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Wong Bik-wan / Huang Biyun 黄碧云

Présentation 介绍

par Brigitte Duzan, 29 mai 2011

 

Wong Bik-wan (ou Huang Biyun 黄碧云) est née en 1961 à Hong Kong.

 

On en a fait une allégorie nationale, emblème d’une culture hybride à la fois coloniale et américanisée, emblème aussi

d’une écriture féminine et par là même subversive, dépassant les modèles auxquels on la compare couramment, Zhang Ailing et Wang Anyi, dans un postmodernisme postcolonial. Wong Bik-wan, vous l’aurez compris, est classée parmi 

l’avant-garde littéraire.

 

Elle est aujourd’hui très populaire, à Hong Kong et Taiwan et jusqu’en Chine continentale, où sa nouvelle « L’hôtel du dernier jour » (《末日酒店》) a récemment été l’un des

 

Wong Bik-wan (ou Huang Biyun 黄碧云)

points forts du nouveau magazine littéraire Da Fang d’Annie Baobei.

 

Données biographiques et contexte historique

 

Il flotte un flou sciemment entretenu sur la vie de Wong Bik-wan. Son œuvre elle-même nous en apprend plus sur elle que les quelques lignes dont nous gratifient la plupart de ses biographes. Il est, en revanche, essentiel de comprendre le cadre historique dans lequel elle a commencé à écrire pour bien saisir la genèse de son œuvre autant que sa portée.

 

Biographie succincte

 

On ne sait pas grand-chose de Wong Bik-wan, ses biographies courantes se réduisent à quelques lignes. Elle a fait des études de journalisme à l’université chinoise de Hong Kong (香港中文大学新闻系), a également un master de criminologie (香港大学社会学系犯罪学硕士),  mais a aussi étudié la langue et la culture françaises à l’université Paris 1 (la Sorbonne). Elle a ensuite travaillé comme reporter et scénariste (pour la télévision), avant de devenir journaliste freelance.

 

Elle a beaucoup voyagé à partir de 1987, visitant la France et l’Amérique latine, la Yougoslavie et le Kosovo,  le Vietnam et le Cambodge, et y trouvant l’inspiration pour écrire articles et essais.

 

Wong Bik-wan présentant « Après »《其后》

 

Son premier livre publié date de 1991 : c’est un recueil de huit nouvelles intitulé « Après » (《其

后》). Quatre ans plus tard, en 1994, sa nouvelle « Tendresse et violence » (《温柔与暴烈》) était couronnée du Hong Kong Biennial Award for Chinese Literature, catégorie fiction, suivi en 1996 du même prix, mais dans le catégorie essais, pour le recueil « On est très bien ainsi » (《我们如此很好》).

 

Mais elle n’était encore qu’un écrivain « d’avant-garde » qui effrayait le public et dont les livres se vendaient à quelque deux mille exemplaires. Aujourd’hui, son style corrosif et ses histoires impitoyables déclenchent les passions  à chaque nouvelle parution; elle a ses cercles de fans inconditionnels, à Hong Kong et à Taiwan.

 

Elle continue par ailleurs son activité de journaliste, au Hong Kong Standard (香港虎报), tout en étant assistante d’un membre du Congrès.

 

Contexte historique

 

Ses œuvres ne peuvent se comprendre qu’une fois rappelé le contexte particulier dans lequel elles ont été écrites.

 

 

Signature du traité de Nankin

 

 

Par le traité de Nankin, Hong Kong fut cédé en août 1842 au Royaume uni, devenant ainsi colonie britannique. Mettant fin à la guerre de l’opium, en octobre 1860, la convention de Pékin octroya ensuite à la Grande Bretagne un bail perpétuel sur la péninsule de Kowloon. Mais, afin de mieux en assurer sa défense, la Grande Bretagne conclut en 1898 un bail de 99 ans pour s’assurer également la contrôle des Nouveaux Territoires, bail expirant le 30 juin 1997.

 

Après 1949, la « colonie » devint un asile pour les Chinois du continent, accueillant des vagues successives de réfugiés, ainsi que leurs capitaux. Dès mars 1972, le représentant permanent de la République populaire à l’ONU envoya une lettre au comité de décolonisation pour affirmer que Hong Kong et Macao n’entraient pas dans la catégorie des prétendues « colonies » mais faisaient partie du territoire chinois occupé par la Grande Bretagne et le Portugal. Les négociations menées à partir de 1982 aboutirent le 19 décembre 1984 à la déclaration commune sino-britannique qui prévoyait que Hong Kong cesserait d'être une colonie britannique le 1er juillet 1997 et serait dorénavant une Région administrative spéciale de la RPC.

 

Reconnaissant que le territoire, avec son économie libérale, ne pouvait être assimilé brutalement au sein de la Chine, Deng Xiaoping préconisa une approche pragmatique, et il fut affirmé que Hong Kong serait géré selon le principe « un pays, deux systèmes » ("一国两制", c’est-à-dire 一个国家,两种制度). Il n’empêche que l’annonce de la déclaration provoqua inquiétude et opposition dans la population, et une première vague d’émigration. Les événements de Tian’anmen, en mai-juin 1989, contribuèrent à renforcer la méfiance et les craintes, et entraînèrent une deuxième vague d’émigration.

 

L’incertitude quant à l’avenir suscita un climat délétère, et c’est ce climat sombre et désespéré, doublé

d’une nostalgie du passé, qui se reflète dans les nouvelles de Wong Bik-wan comme dans les œuvres de ses contemporains, romanciers et cinéastes : une atmosphère fin de siècle, à l’opposé de l’image de havre financier et paradis économique habituellement associé à Hong Kong, renforcée encore par la crise économique qui se déclencha quelques mois après la rétrocession.

 

Comme l’a dit l’un de ses biographes, Wong Bik-wan a créé :

一种残酷的黑色写作,反映了香港“幻灭的一代”的“世纪病”

une œuvre noire, cruelle pourrait-on dire, réfléchissant la « maladie du siècle » de «  la génération de la désillusion » hongkongaise.

 

Une œuvre sombre et subversive

 

Dès 1991, la nouvelle « Après » (其后) donne le ton : écrite à la première personne, elle décrit les réflexions d’un homme atteint d’un cancer, arrivé au terme de son existence et jetant un regard rétrospectif sur elle. On partage ses regrets, une certaine sérénité, aussi : toutes les souffrances disparaissent « après »… A la fin de la nouvelle, il revoit sa vie en un éclair, une vie passée si vite qu’il a l’impression d’un rêve, rappelant Zhuangzi :

    我会发觉我原来是一只蝴蝶,很偶然的,经过了生。

         Je vais peut-être réaliser que j’étais un papillon, parcourant l’existence tout à fait par hasard.

 

Mais c’est « La ville perdue » qui est vraiment le reflet du siècle. C’est sans doute aussi l’une des œuvres les plus représentatives de Wong Bik-wan.

 

La ville perdue

 

« La ville perdue » (失城) est une allégorie de la Hong

 

Après 《其后》

Kong de la rétrocession. Elle est typique du style et du ton de l’auteur : un style procédant par touches allusives, ne dévoilant le sens que peu à peu, et un ton froid, sans une once de sentiment, posant dès

l’abord la mort comme l’un des faits inéluctables de l’existence avec lequel il s’agit de vivre : 人不得不流血、死亡… on ne peut pas ne pas verser du sang, mourir...

 

« La ville perdue » (失城》)

 

L’architecte Chen Luyuan (陈路远) et

l’infirmière Zhao Mei (赵眉) ont émigré en Amérique du Nord où ils ont trouvé une certaine prospérité matérielle, mais la perte de leurs racines se traduit au jour le jour par une certaine aphasie. Zhao Mei tombe même dans une dépression se traduisant par des comportements pathologiques, voilant les fenêtres de tentures noires et forçant ses enfants à ingurgiter de la viande crue, avec des soupçons de cannibalisme rappelant Lu Xun.

 

Quand ils finissent par revenir à Hong Kong, les retrouvailles sont difficiles : tout a tellement changé en quelques années qu’ils sont obsolètes dans une ville qui n’est plus la leur. Leur rêve d’émigration s’est fracassé, leur rêve de retour aussi. Il n’y a pas de paradis possible :

         所谓理想和成就只不过是幻影而已

    Ce qu’on appelle idéal et réussite ne sont que des illusions, pas plus.

 

Tout ceci, cependant, est raconté en flash back après une partie introductive glaçante et sanglante à la Tarantino qui laisse pantois. Le narrateur expose en tronçons de phrases brèves, comme découpées au scalpel, sa vie tranquille, dans un petite maison de banlieue où il a planté un manguier, et le « commerce de mort » (死人生意) qui les fait vivre, lui et sa femme, lui ambulancier de nuit, elle fabriquant des linceuls pour les morts ; quatre alinéas où dominent, répétés, le mot « mort » () et

l’expression « c’est inéluctable », « il ne peut qu’en être ainsi »  (不得不如此).

 

Et puis un jour aménage à côté de chez eux une famille de quatre enfants. Quatre enfants maigres comme des chats (4个瘦小如猫的小孩) apportant avec eux, au milieu d’un bric-à-brac pauvrissime, une cage de rotin contenant une souris blanche. Une famille famélique, tranquille : le narrateur ne voit guère le père que de temps à autre en rentrant du travail, juste avant l’aube, à peine le temps d’apercevoir des dents blanches dans un grand sourire disparaissant très vite dans la nuit, comme dans un rêve.

 

Et la vie continue, jusqu’à ce que, une aube tout aussi tranquille que les autres, l’homme vienne frapper à la porte du narrateur ; il se présente, je m’appelle Chen Luyuan et j’habite à côté … A une invitation à prendre une tasse de café, il répond : désolé de vous déranger, mais ne pourriez-vous pas venir un instant ? « il s’est passé quelque chose » (有些事情发生了).

 

Ils traversent la rue en continuant les présentations, mais en arrivant :

         他家门口有支染血的大铁枝。

    我略一停步。

         Devant la porte, il y avait une grande tige de fer maculée de sang.

         Je me suis arrêté un court instant.

 

L’autre, cependant, n’y jette qu’un bref regard et l’invite à entrer.

         他推开了门,门后是一池塘鲜血。

“你要进来吗?没关系,他们都死了。”

         Il poussa la porte, derrière était une mare de sang frais.

         « Voulez-vous entrer ? Ne vous en faites pas, ils sont tous morts. »

 

Ce qui « s’est passé », c’est que Chen Luyuan a tué sa femme et ses quatre enfants, qui baignent dans leur sang. Ce qui suit est un exemple-type du style et du ton de Wong Bik-wan qui mérite le détour :

客厅还亮着灯,电视正在播无声的粤语片,镭射唱机转动,传来了巴赫大提琴无伴奏一号组曲。陈路远侧耳听着,现着光辉宁静的、基督徒一样的神情:“多么美丽的音乐。多么接近宗教像歌德教堂、古埃及金字塔让人往上望、往上望——生命转瞬即逝。 你喜欢巴赫的音乐吗?”

La lumière était encore allumée dans la pièce, la télévision diffusait un film muet cantonais,

l’électrophone était allumé, et jouait la suite pour violoncelle seul numéro un de Bach (1). Chen Luyuan prêta l’oreille, l’air paisible et rayonnant d’un disciple du Christ : « Quelle belle musique. Tellement religieuse, elle évoque les églises gothiques, les pyramides de l’Egypte ancienne, elle nous fait lever les yeux, lever les yeux ---- et la vie, en un clin d’œil, s’est envolée. Vous aimez la musique de Bach ? »

 

Le narrateur est figé là, les baskets pleins de sang, devant les enfants assis tout droit, les yeux fixes comme s’ils regardaient la télévision. Il propose d’aller faire une déposition à la police, mais, lui dit l’autre toujours aussi calme et détaché :

         « 不用急,我弄了咖啡。喝一杯才去报警吧。反正我都在。 » 

« Rien ne presse, je vais faire du café, vous irez faire la déposition quand vous aurez bu une tasse. De toute façon, je ne bouge pas. »

 

Et il continue au bout d’un moment :

你听听。巴赫的音乐,来回反复,痛苦不堪,又不得不如此。你到过阿姆斯特丹的新教堂吗?我在那里听风琴奏巴赫的音乐。在欧洲,事物长久而宁静。回到香港——发觉我三年前建的公寓房子,已经拆掉——你喜欢巴赫的音乐吗?

« Ecoutez. La musique de Bach, ces reprises, c’est infiniment douloureux, et inéluctable. Vous êtes allé à la Nouvelle Eglise d’Amsterdam ? (2) J’y ai entendu la musique de Bach jouée à l’orgue. En Europe, les choses sont anciennes et respirent la paix. Quand nous sommes revenus à Hong Kong ----- nous avons trouvé notre immeuble détruit, et cela ne faisait pourtant que trois ans qu’il avait été construit ---- vous aimez la musique de Bach ? » (3)

 

On sent bien sûr la criminologue percer derrière la romancière, mais, plus profondément, au-delà du fait divers, tout est dit, par bribes et allusions : la douleur d’exister en un monde qui change trop vite et anéantit tout ce qui faisait le charme indicible de l’existence, la musique, la culture et la joie profonde d’une vie tranquille.

 

Ces quelques lignes sont un concentré du meilleur de Wong Bik-wan : une froideur calculée, un rien provocatrice,  recélant un monde d’humanité, une élégie nostalgique sur la Hong Kong d’autrefois. C’est un texte dont la fragmentation stylistique traduit la déconstruction de l’identité vécue par des gens qui ont perdu, avec leur ville, leurs repères et leurs racines.

 

La subversion séduisante

 

Tous les écrits de Wong Bik-wan reprennent les mêmes caractéristiques stylistiques, avec des variations sur les thèmes, mais toujours dans le même ton. C’est ce qu’un doctorant de l’université de Hong Kong de sciences et technologies, Tai Yilin (戴綺莲), a qualifié dans une thèse sur le sujet (4)

d’esthétique de la « subversion séduisante » (诱惑的颠覆性).

 

La subversion, dans les nouvelles de Wong Bik-wan, s’attache incidemment à détruire le modèle binaire de la société traditionnelle et de sa morale, en particulier l’opposition classique hommes/femmes, en en soulignant les contradictions et ambiguïtés. C’est en particulier dans cet accent mis sur l’hétérogénéité du monde actuel en opposition à la notion de centre et de valeurs culturelles homogènes que réside son « postmodernisme », la subversion s’étendant ensuite à tous les aspects de la langue, y compris phoniques et graphiques.

 

Au-delà de Zhang Ailing

 

La notion traditionnelle de l’amour, en particulier, est constamment remise en cause dans son œuvre, avec en parallèle une satire corrosive de l’institution du mariage. L’une de ses premières nouvelles, « Elle est une femme et moi aussi » (《她是女子,我也是女子》) traite ainsi, sur un mode retenu, naturel et sans provocation, de la relation affective liant deux jeunes étudiantes que la vie va vite séparer. Il n’y a pas d’amour heureux, comme dit la chanson.

 

Une nouvelle plus longue et ultérieure, « Un amour à l’âge

d’or » (《盛世恋》), semble en former comme l’autre partie

d’un diptyque : ici, il s’agit de l’amour d’une étudiante, Chen

Shujing (程书静 ), tombée amoureuse de son professeur, Fang Guoshu (方国楚). Ils finissent par se marier, et, inévitablement

(不得不如此 comme il est dit et répété dans « La ville perdue »), par divorcer. On pense à la « trilogie de l’amour »  (三恋) de Wang Anyi, mais l’atmosphère est surtout  celle des nouvelles de Zhang Ailing, et en particulier celle qui se passe, justement, à Hong Kong : « Love in a fallen city » (《倾城之恋》).

 

« Elle est une femme

et moi aussi »

(《她是女子,我也是女子》)

 

« Un amour à l’âge d’or » (《盛世恋》)

 

On a d’ailleurs souvent cette impression en lisant Wong

Bik-wan, mais elle va plus loin  dans la subversion que ses consoeurs de Shanghai : elle pousse la désolation au maximum, jusqu’à la cruauté. L’un de ses sujets favoris est le mariage et ses conséquences funestes « Le mariage est le tombeau de l’amour », (婚姻是爱情的坟墓), ou encore

« Marx a dit que le mariage est de la prostitution institutionnalisée » ( 马克思说婚姻是制度化卖淫).

 

En fait, le mariage, le plus souvent chez elle, c’est la guerre froide. C’est aussi la dégradation progressive des sentiments et de l’acuité sensitive, ce qui est rendu avec une cruauté caractéristique, juste suggérée, à la fin de la nouvelle citée, « Un amour à l’âge d’or ».

 

Chen Shujing donne rendez-vous à Fang Guoshu dans un restaurant italien. « Ah, lui dit-il, tu t’es acheté une

nouvelle robe ? ». « Non, répond-elle, elle n’est pas neuve. » « Ah, dit l’autre étonné, je ne t’ai jamais vu dans une robe de cette couleur ». En réalité, le restaurant est celui de leur première rencontre, et la robe celle, blanche, qu’elle portait alors, simplement elle a jauni avec le temps. Et l’auteur conclut avec une de ces phrases qui font les beaux jours des amateurs de citations :

“原本是白色的,搁旧了,看着便有点米黄……国楚,很多事情,都在不知不觉间搁旧了。”

En fait, elle était blanche, mais elle a vieilli, alors elle a l’air un peu crème… Guoshu, il y a beaucoup de choses qui, sans qu’on s’en rende compte, vieillissent avec le temps. »

 

Le monde de Wong Bik-wan est un monde hostile, dominé par la désillusion et le désespoir.

 

Un écrivain en symbiose avec son temps

 

Si Wong Bik-wan rappelle souvent Zhang Ailing, ce n’est peut-être pas très étonnant : on ne le sait guère, mais elles ont grandi toutes les deux dans un contexte parental très semblable.

 

La mère de Wong Bik-wan est morte quand elle était très jeune, et son père était un policier très violent. Elle-même a révélé qu’elle avait grandi « dans une famille explosive » ("我成长在一个暴力的家庭"). Une fois qu’elle était sortie sans doute sans l’accord de son père, il l’a battue au point qu’elle dut garder le lit pendant un mois.

 

Parvenue à l’âge adulte, elle a continué longtemps à en faire des cauchemars. Dans la postface

d’« Après » (《其后后话》), elle a écrit :

我不能够做一个快乐正常的人,这是我一生最大的失败与欠缺q

Je suis incapable d’être un être normal, heureux, c’est le plus grand défaut et la défaite majeure de mon existence.

 

De là vient le ton de ses nouvelles : une sorte d’esthétique de la désillusion et de la cruauté peut-être plus encore que de la subversion. C’est une expérience personnelle, se traduisant dans des nouvelles et un style propres qui correspondent bien à la « maladie du siècle de la génération de la désillusion » de Hong Kong.

 

Son dernier recueil, « Silencieux. Sourd. Minuscule » (《沉默。喑哑。微小》), dépeint cependant des personnages bien plus ordinaires que dans ses œuvres passées, telle cette vieille dame devenue sourde mais qui continue à répondre au téléphone, et à jouer au mahjong avec ses amis.

 

On peut trouver ce nouveau style un peu décevant, mais il reste incisif : l’un des personnages est un jeune garçon  qui a assisté au meurtre de ses parents et, après être tombé dans le coma, se réveille sans se souvenir de rien ; chaque fois qu’il va voir le psychiatre, il s’endort. Peut-être qu’il est tout simplement très fatigué, dit le psychiatre, à seize ans, il a déjà vécu tant de drames.

 

Comme la vieille dame, il pourrait dire : « Je me sens simplement épuisée, je pensais juste que dormir un peu me ferait du bien ».   (我只是觉得倦,以为睡着了便好。”).

 

Les temps ont changé, Wong Bik-wan aussi, c’est un écrivain en symbiose avec son époque.

 

 

Notes

(1) Ce n’est évidemment pas choisi au hasard, la musique évoque le recueillement religieux, grave mais profondément serein. Le disque passe depuis un certain temps, la suite n’en est donc pas au début, il faut imaginer la scène avec, par exemple, la sarabande :

 

 

 

ou le menuet :

 

 

 

(2) La Nieuwe Kerk, au centre d’Amsterdam, est l’église nationale des Pays-Bas. Ses concerts d’orgue sont réputés.

(3) Le thème de la musique est repris vers la fin de la nouvelle, alors que, la peine de mort de Chen Luyuan ayant été convertie en prison à perpétuité, le narrateur lui rend visite en lui apportant un baladeur avec des écouteurs, et un enregistrement du Messie de Haendel, dont la musique « est comme une main glacée apportant le réconfort à nos âmes confuses et brûlantes » (象一只冰凉的手,让我们慌张火热的心灵,得到安慰). Le narrateur comprend alors soudain Beethoven et sa surdité : la musique est le langage de la solitude  (音乐是孤独者的语言).

(4) “诱惑的颠覆性 : 黄碧云小说的后现代美学(Seductive subversiveness : Wong Bik Wan's fiction as a postmodernist poetics),  University of Hong Kong of Science and Technology, School of Humanities and Social Sciences, 2002.

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A lire en complément :

« Elle est une femme et moi aussi » (《她是女子,我也是女子》)

 

 



 

 

 

 

 

     

 

 

 

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