|
Zhang Wei
张炜
Présentation
par
Brigitte Duzan, 19 octobre 2014
Zhang Wei n’est guère connu hors de Chine, car très peu
traduit. Pourtant, lors d’une enquête conduite en 2000
auprès de cent critiques littéraires chinois, il
figurait parmi les « dix écrivains chinois les plus
importants des années 1990 ». La même enquête a
également classé son roman « Une fable de septembre »
parmi les « dix œuvres littéraires chinoises les plus
importantes des années 1990 ».
Quant à son premier roman, « Le vieux bateau », publié
en 1987, il était dans la liste des cent meilleurs
romans chinois du vingtième siècle établie en 2000 par
l’hebdomadaire Asia Weekly(亚洲周刊).
Ce premier roman est paru en traduction française au
Seuil en mai 2014 ; c’est le premier roman de Zhang Wei
édité en France, et l’occasion de découvrir cet auteur.
Le vieux bateau |
|
Zhang Wei |
Zhang Wei est né en novembre 1955 dans une petite ville côtière
du Shandong : Longkou (山东龙口),
ou "la gueule du dragon". C’est là qu’il a passé sa jeunesse,
travaillant un temps dans le domaine forestier de la province.
Débuts précoces
Poussé par sa famille, il commence à écrire très jeune, publiant
un long poème en 1972, à l’âge de 17 ans. Mais, pour éviter
d’être pris dans les difficultés politiques de ses parents, il
part de chez lui et mène une vie d’errance, seul, dans la
péninsule du Jiaodong (c’est-à-dire du Shandong) jusqu’à la fin
de la Révolution culturelle.
En 1979, à la réouverture des universités, il est admis dans le
département de chinois de l’Université normale de Yantai, pour
un cursus d’écriture créative. Il en sort en 1980, se met à
écrireet, deux ans plus tard, obtient son premier prix
littéraire national. En 1983, il devient membre de l’Association
des écrivains chinois, et vice-président de la section du
Shandong.
Pendant cette période, il écrit des nouvelles, dont certaines
sont primées : ainsi, « Voix » (《声音》)
et « Un étang d’eau pure » (《一潭清水》)
décrochent le prix de la meilleure nouvelle courte de
l’Association des écrivains en 1982 et 1984 ; en 1986,
« L’automne de la colère » (《秋天的愤怒》)
obtient le prix de la meilleure nouvelle "moyenne" (中篇小说)
décerné par le magazine Xiaoshuo (《小说》).
Le vieux bateau
Le vieux bateau, édition 1996 |
|
En mai 1986, Zhang Wei publie dans la revue littéraire
Dangdai (《当代》)
son premier roman, « Le vieux bateau » (《古船》),
qu’il a mis trois ans à écrire. De son propre aveu, il
en était très fier : il trouvait que c’était tellement
bien écrit qu’il n’aurait aucune correction à y
apporter, assure-t-il aujourd’hui avec un sourire
ironique (1). Le roman est ensuite publié en août 1987
aux éditions Littérature du peuple.
Avec pour toile de fond quatre décennies d’histoire
chinoise, de 1949 à la fin des années 1980, en d’autres
termes de la Réforme agraire aux premières années de la
période d’ouverture, « Le vieux bateau » conte
l’histoire, sur trois générations, de trois clans
familiaux d’une bourgade imaginaire de la péninsule du
Jiaodong (胶东),
au Shandong : les Sui, Zhao et Li (隋、赵、李三家族)
du bourg de Wali (洼狸镇).
|
Le roman s’ouvre sur une superbe présentation des lieux.
Derrière ses antiques murailles datant de la période des
Printemps et Automnes, Wali est au bord d’un fleuve, le fleuve
Luqing (芦青),
qui a longtemps été la source de ses activités et de sa vie,
avant de s’assécher peu à peu.
On croit voir sur les bords les restes d’anciennes forteresses (“古堡”) :
ce sont en fait les vieux moulins qui fabriquaient autrefois la
farine de haricots pour la spécialité du bourg, les vermicelles
de la célèbre marque du Dragon blanc (“白龙”牌粉丝).
Le fleuve était la clef de tout : les bateaux apportaient les
haricots et le charbon de bois, et repartaient avec des
chargements de vermicelle.
Cette activité s’est perdue dans les nimbes du temps quand le
fleuve s’est peu à peu tari ; il reste de la gloire passée deux
ou trois moulins encore en activité, un vieux bateau ensablé sur
la berge, et des pans de murailles en ruines.
Les maîtres de la fabrique de vermicelle ont d’abord été les
Sui. C’était la famille la plus prospère. Le roman est
l’histoire de leurs heures de prospérité et de leurs malheurs,
sur fond d’événements historiques contingents à peine évoqués,
comme s’ils ne les concernaient guère : ils sont extérieurs et
cycliques. Ce qui semble bien plus important, c’est le poids de
l’histoire ancienne et de ses vestiges, depuis l’ancienne
querelle de Wei et de Qi et la culture des Yi, les « barbares »
locaux ; c’est cela qui semble conditionner encore les esprits
(et celui de Zhang Wei en particulier), ainsi que les
catastrophes naturelles qui rompent l’immutabilité des cycles de
la vie : l’incendie du temple, les tremblements de terre, et les
risques de défauts de fabrication des vermicelles… Si le récit
peut sembler cruel, c’est simplement que la vie est ainsi.
Se plonger dans « Le vieux bateau », c’est s’immerger dans la
réalité d’une culture, d’une histoire, de tout un monde décrit
de l’intérieur, dans une langue riche et colorée, monde qui
n’existe plus guère que dans les lignes de ce roman, tel le
fleuve Luqing continuant de mener une existence paisible en
s’écoulant maintenant sous terre, en une superbe métaphore du
passé évanoui mais toujours présent.
Rupture
En 1987, Zhang Wei est au sommet des honneurs : il est
vice-président de la section du Shandong de
l’Association des écrivains chinois, vice-président de
la Fédération de la jeunesse, et il est élu maire
adjoint de Longkou. Mais il démissionne de ce poste peu
de temps plus tard, pour aller vivre avec sa mère dans
une petite maison en bordure du bourg.
Il y reste cinq ans, pendant lesquels il se consacre
essentiellement à l’écriture, évitant associations et
vacarme médiatique, et apparaissant comme un de ces
anciens lettrés retirés de la cour pour méditer sur la
folie des temps.
La consécration des années 1990
Une fable
De cette retraite studieuse, Zhang Wei ressort avec un
|
|
La fable de septembre |
second roman : « Une fable de septembre » (《九月寓言》),
d’abord publié au printemps 1992 dans la revue Shouhuo (《收获》),
puis, l’année suivante, aux éditions des lettres et des arts de
Shanghai.
Le chant du hérisson |
|
C’est l’histoire d’un village, sur une période de
soixante ans, soit un cycle entier. Il s’agit d’un
village côtier, cette fois, de sa difficile fondation à
son inévitable déclin et disparition. On sent une
inspiration autobiographique, mais aussi l’influence des
écrivains étrangers qui ont influé sur l’ensemble des
romanciers chinois, dans les années 1990, au moment où
ces œuvres bénéficiaient de nombreuses traductions en
chinois :
William Faulkner et Gabriel García Márquez.
Wali était plutôt dépeint dans un genre réaliste.
« Une fable de septembre » est un tableau bien plus
baroque de la vie, et la mort, dans la Chine rurale. Le
récit mêle ici l’histoire, la politique et la culture
locale en une véritable fable qui tient autant de la
mythologie, en déclinant des thèmes universels en
couples opposés ; mais il s’en dégage celui, bien plus
chinois, du caractère inéluctable du passage de l’ancien
au nouveau, en un cycle continu qui mesure le passage du
temps et y préside. |
Sur le plateau
Pendant ce temps, Zhang Wei a également commencé à
travailler sur l’ouvrage auquel il va consacrer vingt
années de son existence et qui comptera dix volumes –
dix romans - quand il sera publié dans son intégralité
en mars 2010 : « Sur le plateau » (《你在高原》).
Ce magnum opus vaudra à Zhang Wei la consécration du 8ème
prix Mao Dun, en 2011 (2).
C’est une entreprise démesurée, et intéressante autant
sous l’angle de la forme que du contenu : chaque roman
est un récit autonome, écrit dans un style différent, le
tout constituant in fine un |
|
Les dix tomes de Sur le plateau |
caléidoscope de styles et de genres, mais aucun dans une forme
pure.
La première partie d’un premier roman, dont on pourrait traduire
le titre par « Mon bout de terre » (《我的田园》),a
été publiée dès décembre 1991. Il s’agit d’une sorte de
pastorale qui reprend des thèmes des deux premiers romans, et
des nouvelles antérieures, mais qui a été révisée par la suite.
1. « Clan (s) » (《家族》)
est une narration réaliste dans son contenu, mais écrite dans
une forme classique. L’idée est d’évoquer la couleur et le ton
du roman chinois classique (古色古香).
2. « Rue du chêne » (《橡树路》)
est un récit des difficiles moments de la vie de deux
jeunes protagonistes, Wangzi (王子)
et Xiannü (仙女),
présentés comme des personnages de contes pour enfants,
mais dans un style qui mêle le réalisme au conte.
3. Dans « Les visiteurs étrangers parlent de Yingzhou »
(《海客谈瀛洲》),
le style s’apparente au collage cubiste, ou à une
construction complexe, de type structuraliste (结构主义).
Le roman apparaît comme une tentative expérimentale qui
rappelle certaines ouvertures stylistiques du haipaidans
les années 1930.
4. Avec « Magazine populaire » (《人的杂志》),
qui met en scène un pianiste moderne, Zhang Wei tente
d’allier vision onirique et technique du flux de
conscience, dans un style qui évoque certains récits de
Wang Meng, mais en tentant d’imposer à la narration un
rythme pianistique. |
|
Rue du chêne, 2ème partie
de Sur le plateau |
5. « Mon coin de terre » (《我的田园》)
est un récit d’une esthétique mixte, entre légendes populaires,
ou mythes anciens, et style factuel de compilation de textes
historiques. C’est un récitqui a évolué en mêlant divers
éléments : éléments de littérature poétique et d’autres
empruntés, par exemple, à la littérature de wuxia.
6. « Notes sur les terres sauvages » (《荒原纪事》)
est une tentative d’écriture mêlant, comme souvent chez Zhang
Wei, deux genres a priori opposés, ici littérature populaire et
réalisme narratif, légende et réalité, ce qui souligne l’intime
relation entre les deux ; on trouve déjà cela en filigrane dans
« Le vieux bateau », non précisément sous forme de légende
populaire, mais de tradition culturelle, ce qui revient
finalement au même.
7. « Le regard du cerf » (《鹿眼》)
est une histoire étrange, mêlant un récit mystérieux vu par un
regard d’enfant à une enquête plus ou moins policière, avec
rappel de ce genre très classique de la littérature chinoise.
C’est en même temps l’évocation des blessures de l’enfance dans
le monde moderne.
8. « Souvenirs d’Ah Ya » (《忆阿雅》)
est un récit à la fois réaliste et métaphorique, la métaphore
venant suppléer les insuffisances du réalisme, dans un style qui
tient de l’impressionnisme dans sa forme pointilliste.
9. « Lumière de l’aube et crépuscule » (《曙光与暮色》)
est un collage de trois histoires selon la méthode cubiste, dans
un style très mélo.
10. « Errance sans fin » (《无边的游荡》)
est un récit d’errances autant physiques que spirituelles, qui
mêle des styles aussi différents qu’une narration classique de
type 19ème siècle, et des formes inspirées de l’opéra occidental
et du réalisme magique à la Márquez.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ouvrage est
devenu un best-seller en Chine, écoulé à quelque cinq
cent mille exemplaires les deux ou trois premières
années après sa publication. Il y fallait un certain
courage, et une certaine foi, mais les faits semblent
avoir donné raison à l’éditeur :
« Bien que la croissance économique ait créé une
sorte de culture fast-food, nous sommes intimement
persuadés qu’un nombre non négligeable de lecteurs sont
encore avides de publications de haute qualité, et c’est
cette conviction qui nous a incités à publier cet
ouvrage. » |
|
Recevant en 2010 le prix littéraire du
Nanfang Dushibao,
avec Han Shaogong et Cao Ke, rédateur en
chef
du Nanfang Dushibao (photo du journal) |
Il y a quelque chose de réconfortant dans ce succès, même s’il
reste relatif.
Zhang Wei est également l’auteur d’un grand nombre de nouvelles,
moyennes et courtes, qui mériteraient un développement
particulier, voire de nouvelles traductions, ainsi que d’essais,
poèmes, et même récits pour enfants.
Notes
(1) Lors de la rencontre organisée à la BnF le 18
octobre 2014, dans le cadre des
Troisièmes rencontres littéraires franco-chinoises,
à l’occasion de la sortie au Seuil de la traduction du
roman par Annie Bergeret-Curien et Xu Shuang.
Zhang Wei a également fait l’éloge de la couverture du
livre paru au Seuil : elle représente les fameux
vermicelles du récit en train de sécher, mais il y a vu
aussi la forme d’une voile de bateau, rappelant donc
l’autre des principaux thèmes narratifs du roman.
(2) Rappelons que « Le vieux bateau » était en
concurrence avec les quatre autres finalistes suivants :
Skywalker《天行者》de
Liu Xinglong
(刘醒龙)
Massage
《推拿》 de
Bi Feiyu
(毕飞宇)
Grenouille《蛙》 de
Mo Yan
(莫言)
En un mot comme en mille
《一句顶一万句》)
de
Liu Zhenyun(刘震云)
|
|
Le vieux bateau |
En complément
Note d’Annie Curien sur l’écriture de Zhang Wei
Zhang Wei, écrivain de la province du Shandong, déroule des
scènes avec sensibilité et poésie. Ces récits où les hommes,
dans leurs gestes quotidiens, leurs pensées et leurs sentiments,
composent un tableau avec les éléments de la nature forts et
animés, apaisants parfois, menaçants à l'occasion. Atmosphère
marine, filets de pêche, poissons, humidité de l'air, rivière et
mer : il n'est pas jusqu'au rythme de la narration des souvenirs
des hommes qui ne prend un tempo de marée. Profondeurs du monde
naturel, et plongée temporelle dans l'existence humaine. Comme
en mouvements de vagues, les hommes, même dotés des tempéraments
bien trempés, s'inscrivent dans des lignées, ils sont pris dans
des successions de générations, dont ils ne peuvent facilement
s'extraire. Dans quelle Chine sommes-nous ? A quelle époque nous
trouvons-nous ? Par quelques notations, Zhang Wei fait sentir la
présence de la Chine communiste ? Pèse-t-elle vraiment face à la
puissance de cet univers que l'auteur montre imprégné d'éléments
immémoriaux, aux accents légendaires ? C'est un art d'écriture
paysagère qui se déploie dans ces œuvres, l'écrivain faisant
vivre une tradition qui s'était largement perdue dans la Chine
contemporaine. Ailleurs, Zhang Wei compose des romans davantage
ancrés dans le contexte récent de l'histoire et de la société
communistes. Distance et engagement : Zhang Wei, en tant
qu'écrivain et en tant qu'intellectuel, épouse cycliquement ces
deux attitudes.
Présentation du roman Le Vieux bateau à la BnF le 18 octobre
2014 par Xu Shuang
Zhang Wei et
l’intention temporelle dans Le Vieux bateau [1]
Zhang Wei est né en 1956 dans la province du Shandong, où il vit
aujourd’hui encore. En 1986, à peine âgé de trente ans, Zhang
Wei publie Le Vieux bateau qui lui vaut la reconnaissante
immédiate du monde littéraire. Ecrivain prolifique, ses
créations littéraires sous multiples formes exercent une grande
influence sur la scène littéraire chinoise depuis la fin des
années 1980 jusqu’à présent.
Sur la scène internationale, ses œuvres sont traduites en
anglais, en français, en allemand, en suédois, en japonais, en
coréen. En France, les amateurs de littérature ont pu découvrir
ses nouvelle[2] et récits[3], sa poésie[4], ses essais[5] et son
écrit autobiographique[6] grâce aux différentes traductions
publiées dans des revues, des anthologies ou en volume. Dans le
domaine du roman, voici pour la première fois une œuvre de Zhang
Wei traduite en français.
Le vieux bateau, dans la littérature contemporaine chinoise, est
considéré comme l’un des précurseurs du « nouveau roman
historique » aussi bien par son refus de relater des événements
historiques selon la version officielle que par son retour à la
dimension humaine de l’histoire, du temps.
La Chine des années 1980 était alors en pleine mutation sociale,
avec l’application de la politique d’ouverture et de réforme
économique. Comment couper les ponts avec l’ancienne époque ?
Vers quel avenir avancer ? C’est dans ce contexte de quête
sociale que s’inscrit le roman Le Vieux bateau.
D’ailleurs, le titre du roman nous révèle déjà l’intention
temporelle de l’écrivain. Le terme « Vieux » implique
l’inscription dans la durée, le symbole du « bateau » suggère le
désir de s’échapper, de partir au loin, d’avancer.
Quelle est donc la représentation du futur dans le roman, et son
rapport avec le passé ? Quelle est la vision de l’écrivain à
l’égard de l’avenir ?
Le symbole de la meule
Dès l’ouverture du roman, dans le premier chapitre, l’image de
vieilles meules dévoile un temps circulaire :
…d’immenses meules de pierre, une à une, tournent à leur
rythme ; patiemment, chacune d’elles moud le temps. Deux vieux
bœufs entraînent la meule géante, ils avancent lentement sur un
chemin qui n’a ni début ni fin.[7]
La description de grandes meules qui moulent le temps apparaît
et réapparaît au cours de chaque chapitre, parfois à plusieurs
reprises. Dans l’image, le passé, le présent et le futur sont
effacés par le mouvement circulaire.
Cette vision du futur est également révélée par la réaction des
gens du bourg de Wali. Face à la réforme économique, les
habitants du bourg, confus, et crient en eux-mêmes :
Ciel, le temps tourne-t-il vraiment sur lui-même comme la
meule ?[8]
Le futur, sous l’angle de la famille, au sens de la succession
des générations, est aussi soumis à cette
représentation circulaire:
Parfois il (Jiansu) pense à son père –leurs deux générations
travaillent peut-être sur les mêmes comptes, le père n’a pas
terminé, le fils prend la suite. C’est un peu comme la vieille
meule au bord du fleuve, qui tourne génération après génération,
la rigole s’est abîmée, on demande à un meunier de la retaper,
pour que la meule continue de tourner…[9]
La représentation circulaire du temps s’incarne finalement dans
le temps de la narration. La langue chinoise n’affiche pas le
temps au moyen de la conjugaison verbale comme en français,
l’action est située sur l’axe temporel grâce à l’emploi des mots
de temps. Or, dans le roman, très peu de dates sont données. Les
événements sont narrés par fragments, selon les souvenirs des
individus. La répétition de certains fragments à travers des
chapitres ainsi que l’apparition récurrente de certaines scènes,
renforcent l’impression que l’histoire se répète, que le temps
se tord, que le futur reproduit le passé.
Ainsi, le futur, tel qu’il est représenté, s’accompagne du
passé, se réfère au passé.
La tension entre le passé et le futur
L’histoire se passe à Wali, un petit bourgde la province du
Shandong, région côtière dans l’est de la Chine. Ses vestiges
historiques évoquent la présence d’un temps infiniment long et
lointain. Ses légendes extraordinaires dévoilent un bourg riche
en civilisation, qui a été fréquenté par le grand stratège Sun
Bin, le premier empereur Qingshihuangdi, les philosophes Mozi,
Mencius, et aussi Confucius.
D’autres symboles du passé s’imposent également dans la vie du
bourg.
D’abord, l’ancêtre. La notion de la lignée est liée au destin de
chaque membre du clan. Elle présente une certaine fatalité et
s’implique dans l’interprétation de l’avenir de chaque individu.
Ensuite, le savoir traditionnel : la prescience de l’avenir, la
géomancie, la physiognomonie, la divination. Tout cela
intervient dans l’évolution de la société contemporaine.
Enfin, les livres. Trois livres sont présents constamment dans
le roman : Le Classique de la boussole des voies maritimes
de l’ère lointaine ; Le Manifeste du parti communiste de Karl
Marx et Engels (1847) ; Questions célestes du poète Qu
Yuan (v.340-278 av.J.-C.). Le roman insère également divers
extraits provenant des classiques de la pensée philosophique ou
religieuse. Ces legs des générations disparues aident les
personnages du roman à se retrouver dans l’interprétation du
nouveau monde.
Appuyés sur le passé, les gens du bourg de Wali vivent leur
temps, à leur rythme, génération après génération, en dépit de
l’évolution du monde extérieur. L’amour, la haine, le désir, les
crimes en sont les thèmes qui se perpétuent. Les nouveautés sont
moulues par la meule du temps et intégrées dans leur vécu.
L’intention temporelle de Zhang Wei
Lors d’un entretien, le romancier a expliqué que son intention
de création littéraire est de représenter la terre, lieu qui
nous montre d’où nous venons et vers où nous allons. La terre
est l’espace où le temps se manifeste par le cycle de la nature
(quatre saisons), et le cycle des hommes. Elle représente
quelque chose de constant, d’éternel.
A l’égard du temps, Zhang Wei ne se positionne pas comme un
scribe classique qui relate l’histoire officielle. Il prend
l’interface populaire, témoin des atrocités humaines qui se
répètent à travers toutes les époques.
Par le personnage Sui Baopu, victime des souvenirs de scènes de
violence, de maladie, de mort d’un passé traumatisant, qui
quittefinalement le vieux moulin qu’il garde et prend la
direction de l’entreprise de fabrication de vermicelles, le
romancier semble inciter l’action à une âme qui souffre du
temps, des fausses permanences afin de trouver « la syntonie du
devenir » (Gaston Bachelard, La dialectique de la durée,
PUF, 2006, « avant-propos », p.X)
Après Le vieux bateau, Zhang Wei poursuit son questionnement sur
la conscience morale et le destin du peuple dans ses écrits en
lien avec la terre. Nous pouvons constater le fruit de ses
réflexions inlassables dans son œuvre en 10 volumes, intitulée
Sur le plateau 你在高原 qui a été couronnée en 2011, par le
plus prestigieux prix littéraire Maodun de la Chine, qui est
qualifiée comme un « livre de marche sur la terre », un
« excellent témoignage de notre époque » pour sa « réflexion sur
l’avenir de l’humanité ».
[1] Cf. Xu Shuang, « Le futur dans le passé : l’intention
temporelle dans Le Vieux bateau de Zhang Wei », in Duanmu
Mei et Hugues Tertrais (dir.), Temps croisés I, Editions de la
Maison des sciences de l’homme, 2010, p.69-75.
[2] « Un étang d’eau claire », trad. Annie Curien, dans
Anthologie de nouvelles chinoises contemporaines (Annie
Curien dir.), Gallimard, 1994, p. 295-313.
[3] Partance – récits d’ailleurs, trad. Chantal
Chen-Andro, Bleu de Chine, 2000, 120 p.
[4] « Au café Figaro » et autres textes poétiques, trad. Chantal
Chen-Andro, dans la revue Poésie 2001 (dossier
« Poétiques chinoises d’aujourd’hui », (Annie Curien dir.),
n°88, juin 2001, p. 16-31.
[5] Voir ses textes : « Confort au nord », trad. Chantal
Chen-Andro, dans la revue Missives : dossier Sinitudes,
2003, p. 34-36 ; « Une époque de lecture et d’imitation » et
« Notes à la lecture de quatre écrivains français », trad. Annie
Curien, dans Lettres en Chine – rencontre entre
romanciers chinois et français (Annie Curien dir.), Bleu de
Chine, 1996, p. 93-102 et p. 121-125 ; « Pauvreté de
l’imagination et disparition de la personnalité ; inquiétudes
sur les courants littéraires de la fin du siècle », trad. Marie
Laureillard, et « Liberté : droit de choisir et élégance »,
trad. Myriam Kryger, dans Littérature chinoise – le passé et
l’écriture contemporaine (Annie Curien et Jin Siyandir.),
Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 145-154
et p. 171-173.
[6] « Les demeures de l’enfance », trad. Chantal Chen-Andro,
dans L’enfance, Zhang Wei, Véronique Meunier, Desclée de
Brouwer, Presses artistiques et littéraires de Shanghai, 2012,
171 p.
[7] Le vieux bateau, p.17-18.
[8] Le vieux bateau, p.28.
[9] Le vieux bateau, p.188.
La représentation de la mer dans Le
Vieux bateau par Xu Shuang, article en anglais
publié dans la revue portugaise "Revista de Estudos Chineses"
(2012).
Principales publications
Romans
长篇小说
《古船》
《当代》1986年第5期;人民文学出版社1987年8月
《我的田园》(上卷)》
江苏文艺出版社1991年12月
《我的田园》
作家出版社1996年2月
《我的田园》(《你在高原─一个地质工作者的手记/我的田园》)
漓江出版社2002年5月
《九月寓言》
《收获》1992年第3期;上海文艺出版社1993年5月
《柏慧》
《收获》1995年第2期;北京十月文艺出版社1994年12月
《家族》
《当代》1995年第5期;上海文艺出版社1995年9月
《家族(增订完整版)》
文化艺术出版社2005年1月
《怀念与追记》
作家出版社1996年2月
《怀念与追记(修订本)》
花城出版社2004年5月
《远河远山》
明天出版社1997年6月
《远河远山(续写完整版)》
时代文艺出版社2005年5月
《外省书》
《收获》2000年第5期;作家出版社2000年10月
《能不忆蜀葵》
《当代》2001年第6期;华夏出版社2001年10月
《你在高原·西郊》
《芙蓉》2003年第1期;春风文艺出版社2003年1月
《丑行或浪漫》
《大家》2003年第2期;云南人民出版社2003年3月
《刺猬歌》《当代》2007年第1期;人民文学出版社2007年1月
《你在高原》(1家族、2橡树路、3海客谈瀛洲、4鹿眼、5忆阿雅、6我的田园、7人的杂志、8曙光与暮色、9荒原纪事、10无边的游荡)
作家出版社2010年3月;其中《荒原纪事》
《中国作家》文学版2010年第3、4期
Recueils de nouvelles (moyennes et courtes)
中短篇小说集
《芦青河告诉我》
小说集,山东人民出版社1983年版
《浪漫的秋夜》
小说集,中国青年出版社1986年版
《秋天的愤怒》
小说集,人民文学出版社1986年版
《秋夜》
小说集,中原农民出版社1987年版
《张炜中篇集》
小说集,中国文联出版公司1987年版
《童眸》
小说集,北京十月文艺出版社1988版
《他的琴》
小说集,明天出版社1990年版
《美妙雨夜》
小说集,上海文艺出版社1991年版
《张炜小说集》
小说集,人民文学出版社1991年版
《秋天的思索》
小说集,香港天地图书公司1992年版
《散文与随笔》
散文集,山东文艺出版社1993年版
《如花似玉的原野》
小说集,人民文学出版社1995年版
《张炜小说精选》
小说集,太白文艺出版社1995年版
《远行之嘱》
小说集,长江文艺出版社1996年版
《激动》
小说集,中国青年出版社1996年版
《张炜自选集》
小说散文集,漓江出版社1996年版
《致不孝之子》
小说集,山东友谊出版社1997年版
《东巡》
小说集,山东友谊出版社1996年版
《瀛洲思絮录》
小说集,华夏出版社1997年版
,台湾印刻出版公司2003年出版
《芦青河纪事》
小说集,山东文艺出版社1998年版
《张炜小说选》
小说集,美国Blue
DiamondPublishingCorp
1998年版
《逝去的人和岁月》
小说集,法国Bleu
de Chine1999年版
,台湾联合出版公司2001年出版
《怀念黑潭中的黑鱼》 小说集,北岳文艺出版社2001年版
《蘑菇七种》小说集,南海出版公司2001年版,台湾印刻出版公司2002年出版
《鱼的故事》
小说集,时代文艺出版社2001年出版
《庄周的逃亡》
小说集,江苏文艺出版社2003年出版
《张炜中短篇小说年编》
中短篇小说集,安徽文艺出版社2013年1月出版
Traductions en français
Roman
Le vieux bateau, traduit du chinois et préfacé par Annie
Bergeret-Curien et Xu Shuang, éditions du Seuil, coll. Cadre
vert, mai 2014, 624 p.
Nouvelles
Partance, récits d’ailleurs, recueil de quatre nouvelles
traduites du chinois par Chantal Chen-Andro, couverture de
Fabienne verdier, Bleu de Chine, février 2000, 120 p.
|
|