Traducteurs, interprètes et éditeurs

« La traduction, c’est la médiation entre la pluralité des cultures et l’unité de l’humanité. » Paul Ricœur

 
 
 
     

 

 

Xiaomin Giafferi-Huang / Huang Xiaomin 黄晓敏

Présentation

par Brigitte Duzan, 6 juin 2018

 

Traductrice, Huang Xiaomin est également écrivaine, enseignante et chercheuse. Son domaine est la littérature, française et chinoise : écrivant aussi bien en français qu’en chinois, et publiant dans les deux pays, elle étudie le passage d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, et le facilite par ses traductions et ses recherches. 

 

D’un pays à l’autre, …

 

Si elle vit aujourd’hui en France, où elle est maître de conférences à l’université Nice Sophia Antipolis, elle est née à Pékin, en 1955. Elle a donc onze ans au début de la Révolution culturelle, et, trois ans plus tard, doit suivre ses parents à la campagne, dans le Henan, où ils sont envoyés se faire « rééduquer ». Elle y reste deux ans, de 1969 à 1971. C’est une expérience éprouvante, qu’elle a décrite dans son roman autobiographique « La montagne de jade » - éprouvante en raison des conditions de vie, mais aussi de la découverte du sort réservé à la campagne aux jeunes préadolescentes de son âge. Le retour à Pékin est une délivrance. 

 

 

Xiaomin Giafferri lors d’une rencontre avec le public à Bordeaux

 

 

Elle étudie à l'Institut des langues de Pékin, et passe un concours pour poursuivre ses études en France. Reçue

 

Xiaomin Giafferri au salon du livre

 de Roquebrune en 2009

 

La montagne de jade

 

Le roman chinois depuis 1949

 

première, elle admise avec l’équivalent d’une maîtrise à Paris 3-Sorbonne nouvelle, et y prépare un doctorat. Son sujet de recherche étant la narratologie, elle fait une thèse sur Thérèse Desqueyroux, sous la direction d’Henri Mitterand, thèse qu’elle soutient en 1986.

 

Sur les conseils de son directeur de thèse, elle prépare alors un ouvrage sur la littérature chinoise, et plus spécifiquement sur une période rarement abordée : de 1949 aux lendemains de la Révolution culturelle, en partant de la période de Yan’an et en étendant l’étude jusqu’à la fin des années 1980. Le livre paraît aux Presses universitaires de France en 1991, sous le titre « Le roman chinois depuis 1949 ». Près de trente ans plus tard, il reste un ouvrage fondamental sur le sujet [1].

 

Elle aurait dû rentrer en Chine, les événements l’incitent à rester en France. Elle prépare un CAPES pour pouvoir enseigner, et se marie, ajoutant à son nom chinois celui de Giafferri.

   

… d’une littérature à l’autre

 

Après l’obtention du CAPES, elle enseigne d’abord en région parisienne, puis à Nice, où elle crée l’enseignement du chinois dans le secondaire.

 

En 1991, elle commence à enseigner à l’université, et partage dès lors son temps entre enseignement, recherche, écriture et traductions.

 

ü  Traductions

 

1. Elle commence par traduire du français au chinois, et s’attaque à Sartre, Camus et Baudelaire. Puis elle traduit un roman de Patrick Modiano paru en 1986 : « Dimanches d’août » (《八月的星期天》). Il se trouve que le roman décrit l’histoire d’un couple (et d’un diamant) … à Nice. Sa traduction sort en 1994. Quand Modiano est couronné du prix Nobel, en 2014, ses œuvres sont rééditées en Chine ; elles paraissent alors dans de nouvelles traductions, sauf « Dimanches d’août ».

 

2. Puis elle se tourne vers la traduction du chinois au français, sous l’impulsion de Marie-Claude Cantournet-Jacquet qui voulait traduire des romans d’un professeur chinois de droit pénal et criminologie, He Jiahong (何家弘), et qui est ensuite devenue spécialiste du roman noir, et en particulier de cet auteur [2].

 

 

Le mystérieux tableau ancien, He Jiahong

 
 

Les dimanches d’août en chinois,

 édition 1994

 

Les dimanches d’août, réédition 2014

 

Elles traduisent donc ensemble une série de romans de He Jiahong qui paraissent à partir de 2002 aux éditions de L’Aube. Ils ont pour l’éditeur l’attrait de l’originalité, mais surtout un fort contenu socio-culturel, l’intrigue policière étant en fait le prétexte d’un tableau de la société et des mentalités, comme souvent dans ce genre. Le dernier opus est sorti en 2015 (voir Publications ci-dessous).

 

3. C’est alors que, par un heureux hasard, Xiaomin Giaferri fait la rencontre du romancier Ge Fei (格非), lors d’une visite de celui-ci dans le Sud de la France, lui organisant des rencontres avec des lecteurs au cours de son séjour à la Résidence d’écriture de Saorge. Vieux village perché de l’ancien comté de Nice, Saorge abrite en effet un ancien couvent de Franciscains réformés, ou Récollets, fondé en 1633 et classé aux Monuments historiques en 1917. C’est pour le faire revivre d’une manière finalement assez proche de sa configuration d’origine que l’ancien monastère a été reconverti en 2001 en Résidence d’écriture pour écrivains, traducteurs, scénaristes et même compositeurs de musique.

 

Ge Fei y a été en résidence la première année, en 2002. C’est Marie-Claude Cantournet qui lui a proposé de traduire certaines de ses nouvelles. Il a accepté en demandant qu’elle co-traduise, comme pour He Jiahong, avec Xiaomin. Or, deux nouvelles de Ge Fei avaient déjà été traduites, par

 

Résidence d’écriture

du monastère de Saorge

Chantal Chen-Andro, six ans auparavant [3]. Donc Xiaomin Giafferri était un peu réticente, considérant que Ge Fei avait déjà une traductrice française. Mais elle a finalement accepté.

  

Impressions à la saison des pluies

 

Ce sont finalement quatre nouvelles qui ont été traduites, et publiées aux éditions de L’Aube, dans la collection Regards croisés dirigée par Marion Hennebert. Les deux premières seules sont co-traduites, les deux autres sont traduites par Xiaomin seule.

 

Les deux premières, « Vert Jaune » (《青黄》) et « Impressions à la saison des pluies » (《雨季的感觉》), ont été publiées ensemble sous le titre de la seconde, le recueil étant préfacé par Xiaomin Giafferri. Puis devait sortir un autre recueil de deux nouvelles, mais, la première étant une nouvelle « moyenne » (中篇小说) un peu longue, elle a finalement été publiée séparément : c’est « Poèmes à l’idiot » (《傻瓜的诗篇》), publié comme « roman », en 2007. La seconde nouvelle, plus courte, « Coquillages » (《蚌壳》), est sortie l’année suivante.

 

4. Xiaomin Giafferri n’a plus rien traduit jusqu’en 2014, quand un autre hasard lui fit rencontrer, à Nice, une écrivaine de la région de Dalian dont elle entreprit alors de traduire un roman, ou plutôt, à nouveau, une nouvelle « moyenne ».

 

Il s’agit de Sun Huifen (孙惠芬), écrivaine qui a participé, en octobre 2014, à une table ronde intitulée « Terres littéraires d’aujourd’hui » dans le cadre des 3èmes Rencontres littéraires franco-chinoises. La table ronde devait réunir cinq écrivains français et cinq écrivains chinois : Liu Heng (刘恒), Zhang Wei (张炜), le poète Lei Pingyang (雷平阳) et Tie Ning (铁凝), plus elle. La défection de Tie Ning les réduira à quatre.

 

La nouvelle qu’elle a choisie a été publiée en 2012 avec cinq autres dans un recueil intitulé « Nouvelles de la campagne, de Sun Huifen » (《孙惠芬乡村小说》) ; il s’agit de « Bonne » (Baomu《保姆》). Mais elle a préféré traduire le titre autrement, du nom du personnage principal [4] : « La cousine Perle » ; en effet, non seulement l’héroïne est une cousine de la narratrice, mais l’une des traductions chinoises de « cousine » est yi , qui signifie littéralement « tante », mais aussi « bonne ».

 

 

Le recueil des « nouvelles de la campagne, de Sun Huifen »

Peinture de la société chinoise, « La cousine Perle » paraîtra en 2019 aux éditions de L’Aube.

 

ü  Autres publications

 

1. En parallèle avec ses activités de professeur, Xiaomin Giafferri a publié des manuels pour l’enseignement du chinois. Le premier est un Guide d’introduction à la langue, plutôt destiné aux débutants, avec des éléments de grammaire. L’autre est un recueil de textes qu’elle a rédigés elle-même et d’articles de presse qu’elle a simplifiés, et qu’elle a regroupés sous divers thèmes culturels. L’ouvrage est plus particulièrement destiné aux classes de LEA (Langues étrangères appliquées), niveau intermédiaire.

 

2. Elle est en outre l’auteur de nombreux articles, sur la littérature mais aussi le cinéma (voir Publications)

  

3. Enfin, Xiaomin Giafferri est l’auteur de nouvelles et de romans, certains écrits en chinois et d’autres en français. En français, ce sont deux romans : « La montagne de jade » (《翠山》), récit autobiographique sur son expérience à la campagne pendant la Révolution culturelle (en 1969-1971) et « Fleur de lotus » (《莲花》), auto-traduction d’un roman publié auparavant en Chine et contant l’histoire de trois jeunes Chinoises venues vivre sur la Côte d’Azur.

 

Mais ce qu’elle préfère, et cultive, ce sont ses essais sanwen (散文集) dont elle a publié deux recueils : « Caixing caizhi » (采荇采芝), titre difficilement traduisible sans explications car il s’agit d’une référence au Shijing ou Livre des poèmes (诗经), et « La France au fil de l’eau » (《波光掠影法兰西》). Elle n’a pas beaucoup de loisirs pour écrire maintenant, mais elle note des idées au fil des jours, en espérant pour voir écrire les essais correspondants dès qu’elle aura le temps.

 

Recueil de sanwen Caixing caizhi

 

Autres temps, autres fonctions

 

L’une des raisons pour lesquelles elle n’écrit ni ne traduit plus beaucoup est qu’elle a accepté il y a deux ans de prendre la direction de l’Institut Confucius de la Côte d’Azur. Pour cela, ses heures d’enseignement et de recherche ont été réduites à un mi-temps. Il lui faut assurer des tâches administratives et participer à des réunions chronophages. Mais ce nouveau poste lui permet aussi d’organiser des conférences, des journées d’études littéraires, des expositions. De rencontres futures naîtront peut-être de nouvelles idées de traductions….

 


 

Publications

 

Ouvrages

Le roman chinois depuis 1949, éd. PUF, Paris, 1991, coll. “Ecriture”.

La Migration, genèse des Naxi, éd. Youfeng, Paris, 1998.

L’Occident dans la nouvelle poésie chinoise (《中国当代新诗中的西方》), éd. Youfeng, Paris, 2013.

 

Traductions

 

Ge Fei 格非

Aux éditions de L’Aube

- Impressions à la saison des pluies, 2003 (cotraduit avec Marie-Claude Cantournet-Jacquet)

- Poèmes à l’idiot, 2007

- Coquillages, 2008

 

He Jiahong 何家弘

Aux éditions de l’Aube (coll. L’Aube noire), en collaboration avec Marie-Claude Cantournet-Jacquet :

 

L’Occident dans la nouvelle poésie chinoise

- Le mystérieux tableau ancien, première enquête de maître Hong, 2002

- L’énigme de la pierre Œil-de-Dragon, troisième enquête de maître Hong, 2003

- Crimes et délits à la Bourse de Pékin, quatrième enquête de maître Hong, 2011

- Crime impuni aux monts Wuyi, 2014

- Crime de sang, 2015

 

Sun Huifen 孙惠芬

 Aux éditions de l’Aube 

- La cousine Perle, 2019

 

Participation à des ouvrages collectifs

- « Aventure linguistique, écrire en français et en chinois », in Bilinguisme-Traversée poétiques des littératures et des langues, L’Harmattan, 2013, pp. 95-106.

- « Un territoire sans frontière, l’œuvre de Mo Yan en Occident », in Mo Yan : au croisement du local et de l’universel, acte du colloque international, Seuil, Paris (à paraître).

- « Feng Yuanjun », « Ling Shuhua », « Shi Pingmei », « Su Xuelin », « Xu Yuanhua », in Dictionnaire universel des créatrices, éd. des femmes-Antoinette Fouque, édition brochée 2013, eBook 2015.

 

Méthodes d’enseignement

 

Guide d’introduction à la langue chinoise, éd. Baie des Anges, Nice, 2000.

Tian Tian Du, Langue et culture, méthode de chinois, niveau intermédiaire, éd. Ellipses, Paris, 2008.

 

Articles

 

« La narratologie en France », Waiguo wenxue (Littératures étrangères) 1995 N°3, Pékin, pp. 80- 83.

« Le fictif et le réel dans L’empereur et l’assassin de Chen Kaige », Cahiers de narratologie N°15, Récits et genres historiques, mis en ligne le 12 déc. 2008.

« Ge Fei: à la recherche du temps perdu », Chinese Studies n°11, 2008, Pékin, Chine, pp. 442-445.

« Les noms de personnages dans Le rêve dans le pavillon rouge », in Narratologie N°9, Onomastique romanesque, L’Harmattan, Paris, 2009, pp.157-169.

 « Le langage des couleurs dans les films de Zhang Yimou », Cahiers de narratologie N°16 Images et récits, mis en ligne le 25 mai 2009.

« La littérature occidentale et l’évolution narrative du récit chinois au début du XXe siècle », in Chinese Studies, n°12, avril 2010, Pékin, pp.479-489

« Narration et fantastique dans les Chroniques de l’étrange de Pu Songling », in Chinese Studies, n°13, mai 2011, Pékin, pp.217-224.

« L’œuvre de Mo Yan en France », in Literature Study, n°23 spécial

« Mo Yan, le Prix Nobel de Littérature 2012 », déc. 2012, Hong Kong, pp.99-105.

« L’Institut franco-chinois de Lyon et les échanges culturels entre la France et la Chine », in Chinese Studies, n°14, août 2012, Pékin, Chine, pp.264-279.

« Les romans de François Mauriac », in Literature Study, n°18, fév. 2012, Hong Kong, pp.66-74.

 

Romans et nouvelles

 

En chinois

- Nouvelle, dont : « Le soleil tricolore » (《三色太阳》), « Le soleil de Nice » (《尼斯的阳光》) etc.

- Un roman publié à Hong Kong en 2012 : « La capitale du parfum » (《香水之都》)

- Deux recueils d’essais sanwen 

 

En français

- La montagne de jade, éditions de l’Aube, 2007

- Fleur de lotus, Baie des Anges, 2009. 


 


[1] On le trouve d’occasion et en bibliothèque, mais il est aussi numérisé sur le site Gallica de la BnF
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4813907x/f16.image.texteImage

[2] C’était une ancienne élève de Xiaomin Giafferri : titulaire de Capes d’anglais et d’histoire, elle a préparé un master de chinois à l’université d’Aix-Marseille en 1996-2000. Elle a également traduit du chinois l’ouvrage de He Jiahong « Les résurrections : Justice pénale et erreurs judiciaires en Chine », Infini Découverte 2016, mais aussi « Confession d’un tueur à gages » de Ma Xiaoquan, éditions de L’Olivier 2006.

[3] Nouvelles publiées sous le titre « Nuées d’oiseaux bruns », éditions Philippe Picquier 1996.

[4] Son prénom est Huizhu, c’est-à-dire Perle de bienveillance, ou de bonté.

 

 

[tous mes remerciements à Xiaomin Giafferri pour l'entretien téléphonique qu'elle m'a accordé le 4 mai 2018]

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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