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Yan Ge
颜歌
Présentation
par Brigitte Duzan, 09 août 2012,
actualisé 13 octobre 2018
Yan Ge (颜歌)
fait partie de la génération dite « post-80 » qui a
émergé sur la scène littéraire chinoise à la suite du
concours annuel visant à distinguer les nouveaux talents
littéraires initié par le magazine shanghaïen Mengya (《萌芽》杂志)
en 1998.
Les lauréats de
ce concours,
Han Han (韩寒),
Guo Jingming (郭敬明) et autres, ont
longtemps été considérés comme de peu d’intérêt, leurs
écrits étant balayés comme de simples libelles
d’étudiants rebelles.
Les choses sont
en train de changer, sans doute parce qu’ils sont en
train de mûrir. Le critique littéraire Bai Ye (白烨),
par exemple, chercheur à l’Académie chinoise des
Sciences sociales célèbre pour être entré dans une
controverse animée avec Han Han par blogs respectifs,
leur a récemment reconnu un potentiel certain. |
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Yan Ge |
Yan Ge, en particulier,
est reconnue comme l’une des plus douées de cette génération
montante. Elle a été mise à l’honneur à la Foire du Livre de
Pékin, en septembre 2011. L’une de ses nouvelles a été publiée,
avec une traduction en anglais, dans le numéro cinq de la
revue Chutzpah/Tiannan
d’Ou Ning, en décembre 2011.
Une valeur
montante
De son vrai nom Dai
Yuexing (戴月行),
Yan Ge (颜歌)
est née en décembre 1984 dans le district de Pixian de la ville
de Chengdu, dans le Sichuan (四川省成都市郫县).
Elle a fait un doctorat en littérature comparée à l’université
de Chengdu.
Elle a perdu sa mère à
l’âge de six ans, et cela semble avoir laissé une marque
profonde en elle : elle a dit avoir longtemps aimé faire débuter
ses récits par la simple phrase « Ma mère est morte. » (“我的母亲死去了。”),
comme un leitmotiv.
Le bouton de jade de Marmara |
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Elle a en effet
commencé à écrire très tôt, et publié un premier récit
dès 1994. Sa carrière a cependant vraiment démarré en
2000, lorsqu’elle a commencé à faire paraître sur
internet, sur le site rongshu (榕树),
des nouvelles qui ont tout de suite rencontré beaucoup
de succès.
L’année
suivante, elle a été citée par l’Institut de littérature
Lu Xun parmi les dix meilleures jeunes romancières
chinoises, et, en février 2002, sa nouvelle « Mes seize
ans et la fin du monde du village » (《我的十六岁和村上世界的尽头》) a gagné la quatrième compétition des « nouveaux concepts d’écriture »
organisée par le magazine Mengya (“全国第四届新概念作文大赛”).
Cette année-là, une autre nouvelle, « La harpe
merveilleuse » (《锦瑟》),
publiée dans le magazine, a été l’une des plus lues.
En janvier 2003
paraît son premier recueil, vingt-quatre nouvelles
publiées aux Editions des Travailleurs |
(中国工人出版社) sous le titre de l’une d’elles : « Le bouton de jade de Marmara » (《马尔马拉的璎朵》)
.
2005-2015 : Dix
ans de maturation
A partir de
2004, elle commence à publier des romans, le premier en
août : « Guanhe » (《关河》).
Elle explique qu’elle l’a écrit pour faire une croix sur
son passé, et qu’elle n’y reviendra plus. Elle poursuit
six mois plus tard avec un recueil de nouvelles. C’est
le rythme qu’elle va conserver dans les années
suivantes.
En septembre
2005, elle publie un roman, « Une belle journée »
(《良辰》), qui inaugure une période de recherche formelle et stylistique. C’est en
fait une série de récits ayant tous pour personnage
principal un homme nommé Gu Liangcheng (顾良城)
qui apparaît sous des apparences diverses, comme un
caméléon : apiculteur, dramaturge, réparateur de
voitures, fabricant de couronnes de fleurs, etc… C’est
un homme solitaire, sans famille, déraciné et sans
espoir.
En 2006, après
une nouvelle, « La femme sous la treille (《葡萄藤下的女人》),
elle publie un roman très original : « Le
livre des animaux
étranges »
(《异兽志》)
.
Il a pour cadre la ville imaginaire de Yong’an (永安城). C’est en fait une
caricature de la société moderne pleine d’imagination,
en neuf chapitres et une postface, où chaque chapitre
est consacré à un animal bizarre mais emblématique, le
tout représentant un condensé d’humanité : animaux
tristes (悲伤兽),
animaux gais (喜乐兽), animaux sacrificiels (舍身兽),
animaux aux abois (穷途兽),
etc…
Outre la forme,
Yan Ge y soigne aussi son style, qui évolue vers un
mélange de réalisme et de fiction fantaisiste. Ce livre
est la matrice des romans à venir.
En octobre 2007
paraît « Printemps au village de Taole » (《桃乐镇的春天》)
,
puis, en juillet 2008, « May Queen », ou
Reine de mai » (《五月女王》),
présenté comme contant les souvenirs d’un petit village
dans les années 1980. La forme caractéristique des
nouveaux romans de Yan Ge apparaît là : sur dix-huit
chapitres, quatre lignes narratives se croisent en
partant d’une mort énigmatique, celle de la jeune Yuan
Qingshan (袁青山),
disparue en emportant avec elle le secret de son amour.
Le récit est en deux parties, la
seconde étant,
en quelque sorte, la face cachée de la première.
Enfin, en août
2011, juste avant la Foire de Pékin qui l’a mis en
exergue, elle publie son roman sans doute le plus achevé
à ce jour : « La symphonie des sons »
(《声音乐团》),
dont la musique forme le fil narratif directeur, et en
particulier la deuxième symphonie de Mahler qui est
sensée détenir la clef de l’énigme au cœur du livre.
Yan Ge y décrit
l’histoire d’une jeune fille, Liú Róngróng
(刘蓉蓉), dont la vie a été largement déterminée par une série de musiciens, à
commencer par son père, qui était un obscur petit
violoniste. Situé dans la ville fictive de Yong’an
(comme « Le livre des animaux étranges ») et bâti sur
plusieurs lignes narratives, le récit est construit en
boucle, en partant de la mort accidentelle de Liu
Rongrong à la fin d’un concert et en remontant aux
événements de sa vie qui ont conduit à cette mort sur
laquelle se conclut le livre.
Le récit
initial, écrit par Liu Rongrong, est laissé inachevé à
sa mort. Une cousine éditrice, voulant le publier, fait
des recherches pour le compléter, et tente de percer les
mystères de Yong’an, et de Liu Rongrong. Comme « May
Queen », le livre est ainsi en deux parties qui se
répondent.
Avec ce roman,
Yan Ge a gagné une notoriété qui en fait l’un des chefs
de file de la génération des écrivains « post-80 », bien
qu’elle-même récuse cette étiquette.
Elle a depuis
lors continué à publier, en particulier « Témoin
des nuages » (《云的见证者》),
son
premier recueil
d’essais et écrits « au fil de la plume » (第一本散文随笔集),
sorti en juin 2012.
Elle a
elle-même défini ainsi ce qui la pousse à écrire, et
l’objectif qu’elle poursuit en écrivant :
打动我们的是共同的那结秘、那些不可言说的沉默之美。这就是我一直写小说的原因,我的小说是象,世界上的秘密是意。每一个小说家用来表达的,都是他自己的人生而已,至少我是如此,声嘶力竭地1,歇斯底里地2,
终于会达最后的静默。 小说是沉默的儿子…
Ce qui nous
émeut, c’est la beauté de tous ces silences indicibles,
mais qui renferment tant de mystère. C’est cela qui me
pousse à écrire ; mes récits sont l’image, le sens caché
des énigmes du monde. Ce qu’exprime chaque écrivain,
c’est sa propre existence, et c’est aussi mon cas : je
crie à en perdre la voix, comme une hystérique, pour
parvenir à atteindre in fine l’ultime non-dit.
Le roman est
le fils du silence…
1.声嘶力竭
shēngsī lìjié
crier à en perdre la voix
2.歇斯底里
xiēsī dǐlǐ
hystérique
En mai 2013,
elle a publié un nouveau roman, « Notre famille »
(《我们家》),
dont un extrait, traduit en anglais par
Nicky Harman,
est paru dans le numéro cinq de
Chutzpah/Tiannan : « Dad is not dead » (《爸爸没有死》)
et dont la traduction en français est donnée en
complément du présent article (voir ci-dessous). Mais le
roman est un portrait déguisé de chez elle.
2015 :
Fables à la sauce au soja du Sichuan
Souvenirs de
Pixian
Sorti en mai
2015, « Désolantes histoires du bourg de Pingle »
(《平乐镇伤心故事集》)
est un nouvel opus qui se situe dans la continuation de
« Reine de Mai » et surtout de « Notre famille ».
L’histoire est un condensé de vie locale du Sichuan
présentée à travers la vie dans une bourgade fictive, le
bourg de Pingle (平乐镇),
qui est à l’image de son Pixian natal (郫县).
Comme l’indique
le titre (故事集),
ce n’est cependant pas un roman, mais une suite de cinq
récits de longueur moyenne (中篇小说),
précédés d’une introduction
:
Introduction
« En guise de préface : mais où pourrais-je bien vouloir
aller »
(代序 :
可是我哪里都不想去)
1. Le cheval
blanc (《白马》)
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Guanhe
Une belle journée
Le livre des animaux étranges
May Queen
La symphonie des sons
Témoin des nuages
Notre famille |
2. Tang Baozhen de
l’allée du Jiangxi (《江西巷里的唐宝珍》) (prix
Littérature du peuple)
3. L’équipe des
Olympiades de mathématiques de 1995 (《奥数班1995》)
4. Le miroir de la
sorcière (《照妖镜》)
5. Les thés des
« trois un » (《三一茶会》)
Désolantes histoires du bourg de Pingle
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Le premier récit, qui
a déjà été traduit en anglais,
est l’histoire d’une petite fille qui vit avec son père veuf et
ne cesse de voir un cheval blanc, rêve éveillé surtout. Ce qui
est intéressant, c’est le contexte dans lequel ce cheval blanc
apparaît, celui des relations de l’enfant avec sa cousine plus
âgée, qui vit non loin de chez elle, et qui est à l’âge des
sorties avec les garçons, au grand dam de sa mère. En même
temps, le propre univers de l’enfant, si rassurant jusqu’alors,
est en train de tomber en morceaux au fur et à mesure qu’elle
découvre la réalité du monde adulte.
Dans l’introduction,
Yan Ge explique que, quand elle était petite et qu’elle passait
dans les rues poussiéreuses de sa petite ville sichuanaise, elle
se disait que, quand elle serait grande, elle s’en irait de là ;
mais, à l’âge adulte, elle ne finit pas d’y revenir, d’où le
titre : où pourrait-elle bien aller d’autre ?
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Elle raconte que, il y
a dix ans, pour aller de Chengdu à Pixian, il fallait prendre
des minibus bondés d’où les gens descendaient peu à peu en
chemin en criant au chauffeur : « Arrête-toi, c’est là que je
descends. » (师傅!在这儿下车 !)
Elle les voyait s’éloigner en se demandant où ils pouvaient bien
aller, et quelle pouvait bien être leur vie. Alors elle a
commencé à écrire l’histoire du « bourg de Pingle » (“平乐镇”)
qui est un peu leur histoire. Elle a commencé à la Fête du
Printemps de 2008 à écrire « La Reine de mai » (《五月女王》)
qui en est comme un prologue. Puis elle a écrit « Notre
famille » (《我们家》),
publié en mai 2013, qui est une autre manière d’aborder le
sujet, comme une sorte de « Fable à la sauce au soja de Pixian »
(郫县豆瓣传奇).
Ce sont des histoires
qui reflètent ses propres souvenirs, même la cinquième, une
histoire de vieilles dames qui se retrouvent pour un thé dans
l’après-midi tous les premier, onze et vingt-et-un de chaque
mois, d’où le titre (les thés des « trois uns »). C’est en fait
inspiré de ses souvenirs de sa grand-mère et de ses amies. Elle
n’osait pas le lui montrer, mais le texte a été publié
dans Shouhuo (《收获》),
donc sa grand-mère a fini par le lire : elle lui a dit qu’elle
l’avait beaucoup aimée, ses amies aussi.
Importance donnée au
style
Dans une interview
publiée sur le site Chinawriter le 10 octobre 2015,
elle a expliqué qu’elle a passé les dix dernières années à
écrire l’histoire de Pingle, et que c’était pour elle une sorte
de thérapie mentale (写“平乐镇”是种心理治疗).
Evidemment on pense à Macondo et Gaomi dans le brio avec lequel
elle recrée un monde parallèle au sien, qui est de plus en plus
proche de la réalité locale, en prise directe avec l’esprit du
lieu (越来越“接地气”).
Cette « prise
directe », elle la doit à son style, qu’elle a commencé à
élaborer en 2005, à partir de
« Une belle journée » (《良辰》),
en utilisant le
dialecte de chez elle. C’est une tendance répandue chez les
écrivains chinois aujourd’hui,
Jia Pingwa (贾平凹)
ou
Jin Yucheng (金宇澄)
par exemple. Le dialecte permet de coller à la réalité locale
dans son aspect le plus concret, les expressions dialectales
reflétant l’âme de la population, son humour aussi, car elles
sont souvent très drôles.
Mais ce n’est pas
facile à manier et à maîtriser. C’est sans doute en raison de ce
travail sur la forme que ses derniers textes sont de plus en
plus courts, comme elle le remarque elle-même (越写越短,越写越微观).
En tout cas, son
travail est apprécié par beaucoup de confrères et critiques,
témoin
A Lai (阿来) :
« 颜歌确实为地域文学、四川地域文学,提供了一种新的可能。方言是一个壳子,一个承载思想的壳子,它提供了一种表达可能,也造成了一种表达的限制,但是颜歌突破了这种限制。 »
Yan Ge a offert de
nouvelles possibilités à la littérature de sa région, le
Sichuan. Le dialecte local est une coquille, une coquille qui
soutient la pensée, c’est ce qui donne la capacité
d’expression ; c’est aussi une limitation de l’expression, mais
Yan Ge a détruit cette limitation.
Une nouvelle Yan
Ge ?
Yan Ge s’est mariée et
a déménagé en Irlande en 2015. Coupée de ses racines, elle
cherche maintenant à retrouver une nouvelle inspiration.
Interviews
A Londres en décembre
2015 :
http://uk.china-info24.com/british/tic/cul/20161228/250927.html
Writing from
In-Between : A conversation With Yan Ge (interview by Na Zhong,
Oct. 9,2018)
https://supchina.com/2018/10/09/writing-from-in-between-a-conversation-with-yan-ge/
Traduction en
français
Une famille explosive,
traduit par Alexis Brossolet, Presses de la Cité, janvier 2017.
A lire en complément
Deux textes, ou plutôt
deux portraits, écrits en préparation du roman « Notre Famille »
(《我们家》),
publié en mai 2013, qui se passe au siècle actuel dans une
petite ville du Sichuan, et que
Ou
Ning a comparé à
« Famille »
(《家》)
de
Ba Jin
(巴金).
Extrait du début du
roman, traduit en français et annoté, à lire ici même avec le
texte original en chinois :
« Papa n’est pas mort » (《爸爸没有死》
Texte traduit en
anglais par Nicky Harman, à lire dans Read Paper Republic :
« Sissy Zhong »
《钟腻哥》
https://paper-republic.org/pubs/read/sissy-zhong/
Essai initialement
publié dans la revue Dandu (《单读》杂志)
et traduit en anglais par Poppy Toland :
The Spices of Life
《平乐事》
https://paper-republic.org/pubs/read/the-spices-of-life/
Le récit rappelle le classique mythique « Le livre des
montagnes et des mers » ou
Shanhaijing
(《山海经》),
vaste recueil d’anciennes données géographiques et de
légendes diverses qui remonte aux Han occidentaux, au
premier siècle avant Jésus-Christ, mais aurait été écrit
par Yu le Grand. Livre fabuleux peuplé d’animaux
étranges et de personnages mythiques qui ont contribué à
nourrir l’imaginaire chinois au cours des siècles, mais
qui se voulait description du monde.
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