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Jin Yucheng
金宇澄
Présentation
par Brigitte Duzan, 9 juillet 2015, actualisé 26 décembre 2023
Jin Yucheng est
aujourd’hui l’un des écrivains les plus représentatifs
de Shanghai. Il a plus de soixante ans, publie depuis
1985, est rédacteur en chef de la prestigieuse revue
Littérature de Shanghai (《上海文学》杂志),
et pourtant, c’est seulement récemment que son nom est
sorti des cercles restreints de la critique littéraire :
parce qu’il a publié fin 2012 un roman écrit en dialecte
de Shanghai (légèrement adapté) qui a été couvert de
prix : « Fanhua » ou « Blossoms » (《繁花》).
« Fanhua »
a, en particulier, figuré en tête de la liste des dix
meilleurs romans établie par le Quotidien du peuple pour
2013 – année de son édition en livre
.
Il a déclenché une vague de réflexions et discussions
sur la place des dialectes et langues locales dans la
Chine d’aujourd’hui. Et comme le roman est en outre est
en |
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Jin Yucheng |
cours d’adaptation au cinéma par Wong
Kar-wai, on va en parler encore longtemps… C’est certainement
l’une des œuvres littéraires chinoises les plus marquantes du
début des années 2010.
Ecrivain tardif, pour
cause de Révolution culturelle
Jin Yucheng (金宇澄)
est né en décembre 1952 à Shanghai. Comme il n’a commencé à
écrire qu’après la Révolution culturelle, et qu’il s’est arrêté
pendant longtemps encore après, à cause de ses obligations
professionnelles, on l’a surnommé « celui resté tapi dans le
monde de la fiction » (小说界的“潜伏者”).
A eux ans, arrestation du
père
Ses parents, photographiés en 1952 |
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Il est né dans une
famille
de riches
commerçants de Wujiang (吴江),
l’un des districts urbains de Suzhou.
Mais, à
la fin de ses études secondaires, son père est parti à
Shanghai, est entré au Parti communiste et en a intégré
les réseaux clandestins. Après la libération de
Shanghai, il est devenu haut fonctionnaire de la ville.
Comme la plupart des familles d’officiels du Parti, ils
déménagent alors pour aller habiter dans les nouveaux
quartiers d’habitation de lilong de Luwan |
(卢湾的新式里弄里居住),
au sud-est de Shanghai. Ses parents ont trois enfants ; Jin
Yucheng est le fils cadet, et il a aussi une petite sœur.
Mais les
jours heureux ne durent pas longtemps. En mars 1954, les
chefs de la sécurité de la ville font l’objet d’un
procès. Le père de Jin Yucheng et ses collègues sont eux
aussi l’objet d’une enquête politique. Son père est
arrêté et on leur demande de déménager, ce que fait sa
mère, avec ses trois enfants.
Son père
reste emprisonné pendant deux ans et, quand il sort de
prison, il est envoyé travailler dans une usine de
ciment à Huzhou, dans le Zhejiang (浙江湖州).
Shanghai, dit Jin Yucheng, |
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Jin Yucheng (à dr.) avec ses parents,
son frère aîné et sa petite sœur, vers
1960 |
semblait un film
en noir et blanc. On trouve de nombreux souvenirs de cette
période dans « Fanhua ».
A seize ans,
paysan dans le Dongbei
En 1969, il a
seize ans et il part avec son frère dans le Heilongjiang. Il est
affecté à la ferme de Nenjiang, dans le district de Heihe (黑龙江嫩江农场),
où il va rester huit ans.
Un ancien bâtiment de la ferme de
Nenjiang |
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A
l’arrivée à la ferme, tous les jeunes instruits doivent
d’abord passer un interrogatoire (“过堂”) :
que font tes parents, quel est leur statut politique ?
Il est étonné de voir leurs dortoirs entourés de hauts
murs, avec des barbelés, et des tours d’observation aux
quatre coins ; il apprit par la suite que la ferme était
un camp qui avait été construit par les soviétiques
.
Pendant
ces huit années, Jin Yucheng cultive du maïs, du soja,
et, à la morte saison pour les travaux des champs, il
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fait toutes
sortes de petits boulots : il travaille comme ouvrier dans une
briqueterie, il est maçon, couvreur, il fabrique des kang,
creuse des puits, répare des cuves ; il élève même des chevaux
pour la ferme.
En 1974, il
rentre chez lui rendre visite à sa famille ; il rencontre une
jeune fille qui vient de terminer ses études secondaires dans
une école technique, quelqu’un doté d’une mémoire fantastique,
capable de réciter par cœur « Jane Eyre », « Pride and
Prejudice », « Les Misérables », « Quatre-vingt-treize »,
autant de livres interdits que très peu de gens avaient lus.
Tous les mercredis après-midi, elle s’asseyait sous le grenadier
devant sa maison, et elle récitait en tricotant, pendant deux ou
trois heures.
Retour à
Shanghai
Il ne rentre à
Shanghai qu’en 1977. Après la mort de Mao, tous les « jeunes »
comme lui tentent désespérément de revenir chez eux. Les uns se
font porter malade, feignant une hépatite, d’autres simulent un
handicap. Jin Yuchang a eu un ulcère à l’estomac. Alors beaucoup
sont venus le voir pour qu’il aille se faire examiner à
l’hôpital sous un faux nom. En un mois, il a ainsi subi sept ou
huit radios. Un jour, un médecin l’a reconnu et l’a pris à
l’écart pour le mettre en garde, en lui disant que ce qu’il
faisait était dangereux, que s’exposer à trop de rayons X
pouvait avoir de graves conséquences sur sa santé. Mais c’était
chose courante.
Dans « Fanhua »,
il raconte même une histoire atroce à ce sujet. C’était
un voyage en train très long
pour aller à Heihe, trois jours et quatre nuits ; un jour, le
train s’est arrêté pour une halte, et une jeune fille est
descendue, mais, elle est remontée dans le mauvais train ; quand
elle s’en est rendu compte, elle a vite essayer de redescendre,
mais sa jambe est restée coincée entre le marchepied et le quai
et a été broyée. Elle est restée handicapée ; donc elle est
l’une des premières à avoir pu rentrer à Shanghai. Quand les
autres l’ont vue partir, tout le monde l’a enviée d’avoir obtenu
un hukou de Shanghai, personne n’a songé que c’était
parce qu’elle avait perdu une jambe.
Pendant toutes ces
années, la seule distraction de Jin Yucheng a été d’écrire des
lettres à ses amis. « En y réfléchissant, a-t-il expliqué
,
quand je suis devenu écrivain, ce sont ces lettres qui ont été
la base initiale de ce que j’ai écrit. J’ai toujours eu envie
d’écrire quelque chose, mais ce n’est que lorsque je suis revenu
à Shanghai que j’ai pensé que je pouvais en faire de la
littérature. »
Et c’est la
littérature qui a changé son destin.
Le salut par la littérature
Au
lendemain de la Révolution culturelle, son père est
réhabilité, il récupère sa réputation, ses fonctions
politiques et son logement. Jin Yucheng, lui, travaille
dans une usine de pièces détachées d’horlogerie.
Il a déjà
trente-trois ans quand, en 1985, il publie sa première
nouvelle, dans la revue Mengya (《萌芽》杂志)
: « La rivière disparue » (《失去的河流》) ;
elle est suivie de trois autres, l’année suivante, dans
la même revue : « Taches solaires » (《光斑》),
« L’île » (《方岛》),
et « Terre étrangère » (《异乡》).
Jin Yucheng obtient le prix décerné par la revue les
deux années de suite.
C’est
grâce à cela qu’il peut intégrer un cours de formation
pour jeunes écrivains, le premier créé à Shanghai par
l’Association des écrivains de la ville. Il |
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Mengya, 1986 |
s’est retrouvé là
avec
Sun
Ganlu (孙甘露)
– qui, lui, était facteur - et quelques autres : c’est le début
de la nouvelle génération des écrivains de Shanghai.
En 1986,
la revue « Littérature de Shanghai » (《上海文学》)
sort un numéro spécial consacré aux jeunes auteurs de
Shanghai avec une nouvelle de Jin Yucheng, « L’île dans
le vent » (《风中鸟》),
une de Sun Ganlu, « Visite au monde des rêves » (《访问梦境》)
et une troisième de Ruan Haibiao (阮海彪)
« Il est facile de mourir» (《死是容易的》).
En 1988, « L’île dans le vent » est primée par la revue.
Cette
année-là, Jin Yucheng devient membre de l’Association
des écrivains et membre de la rédaction de la revue
« Littérature de Shanghai ».
Travail de rédaction
Il a
accédé au monde des lettres, mais son travail
l’accapare : il publie encore quelques nouvelles, dans
la revue Shouhuo (《收获》),
et, en 1990, un recueil |
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Recueil de nouvelles « Perdu dans la nuit
» |
intitulé « Perdu
dans la nuit » (《迷夜》),
qui apparaît comme relevant de la « littérature d’avant-garde »
de l’époque
.
Recueils d’essais : L’époque
du brassage de cartes |
|
Il cesse
ensuite d’écrire pour se consacrer pleinement à son
travail de rédacteur, n’écrivant que quelques essais à
l’occasion, qui seront publiés dans un recueil en 2006,
sous le titre de l’un d’eux : « L’époque
du battage des cartes » (《洗牌年代》).
Une écriture complexe, recherchée, très littéraire : Jin
Yucheng montre là l’une de ses caractéristiques
essentielles, l’accent mis sur le style. Il a dit
regretter l’uniformisation et l’appauvrissement de la
langue dans la littérature chinoise moderne : on peut
lire les textes écrits aujourd’hui sans buter sur un
caractère, plus besoin de dictionnaire.
C’est
cette recherche de style original posée comme priorité
qui est la marque distinctive de « Fanhua » (《繁花》),
recherche linguistique et stylistique qui fait de ce
roman un ovni dans le paysage littéraire chinois de ce
début des années 2010, en le rendant en même temps
quasiment intraduisible. |
Fanhua
« Fanhua »
(《繁花》)
est la peinture d’un univers, l’univers de la vieille
ville de Shanghai, revisitée par un écrivain de soixante
ans qui en évoque les souvenirs, les siens et ceux de
ses amis et proches, dans une langue qui est la sienne,
et la leur : ce qu’on appelle le dialecte de Shanghai ou
Shanghai hua (上海话).
Un Shanghai hua lui aussi revisité, remodelé pour
le rendre |
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Jin Yucheng présentant son roman
Fanhua |
accessible aux
lecteurs non shanghaïens.
“…
如果说《繁花》有什么野心的话,就是它建立了一座与南方有关,与城市有关的人情世态的博物馆。”——《收获》执行主编程永新
« Si l’on cherche quelle est
la grande réussite de
« Fanhua »,
c’est d’avoir créé un musée de l’univers émotionnel lié à la
ville, et lié au sud. » Cheng
Yongxin, rédacteur en chef de Shouhuo.
L’écriture, en fait, s’est
effectuée en trois étapes : internet, revue, édition.
Genèse
Fanhua, illustration de Jin
Yucheng |
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« Fanhua »
est l’œuvre de toute une vie, mais Jin Yucheng a
commencé à l’écrire en 2011 : le 10 mai 2011 à midi,
très exactement, sous le pseudonyme à relents
littéraires « Le solitaire de la mansarde » (“独上阁楼”),
il a posté un premier texte sur le forum du site
Longdang (弄堂网)
,
un site, créé par un ami de l’écrivain Chen Cun (陈村),
qui est dédié à l’histoire, à la langue et aux souvenirs
de Shanghai.
Il est très vite devenu
très connu ; les lecteurs l’ont surnommé « Vieil oncle »
(“爷叔”),
et « Lao Kela » (“老克腊”),
une expression calquée sur l’anglais signifiant « la
classe »,
avec un côté tradition, sans être passéiste... très
shanghaïen.
Commence alors un échange stimulant
avec les lecteurs
.
Petit à petit, les personnages apparaissent, |
se multiplient ;
au début, Jin Yucheng écrit deux à trois cents caractères par
jour, puis il finit par en écrire cinq mille. Parfois, il a des
réunions, son travail l’absorbe, il ne peut pas écrire de
plusieurs jours, alors les lecteurs s’impatientent :
“老爷叔,不要吊我胃口好吧。”eh,
vieil oncle, tu m’aiguises l’appétit !
Il ne faisait que
reprendre, et actualiser à l’heure d’internet, la vieille
tradition chinoise des romans publiés par épisodes (传统连载小说).
Il écrit ainsi
pendant cinq mois, jusqu’à avoir un total de 330 000
caractères, et il intitule provisoirement son récit « Une
histoire de fantômes shanghaïens » (《上海阿宝》)
,
en le replaçant par là-même dans une longue tradition littéraire
remontant, à travers Pu Songling, aux
origines du
xiaoshuo.
Il envoie
ce texte à des amis écrivains, qui lui en font l’éloge,
mais en profitent aussi pour lui faire des suggestions.
Il en conçoit alors un projet plus ambitieux :
“在以往的文学作品里,上海经常被处理成很表面的状态,比如外滩、旗袍、百乐门,我写这个小说,写城市的日常生活,希望能消除人们对上海浅表的看法,也能够回击‘城市无文学’的论调。”
« Dans
la littérature, jusqu’alors, Shanghai était le plus
souvent représentée de façon superficielle, avec des
clichés récurrents, le Bund, les qipao, les bals ; moi,
dans ce récit, j’ai voulu décrire la vie quotidienne de
Shanghai, en espérant pouvoir éliminer cette vision
simpliste de la ville et, en même temps, lutter contre
l’image de "ville sans littérature". » |
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Fanhua, illustration Jin Yucheng |
Fanhua, illustration Jin Yucheng |
|
Ce qu’il
écrit est donc totalement en rupture avec ce qu’on a
écrit sur Shanghai jusqu’à lui, y compris les grands
auteurs comme
Wang
Anyi (王安忆),
d’abord par le sujet, et ensuite par la langue. Il a dit
que Shanghai était une pyramide, et qu’on n’en avait
montré que le sommet éclairé. Il a voulu montrer la base
encore dans l’obscurité.
Ce qu’il
a raconté dans son livre, ce sont des histoires vraies,
basées sur des souvenirs ; c’est la vie des gens
ordinaires, |
la vie des
ruelles de Shanghai, et il l’a raconté dans la langue des
ruelles, le shanghai hua… mais un shanghai hua
remodelé et personnalisé.
Révision pour
Shouhuo
Il continue à écrire,
mais sans plus publier les textes sur internet après
avoir signé son contrat d’édition. Le roman paraît dans
les deux numéros spéciaux printemps/été et automne/hiver
2012 de la revue Shouhuo, ou Harvest (《收获》杂志).
Le rédacteur Cheng
Yongxin (程永新)
a exercé une influence déterminante sur le roman : il a
demandé à Jin Yucheng de revoir son texte, de manière à
en rendre le dialecte compréhensible pour les Chinois
hors de Shanghai. Jin Yucheng a donc fait tout un
travail sur la langue, pour la rendre accessible mais
sans enlever l’aspect dialectal qui fait une grande
partie de l’intérêt du roman.
Cheng Yongxin expédia
les numéros aux critiques littéraires, dont Cheng Depei
(程德培)
dont l’article |
|
Le plan d’un quartier (illustration
de Jin Yucheng pour Fanhua)
|
élogieux fut l’un des premiers
à attirer l’attention sur le roman, en particulier celle du
critique d’art Wu Ke (吴亮),
qui fut d’abord critique littéraire et promoteur en particulier
de Sun Ganlu. L’enthousiasme
fut aussi vif chez les lecteurs.
Un roman dont le succès
tient autant au fond qu’à la forme
Avant même la publication du
roman dans Shouhuo, la maison d’édition « Littérature et
art de Shanghai » (上海文艺出版社)
en avait déjà entendu parler et manifesté son intérêt en
demandant un manuscrit à Jin Yucheng. C’est la langue, ici
aussi, qui séduisit le responsable de l’édition littéraire :
aucun des auteurs shanghaïens n’avait pensé à utiliser le
dialecte ainsi. Un texte en dialecte aurait normalement
nécessité une foison de notes pour le rendre compréhensible de
la masse des lecteurs. Il y a eu en fait un double travail
sur la forme.
Jin Yucheng chez lui |
|
Ce travail touche le vocabulaire et
les expressions, avec, d’une part, suppression de termes
dialectaux, en particulier ceux fondés sur l’onomatopée,
et, d’autre part, réutilisation d’expressions anciennes
disparues qui donnent à « Fanhua »
une saveur de texte classique
.
Mais le travail a porté
aussi sur le style général. Jin Yucheng a privilégié
l’utilisation de phrases courtes, avec très peu de
ponctuation, et des |
dialogues sans points
d’interrogation. Il s’agissait de revenir vers un style proche
de celui de la littérature traditionnelle de la Chine ancienne.
Le texte est donc à la fois le reflet de la culture
traditionnelle de Shanghai et de la langue par laquelle elle
s’exprime, et un texte d’un style résolument ouvert et se
voulant classique.
Quand « Fanhua »
paraît en mars 2013, en trente-six chapitres avec une
introduction et une conclusion, c’est aussitôt un
immenses succès. Il est illustré de douzaines de dessins
et de cartes de la main de Jin Yucheng qui complètent le
texte visuellement. Il a déjà fait l’objet de plusieurs
révisions et rééditions, marquées par des couvertures
différentes, comme si la forme finale restait encore à
parachever.
L’utilisation du dialecte fait l’unanimité. Comme l’a
dit Li Jingze (李敬泽),
si |
|
Jin Yucheng lors d’un débat sur le thème
de la ville,
avec le critique Cheng Depei (au milieu)
et la romancière/rédactrice Zhou Jianing |
Jin Yucheng
n’avait pas utilisé le dialecte, il aurait eu du mal à se faire
remarquer au milieu des milliers de livres qui paraissent chaque
année. Mais le dialecte n’est finalement que le moyen de trouver
une expression personnelle, non standardisée.
Jin Yucheng avec Wong Kar-wai |
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Au-delà de la forme,
cependant, il y a aussi les histoires contées qui font
le succès de l’œuvre. « Fanhua » couvre un
demi-siècle d’histoire de la ville en deux parties, des
années 1960 à la fin de la Révolution culturelle, et des
années 1980 au début du 21ème siècle, deux
parties comme les deux visages de la ville, celle
préservée dans le souvenir et la métropole moderne
d’aujourd’hui.
Il y a plus d’une
centaine de personnages, dont la plupart sont inspirés
de personnages réels, comme ce Xiao Mao (小毛)
haut en couleur, par exemple, qui n’est autre qu’un ami
de Jin Yucheng ; il est parti avec lui à Heihe en 1969
et ne l’a jamais perdu de vue ensuite, même après être
devenu rédacteur et écrivain, tandis que Xiao Mao était
gardien d’usine. C’est lui qui lui a raconté nombre
d’anecdotes reprises dans le roman tandis que Jin
Yucheng puisait dans ses propres souvenirs et
rencontres. |
On peut voir dans la relation
de l’écrivain et de son ami gardien une illustration de la
manière dont il définit son roman, par une relation réciproque
entre le noble ya
“雅”et
le vulgaire su
“俗”qui
tient à l’utilisation même du dialecte. Car c’est le dialecte
qui permet d’obtenir une sorte de relation réciproque et
dynamique entre les deux -
“雅俗互有”-
qui fait toute la richesse et l’originalité du roman :
“很多小说是往“雅”这方面走,比如上海叙事都往“雅”方面走,甚至“雅”已走太多了,旗袍也好,灯红酒绿也好,很多活泼的民生呢,最底层的生活啊或最基本的生活观啊,都被惯常的“雅”叙事掩盖,所以《繁花》往另一方面在走,试着发现一些什么。”
Beaucoup de romans tendent
vers une forme noble
“雅”
avec les clichés habituels, qipao, lampes
rouges, etc… ; tout ce qui relève de la vie populaire est écrasé
sous les récits nobles ; « Fanhua » tente au contraire de saisir
la totalité du tableau.
Le roman a été couvert de prix,
et figure en tête du classement des meilleurs romans de 2013. En
même temps, il a lancé tout un débat sur l’importance des formes
dialectales du chinois, contre l’emprise uniformisante du
putonghua. C’est sans doute le plus important, car il apporte
une preuve éclatante de la vitalité des dialectes, alors que
ceux-ci, partout en Chine, sont en train de retrouver une place
qu’ils avaient perdue.
Avec Jin Yucheng, celui de
Shanghai a acquis ses lettres de noblesse…
Le roman a été
l’un des cinq lauréats du
9ème
prix Mao Dun,
en 2015.
Il a été
adapté en série télévisée par
Wong Kar-wai (王家卫)
: en 40
épisodes, la série est intitulée « Blossoms
Shanghai » (《繁花》) ;
elle est sortie le 27 décembre 2023, dans la version originale
en dialecte de Shanghai sur WeTV de Tencent et doublée en
chinois standard sur CCTV8.
Publications
·
Fiction
Nouvelles courtes
1985 Dans la revue Mengya《萌芽》:
« La rivière disparue »
《失去的河流》
1986 Trois nouvelles dans la
même revue :
« L’île »《方岛》,
« Taches solaires »《光斑》,
« Terre étrangère »《异乡》
Dans la revue
« Littérature de Shanghai » : « L’oiseau dans le vent »
《风中鸟》
1990 Dans la revue Shouhuo《收获》:
« Désir »
《欲望》
1993 Dans la même revue, deux
nouvelles :
« La légende de
l’oiseau immortel »
《不死鸟的传说》et
« Perdu dans la nuit »《迷夜》
Nouvelles moyennes
(novellas)
1991 « Légers frimas »
《轻寒》
Réédition en août 2018.
Recueils de nouvelles
1994 « Perdu dans la nuit »《迷夜》(百家出版社)
2018 (août) « L’île »《方岛》-
recueil de neuf
nouvelles des années 1980 et 1990.
Roman
2012 Dans le numéro
automne-hiver de la revue Shouhuo《收获》:
Fanhua《繁花》
·
Non-fiction
2006 « L’époque du battage des
cartes »
《洗牌年代》(文汇出版社),
recueil de notes au
fil de la plume (随笔集)
2012 Dans la revue Zhongshan :
« Un bol – souvenirs des morts » 《碗——死亡笔记》
recueil d’essais
sanwen (散文集)
2014 Dans le mensuel
Shenghuo《生活月刊》:
« Tout a retrouvé le calme »
《一切已归于平静》
recueil d’essais
sanwen (散文集)
en souvenir de ses parents.
2016 (février) Recueil remanié
publié sous le titre « Regard rétrospectif »
《回望》
(广西师范大学出版社)
2018 (août) « Un bol »
《碗》aux éditions du
peuple de Shanghai (上海人民出版社)
Traduction en français
Battre les cartes
《洗牌年代》, trad. Stéphane
Lévêque et Yannan Wu avec le concours d’Alexandre Pateau,
illustrations intérieures et de couverture par l’auteur, éd.
Picquier 2022.
Traduction en anglais
A Nest of Nine Boxes, 4
nouvelles, trad.
Yawtsong Lee,
Better Link Press, 2016, 184 p.
À lire en complément
Jin Yucheng :
essais
Jin Yucheng :
Nouvelles
A
Bao (《阿宝》)
est un récit des « Contes étranges du Studio des
loisirs » (《聊斋志异》)
de Pu Songling (蒲松龄).
En particulier des expressions des romans du courant dit
« canards mandarin et papillons ». Par exemple
l’expression
“低鬟一笑”
dīhuán
yíxiào
rire en baissant la tête, de façon modeste et réservée,
comme il se devait aux femmes autrefois - où
鬟 huán
est une ancienne coiffure avec une sorte de double
chignon sur les deux côtés de la tête.
Interview de
septembre 2014 publiée sur le portail sina :
在雅俗文化中做一个有温度的人.
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