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				La littérature chinoise au 
				vingtième siècle 
				 
				III bis. Haipai 
				/Jingpai ou le dualisme en littérature : Explications 
				par Brigitte Duzan, 9 
				octobre 2010 
				  
				          
				3. Le jingpai 
				   
					
						| 
						Le jingpai
						s’est manifesté en réaction au haipai, à 
						partir de la polémique lancée par
						
						
						Shen Congwen (沈从文)
						en 
						octobre 1933, dans son fameux article paru dans le 
						Dagongbao (1) où il vitupérait  le côté bassement 
						commercial du monde littéraire de Shanghai.   
						Les deux clans, 
						érigés ensuite en ‘écoles’ (派), 
						se sont ainsi peu à peu figés dans une antinomie 
						irréductible alimentant les idées toutes faites : à un
						haipai synonyme de vulgarité citadine, débridé et 
						licencieux, répondant un haipai ancré dans le 
						passé rural, sérieux et élitiste.    
						L’opposition 
						entre les deux courants a été définie par 
						l’écrivain Yao 
						Xueyin (姚雪垠) 
						(2) en une phrase qui résume bien son aspect caricatural 
						: « Le
						haipai a un côté aventurier, voyou et prostitué, 
						tandis que le jingpai a un côté rétro, 
						gentilhomme et marchand d’antiquités. »   |  | 
						 
						Yao Xueyin (姚雪垠) |    
				Le jingpai a 
				pourtant constitué un mouvement moderniste des plus 
				intéressants. Il s’agit donc de revoir quelques idées 
				préconçues.    
				Des gentilshommes rétro                                 
				 
				   
				Foi dans la nature 
				et la beauté originelle 
				   
				Il est difficile de 
				définir le jingpai comme une ‘école’ proprement dite, les 
				auteurs qui s’y rattachent, ou que l’on y rattache, ayant des 
				visions, des styles et des caractéristiques très divers. Il 
				est cependant une image qui s’impose immédiatement lorsqu’on 
				parle de jingpai : celle d’écrivains perdus dans le rêve 
				d’une Chine à l’âme 
				rustique, dont le mode de vie modelé par des siècles de vie 
				rurale représente le type idéal, chacun en appelant à ses 
				souvenirs personnels pour évoquer, avec la nostalgie qui sied, 
				le charme de son bout de terroir, et, partant,  de la campagne 
				en général.   
					
						| 
						
						 
						Fei Ming
						(废名) |  | 
						Cette image, 
						fondée sur l’opposition campagne/ville (“乡土”与“都市”), 
						tient bien sûr à 
						
						Shen Congwen, 
						immortalisé comme « écrivain du terroir » (乡土作家),
						
						dont on a fait 
						la figure de proue du jingpai. Mais il n’est pas 
						le seul. Lui-même s’en réfère souvent à celui qu’il 
						considère comme son maître, Fei 
						Ming (废名), et  dont on a fait le « premier ancêtre » (鼻族) 
						du jingpai : un personnage décrit comme un 
						excentrique, vêtu de la longue robe traditionnelle, avec 
						une coupe de cheveux monastique et l’air d’un moine 
						errant. Or l’image courante de Fei Ming est celle d’un 
						auteur dont les œuvres, situées dans une campagne 
						idéalisée et écrites dans un style proche de la poésie 
						classique, sont empreintes d’un « lyrisme pastoral » ("田园牧歌风格") 
						devenu l’un des traits caractéristiques du jingpai. |  
				   
						Il y a là une 
						idéalisation de la campagne chinoise chantée 
				comme une Arcadie 
				idyllique, un éden terrestre, avec, comme dans la poésie 
				classique, parallélisme entre sentiments et paysages, fondé sur 
				l’harmonie entre l’homme et la nature. Même quand les écrivains 
				du jingpai prennent des sujets urbains, cet esprit n’est 
				jamais totalement absent ; dépassant le cadre limitatif de 
				l’époque et se libérant ainsi de la réalité, de ses contraintes 
				et de ses tensions, ils tendent vers une méditation générale sur 
				la vie et sa beauté. Même quand ils mettent en scène des 
				citadins, ceux-ci gardent la marque de leurs origines primitives 
				et la nostalgie du passé rural dont ils sont issus, les femmes 
				en particulier, incarnations de la nature face à la culture, 
				force urbaine, négative et destructrice.  
				   
				Recherchant la source 
				de toute beauté, et de la vérité ultime, dans une image épurée 
				des origines et la simplicité de la vie courante, incarnée par 
				le « monde du Xiangxi » (“湘西世界”) 
				qui était le sien, 
				
				Shen Congwen y voyait l’espoir d’un renouveau 
				pour la Chine déchirée et meurtrie de son époque, mais, bien 
				plus encore, un idéal humain : il
				disait élever « un petit temple à la nature humaine », un 
				petit temple grec, précisait-il pour bien montrer son 
				universalité (人性的“希腊小庙”). 
				   
				Un tel idéalisme 
				représentait évidemment une tendance hétérodoxe dans le contexte 
				idéologique de 
				l’époque, et c’est cela 
				qui a conduit à la condamnation du jingpai comme 
				rétrograde. Mais ce qui apparaît comme conservatisme est en fait 
				une réaction aux contingences historiques et cache un modernisme 
				très original. 
				   
				Traditionalistes par 
				contingence historique 
				   
				Il faut en effet 
				considérer le contexte, historique et culturel, dans lequel est 
				né le jingpai pour apprécier à leur juste mesure les 
				critiques dont il a été l’objet et les relativiser.   
				 
				   
				Toute l’histoire 
				culturelle moderne chinoise a été façonnée par la pensée dite 
				« du 4 mai » (3), sa contestation des fondements de la culture 
				chinoise et sa fascination des modèles occidentaux, mais qui fut 
				très vite politisée. Pendant toute la période qui suivit le 4 
				mai, c’est-à-dire en gros les années 1920, dans une ambiance 
				d’anti-traditionalisme triomphant, les « occidentalistes » 
				stigmatisèrent les tenants de la culture traditionnelle accusés 
				de conservatisme. Le modernisme était assimilé au projet 
				progressiste du 4 mai, avec quelques ambiguïtés, certes, mais 
				selon une idée dominante : la modernité ne pouvait provenir que 
				de l’Occident.  
				   
				Dans ce cadre, Pékin 
				émergea comme emblème culturel opposé à la fois à 
				l’occidentalisme du 4 mai et au mercantilisme du haipai. 
				Les écrivains du jingpai étaient il est vrai, pour la 
				plupart, viscéralement attachés à leur coin de terre d’origine : 
				Shaoxing (绍兴)
				et le Zhejiang 
				pour Zhou Zuoren (周作人), 
				Huangmei au Hubei (湖北黄梅) 
				pour Fei Ming (废名), 
				Qixian au Henan (河南杞县) pour 
				Lu Fen (芦焚ou 
				Shi Tuo 师陀), ou encore Fenghuang au Hunan (湖南凤凰)
				pour
				
				
				Shen Congwen (沈从文).
				C’est de là 
				qu’ils ont tiré les 
				fondements de leurs conceptions esthétiques centrées sur le 
				local comme lieu culturel privilégié et idéalisé.    
					
						| 
						Mais tous ces 
						écrivains étaient venus étudier à Pékin, y étaient 
						restés vivre et y publiaient. Or cette ville, qui était 
						déjà la « vieille capitale » opposée au centre financier 
						et cosmopolite qu’était Shanghai, se vit alors reléguée, 
						de par les circonstances historiques, dans une position 
						marginale, et donc d’autant plus symbolique. Elle était 
						en effet, au début des années 1920, contrôlée par les 
						chefs de la clique du Zhili qui, en novembre 1924, 
						nommèrent Duan Qirui (段祺瑞), 
						un commandant de l’armée de Beiyang (北洋军),
						 
						‘chef exécutif’ 
						du gouvernement provisoire de la République de Chine.
						 
						   
						Pour mater une 
						opposition de plus en plus virulente et renforcer son 
						pouvoir, celui-ci se lança dans une série de purges, 
						dont le massacre sanglant du 18 mars 1926 qui coûta la 
						vie, entre autres, à Li Dazhao, l’un des fondateurs du 
						Parti communiste. En même temps, le régime traversait
						
				une crise fiscale qui 
						l’empêcha de payer pendant plusieurs  |  | 
						
						 
						Duan Qirui 
						(段祺瑞) |  
				mois les salaires des 
				enseignants des universités de Pékin. Les intellectuels pékinois 
				avaient commencé dès 1924 à partir à Shanghai ; la crise 
				financière couplée au chaos politique et à la chasse aux 
				sorcières déclenchées par Duan Qirui finit par entraîner un 
				véritable exode des intellectuels vers le Sud. 
				   
				Shanghai éclipsa alors 
				Pékin même sur le plan culturel. Et, lorsque la capitale fut 
				transférée à Nankin en 1928, et que Pékin fut rebaptisée Beiping 
				(北平),
				elle ne fut plus 
				que l’ombre d’elle-même. La violence qui y régnait décourageait 
				en outre les intellectuels qui y restaient de s’engager dans un 
				domaine politique miné. La ville fut plus que jamais le symbole 
				du calme et de la douceur de la Chine rurale, considérés comme 
				d’autant plus précieux dans le contexte du moment, et donc le 
				lieu emblématique privilégié d’un rêve traditionaliste empreint 
				de lyrisme qui devint la marque du jingpai. 
				   
					
						| 
						 
						Shu-mei Shi |  | 
						Derrière cette 
						apparence, cependant, se cache une réalité beaucoup plus 
						profonde : un modernisme tout aussi cosmopolite que 
						celui affiché par Shanghai, mais cherchant à intégrer 
						harmonieusement les cultures littéraires chinoise et 
						occidentale, ce que la spécialiste – entre autres – du
						jingpai, Shu-mei Shi, a appelé « modernité sans 
						rupture » (4). |  
				   
				Modernité sans rupture 
				   
				Contrairement à
				
				
				Shen Congwen, tête de proue du jingpai, 
				qui n’a jamais réussi à apprendre une langue étrangère et n’est 
				sorti de Chine pour la première fois qu’en 1980, beaucoup des 
				intellectuels du jingpai avaient fait leurs études à 
				l’étranger, et leur connaissance approfondie la littérature 
				étrangère de l’époque influa de 
				manière décisive sur leurs conceptions esthétiques, mais, 
				contrairement aux occidentalistes iconoclastes du 4 mai, sans 
				oblitérer l’importance pour eux de leur enracinement dans la 
				culture chinoise. D’où la notion de modernité « sans rupture ». 
				   
				Critique de  la 
				modernité occidentale 
				   
				Ici encore, le contexte 
				historique a joué un rôle déterminant. Ce sont les ravages 
				causés par la Première Guerre mondiale qui ont convaincu 
				certains intellectuels chinois qu’il était nécessaire de 
				procéder à une réévaluation critique de la modernité 
				occidentale, à un moment où elle était devenue en Chine la 
				condition sine qua non du progrès.   
					
						| 
						C’est sans 
						doute Liang Qichao (梁啟超),
						le grand 
						réformateur de la fin des Qing, qui fut déterminant dans 
						cette nouvelle approche plus distanciée de l’Occident. 
						En février 1919, il partit pour un long voyage en 
						Europe d’où il ne revint qu’en mars 1920, publiant alors 
						ses « Impressions de voyage en Europe » (《欧游心印录》) : 
						des scènes de dévastation laissées par la guerre il 
						tirait la conviction que l’Ouest s’était 
						fourvoyé dans sa poursuite à tout va des idéaux de 
						progrès fondé sur la raison, la science et 
						
						l’individualisme, celui-ci menant au culte du pouvoir et 
						de 
						l’argent, et 
						débouchant in fine sur le militarisme et la guerre ; il 
						était bon, dans ces conditions, de ne pas le suivre 
						aveuglément. 
						   
						Dans le même 
						temps, la modernité occidentale était critiquée de 
						l’intérieur, par des philosophes comme Bergson, Rudolph
						
				Eucken ou Bertrand 
						Russell. 
						  |  | 
						 
						Liang Qichao 
						(梁啟超) |  
				Liang Qichao rencontra personnellement les deux 
				premiers et fut influencé par leur analyse des limites du 
				matérialisme, et de la nécessité de lui insuffler une certaine 
				dose de spiritualisme. Pendant son voyage, il eut de multiples 
				contacts avec des intellectuels et des journalistes, tous 
				pessimistes quant à l’avenir de la civilisation occidentale 
				après la guerre, et qui, cherchant une issue à la crise qu’elle 
				traversait, étaient prêts à voir dans la culture chinoise un 
				possible remède à leurs maux. 
				   
					
						| 
						
						 
						 Bian Zhilin 
						(卞之琳) |  | 
				Cela remettait bien sûr 
				en cause la prétention à l’universalité de la civilisation 
				occidentale (5) et incitait à un réexamen de la culture chinoise 
				qui acquérait dès lors une nouvelle légitimité. Le retour vers 
				la tradition 
						n’était donc 
						pas retour conservateur vers un passé idyllique, mais 
						réexamen de la tradition pour mieux aller de l’avant, mouvement qui 
				
						s’accompagna d’une tentative de restauration
						néo-traditionaliste du confucianisme, sous l’égide de 
						Liang Shuming (梁漱溟).   
						L’essence du 
						jingpai est là : non dans un rejet de la culture 
						occidentale ou de la tradition chinoise, mais dans un 
						effort de synthèse harmonieuse des deux,
						Fei Ming en étant 
						l’image 
						emblématique, avec son style fondé sur la « médiation 
						mutuelle » entre l’Occident et l’Orient, image 
						synthétisée dans un souvenir du poète du jingpai 
						Bian Zhilin (卞之琳): 
						« Lorsque je suis entré à l’université de |  
						Pékin, le 
						bruit courait 
						qu’il avait écrit ses épreuves d’examen d’anglais avec 
						un pinceau chinois. » 
				   
				Ecrire l’anglais 
				avec un pinceau chinois 
				   
					
						| 
						Opposé au 
						radicalisme pro-occidental de la pensée issue du 4 mai, 
						un courant de pensée fondé à la fois sur la tradition 
						chinoise et l’humanisme occidental se développa alors, 
						principalement autour du groupe de la « Revue 
						critique »  
						(《学衡》), 
						dont Mei Guangdi (梅光迪) 
						et Wu Mi  (吴宓), 
						tous deux formés à Harvard ; dans un article publié dans 
						le premier numéro de la revue, en janvier 1922 
						(« Critique des adeptes de la Nouvelle Culture »《评提倡新文化者》),
						Mei Guangdi exposait les bases de cette pensée : 
						il fustigeait les occidentalistes pour leur connaissance 
						superficielle et artificielle de la culture occidentale, 
						et leur fascination béate à son égard qui leur faisait 
						rejeter en bloc leur propre culture, et affirmait au 
						contraire que le meilleur de la culture occidentale, en 
						l’occurrence la culture grecque (et l’on pense à
						
						
						Shen Congwen et 
						à son « petit temple grec »), était compatible avec le 
						meilleur de la tradition chinoise, soit le confucianisme 
						et le bouddhisme. |  | 
						 
						Mei Guangdi 
						(梅光迪)
						 |  
				   
				La modernité devait 
				être une création hybride ; pour cela, il fallait d’abord que 
				les Chinois retrouvent leur confiance dans leur culture propre, 
				et dans une tradition qu’il s’agissait de redécouvrir afin d’en 
				faire la base d’une nouvelle culture en ouvrant le local sur 
				l’universel, et en supprimant, du fait, tout présupposé 
				contradictoire entre les deux, l’universel se nourrissant 
				d’apports venant de tous horizons. 
				   
					
						| 
						
						 
						Zhou Zuoren 
						(周作人) |  | 
						Les écrivains 
						du jingpai reprirent cette idée, pour faire du 
						‘local’ la base d’une nouvelle littérature à vocation 
						universelle, en la coupant des conceptions 
						utilitaristes, et en particulier nationalistes, propres 
						à la littérature du 4 mai. Ce nouveau courant est 
						personnifié par l’évolution du frère de
						
						
						Lu Xun, Zhou 
						Zuoren, qui s’éloigna alors de son frère et des 
						intellectuels du 4 mai, et se retira dans une sorte de 
						tour d’ivoire d’où il exprima sa désillusion et ses 
						nouvelles aspirations : « [la littérature du 4 mai] 
						était trop abstraite, universaliste, normative et 
						incapable d’exprimer l’individualité avec fidélité et 
						avec force […]. Notre souhait est d’abandonner 
						ces chaînes que nous nous sommes imposées, et 
						d’exprimer librement l’individualité issue du sol. » 
						(6)   
						Dès lors, les 
						diverses cultures et expériences locales 
						n’étaient plus 
						considérées dans leur singularité temporelle, 
						 |  
				qui les exposait à 
				être rejetées comme rétrogrades et obsolètes, mais comme des  
				représentations locales, c’est-à-dire spatiales, donc originales 
				dans un temps cyclique : ouvertes à recréation permanente, en 
				fonction de la personnalité de chacun. Shu-mei Shi souligne à 
				cet égard qu’il s’agit d’un courant de « littérature de 
				l’expression personnelle » qui reparaît régulièrement dans 
				l’histoire littéraire chinoise dans les périodes où le pouvoir 
				politique est éclaté, et le gouvernement central affaibli. Zhou 
				Zuoren lui-même prenait pour référence la période de la fin des 
				Ming.  
				   
				L’esthétique du 
				jingpai passait donc par un approfondissement du concept du 
				‘local’, une « poétique du lieu » mettant l’accent sur l’esprit 
				qui lui est propre. C’est dans ces conditions que s’est créée 
				une littérature d’une modernité authentique et d’une esthétique 
				très spécifique. 
				   
				Esthétique syncrétique 
				   
					
						| 
						C’est à la fois 
						au contact de la littérature occidentale et en référence 
						directe à la tradition classique chinoise que s’est 
						créée la base essentielle de l’esthétique propre au 
						jingpai, 
						l’écrivain 
						déterminant dans ce contexte, outre
						Fei Ming, étant Zhu 
						Guangqian (朱光潜). 
						   
						Zhu Guangqian 
						était un lettré d’une extraordinaire érudition qui avait 
						reçu une éducation chinoise classique, puis avait 
						étudié, en Angleterre, en France et en Allemagne, des 
						disciplines aussi diverses que la littérature, la 
						philosophie, 
						l’histoire de 
						l’art et l’esthétique. C’est dans ce dernier domaine 
						qu’il apporta une contribution décisive au jingpai.
						Opposé à tout extrémisme, il prônait une ouverture 
						d’esprit et une libre discussion permettant recherches 
						et expérimentations personnelles afin d’éviter la 
						crispation sur un style érigé une fois pour toutes en 
						forme orthodoxe.   |  | 
						 
						Zhu Guangqian 
						(朱光潜) |  
				   
				Avec lui, le jingpai 
				s’est engagé dans la voie d’un syncrétisme visant à fondre 
				diverses traditions. Même sur la question de la langue, il 
				conservait un esprit ouvert, ne rejetant pas systématiquement la 
				langue classique au profit exclusif de la langue vernaculaire. 
				Mais, selon Shu-mei Shi, sa contribution la plus importante fut 
				la construction d’une « esthétique de la correspondance », entre 
				esthétique traditionnelle chinoise et modernisme occidental, à 
				laquelle Zhou Zuoren apporta aussi sa pierre et qui doit 
				beaucoup aux parallèles institués entre l’art chinois (peinture 
				et théâtre) et l’art occidental moderne.  
				  
				C’est lui, enfin, qui 
				dénonça l’idée de modernité comme rupture instaurée par les 
				intellectuels du 4 mai. Il affirma tout au long de sa vie sa 
				croyance en la continuité historique entre littérature 
				traditionnelle et moderne, déclarant :  
				« La littérature est 
				l’expression de la vie de tout un  peuple …. La’ continuité 
				historique’ renvoie à la succession des vies, comme au mouvement 
				des vagues… Même lorsqu’une génération se rebelle contre celle 
				qui l’a précédée, elle en est quand même l’héritière. » 
				   
				Cette notion de 
				« continuité historique » était influencée par celle de « sens 
				de l’histoire » développée par le poète T. S. Eliot dans 
				son essai « Tradition et talent individuel », traduit en chinois 
				par le poète Bian Zhilin et publié en mai 1934 dans l’un des 
				principaux journaux du jingpai, le mensuel « Savoir » (《学问》月刊). 
				Selon Eliot, ce sens de l’histoire est nécessaire, car il donne 
				à l’écrivain « une conscience aiguë de sa place dans le temps », 
				c’est-à-dire de sa place vis-à-vis de la tradition, et, partant, 
				de sa différence à elle, l’important étant de se situer dans une 
				lignée d’écrivains.(7) 
				   
				Cette référence à 
				l’essai d’Eliot, devenu classique du modernisme occidental, est 
				caractéristique des écrivains du jingpai : le modernisme 
				occidental était pour eux la référence obligée, omniprésente, 
				non seulement pour justifier leur démarche, mais aussi pour la 
				diriger, et l’on retrouve dans leurs œuvres les influences de 
				techniques modernes comme celle du flux de conscience, mais 
				mêlées à des structures reprises de la tradition romanesque ou 
				poétique chinoise. 
				   
				Il y a donc bien 
				esthétique traditionnelle, mais revue à l’aune des conceptions 
				modernes développées alors en Occident, avec une inventivité 
				très subtile et complexe. On est loin de l’image « gentilhomme 
				rétro »  dont parlait Yao Xueyin. 
				   
				On est en outre frappé 
				de la modernité de leur conception du ‘local’ comme base d’un 
				universel syncrétique, ou globalisé, comme on dit aujourd’hui. 
				   
				  
				Notes 
				(1) Voir l’article 
				précédent 
				
				Haipai 
				
				
				/Jingpai : 
				origines et controverse 
				(2) Né en 1910 dans le 
				Henan, Yao Xueyin (姚雪垠)
				
				
				est surtout connu pour son roman historique en cinq volumes sur 
				une rébellion paysanne de la fin de la dynastie des Ming : Li 
				Zicheng
				
				
				(李自成).La 
				citation est tirée du livre d’Isabelle Rabut et Angel Pino 
				« Pékin-Shanghai » (voir ci-dessous). 
				
				(3) Voir l’histoire du mouvement du 4 mai dans « La littérature 
				chinoise au vingtième siècle » :  
				
				
				II. 1917-1927 
				(4) Shu-mei Shi est 
				professeur de littérature comparée et études transnationales à 
				l’université de Californie UCLA. " Modernity without rupture, 
				proposals for a new global culture" est le chapitre 6 de son 
				livre “The lure of the modern : writing modernism in 
				semicolonial China, 1917-1937”, 
				University of California Press, 2001, qui fait le point sur les 
				mouvements littéraires en Chine au début du vingtième siècle 
				(mouvement du 4 mai, haipai et jingpai). Ce 
				chapitre est repris, traduit en français, dans la deuxième 
				partie de l’ouvrage collectif édité sous la direction d’Isabelle 
				Rabut et Angel Pino : « Pékin-Shanghai : tradition et modernité 
				dans la littérature chinoise des années trente », éditions Bleu 
				de Chine, 2000. 
				On trouve le premier en 
				grande partie numérisé par google : 
				
				
				http://books.google.fr/books?id=Qr5tm-haq_QC&printsec=frontcover#v=onepage&q&f=false 
				(5) Ce qui n’est pas 
				sans rappeler le contexte actuel et le grand débat qui a cours 
				en Chine sur les « valeurs universelles ». 
				(6) « Le local et la 
				littérature » (《地方与文艺》), traduction d’Isabelle Rabut et Angel Pino. Les italiques sont de moi. 
				(7) Le texte d’Eliot 
				est un petit bijou qui avait tout pour plaire aux intellectuels 
				du jingpai, commençant par une satire d’un humour pincé 
				sur le mépris affiché par les Anglais pour tout ce qui relève de 
				la « tradition » ; il vaut le détour :  
				
				
				http://www.poetryfoundation.org/learning/poetics-essay.html?id=237868 
				   
 
				  
				Notes complémentaires sur quelques auteurs du 
				jingpai
 Xiao Qian (萧乾)
 
					
						| 
				Né en 1910 à Pékin. Son père, mongol, mourut 
				avant sa naissance, si bien que Xiao Qian dut faire ses études 
				en travaillant, dans une fabrique de tapis, puis une laiterie, 
				pour payer ses études. En 1931, il entra à l’université Furen (辅仁大学) 
				où il fut l’élève de 
				Shen Congwen.En 1933, il entra à l’université de Yanjing (燕京大学), 
				et
 
				s’orienta vers des études de journalisme. Il eut 
				alors Edgar Snow comme professeur. Il écrivit en même temps ses 
				premières nouvelles qui furent publiées en 1936. Il partit alors 
				continuer ses études à Cambridge. Il rentra brièvement en Chine, 
				mais repartit à Londres en 1939 pour prendre le poste libéré par
				Lao 
				She à la School of Oriental Studies de Londres.En 1944, il devint correspondant de guerre (le seul chinois en 
				Europe) pour le Dagongbao (L’impartial) dont
				
				Shen Congwen était rédacteur en chef. Il fut parmi 
				les troupes qui entrèrent à Berlin. En juillet 1945, il couvrit la
 |  | 
						 
						Xiao Qian (萧乾) |  
				conférence de Potsdam ; il écrivit ensuite des articles sur les 
				procès de Nuremberg. A la fin de la guerre, il revint en Chine et devint professeur à 
				l’université Fudan, revenant à Pékin en 1949. Il fut envoyé à la 
				campagne pendant la Révolution culturelle, et fit une tentative 
				de suicide en 1968. Il est mort en 1999 à Pékin.
 C’est un personnage hors du commun dont la majeure partie de 
				l’œuvre est constituée de ses reportages et essais. Il a 
				cependant écrit au début de sa carrière des nouvelles pleines de 
				détails colorés sur la vie dans les rues de Pékin dans les 
				années 1920, et un roman autobiographique publié en 1938, « La 
				vallée des rêves » (《梦之谷》)qui 
				décrit l’amour malheureux d’un jeune garçon pauvre qui part dans 
				le sud en quête de travail, trouve un poste de professeur de 
				mandarin et tombe amoureux d’une jeune fille de l’école ; mais elle doit 
				suivre l’homme riche qui lui a payé ses études pour en faire 
				ensuite sa concubine.
 
 Lu Fen (芦焚), 
				également connu sous le nom de Shi Tuo (师陀)
 
					
						| 
				Né en 1910 à Qixian, dans le Henan (河南杞县). 
				Il fit ses études secondaires à Kaifeng, la capîtale provinciale, 
				puis partit à Pékin en 1931 et commença à écrire des nouvelles 
				contant la vie dans sa région natale et les atrocités commises 
				par les troupes japonaises, son premier recueil, 
						 
				« La vallée » (《谷》), 
				obtenant en 1936 le prix littéraire de 
				l’Impartial (大公报). 
				Il est suivi de deux autres recueils, mais c’est en 1949 qu’il 
				attire l’attention du public avec un roman, « Mariage » (《结婚》). 
				Contrairement à son mentor
				
				Shen Congwen, il se montre sans pitié pour l’état 
				
						 
				d’arriération de sa campagne natale.Il est mort en 1988.
 Il y a une nouvelle de lui (« Le nouveau drapeau ») dans le 
				recueil « Shanghai 1920-1940, douze récits », traduits par 
				Victor Surio, Emanuelle Péchenart et Anne Wu, Bleu de Chine (juillet 
				2000)
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						Lu Fen (芦焚) |  
				 Voir aussi Ling Shuhua (凌叔华) 
				et 
				Lin Huiyin (林徽因)
 
				  
				      
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