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				Lu 
				Min 
				魯敏 
				
				
				Présentation 
				
				par 
				Brigitte Duzan, 28 avril 2014, 
				actualisé 29 janvier 2024 
				
				
				   
				
				 
				
					
						| 
						 
						Lu Min fait partie de 
						cette génération d’écrivains chinois nés dans les années 
						1970 que l’on a redécouverts après avoir porté au 
						pinacle la génération des jeunes nés dans les années 
						1980 : cette « génération 
						intermédiaire » (“中间代”)
						
						qui représente 
						aujourd’hui le meilleur de la littérature chinoise. 
						
						  
						
						Lu Min est aujourd’hui l’une des 
						meilleurs romancières chinoises, bardée de prix 
						littéraires  
						
						
						
						, 
						et choisie en 2012 à la fois par le magazine Littérature 
						du peuple en Chine continentale et par la revue Unitas à 
						Taiwan pour figurer dans leurs listes respectives des 
						vingt écrivains de langue chinoise de moins de quarante 
						ans les plus prometteurs du moment. Dans la liste 
						d’Unitas, elle arrivait même en cinquième position 
						derrière quatre écrivains taiwanais…. 
						
						Elle est aujourd’hui vice-présidente de l’association 
						des écrivains du Jiangsu.  | 
						  | 
						
						 
						
						  
						
						Lu Min  | 
					 
				 
				
				  
				
				Pourtant, comme une grande 
				partie des écrivains de cette génération, elle n’a pas fait au 
				départ d’études universitaires. Mais c’est cela, justement, qui 
				lui a donné une expérience originale, fondée sur une 
				connaissance approfondie des franges modestes de la société. 
				  
				
				Enfant du Jiangsu douée 
				pour les maths 
				
				  
				
				Lu Min est née en 1973 à 
				Dongtai, dans le Jiangsu (江苏东台), 
				où elle a passé son enfance. 
				
				  
				
				
				Postière à dix-huit ans 
				
				  
				
				Ses études peuvent se résumer à trois dates : à l’âge de onze 
				ans, elle entre au collège ; trois ans plus tard, en 1987, elle 
				est admise à l’école de la Poste du Jiangsu, à Yancheng (盐城), 
				la ville dont dépend Dongtai. Elle en sort en 1991, et commence 
				aussitôt à travailler, à la Poste de Nankin. Entre temps, son 
				père est mort, en 1989. 
				
				  
				
				Elle était douée en maths et en 
				physique, et n’aurait jamais pensé devenir écrivain. Cependant, 
				si son père travaillait dans une usine, sa mère enseignait le 
				chinois. Elle dut d’ailleurs élever seule ses deux filles à la 
				mort de son mari. Elle rapportait régulièrement des magazines 
				littéraires de l’école, surtout des journaux pour enfants comme 
				« Littérature enfantine » (《儿童文学》) 
				ou « Lettres et arts de la jeunesse » (《少年文艺》), 
				mais aussi, se souvient Lu Min 
				
				
				, 
				des revues comme « Littérature étrangère » (《外国文学》).
				 
				
				  
				
				Lu Min a ainsi développé chez elle, grâce à sa mère, l’amour de 
				la lecture et de la littérature, mais sans en être très 
				consciente. Elle est passée par toutes sortes d’emplois 
				successifs, après la Poste, vendeuse, employée de bureau, 
				secrétaire, pigiste, et aurait pu continuer ainsi toute sa vie. 
				Si elle a commencé à écrire, en 1998, c’est après une sorte 
				d’illumination soudaine qui a changé le cours de son existence. 
				
				  
				
				
				Eveil d’un écrivain 
				
				  
				
				Selon une anecdote, elle aurait 
				déjà eu un premier sursaut en 1993, alors qu’elle travaillait à 
				Nankin, au bureau de poste de Xinjiekou (新街口). 
				C’était en avril : elle vit l’écrivain
				
				Su 
				Tong (苏童) 
				venir lui acheter des timbres. Elle lui racontera dix-huit ans 
				plus tard, alors qu’il était venu soutenir le lancement d’un de 
				ses livres, qu’elle avait eu l’envie soudaine, quand il était 
				parti, de démissionner immédiatement et de se mettre à écrire. 
				
				  
				
				Mais ce n’est que cinq ans plus 
				tard qu’elle l’envisagera vraiment. Un soir d’été de 1998, alors 
				qu’elle avait passé la journée à travailler et qu’elle était 
				fatiguée, elle se leva pour se détendre un peu, et, s’approchant 
				de la fenêtre, regarda un instant la foule bigarrée des passants 
				dans la rue. Elle eut alors la vision nette de milliers 
				d’existences anonymes, comme la sienne, avec leurs joies et 
				leurs peines, leurs rêves aussi, qui sans doute ne se 
				réaliseraient jamais et auxquels personne ne s’intéressait. 
				
				  
				
				Elle se dit alors qu’elle 
				allait se consacrer à écrire ces vies, décrire ces existences. 
				Et elle le fit… 
				
				  
				
				De la campagne à la ville 
				
				  
				
				Premiers succès 
				
				  
				
				Elle commença vite une première 
				nouvelle : « A la recherche de Li Mai » (《寻找李麦》). 
				Elle était enceinte, et, chaque jour, devant son ordinateur, 
				avait l’impression de déverser ce qu’elle avait sur le cœur. La 
				nouvelle une fois terminée, elle l’envoya à un magazine 
				littéraire de Tianjin, le Mensuel de la fiction   (天津的《小说家》杂志), 
				qui la publia peu de temps plus tard, en février 2001. 
				 
				
				  
				
				Dès la publication de la 
				nouvelle, Lu Min fut contactée par le magazine Octobre (《十月》) 
				auquel elle envoya deux autres nouvelles, « Le 
				pardon » (《宽恕》) 
				et « Sous une brise glacée » (《冷风拂面》), 
				qui furent publiées par le magazine en juin 2001. La 
				carrière de Lu Min était lancée. 
				
				  
				
				Elle analyse elle-même ainsi ses débuts littéraires : 
				
				  
				
				“一个人与一种职业、一种爱好,与婚姻啊、长相啊、性格啊什么的一样,都属于命运之一种,是偶然性与必然性的双重结果。 
				Pour chaque individu, 
				il en est de son activité professionnelle et de ses hobbies 
				comme de son mariage, de son physique ou de son caractère, c’est 
				la marque du destin, le fruit à la fois du hasard et de la 
				nécessité.
				
				 
				
				  
				
				Selon elle, cependant, les 
				facteurs les plus importants qui ont influé sur sa carrière 
				littéraire, au départ, sont à rechercher dans l’attention et le 
				soutien que lui a apportés la profession, rédacteurs, critiques 
				et écrivains. Elle fait un peu figure d’enfant prodigue 
				accueillie dans le bercail et fêtée par la famille. 
				
				  
				
				La ville d’un côté…. 
				
				  
				
				Quinze ans après, Lu Min a fait 
				son chemin. Une demi-douzaine de romans et une dizaine de 
				recueils de nouvelles plus tard, elle a défini un univers bien à 
				elle, partagé entre ville et campagne, Nankin et Dongtai. 
				 
				
				  
				
				Nankin, 
				d’abord, où elle vit toujours, représente sa ville d’élection : 
				
				“从外地出差回来,在飞机上看到南京的报纸,感觉就开始好起来。对我来说,南京永远是世界上最亲切的地方。” 
				
				« Chaque fois que je reviens de voyage, et que je vois le 
				journal de Nankin à l’aéroport, je commence tout de suite à me 
				sentir beaucoup mieux ; Nankin a toujours été l’endroit qui 
				m’est le plus cher au monde. » 
				
				  
				
					
						| 
						 
						Nankin, c’est son adolescence. Son père travaillait à 
						l’usine 720, il est mort à l’âge de 44 ans, Lu Min en 
						avait seize. Elle n’a pas que des souvenirs heureux. La 
						ville qu’elle décrit est ainsi : un monde où chacun fait 
						front en continuant à vivre, où les difficultés 
						n’affleurent guère à la surface du quotidien, mais où un 
						sens profond apparaît si l’on veut bien creuser un peu. 
						
						  
						
						Ce qu’elle cherche, derrière la façade, ce sont les 
						maladies « honteuses » de chacun, c’est d’ailleurs ainsi 
						qu’elle a intitulé l’une de ses nouvelles (《暗疾》) : 
						les manies, les phobies, les vertiges, les angoisses, 
						nés de rêves irréalisables et de dilemmes insolubles. 
						Son univers est celui de la Comédie humaine vue au ras 
						du sol. 
						
						  
						
						“在城市里,大家看起来都很光鲜,荷包在鼓,…
						
						
						但很多人的内心却是紧张的,有种不确定感。我特别想寻找人生中的‘暗疾’” 
						
						« En ville, tout le monde a l’air frais et pimpant, 
						occupé à se remplir les poches, … mais beaucoup de gens, 
						en fait, ont un sentiment d’insécurité et sont 
						angoissés. Ce que je recherche, ce sont ces "maladies 
						honteuses" dans la vie de chacun. »  
						
						  
						
						La vie peut être vraiment dure, quand les campagnes 
						politiques s’en mêlent, comme dans le roman publié en 
						octobre 2010, « Un amour resté sans objet » (《此情无法投递》). 
						En 1987, le jeune étudiant Dan Qing (丹青) 
						rencontre la jolie Si Jia (斯佳) 
						à une soirée d’anniversaire. Ils tombent amoureux, mais 
						Dan Qing est, peu de temps après, jugé pour 
						« hooliganisme » et condamné à mort. Le roman conte les 
						vingt-deux années suivantes de la vie de Si Jia, aliénée 
						mentale et sociale. 
						« Un amour d’un moment, une souffrance de toute une 
						vie ».  | 
						  | 
						
						 
						
						  
						
						Un amour resté sans objet 
						  
						
						  
						
						Ivre de papier  | 
					 
				 
				
				  
				
				
				…. et la campagne de l’autre 
				
				  
				
				Mais il y a l’autre versant de l’univers littéraire de Lu Min : 
				la campagne, mais une campagne qui tient autant de l’imaginaire 
				que de la réalité, une sorte d’utopie rurale qui, sous sa plume, 
				s’appelle Dongba (“东坝”) 
				et plonge bien sûr dans ses racines, celles de son enfance et de 
				sa famille, à Dongtai. Elle y revient tous les ans, pour la fête 
				du Printemps, revoit ses voisins, sa vieille école, les lieux 
				familiers, et les fait vivre dans ses nouvelles et romans.
				 
				
				  
				
					
						| 
						 
						
						  
						
						Chant d’adieu  | 
						  | 
						
						 
						Elle alterne ainsi les nouvelles urbaines et ces 
						« nouvelles du terroir » (“乡土小说”) 
						qui rappellent celles de  Shen Congwen (沈从文)  
						et Wang Zengqi (汪曾祺), 
						comme si Dongba, par son calme et une sorte de pureté 
						originelle, lui permettait de se ressourcer. Les 
						nouvelles "moyennes" (中篇小说), 
						comme « Sans mauvaises pensées » (《思无邪》), 
						« Ivre de papier » (《纸醉》), 
						« Note de l’hirondelle » (《燕子笺》) 
						ou « Chant d’adieu » (《离歌》), 
						ont ainsi Dongba pour cadre.  
						
						  
						
						« Chant d’adieu » est un cas intéressant, puisque la 
						nouvelle conte une histoire très simple qui a pour fil 
						directeur les rites funéraires de Dongba. Quant à la 
						première, « Sans mauvaises pensées », elle a obtenu en 
						2007 le prix des jeunes écrivains. C’est l’une des 
						nombreuses nouvelles de Lu Min à avoir été primée.  | 
					 
				 
				
				  
				
				
				2010 : année charnière 
				
				  
				
					
						| 
						 
						La plus connue des nouvelles de Lu Min est sans doute « Accompagner 
						les banquets en musique » (《伴宴》), 
						à laquelle a été décerné le prix Lu Xun de la nouvelle, 
						lors de la cinquième édition de ce prix littéraire, en 
						2010. La nouvelle est centrée sur deux personnages : 
						l’un est musicien, chef d’un ensemble qui se produit 
						dans les banquets pour gagner sa croûte ; l’autre est au 
						contraire une artiste idéaliste qui refuse les 
						compromis…  
						
						  
						
						L’obtention de ce prix a été déterminante pour Lu Min ; 
						elle est désormais considérée comme l’une des jeunes 
						femmes écrivains les plus prometteuses de Chine. 
						 
						
						  
						
						Elle a continué à 
						publier des recueils de nouvelles, mais le roman publié 
						en juin 2012, « Dîner pour six » (《六人晚餐》), 
						se détache du lot. Elle a mis trois ans à l’écrire. Dans 
						une zone industrielle à l’air totalement pollué d’une 
						grande ville chinoise, tous les samedis soirs, six 
						personnages   | 
						  | 
						
						 
						
						  
						
						Accompagner le banquet en musique  | 
					 
				 
				
				se 
				retrouvent pour partager leur dîner, six êtres obsédés par leurs 
				rêves de progrès et limités par leurs défauts mêmes, certains 
				cultivant le souvenir d’amours tout aussi illusoires.   
				  
				
					
						| 
						 
						
						  
						
						Dîner pour six 
						   | 
						  | 
						
						 
						Ce qui fait 
						l’originalité du livre est la façon dont il est 
						structuré : comme une histoire éclatée, contée en sauts 
						et flashes-back à partir de l’explosion d’une vieille 
						usine chimique. Il est divisé en six chapitres qui 
						expriment le point de vue de l’un des personnages 
						principaux. C’est l’histoire satirique des classes 
						sacrifiées du monde moderne, les petites gens qui 
						peinent sans plus d’espoir de s’en sortir dans une 
						société entièrement tournée vers la réussite. 
						 
						
						  
						
						Dans « Dîner pour six », Lu Min 
						traduit dans la forme l’éclatement de la société 
						moderne, de plus en plus stratifiée, où le « progrès » 
						n’a de sens que pour une mince frange au sommet. Publié 
						dans le troisième numéro de 2012 de la revue Littérature 
						du peuple, le roman a suscité commentaires et critiques 
						élogieux.  | 
					 
				 
				
				  
				
				Lu Min a ensuite beaucoup 
				publié :  
				
					
						| 
						 
						- un recueil de 
						nouvelles en septembre 2012, « Mon père sur le mur » 
						(《墙上的父亲》), 
						qui reprend de nombreuses nouvelles antérieures ; 
						
						- en 
						janvier 
						2013, « Les abîmes du souvenir » (《回忆的深渊》) : 
						un recueil de textes, incluant des nouvelles, qui 
						constituent comme une carte de visite de l’auteur à 
						quarante ans ;  
						
						-  puis 
						un autre 
						recueil en mars 2013, « Neuf sortes d’afflictions 
						» (《九种忧伤》), 
						regroupant huit récits pour dépeindre les différentes 
						causes de désillusions dans la vie urbaine 
						d’aujourd’hui, 
						avec son cortège de problèmes psychologiques et de 
						maladies insidieuses, inexplicables et inavouables,
						
						
						et un neuvième récit qui reste à conter, c’est celui du 
						lecteur…  
						  
						
						2017 est à nouveau une année fertile. Elle publie deux 
						recueils de nouvelles représentatives des dix années 
						précédentes : «  Les sœurs dans le miroir » (《镜中姐妹》) 
						paru en octobre 
						
						
						 
						et  « Les vertus méridiennes »
						  | 
						  | 
						
						 
						
						  
						
						Mon père sur le mur  | 
					 
				 
				
				
				(《正午的美德》) 
						paru en décembre. 
				Par ailleurs, publiée dans la revue Littérature de Shanghai 
				en janvier 2017, « La nuée ardente » (《火烧云》) 
				a obtenu en mai 2018 le prix Feng Mu (第五届冯牧文学奖) 
				et en décembre 2019 le prix Wang Zengqi (汪曾祺文学奖). 
				En même temps, la nouvelle « Discussion de nuit sur les 
				hormones » (《荷尔蒙夜谈》) 
				a obtenu le prix Dongwu lors de la première édition de ce prix (首届东吴文学奖). 
				  
				
				  
					
						
							
						
						 
						Les abîmes du souveni  | 
							  | 
							
							 
							
							  
							
							Les vertus méridiennes  | 
						 
					 
				  
				
				
				À la fin des 
				années 2010, Lu Min s’affirmait ainsi comme une auteure parvenue 
				à maturité, ayant défini des thèmes fondamentaux dans ses 
				récits, et passée à une réflexion affinée sur la vie en milieu 
				urbain, de plus en plus loin de la campagne. En même temps, à 
				côté des nouvelles courtes, les nouvelles « moyennes » ou 
				novellas (zhongpian 
				xiaoshuo 
				
				中篇小说), 
				occupent une place privilégiée dans son œuvre et manifestent le 
				souci d’une constante recherche formelle.  
				
				  
				
					
						| 
						 
						
						  
						
						Le moissonneur de rêves   | 
						  | 
						
						 
						En novembre 2020, elle publie encore un recueil de dix 
						nouvelles qui fait parler de lui : « Le 
						moissonneur de rêves » 
						(《梦境收割者》). 
						En dépit du titre, il s’agit d’histoires de la vie 
						réelle, quotidienne. Elle dit : on préfère souvent 
						écrire des histoires du passé, mais il faut s’attacher à 
						écrire ce qui se passe aujourd’hui, au présent, 
						calmement. Il n’y a en fait qu’une nouvelle dans le 
						recueil qui a trait au rêve, c’est « Le rêve, manne 
						fertile » (《有梦乃肥》), 
						et c’est  un rêve qu’elle-même a fait : elle était 
						mordue par une sangsue et elle avait lu la même histoire 
						le lendemain dans un livre, comme si le rêve s’était 
						matérialisé. Dans son histoire, un homme est doté d’un 
						pouvoir magique : les rêves qu’il fait dans la nuit se 
						réalisent le jour suivant, et il peut transmettre cela 
						aux gens qu’il rencontre. Alors les gens le traitent 
						comme un dieu, le prennent pour un sorcier et viennent 
						lui demander des divinations. Il se demande dès lors 
						s’il peut en faire un business… Ce devait être le titre 
						du recueil, puis Lu Min l’a changé pour « Le moissonneur
						  | 
					 
				 
				
				de rêves » : ce que l’écrivain récolte, ce n’est pas 
				du blé ou autre céréale, mais la nature humaine, la destinée - 
				non le rêve, mais la vie. 
				
				  
				
				  
				
				Années 2020 : maturation 
				d’une œuvre  
				
				  
				
				La plupart de ses recueils sont 
				composés à la fois de nouvelles courtes et de novellas, avec une 
				frontière souvent ténue entre les deux. Si l’art et les thèmes 
				narratifs se recoupent, avec une prévalence croissante des 
				thèmes urbains, les recherches sur la forme concernent plus 
				particulièrement les novellas (中篇小说).
				 
				
				  
				
				Une écriture en pleine 
				évolution : des novellas… 
				
				  
				
				Si on les lit attentivement, 
				les novellas reflètent l’évolution thématique et stylistique de 
				l’œuvre de Lu Min. Il suffit d’en donner quelques exemples 
				représentatifs. 
				
				  
				
				1/ Deux novellas dont 
				l’écriture remonte aux années 2000 et que Lu Min considère comme 
				relevant d’une écriture « classique » (古典色彩的) représentent 
				une première période : 
				
				- « Ivre de papier » (《纸醉》) 
				est l’histoire d’une jeune fille muette qui, dans un village, 
				est une spécialiste de papiers découpés ; 
				
				- « La 
				bienveillance du mort » 
				(《逝者的恩泽》) 
				relate l’étonnante histoire de deux femmes, l’une la veuve du 
				défunt et l’autre une femme dont elle n’avait jamais entendu 
				parler, avec laquelle le défunt a vécu dix ans alors qu’il était 
				au Xinjiang et dont elle a eu un fils ; arrivée sans crier gare 
				auprès de la veuve, après la première surprise, elle est 
				finalement acceptée, et les deux femmes reconstruisent un foyer, 
				avec leurs enfants respectifs, autour du souvenir du disparu…
				 
				
				  
				
				Ce sont deux récits pleins de 
				chaleur et d’émotion, dans un style narratif relevant de la 
				tradition, le second ayant presque valeur de fable immémoriale, 
				ou d’heureuse utopie. 
				
				  
				
					
						| 
						 
						2/ On trouve ensuite 
						des récits plus « réalistes », dans un style plus froid, 
						dans lesquels Lu Min s’attache à dépeindre l’esprit 
						d’une époque, celle des trente années 1960 à 1990 : 
						
						-  « Le viseur » 
						(《取景器》) 
						est une évocation des relations hommes/femmes dans les 
						années 1960-1970, à travers l’histoire d’un photographe. 
						C’est une narration écrite par un « je » masculin. 
						
						- « Le père sur le 
						mur » (《墙上的父亲》) 
						dépeint le poids de l’absence du père pour sa fille, 
						dans le contexte des années 1970-1980 mais sans que ce 
						soit expressément précisé. Il s’agit en l’occurrence 
						d’un père mort très jeune, d’un accident de la route, et 
						retrouvé avec deux billets de cinéma en poche, ce qui 
						lui enlève toute prétention à l’exemplarité. Mais sa 
						photo sur le mur hante la famille : la mère comme les 
						deux filles, perturbées par son absence comme par les 
						privations de vies de parias, avec pour toute 
						échappatoire… le mariage. 
						
						- « Les sœurs dans 
						le miroir » (《镜中姐妹》) 
						est un autre récit sur le thème de la famille, ici dans 
						les années 1980-1990. 
						
						  
						
						Le style s’est épuré 
						pour offrir une narration dépourvue d’émotion, qui 
						semble adaptée à une vie urbaine sans guère d’aménités, 
						surtout pour les femmes - et surtout quand subsistent 
						encore dans les esprits les traumatismes du passé.
						 
						  
						
						3/ Pour la période 
						récente, à partir de 2020, deux novellas témoignent des 
						recherches de Lu Min tant du point de vue narratif que 
						formel. 
						
						  
						
						- Inclus dans le 
						recueil « Le moissonneur de rêves », 
						
						
						« Danser autour du cactus » (《绕着仙人掌跳舞》), 
						inspiré d’une histoire vraie, est une 
						
						exploration des tabous sexuels persistants en Chine – 
						sujet tabou comme un cactus planté   | 
						  | 
						
						 
						
						  
						Le viseur 《取景器》 
						  
						
						  
						Les sœurs dans le miroir 《镜中姐妹》  | 
					 
				 
				
						dans le cœur
				(在心里的“仙人掌”). 
				Mais c’est sa forme qui donne toute son originalité à ce récit : 
				il est écrit du début à la fin comme un dialogue, sur le modèle 
				du  « Baiser de la femme araignée » de Manuel Puig 
				
				
				
				 
				comme l’a expliqué l’auteure .  
						 
				
				  
				
				Dans l’Argentine du milieu des 
				années 1970, Molina, homosexuel arrêté pour attentat à la 
				pudeur, et Valentin, militant de gauche lié à des groupements 
				politiques clandestins, se retrouvent dans la même cellule. Le 
				dialogue est leur seule échappatoire. L’histoire des deux 
				personnages est mêlée aux récits de Molina qui raconte à 
				Valentin les films qu'il a vus - récits merveilleux qui font 
				naître l'imagination dans la nuit de la prison … mais Puig ne 
				nous laisse découvrir du passé de ses personnages que ce que 
				ceux-ci veulent bien raconter : aucune description, aucune 
				analyse psychologique. Le dialogue est cependant mené avec 
				tellement d’habilité que ce que nous ignorons, nous le devinons, 
				dans un sous-entendu, une allusion, un mot échappé, l’esquisse 
				d’une confidence…  
				
				  
				
				C’est cette maîtrise narrative 
				que l’on retrouve dans 
				
				« Danser autour du cactus », 
				et qui a frappé les critiques, y compris les écrivains ; Han 
				Dong (韩东), 
				par exemple, a souligné la force de son écriture en la comparant 
				à une athlète. 
				
				  
				
				- Également 
				inclus dans 
				le recueil « Le moissonneur de rêves », 
				
				« Peut-être 
				s’est-il passé quelque chose » 
				(《或有故事曾经发生》) 
				est sans doute le récit le plus déroutant écrit par Lu Min à 
				l’aube des années 2020 : initialement paru dans le numéro de 
				mars 2019 de la revue « Octobre », il a obtenu le prix annuel 
				décerné par la revue en avril 2021 (十月文学奖中篇小说奖), 
				puis a été couronné du prix des Cent Fleurs en décembre 2021 (百花文学奖中篇小说奖). 
				
				  
				
				L’histoire pourrait être 
				banale : une jeune fille s'est suicidée, en laissant une note 
				disant « Ne cherchez pas de raisons, c'est mon affaire ». 
				Pourtant un journaliste part en quête des causes de sa mort pour 
				écrire un article qui fasse parler de lui. Mais malgré de 
				nombreux entretiens avec le petit ami de la jeune Mimi, sa 
				meilleure amie, ses parents, divorcés, ses colocataires, etc., 
				aucune raison plausible ne se dégage… il y en a en fait une 
				infinité, et c’est la société toute entière qui est pointée du 
				doigt. 
				
				  
				
				Le plus intéressant, cependant, 
				tient ici aussi à la forme : Lu Min a fait de son récit une 
				sorte de parodie de l’écriture non fictionnelle, une réflexion 
				sur le rapport de la fiction à la non-fiction, et sur l’écriture 
				en général. Elle en a soigné les détails : la novella a été 
				révisée à quatre reprises. 
				
				  
				
				… Mais aussi un roman 
				  
				
					
						| 
						 
						Parallèlement à ces nouvelles, en octobre 2021, Lu Min a 
						également publié un roman, « Le Fleuve d’or » (《金色河流》), 
						qui a aussitôt été couronné d’un prix littéraire 
						nouvellement créé, le prix du Phénix (凤凰文学奖)
						
						
						
						. 
						
						
						
						 
						Le roman retrace l’histoire de la période de réforme et 
						d’ouverture, avec l’émergence des petits chefs 
						d’entreprise, la création des zones spéciales de 
						développement, le boom économique et le processus 
						concomitant d’enrichissement personnel – mouvements 
						anarchiques synthétisés par le dernier sous-titre de la 
						dernière partie du roman : comme un torrent qui déborde 
						(rú juān rú tāo 如涓如滔), mais l’eau est aussi don, et la 
						transmission immatérielle autant que matérielle... Tout 
						cela est conté à travers l’histoire de deux générations 
						d’une famille, mais surtout sur fond de renaissance de 
						l’opéra kunqu (崑曲). Lu Min 
						aborde ici le genre de la saga familiale chère aux 
						auteurs chinois, 
						
						 
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						Le Fleuve d’or  | 
					 
				 
				
				
				
				mais seulement sur deux générations et sur une période 
				encore peu explorée. C’est encore une œuvre  novatrice. 
				 
				
				  
				
				La littérature urbaine 
				dans la Chine d’aujourd’hui 
				
				  
				
				La littérature urbaine est 
				devenue le genre dominant de la littérature contemporaine 
				chinoise dans la deuxième décennie du 21e siècle, 
				après le thème dominant « campagne-ville » au siècle précédent. 
				C’est particulièrement vrai dans le Jiangsu où le taux 
				d’urbanisation de la population est de dix points supérieur à la 
				moyenne nationale. 
				
				  
				
				Lu Min est l’une des représentantes les plus 
				sophistiquées de ce nouveau courant littéraire, et son œuvre 
				porte en quelque sorte les stigmates des différentes éléments 
				caractéristiques de l’urbanisation  
				
				
				 : 
				
				  
				
				- la destruction des 
				relations sociales traditionnelles et la reconstruction de 
				nouveaux liens déterminant la survie de l’individu. 
				Les liens avec la campagne (“乡土——城市” 
				之间的关系) s’étant 
				distendus, la population urbaine actuelle n’a souvent plus de 
				parents à la campagne ; elle est devenue une vague toile de 
				fond. Mais les relations sociales à l’intérieur de la ville ont 
				aussi beaucoup changé. La vie individuelle a pris et prend de 
				plus en plus d’importance, tandis que les liens familiaux, ceux 
				du clan, sont en rapide diminution. La vie dans la ville se 
				réduit très souvent à une lutte personnelle, individuelle (“一个人的战争”), 
				une guerre intime. Il n’y a plus de retour possible,  
				
				     
				 
				
				- le sentiment de pression, 
				de tension. La densité urbaine, l’intensité de la vie en 
				ville, entraînent une nécessité de distance, la nécessité de 
				maintenir une armure. Les gens sont proches, mais avec un 
				sentiment de danger dans cette proximité. Mais ce n’est pas la 
				grande ville : c’est la petite ville de district qui est le lieu 
				privilégié des récits contemporains, du Jiangsu comme de Lu Min. 
				
				  
				
				- le passage accéléré à 
				l’âge adulte. La ville forme les gens, comme la campagne 
				autrefois, mais la ville fait disparaitre l’enfance. La 
				narration historique de la littérature chinoise moderne et 
				contemporaine est basée sur le regard innocent de l’enfant comme 
				le rappelle le cri de 
				
				Lu Xun 
				« Sauvez les enfants » (“救救孩子”). 
				Ce qui nous ramène aussi au « Candide » de Voltaire. Aujourd’hui 
				l’enfant a disparu au profit du « citadin civilisé » (“文明的”城市人). 
				Mais c’est aussi le regard chaleureux et humain de l’enfant qui 
				a disparu. Les histoires qui se passent entre adultes, en ville, 
				sont des histoires de contrôle, de répression, de résistance. 
				
				  
				
				On mesure ainsi le chemin 
				parcouru par Lu Min depuis son 
				
				
				discours prononcé au Forum de 
				Bo’ao sur la littérature chinoise le 3 novembre 2015 : 
				elle y abordait le problème du passage de l’ère du roman à thème 
				rural à celle du roman urbain, en faisant la genèse des 
				principaux auteurs de sa génération, tous dotés au départ d’une 
				solide expérience rurale. Cette survivance de la campagne, 
				l’empreinte persistante des tradition rurales en eux, malgré 
				leur urbanisation, c’est ce qu’elle appelait leur « talon 
				d’Achille » (阿喀琉斯之踵). 
				Car ce que les écrivains étrangers comme Jonathan Franzen, Paul 
				Auster ou Ryū Murakami ressentent de sympathie vis-à-vis de la 
				ville, ils le ressentaient vis-à-vis de la campagne. Elle disait 
				alors que ce serait aux écrivains chinois nés au cœur même de la 
				ville, dans les années 1990, qu’il reviendrait de considérer la 
				ville comme leur terre natale à part entière.  
				
				  
				
				Cependant, c’est justement 
				cette ombre persistante faisant ressortir les conflits, les 
				dangers, les limitations au sein de la vitalité urbaine de 
				surface qui continue à donner toute sa profondeur aux écrits de 
				Lu Min comme à ceux de sa génération. C’est à travers cette 
				tension et ces contradictions qu’elle dépeint une réalité 
				urbaine des plus complexes dans un pays toujours marqué par les 
				vestiges de sa civilisation rurale. 
				
				  
				 
				
				  
				
				A lire en complément 
				
				  
				
				Deux nouvelles de Lu Min 
				traduites en anglais par Helen Wang à lire dans Read Paper 
				Republic :  
				
				  
				
				« A 
				Second Pregnancy, 1980 » 
				
				《1980年的第二胎》 
				
				
				https://paper-republic.org/pubs/read/a-second-pregnancy-1980/ 
				
				  
				
				« Xie Bomao R.I.P. » 
				
				《谢伯茂之死》 
				
				La 
				traduction : 
				
				https://paper-republic.org/pubs/read/xie-bomao-rip/ 
				
				Le 
				texte original en chinois : 
				
				http://www.china.com.cn/news/citc/2013-08/29/content_29864656.htm 
				
				Une nouvelle 
				drôle et subtile sur un vieux facteur préposé aux courriers en 
				souffrance qui cherche désespérément le destinataire de lettres 
				qui arrivent régulièrement au nom d’un mystérieux Xie Bomao, 
				envoyées par un non moins mystérieux Chen, à des adresses chaque 
				fois différentes, mais qui n’existent plus depuis longtemps … 
				jeux de rôles et identités illusoires dans une ville où les 
				facteurs eux-mêmes n’ont plus de raison d’être.  
				
				  
				 
				  
				
				Autres traductions en 
				anglais 
				
					
					  
					
					- “This Love Could Not Be 
					Delivered” 
					
					《此情无法投递》2010, 
					Simon and Schuster, 2016, 320 p. 
					
					- “Hidden Diseases” 
					
					
					《暗疾》2011, 
					tr. 
					
					Annelise Finegan Wasmoen, Pathlight Summer 2012 
					
					- 
					“ Paradise 
					Temple” 
					
					《西天寺》2012, 
					tr. 
					
					Brendan O’Kane, Chutzpah ! New Voices from China, University 
					of Oklahoma Press, 2015, pp. 81-98. 
					
					- “The Banquet” 
					
					
					《大宴》, 
					tr. Michael Day, et “The Past of Xu’s Duck” 
					
					《徐记鸭往事》, 
					tr. Jeremy Tiang, in Lu Min: 
					
					A Bilingual Library of Contemporary Chinese Master Writers, 
					Nanjing Normal University Press, 2018, 333 p. 
					
					- “Scissors, Shining” 
					
					
					《风月剪》, 
					tr. Michael Day, Words Without Borders, June-July 2019 
					
					À lire en ligne : 
					
					
					https://www.wordswithoutborders.org/article/june-2019-queer-snipping- 
					
					
					heartstrings-lu-min-michael-day 
					
					  
				 
					
					  
					
					
					Traduction en français 
					
					  
					
					- « Peut-être 
					qu’il s’est passé quelque chose » (《或有故事曾经发生》), 
					trad. Brigitte Duzan et Zhang Guochuan, L’Asiathèque, coll. 
					« Novella de Chine », 2024. 
					
					  
					
					  
					  
					 
					
						 
					
						 
					
						
						
						
						Le roman a été 
						adapté au cinéma par le réalisateur Li Yuan (李远) ; 
						le film est sorti en Chine en juin 2017 sous le titre 
						« Youth Dinner » (《六人晚餐》), 
						mais il n’a plus grand-chose à voir avec le roman.  
					
						
						
						 
						Recueil de dix nouvelles courtes et moyennes, la 
						nouvelle moyenne choisie pour le titre du recueil plus : 
						
						L’écharpe blanche白围脖 
						/ Éloge de la classe moyenne 
						向中产阶级致敬 
						
						/ 
						
						Rire de la pauvreté 笑贫记 
						/ À la recherche 
						de Li Mai 寻找李麦 
						/ Soie verte
						青丝 
						
						/ 
						 
						
						L’étreinte de la faim 
						
						饥饿的怀抱 
						/ Plume 
						羽毛 
						/ Fuite sous la lune
						
						月下逃逸 
						/ 
						
						 
						 
					
						 
					
						
						
						
						“鲁敏确实是一个认真的写作者,而且是力量型的选手。”  
					
						 
					
						
						
						
						Voir l’article 
						du Wenyibao de janvier 2022 sur le site de 
						l’Association des écrivains du Jiangsu : « L’écriture 
						urbaine dans la littérature contemporaine du Jiangsu et 
						ses variations » ("文学苏军新观察 
						| 李丹:当代江苏文学城市书写的变奏"  [文艺报,2022.01.05]).
						 
						
						
						https://www.jszjw.com/llpp/20220105/1650849406726.shtml  
						  
				 
				 | 
                
                 
                  
                
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