur Folamour : il travaille |
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Le voyageur à la vision trouble
(avec le bandeau : le Borges chinois !) |
sur la recherche d’un
solvant miracle, le solvant qui
parviendrait à
dissoudre n’importe quelle matière ; son principal problème,
cependant, n’est pas le solvant lui-même, mais d’abord, dans ses
conditions, la manière de le conserver – dans quoi mettre un
produit qui dissout tout ?
Humour sombre
On voit tout de suite
ici la seconde caractéristique de Zhu Yue : son goût pour
l’étrange est doublé
d’une bonne dose d’humour, qui vient
désamorcer l’étrange. On est finalement plus près de Peter
Sellers que de Borges. C’est souvent un humour noir qui donne à
toute chose un caractère dérisoire.
Zhu Yue, enfin, est
capable de pasticher toutes sortes de styles et de genres et
d’en donner une version désopilante :
- tragique existentiel
: « Ma pauvre petite amie » (《我可怜的女朋友》),
brève évocation d’une jeune fille malade que l’on a dû amputer
de dix doigts ;
-
récit d’arts martiaux : le diptyque
« L’art du tir de
Koyata » (《小弥太的枪术》)
et « Le jeune Isemori » (《敬香哀势守》) ;
- conte philosophique : « Le cadeau de Niweilan » (《尼维兰的献礼》),
paraphrase détournée du conte traditionnel d’un roi qui
hésite entre ses trois fils au moment de choisir un
héritier au trône et leur demande de lui rapporter un
cadeau pour fixer son choix (3) ;
- biographie historique : « Les maîtres du sommeil » (《睡觉大师》),
vies imaginaires, dans un futur raconté au présent, de
sept personnages du 21ème siècle qui ont pour
caractéristique commune leur intérêt pour les
« techniques du sommeil » ;
- souvenirs personnels : « Trilogie du souvenir » (《记忆三部曲》).
Pensée
philosophique
Il a aussi abordé un style plus réaliste, dans des
nouvelles |
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Les maîtres du sommeil |
comme
« Le lieu de travail » (《工作场》),
mais ce n’est sans doute pas le meilleur de sa prose. On préfère
quand il s’évade du réel, et c’est cela qui est vraiment sa
marque essentielle (“逃离现实”),
non la référence limitative à Borges, bien que ce soit ainsi, il
est vrai, que Vargas Llosa caractérisait l’œuvre de son confrère
argentin.
Mais
Zhu Yue
est aussi un passionné de philosophie ; certains de ses textes
philosophiques, regroupés sous le titre « Notes philosophiques
au fil de la pensée » (“哲学随想录”),
ont été publiés dans l’ouvrage collectif « Analyses
philosophiques, année 2010 » (《多元
2010分析哲学卷》).
Toutes
ses nouvelles sont donc imprégnées de pensée philosophique ;
cela leur confère plus de profondeur, et, en même temps, donne
parfois un sens à la fuite du réel…
Un début de notoriété
En janvier 2012, est sorti un nouveau recueil contenant
quatre des ses nouvelles, intitulé tout simplement
« Quatre nouvelles de Zhu Yue » (《朱岳小说四篇》),
ce qui montre bien que son nom commence à être connu.
L’auteur y a regroupé quatre textes qui ont des
caractères communs et forment à ses yeux un tout : ils
sont situés dans le monde japonais, avec des références
à l’univers des samouraïs et des arts martiaux, mais ont
pour thème principal le renoncement (“放弃”).
Au départ, a
expliqué Zhu Yue, il
avait conçu les quatre personnages principaux comme des
figures mythologiques : le ciel (天),
le dragon (龙),
Ashura (阿修罗)
et Yaksha (夜叉)
(2). Mais, comme c’était un peu tiré par les cheveux, il
a affaibli la connotation mythologique en mettant
l’accent sur le thème du renoncement qui est devenu le
fil conducteur des récits : chacun des personnages a une
certaine force, |
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Quatre nouvelles de Zhu Yue |
un certain pouvoir, et
ne peut trouver sa voie qu’en y renonçant.
Les deux premières
nouvelles de ce nouveau recueil figuraient déjà dans
« Les maîtres du
sommeil » : « L’art du tir de Koyata » (《小弥太的枪术》)
et « Le jeune Isemori » (《敬香哀势守》).
Les deux autres ont d’abord été publiées dans "La littérature du
peuple", en février 2010 :
« Préparation au combat » (《对阵》)
et « Au bord de la mer » (《在海边》).
On voit une œuvre
mûrir et prendre forme peu à peu…
Notes
(1)
Blog intitulé « Entrepôt n°2 » (《仓库2号》)
qui contient quelques textes, mais dont la dernière
actualisation remonte à fin mai 2009 :
http://blog.163.com/zhuyuelawyer2003@126/
(2)
Les Ashura (Axiuluo en chinois)
ont une importance
particulière dans la mythologie japonaise où ils représentent
les âmes tourmentées des morts qui ont été emportés par leurs
désirs ou leurs passions, les guerriers morts au combat en
particulier ; ils sont pour cela condamnés à revenir sur terre
hanter les lieux où ils ont trouvé la mort. Leur roi, Ashura-ô,
est une figure tragique du théâtre kabuki.
Dans la mythologie
hindoue, jaïne et bouddhiste, les Yaksha sont des esprits de la
nature gardiens des trésors naturels de la terre. Ils peuvent
être masculins ou féminins, et prendre diverses formes.
(3) Nouvelle qui se
termine non par la victoire du meilleur, mais en chaos
apocalyptique : elle a été traduite en anglais et publiée sur un
nouveau blog de
traductions de nouvelles chinoises. C’est, sauf erreur, la seule
nouvelle de l’auteur qui ait été traduite à l’heure actuelle.
A lire en complément :
Le
cadeau de Niweilan 《尼维兰的献礼
》
- le texte chinois :
http://www.tianyabook.com/xiandai/shitiesheng/sanjuanben/1/023.htm
- la traduction en
anglais (« Nivellan’s Gift ») :
http://www.spittingdog.net/2012/08/25/nivellans-gift-zhu-yue/
The Death of Zernik
《泽尔尼克之死》,
tr. Dave Haysom
Publié dans la série
Read Paper Republic en juillet 2015
https://paper-republic.org/pubs/read/the-death-of-zernik/
A lire et écouter :
« Ma
pauvre petite amie » (《我可怜的女朋友》)
- le texte chinois :
première nouvelle sur les deux numérisées du recueil « Les
maîtres du sommeil » (p. 1 à 3)
http://www.amazon.cn/gp/reader/B004XAA0C6/ref=sib_dp_pt#reader-link
- l’enregistrement sur
tudou (7’31) :
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