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Bei Cun 北村

Présentation

par Brigitte Duzan, 6 mai 2016

 

Ecrivain, poète et scénariste, Bei Cun a d’abord été l’un des écrivains représentatifs du mouvement d’avant-garde qui a émergé en Chine dans la seconde moitié des années 1980, bien qu’il soit relativement moins connu que ceux régulièrement cités tels que Ge Fei (格非), Yu Hua (余华), Su Tong (苏童) ou Ma Yuan (马原).

 

Comme la plupart d’entre eux, il a poursuivi cette écriture expérimentale au début des années 1990. Mais il a ensuite traversé une crise existentielle qui l’a amené à la religion, et à une écriture totalement différente. Il a encore changé de style et de thématique dix ans plus tard.

 

Il reste aujourd’hui essentiellement connu pour sa nouvelle « Le cri de Zhou Yu » (《周渔的喊叫》) qui date de cette troisième période, et en grande partie parce qu’elle a été

 

Bei Cun

adaptée au cinéma… Mais ses principales œuvres, ces dernières années, ont été des scénarios pour la télévision.

 

De l’expérimental à la série télévisée, Bei Cun est finalement à l’image de son temps.

 

Ecrivain d’avant-garde

 

Bei Cun (北村) est né en septembre 1965 à Changtin, dans le Fujian (福建长汀). Il a fait des études de littérature chinoise à l’université de Xiamen, dont il est sorti en août 1985. Il est alors entré à la rédaction de la revue « Littérature du Fujian » (《福建文学》) où il a travaillé pendant dix ans. En 1997, il est devenu écrivain indépendant et s’est consacré uniquement à l’écriture.
 
Il publie sa première nouvelle en 1986 : « Un troupeau de chevaux noirs » (《黑马群》). Puis, début 1987, sa seconde nouvelle, « Résonnance » (《谐振》), paraît dans le numéro double de janvier/février de la revue Littérature du peuple (人民文学) et ne passe pas inaperçue. Mais c’est la série de nouvelles publiées à partir de l’année suivante qui le fait connaître.

 

Histoire d’un braillard (édition 1994)

 

En 1988, en effet, la nouvelle « Histoire de fugitif » (《逃亡者说》) est la première d’une série d’« Histoires de » (《…者说》)  [1] qui se poursuit au début des années 1990 : « Histoire d’un ravisseur » (《劫持者说,  « Histoire d’un individu en armure » (《披甲者说》), « Histoire d’en enfant prodigue » (《归乡者说》), et « Histoire d’un braillard » (《聒噪者说》), cette dernière nouvelle, qui clôt la série, initialement publiée dans le premier numéro de l’année 1991 de la revue Shouhuo (收获). 
 
C’est avec cette série que Bei Cun se range parmi les auteurs du mouvement d’avant-garde de la fin des années 1980.Dans l’introduction à son ouvrage « China’s Avant-garde Fiction »
[2], jing Wang le classe parmi le « cœur » de l’avant-garde de cette période. Il partage la passion pour le légendaire et la révolte générale contre la narration traditionnelle, et historique en particulier ; ses textes ont une manière particulière de mêler la réalité et la fiction, ou

plutôt l’irréel et la fiction. Il crée un univers étrange qui est plus mental, même, qu’irréel,


La nouvelle choisie par Jing Wang pour son anthologie, traduite en anglais « The Big Drugstore », est un texte de transition qui date de l’après-1989, et qui mêle l’allégorique, l’inconscient et l’onirique. C’est une sorte de cauchemar éveillé où même les morts ont des identités floues et variables, et où la réalité, mouvante et trompeuse, recèle des mystères qui se révèlent finalement mortifères, sans qu’on sache trop pourquoi ni comment.
 
Conversion au christianisme

 

La nouvelle traduit en fait la crise existentielle que traverse alors Bei Cun. Après cinq ans d’écriture avant-gardiste, il se retrouve épuisé et dérouté. Il est gêné par la sorte de nihilisme qui anime le mouvement, une sorte d’antihumanisme de sujet « sans racines ». La force des écrivains du mouvement vient de leur attitude négative, une position de refus fondamental.

 

Sauvé par la religion

 

Traversant une période de crise existentielle, y compris dans son mariage, Bei Cun pose alors les mêmes questions que Shi Tiesheng (史铁生) confronté à une crise similaire [3] : quel est le sens de la vie, et à quoi bon vivre ? C’est sa conversion au christianisme qui lui apporte une nouvelle sérénité. Il a expliqué dans un article publié en 1995 dans le journal "Critiques d’auteurs contemporains" (《当代作家评论》) comment, le 10 mars 1992, à huit heures du soir, il a eu une sorte de révélation, dans un vieux bâtiment de Xiamen, en ayant le sentiment d’avoir été élu. En même temps il s’est converti au (néo)réalisme.

 

A partir de 1993, il publie une seconde série de récits fortement influencés par son expérience religieuse, en passant d’une écriture avant-gardiste à une écriture plus particulièrement tournée vers l’observation de l’âme humaine, mais d’une forme narrative plus traditionnelle.
 
Pendant cette période, qui couvre la majeure partie de la décennie 1990, il publie un roman, « La rivière du baptême » (《施洗的河》), et les nouvelles « Le mariage de Zhang Sheng (《张生的婚姻》), « L’amour de Ma Zhuo » (《玛卓的爱情》), « L’histoire de Sun Quan » (《孙权的故事》), « Le dernier artiste » (《最后的艺术家》), « Blessure mortelle » (《伤逝》), etc….
 
Il devient un écrivain à part, auteur réputé de textes empreints de religiosité qui ont été qualifiés de « religionnistes » (宗教主义). Bei Cun a renié le label, mais ses récits sont partiellement autobiographiques.
 

Cette nouvelle identité de l’écrivain a été passée sous silence à l’étranger, où ses principales œuvres traduites et publiées sont celles relevant du mouvement d’avant-garde. En Chine, il a continué à publier. Quelques-unes de ses nouvelles postérieures à sa conversion ont été éditées dans le cadre de la série « meilleure fiction de Chine 1978-2000 », dont le jury de sélection comprenait Wang Meng.

 

Bei Cun a cependant gardé le scepticisme propre à l’avant-garde même après sa conversion, mais il l’a traduit en des termes différents, exposés dans l’article de 1995 déjà cité, intitulé « Mon conflit avec la littérature »  (《我与文学的冲突》) : « Tant d’excellents écrivains ont leurs œuvres empilées dans les rayonnages des bibliothèques ; ils sont morts, et aucun ne m’a apporté la vie éternelle. Maintenant, alors que je continue à écrire pour gagner ma vie, je le fais avec douleur et regret. »

 

On a dit qu’il avait ensuite fait la paix avec la littérature et son métier d’écrivain en termes augustiniens. Dans une interview ultérieure, il fait une distinction entre les choses qui sont un plaisir en soi et celles qui peuvent être utilisées pour parvenir au plaisir. Au bout du compte, seul Dieu, selon lui, peut être une source de joie en lui-même, tout le reste, y compris les textes littéraires, étant des moyens d’accéder à cette joie ultime.

 

On lui a demandé s’il pensait que ses récits pourraient sauver l’âme des Chinois, il a répondu « Non ! » car ce serait, pour l’écrivain, vouloir se substituer à Dieu. La littérature reste un outil utile pour répondre à certaines questions spirituelles et existentielles. C’est une voie, non une fin. Mais Saint Augustin a concédé que certaines choses sont à la fois utiles et sources de joie ; on peut donc trouver un plaisir artistique dans les nouvelles de Bei Cun.

 

Le mariage de Zhang Sheng 
 
Sa douleur et son regret, cependant, sont directement perceptibles. Ses personnages sont la proie du désespoir, comme lui-même l’a été, et ne trouvent d’issue, in extremis,comme lui, que dans la religion. Un très bon exemple en est « Le mariage de Zhang Sheng » (《张生的婚姻》), l’une des premières nouvelles écrites après sa conversion.
 

Elle commence alors que Zhang Sheng, jeune professeur de philosophie, et sa jolie fiancée Xiao Liu (小柳), employée dans l’hôtel local, sont en route vers la mairie pour se marier. Mais Xiao Liu recule au dernier moment, laissant Zhang Sheng sidéré sur le bord du trottoir, avec en mainles papiers du mariage et l’argent pour l’enregistrement de l’acte. Il reste comme paralysé, à se remémorer les examens de santé prénuptiaux, et échoppe finalement d’une amende pour vagabondage, qu’il paie avec l’argent prévu pour enregistrer le mariage.

 

Zhang Sheng sombre ensuite dans un désespoir dépressif, se voyant comme un élément insignifiant d’un univers absurde, carnavalesque et terrifiant.

 

Bei Cun avait commencé avec Borges, mais il continue avec Kafka, car, dit-il, ce dernier est plus honnête que le premier. « Je ne suis pas arrivé à comprendre commet cet aveugle pouvait prendre toutes ces histoires dénuées de sens et les charger d’enchantements utopiques ». Mais, si le monde de Bei Cun est celui de Kafka, il cite aussi Dostoevski et Tolstoy, et leur influence est encore plus nette. Zhang Sheng est un petit frère du Raskolnikov de « Crime et châtiment ».

 

Ses souffrances semblent tenir de la même absurdité fondamentale que celles de Job, qui paraît être aussi le modèle dont est inspirée la fin du récit (ainsi que Saint Paul). Dans le Livre de Job, Dieu vient se révéler et s’expliquer dans un tourbillon de vent ; de même, à la fin de la nouvelle de Bei Cun, Dieu apparaît à Zhang Sheng dans les deux dernières pages pour le sauver.

 

Après avoir tenté de tuer Xiao Liu et de se suicider, causant en même temps indirectement la mort d’un enfant, Zhang Sheng trouve une Bible dans sa chambre, rangée à côté de livres de Foucault, Nietzsche, Platon et d’ouvrages néo-confucianistes. La Bible s’ouvre à la page de l’épitre aux Romains, et Zhang Sheng est attiré par une phrase qui l’incite à poursuivre sa lecture : « Que viennent sur vous, de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ, la grâce et la paix ! » (Romains 1,7).Dès lors, il est irrésistiblement fasciné par le texte….

 

Finalement, la nouvelle entraîne le lecteur dans une sorte de chemin de Damas jusqu’à la conversion de Zhang Sheng, et la fin de sa descente aux enfers. Mais ce qui est frappant, c’est l’étendue du mal, dans le monde de Zhang Sheng, au départ… La nouvelle suivante, « L’amour de Ma Zhuo » (《马卓的爱情》) reprend une ligne narrative très semblable, deux étudiants, Ma Zhuo et Liu Ren (刘仁), étant condamnés à une descente aux enfers très proche après être tombés amoureux et s’être mariés… Dans un monde aussi noir, il n’est pas étonnant qu’il faille un miracle pour être sauvé.

 

On pense à Lu Xun et à sa métaphore de la maison de métal sans fenêtres ni portes, où tout le monde est endormi et en train de suffoquer, avec le dilemme : crier pour les réveiller, mais en sachant qu’il n’y a pas d’échappatoire, ou les laisser mourir dans leur sommeil. Bei Cun est dans la même situation que Lu Xun, mais il a l’avantage sur l’athée Lu Xun de pouvoir proposer un sauveur. 

 

Néo-réalisme et scénarios

 

Nouvel humanisme

 

En 2000, cependant, s’ouvre une troisième période créatrice bien plus intéressante. Bei Cun va s’installer dans la banlieue de Pékin, dans le village d’artistes de Songzhuang, mais tout en continuant à mener une vie solitaire, en marge du monde littéraire.
 
Ses récits dépeignent des personnages en crise, en quête du sens de l’existence, de valeurs et d’identité. 


Il publie « Le vieux violon de bois » (《老木的琴》), « La longue marche » (《长征》), « Citizen Kane » (《公民凯恩》).
 
Mais sa nouvelle la plus connue estcelle qui ouvre la période : « Le cri de Zhou Yu » (《周渔的喊叫》), publiée dans un recueil en avril 2001
[4].

 

Le cri de Zhou Yu 

 

Il s’agit d’une nouvelle « moyenne » structurée en 29 très courts chapitres qui scindent – ou plutôt scandent -la narration, sans l’atomiser. Zhou Yu est une veuve inconsolée, et qui refuse d’être consolée, toute sa vie ne prenant sens qu’à partir de son mari, mort depuis un an. Un mari qu’elle a recréé en l’idéalisant, et qui continue de vivre dans son souvenir comme un être parfait, contre lequel aucun homme ne peut désormais lutter car il est embaumé par la mémoire.

 

Le vieux violon de bois

 

Le train de Zhou Yu

(réédition de la nouvelle après la sortie

du film, en reprenant le même titre)

 

Verre

 

Zhongshan est un chauffeur de taxi tombé amoureux d’elle, et qui, justement, essaie de lutter. Mais ce n’est pas pour autant une narration traditionnelle, car la réalité, ici encore, n’est pas telle qu’elle apparaît ; le mort n’était pas parfait, et Zhongshan finit par recouvrer ses sens après avoir constaté que Zhou Yu, en fait, avait sa part de responsabilité dans son malheur.

 

La narration est subtilement construite pour démonter la trame initiale qui donnait l’image des apparences, et distiller peu à peu la réalité bien plus complexe qui se cachait derrière. Il y a une progression dramatique qui pas un instant ne sombre dans la facilité. Les personnages sont vrais, et les caractères bien dessinés.

 

On comprend qu’un cinéaste ait eu envie d’adapter le récit. C’est ce qu’a fait le réalisateur Sun Zhou (孙周), sur un scénario écrit par Bei Cun lui-même. Le film, intitulé 

« Le train de Zhou Yu » (《周渔的火车》), est interprété par trois grands acteurs, Gong Li (巩俐) dans le double rôle féminin, Tony Leung Ka-fai et Sun Honglei (孙红雷), mais le scénario a affadi l’histoire en tentant de la dramatiser et en changeant l’identité des personnages ; le film est devenu un mélodrame ordinaire. Mais la présence de Gong Li l’a rendu célèbre.

  

Scénarios

 

Ce n’est pas le seul scénario qu’a écrit Bei Cun. En fait, l’installation de Bei Cun à Songzhuang était en partie motivée par son désir de se rapprocher des centres de production cinématographique et télévisée.

 

Sa première expérience d’écriture scénaristique a été en lien avec un projet de Zhang Yimou. En 1993, en effet, Zhang Yimou a commissionné trois auteurs pour écrire un scénario sur Wu Zetian, afin de réaliser son rêve de faire interpréter le rôle par Gong Li : Su Tong (苏童), Zhao Mei (赵玫) [5] et Bei Cun. Le film, cependant, n’a jamais été réalisé. Bei Cun a publié sa version de l’histoire de Wu Zetian en avril 2003.

 

A part ces deux scénarios de cinéma, Bei Cun a travaillé pour la télévision. D’écrivain d’avant-garde à scénariste de séries télévisées, il offre ainsi comme une allégorie de l’évolution de la société et de la culture chinoises depuis les années 1980 [6].

 

Scénarios
(à partir du début des années 2000)
 
Cinéma
2002 Zhou Yu’s Train 《周渔的火车》 adapté de la nouvelle « Le cri de Zhou Yu »

 

 

Fureur

 

Wu Zetian

Film réalisé par Sun Zhou 孙周 avec Gong Li 巩俐 dans le double rôle féminin

Wu Zetian 《武则天》 scénario écrit pour Zhang Yimou – ciné-roman publié en avril 2003

 

Télévision

The Taiwan Straits 《台湾海峡》 série télévisée en 23 épisodes réalisée par Zhang Shaolin 张绍林

(Epreuves multiples) 《风雨满映》 série télévisée en 30 épisodes réalisée par Lei Xianhe 雷献禾

 

Rape 《强暴》 série télévisée en 22 épisodes réalisée par Jiang Wen 姜文

The City Hunter 《城市猎人》série télévisée en 17 épisodes réalisée par Wu Ziniu 吴子牛  

 


[1] On pourrait dire aussi : Le Dit de…  shuo ramène au sens de xiaoshuo, mais sans la note péjorative du xiao.

[2] China’s Avant-Garde Fiction, an Anthology, Duke University Press, 1998.

[3] Mais c’est peut-être avec Xu Dishan (许地山) que Bei Cun a le plus de points communs.

[4] Elle est suivie de :

Août 2003 En te regardant 《望着你》

Septembre 2003 Verre 《玻璃》

Septembre 2004 Fureur 《愤怒》

(nouvelle qui avait l’ambition d’être une version chinoise du chef d’œuvre de Victor Hugo « Les Misérables »)

Décembre 2004 Fièvre 《发烧》

[5] Zhao Mei a ensuite écrit une biographie tirée du scénario de cette commande : « Wu Zetian, une femme » (《女人 :武则天》). A sa parution, en 2007, elle a été considérée comme très novatrice.

[6] Pour ne pas être injuste, il faut dire qu’il est aussi poète et n’a pas cessé d’écrire des poèmes. On en trouve beaucoup sur son blog (jusqu’à la fin de l’année 2014) : http://blog.sina.com.cn/beicun

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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