Textes divers

 
 
 
     

 

 

鲁敏:并非傲慢,或有偏见

Lu Min : Ni arrogance, ni parti pris

中国文学博鳌论坛的发言

Discours prononcé au Forum de Bo’ao sur la littérature chinoise, le 3 novembre 2015

Traduit par Brigitte Duzan, 24 janvier 2017

 

Ce discours peut être considéré comme une sorte de manifeste des écrivains de la génération dite « post’70 » dont il dépeint et revendique la caractéristique essentielle : une origine rurale qui colore et enrichit leur expérience urbaine pour former un courant littéraire unique.

 

近些年,在与外国版权机构或一些代理人接触的过程中,我已经碰到过N次这样的情况,一种类似“主题订制”般的沟通诉求。有一位来自德国的版代这样询问,你有没有关于“当下的”、“城市背景”的小说。有一家意大利的出版人则如此约稿:我们需要“非虚构的、真实发生的”的故事,并且“故事性强一些”那就更好了,还有的需要“关于年轻人的”、“信息含量大一些”的……对此,他们有进一步的解释,一是因为早些年所输出的中国小说,要么是古典的红楼与水浒,要么是建国初期的乡土小说,以及稍后的家族小说、历史题材小说,他们认为,当下的外国读者不再感兴趣了,他们对传统乡村叙事的认同感较低,他们更想看“现代的”“正在发生”的事情。第二,在他们看来,

 

Lu Min lors du Forum de Bo’ao

文学是了解一个国家的重要方式,中国现在并不那么乡村了,到处都是大城市,他们希望看到描写这一部分中国与中国人的小说。第三,你们这一代,怎么会还要写“老派的中国式”小说?你们不是都生活在大城市吗?这不是你们最熟悉的部分吗。

Ces dernières années, dans mes contacts avec des organismes de droits d’auteur étrangers, je me suis trouvée x fois à devoir répondre aux mêmes demandes de textes faits sur mesure, en quelque sorte. Un agent allemand m’a demandé si j’avais des romans « contemporains » situés dans un contexte urbain. Un éditeur italien m’a dit avoir besoin de récits « réalistes » contant des « événements qui se sont réellement produits », ajoutant qu’il serait en outre préférable qu’ils aient une « forte ligne narrative ». D’autres encore réclamaient des histoires « de jeunes » qui aient un « contenu informatif important ». Et pour que tout soit bien clair, ils donnent des explications complémentaires. L’une des raisons de cette attitude est que les premiers romans chinois exportés ont été des anciens classiques comme « Le rêve dans le pavillon rouge » et « Au bord de l’eau », des récits des débuts de la République populaire situés dans la Chine rurale, puis des romans historiques et des sagas familiales. Les éditeurs étrangers pensent que leurs lecteurs sont lassés par ce genre d’histoires, et ne peuvent s’identifier aux récits traditionnels sur des thèmes ruraux ; ce qu’ils veulent lire maintenant, ce sont des récits qui racontent « qui se passe vraiment » dans la Chine « d’aujourd’hui ». Par ailleurs, la littérature est considérée comme un moyen important de comprendre un pays ; or la Chine n’est plus tellement rurale, il y a des grandes villes partout, ils souhaitent donc des descriptions de cet aspect-là de la Chine et de sa population. Enfin, on nous demande : mais comment vous, les écrivains de la génération actuelle, pouvez-vous écrire encore des romans d’un style totalement dépassé ? Ne vivez-vous pas dans les grandes villes ? N’est-ce pas la vie qui vous est familière ?

 

老实讲,我并不喜欢、也不大赞同他们的这种眼光和分析,城里或乡下、古老或现代,虚构或非虚构,压根不是衡量文学的标准,以此来判断是否翻译或引进某部作品,失之简单粗暴了,甚至违背了文学之本意。

Honnêtement, je n’aime pas ces opinions et ces analyses, et ne suis pas d’accord avec elles. Qu’un récit soit situé dans un contexte rural ou urbain, dans le passé ou le présent, qu’il soit un texte de fiction ou non, tout cela n’a rien à voir avec ses qualités littéraires et ne peut en être un critère d’appréciation. Prendre de tels critères pour choisir les œuvres que l’on veut acheter et traduire est non seulement une erreur, car cela induit des jugements simplistes et arbitraires, mais cela va même à l’encontre de l’idée même de littérature.

 

但某种程度上,似乎也要理解和接纳这一局面。在目前的国际版权交流中,中国显然还处于卖方位置,对大部分欧美买手来说,他们的眼光有点新闻传播式的,吸引到第一注意力、第一道目光的肯定是“题材论”“主题论”,他们很奋力地试图追问、剥落出一篇小说的核心:这是个什么样的故事?最大特点是什么?讲贫困的还是讲权力?曲折的悲剧吗?神秘的民间力量?等等。西方对东方的文学寻求,像主人接待一个远道而来、不大熟悉的远客,投向客人的眼光是粗线条的扫描,是又快又省的急进主义,尚没有进入促膝而谈、细嚼慢咽的阶段。而对于更深层次的、更高一级的文本分析、审美创新以及文学价值等方面的判断也许还要等待好长一段时间。主人最终会注意到,这位满面沧桑的客人的内心里,有甜美有慈悲,有东方特有的山水与丘壑,从而真正达到接洽自在、互通有无、处处文章的知己式的交会——这显然需要一个漫长的过程。

Pourtant, d’une certaine manière, j’en suis arrivée à comprendre et accepter cet état de choses. Dans les échanges actuels de droits, la Chine est nettement en position de vendeur, face à la majorité des pays européens et américains en position d’acheteurs. Mais ce qui leur importe, c’est l’éclat médiatique qu’ils peuvent susciter, et la capacité à attirer l’attention des lecteurs. Ce qu’ils recherchent en priorité, c’est le « thème », le « sujet », et ils travaillent à creuser la question pour faire ressortir le cœur du récit : quel genre d’histoire est-ce ? quelles en sont les caractéristiques essentielles ? est-il question des pauvres ou des puissants ? est-ce une tragédie avec une intrigue complexe ? une histoire de forces mystérieuses essentiellement populaires ? etc. etc…. Dans son approche de la littérature orientale, l’Occident se comporte en hôte distingué accueillant un invité mal connu venu de loin, et tentant, d’un regard rapide, de le jauger dans ses grandes lignes. Regard non seulement rapide, mais aussi cherchant à éviter toute perte de temps pour un gain optimal, il implique qu’est repoussée l’étape des échanges intimes, où l’on puisse discuter à loisir, et sans hâte. Pour en arriver à une analyse textuelle approfondie et un jugement mieux fondé de la valeur des textes, du point de vue stylistique, esthétique ou novateur, il faudra attendre encore longtemps. C’est seulement quand l’hôte aura fini par remarquer que, au cœur de cet invité un peu mal dégrossi, il y a de la douceur et de la compassion, et un regard sur son pays empruntant les traits culturels les plus profonds, qu’il pourra accueillir cet invité avec une grande aisance et établir avec lui les rapports de réciprocité dans les échanges littéraires que l’on trouve partout ailleurs – mais on en est encore très loin. 

 

就我个人的理解,我认为这里面并不存在有傲慢的空间,但偏见或许是存在的,考察这些偏见的起源是有意思的——汉学家们的眼光与口位?出版社的胆识?对外国读者的预设?地域或民族差异而形成的岔道?是出于美好的迫切交流之愿望?是经济形态、地缘政治等莫名其妙的时势所造?或者是商业市场与强势文化的压迫——诸位可以更多地加以分析,这或许已超出了我的能力范畴。

Pour ce qui me concerne, je pense que, dans ce domaine, l’arrogance n’est pas de mise ; il peut exister des préjugés, mais on doit en examiner les sources : proviendraient-ils de la perspective et la position adoptée par les sinologues ? de la hardiesse et de la perspicacité des éditeurs ? des attentes des lecteurs étrangers ? des divergences d’appréciation causées par les différences géographiques et nationales ? des désirs pressants d’échange bien intentionné ? de raisons économiques ou géopolitiques difficiles à comprendre ? ou encore des pressions exercées par les forces du marché et de la culture dominante ? Il faudrait ici une analyse bien plus poussée que ce dont je suis capable.

 

我接下来要谈到的是顺着这个产生的,即国外出版人提到订购理由时的第三点,对“我们这一代写作者”的那个预设,因为不仅是他们,包括国内的读者和刊物、批评界,包括我们自己,似乎也多多少少有这种期待。因此,接下来我要讲第二个话题,即:关于我们这一代的写作,我们真的摆脱了流长久远、浓荫覆顶的乡土小说,进入了所谓的都市书写吗?

Ce qui m’intéresse, et dont je veux parler, c’est ce qui s’ensuit, qui est lié au troisième point invoqué par les éditeurs étrangers parmi leurs raisons pour acheter les droits d’une œuvre étrangère : les attentes liées aux écrivains « de notre génération ». Attentes qui sont celles non seulement des éditeurs étrangers, mais aussi bien des lecteurs chinois, des éditeurs et des critiques nationaux, et jusqu’à nous-mêmes, les écrivains. Ce que je vais donc aborder maintenant, c’est le second problème : savoir si nous, les écrivains de notre génération, au bout d’un long processus, avons réussi à émerger de l’ombre du roman à thème rural pour entrer dans l’ère du roman dit urbain. 

 

我首先想简单介绍一下我们这一代的成长,比如我,前面有十三年是不折不扣在乡下滚泥巴长大,随后,以考学校的方式进入省城,在南京寄居至今。同龄作家里有相当一部分是与我类似,早期有着结结实实的乡村经验,但随后,或早或晚,一般在二十岁以前即完成了对城市生活的主动介入与相互占有。阿乙、徐则臣、盛可以、曹寇等,大致如此。如果从机械的统计学的意义上看,我们的都市经验已经大大超出乡村部分,当然这种经验会与童年、阅读、教育、交游等进行复杂的物理与化学交合作用,最终融入我们的血液、体质、胆汁与DNA

D’abord, j’aimerais donner un résumé rapide de la genèse de notre génération ; moi, par exemple, j’ai grandi et vécu treize ans, sans interruption, dans la glaise de chez moi avant de pouvoir aller étudier dans la capitale provinciale grâce à ma réussite à un examen, et j’habite à Nankin depuis lors. Un grand nombre de mes collègues écrivains ont suivi le même parcours : après une première solide expérience rurale, tôt ou tard, mais généralement avant l’âge de vingt ans, ils sont passés en milieu urbain où ils ont vécu dans une relation d’interdépendance. C’est le cas, en gros, de A Yi (阿乙), Xu Zechen (徐则臣), Sheng Keyi (盛可以), Cao Kou (曹寇) et autres. Dans une simple perspective statistique, notre expérience vécue de la ville excède largement celle que nous avons de la campagne ; elle commence à se mêler à nos souvenirs d’enfance, de lecture, d’école et de voyage pour produire des effets complexes, physiques et chimiques, qui finissent par s’infiltrer dans notre sang, notre constitution, notre bile et notre DNA.

 

但从表面上看,除了一小块阿喀琉斯之踵似乎还带着八十年代乡村最后一片残留,带着泥巴式的胎记,带着隐秘的土气与容易愤然不平的性格之外,我们其余的部分,从缺乏运动的细长下肢开始,从学生腔的普通话开始,从对各种现代性审美的巨大胃口开始,从对所谓国际性视野的诉求开始,我们这一代已经自觉自愿地、急进而精准地城市化了。这不是什么好消息,但也不是坏消息。这就是一则消息、一则无法选择的消息。人与其所在的环境大抵是同步的,地图上我们出生的那个小县城或小村庄也一样,要么已经快快活活粗枝大叶地城市化了,要么正在蹶着屁股吭哧吭哧通往城市化的路上,要么流着口水沉浸在城市化的幻梦中。我们与我们的故土,殊途同归。

Cependant, si l’on s’en tient aux apparences, à part un léger talon d’Achille qui subsiste encore de la période rurale des années 1980, comme une tache de naissance d’apparence boueuse, liée à une certaine rusticité et un caractère facilement irritable, tout le reste, à commencer par nos membres inférieurs amincis faute d’exercice, notre langage typique d’étudiant, notre appétit vorace pour toute forme d’esthétique moderne, ou encore notre exigence d’une prétendue vision internationale, tout le reste témoigne que notre génération s’est urbanisée, consciemment, à toute vitesse et avec précision. Cela n’a rien d’une bonne nouvelle, mais ce n’en est pas non plus une mauvaise. C’est juste une nouvelle, et une nouvelle qui est hors de notre contrôle. Tout individu est synchronisé avec son environnement, au sens large, aussi bien que, sur la carte, avec la petite ville ou le petit village dans lequel il est né et qui a depuis lors bien changé, soit lancé vaille que vaille sur la voie de l’urbanisation, soit plongé dans un rêve d’urbanisation. Nous et nos régions natales, nous avons pris diverses voies pour arriver au même point.

 

带着阿喀琉斯之踵的我们,哪怕骨子里还是个乡下孩子,只要一想起乡村就会莫名疼痛,哪怕私底下骂起人来还是用方言更带劲,发起烧来最想吃的还是几根乡下腌脆瓜,但无论如何,城市金属色的巨大身影已经开始投射到我们的小说中来了,成为背景、成为主角、成为对话与气味,成为矛盾与欲望,成为被毁灭或被建造的价值观……这些似乎也都是顺理成章、水到渠成的,于是乎,城市文学像一盆越烧越旺的火一样,更多的柴火丢进去,更大的影子晃动起来。大家开始雀跃:城市文学来了!收获了!热了!熟了!

Avec notre talon d’Achille, quoi qu’il en soit, nous restons, au fond de nous-mêmes, des enfants de la campagne, et il nous suffit d’y penser brièvement pour ressentir une douleur secrète ; il nous paraît bien plus stimulant d’invectiver quelqu’un dans notre barbe en dialecte, et nous avons de furieuses envies de melon croquant au vinaigre de chez nous quand nous avons la fièvre. Pourtant, malgré tout, l’immense ombre métallique de la ville a déjà commencé à se glisser dans nos récits, pour en devenir le cadre, en fournir les personnages, les dialogues, la senteur, les conflits et les espoirs, les valeurs à construire ou détruire … Tout cela semble un processus logique et naturel, et c’est ainsi que la littérature urbaine devient un immense creuset sous lequel brûle un feu de plus en plus vif, bien alimenté, et jetant des ombres vacillantes alentour. Tout le monde commence à s’exciter : La littérature urbaine est arrivée ! Elle est moissonnée, chauffée, et cuite !

 

但当真说到城市或都市写作,我总还是有一些疑惑。

城市有它的意志与特点,比如,发达的商业丛林逻辑,其灿烂的金钱鬼魅,其零温度的社交本质,其对速度、效率与技术主义的高度崇拜,包括其投机性的道德修正体系等等,城市是既压迫人性又提纯人性的完美场域,并散发出一种刺目的淬火取金般的美,以及由此而来的是对德行、对古典、对世故、对人伦的反叛和修正。

Mais, en fait, pour ce qui est de la littérature urbaine ou métropolitaine, je continue à avoir mes doutes.

La ville a sa volonté et son caractère ; par exemple, elle a une logique de jungle commerciale développée, avec la splendeur du culte de l’or, des relations sociales aux alentours de zéro degré, une véritable vénération pour la vitesse, l’efficacité et la technicité, ainsi qu’un ensemble de codes moraux opportunistes. La ville est le lieu parfait à la fois de l’oppression et de la purification de la nature humaine, qui irradie une beauté éblouissante comme de l’or trempé, d’où s’ensuit une rébellion contre la vertu, le classicisme, le savoir-vivre et l’humanisme, et leur amendement.    

 

但我们这一代,在进入城市文学时,我们似乎会不自觉地带着强大的乡村传统滋养,像一块屋檐一下罩着我们,我们总会有着抚今追昔的田园风度,带着道德化的惯性,带着身处伦理高地的优越感,像心理学家社会学家人性批判家一般地去寻求扭曲、压抑与残缺……我们总有着故土难离的、深入骨髓的同位感,看破败与愚昧,看迟缓与落后,总觉得那是一种旧照片色调,一种伤心、残败但很“经典”的美。而当我们把视线投向城市,则总是有黑面纱兜头盖下来一样,哪怕承认城市的强度、先进与高级,哪怕已与其相互占有与拥抱,但先天性的就会带有一种类似对“第二性”的审判、紧张与用力过猛。城市是恶,乡村是美。触目所见,都是是恶对美的侵犯与戕害,新对旧的凌迟与覆盖,是钢筋水泥对泥土花草的羞辱与摧残。

Cependant, en pénétrant la littérature urbaine, notre génération traîne inconsciemment avec elle une forte empreinte de traditions rurales, dont nous sommes recouverts comme d’un toit protecteur. Il nous arrive tout le temps d’avoir une nostalgie bucolique du passé liée à une sorte d’inertie morale, et au sentiment d’avoir un niveau d’éthique supérieur ; comme les psychologues, les sociologues et les critiques de la nature humaine, nous recherchons le réprimé, ce qui est tordu, défectueux. Nous restons attachés à notre terre natale, et c’est un sentiment d’attachement à égalité, au plus profond de nous. Nous considérons le déclin et l’ignorance, l’inertie et le retard comme une sorte de couleur jaunie sur une vieille photo, dégageant une impression de tristesse et de décadence, mais aussi de beauté « classique ». Et quand nous tournons le regard vers la ville, c’est comme si un voile noir nous couvrait les yeux ; nous reconnaissons certes les points forts de la ville, le progrès et la supériorité en matière de développement, nous avons certes embrassé la ville et vivons dans son étreinte, mais, en nous-mêmes, congénitalement en quelque sorte, nous la jugeons avec une réaction proche de celles du « Deuxième sexe » : une fureur excessive. La ville est le mal, la campagne est la beauté. Ce que nous constatons de visu, c’est leviol et la mutilation de la beauté par le mal, la lente destruction et subversion du beau par le mal, tandis que barres d’acier et béton viennent humilier et ravager la terre, ses plantes et ses fleurs [1].  

 

我觉得我们很像是电影《后窗》中的那位摄影记者,从一扇位于城郊结合部的、城乡接壤的黑洞洞的后窗,去张望整个城市生活,以局部窥视所得到的局部逻辑去建立起罪恶、戏剧、批判……这里的一个小小漏洞就在于,自感洞若观火、明察世情的我们,与这个巨大的城市,到底有多大程度的贴合与代入?我们是否真的参与、觉悟和勘破到城市及其精神的核心?我们所呈现和构建的城市书写,是否存在着乡土背景下的道德傲慢与审美偏见?是否也带有特定的“区别心”、“方位感”,以及由此而来的“局限性”?

Je pense que nous sommes très semblables au photojournaliste du film « Fenêtre sur cour » [2] : d’une fenêtre sombre, à l’arrière d’un immeuble situé aux confins de la ville, à la limite des faubourgs, il observe la vie de la cité, et, de la vue partielle qu’il en tire, avec sa propre logique, il bâtit toute une histoire de crime, de drame et de châtiment… Il y a là un écart avec le réel qui est aussi le nôtre, nous observateurs clairvoyants et sophistiqués, et qui pose le problème de notre véritable empathie avec l’immensité de la ville. Pouvons-nous vraiment être parties prenantes de la ville, en pleine conscience et avec une vision claire de son cœur même ? Lorsqu’apparaît la ville dans nos écrits, et qu’elle y prend forme, n’est-ce pas toujours avec une sorte d’arrogance morale et de préjugé esthétique pour le contexte local ? N’avons-nous pas toujours un « esprit discriminatoire », une « position orientée », et, par là-même, nos « limitations » ?   

 

看当代西方小说,比如《自由》《纠正》(乔纳森·弗兰岑)、《恶棍来访》(珍妮弗·伊根)、《纽约三部曲》《布鲁克林荒唐事》(保罗·奥斯特)、如《心醉神迷》(村上龙)《一个人的好天气》(青山七惠)、《裂舌》(金原瞳)等,我会注意到,他们对于城市生活那种近乎亲情与归宿感的温柔流露,包括对人际冷漠、铁血规则、万物速朽的高度认同,并自然而然带着一种童贞般的怜爱与深情——这非常类似于我们对于乡村经典传统的那种感情。他们打一生下来就扔在城市之河里,他们所有的记忆、交际、消遣、规则都源自城市的坚硬内核。城市就是他们的故土。也许,到了九零后、零零后的作家,他们也会如此这般吧。但,我们这一代是不可能的。

Si l’on considère les romans contemporains étrangers, et en particulier les romans occidentaux, tels que « Liberté » ou « Les corrections » de Jonathan Franzen, « Qu’avons-nous fait de nos rêves » (A Visitfrom the GoonSquad) de Jennifer Egan, « La trilogie de New York » ou « Brooklyn Follies » de Paul Auster, « Ecstasy » de Ryū Murakami, « Un jour idéal pour être seul » de Nanae Aoyama, ou encore « Serpents et boucles d’oreilles » de Hitomi Kanehara, je remarque que s’en dégage un tendre sentiment d’appartenance, d’affinité avec la vie urbaine, voire une forte identification avec les relations très froides, les règles draconiennes « de fer et de sang » et la perception de la décadence rapide des choses, dont il ressort une sorte d’affection et de chaste sympathie – tout cela étant finalement très proche de ce que nous-mêmes ressentons à l’égard de la campagne et de tout ce qu’elle recèle de traditions classiques. Ces écrivains ont été jetés dès leur enfance dans le maelstrom urbain, ; tous leurs souvenirs, leurs relations sociales, leurs divertissements, leurs règles, tout a sa source au cœur même de la ville. C’est la ville qui est leur terre natale. Peut-être les écrivains [chinois] nés dans les années 1990 ou dans les premières décennies du siècle suivant pourront-ils écrire ainsi, mais, pour notre génération, c’est impossible.

 

可是话说回来,这也正是我今天最想说的部分——这种胎记式的阿喀琉斯之踵、这种混杂着傲慢与偏见的局限性,可能正是我们这一代人转向城市写作的最大辩识度所在,也是我们这一代写作者的特征与贡献,我们将最为忠实地体现出这一代际与整个社会的情境与进程。

Cependant, pour en revenir à ce que je voulais dire aujourd’hui, cette tache de naissance, ou ce talon d’Achille qui est le nôtre, ces limitations intimement mêlées à notre orgueil et à nos préjugés, peut-être est-ce justement la marque la plus importante de notre écriture au moment où notre génération s’est tournée vers la ville, sans doute est-ce là sa caractéristique et sa contribution majeures : il nous revient de dresser un tableau fidèle de notre génération comme de la société toute entière, dans son contexte et processus de développement.

 

我们不会像西方小说那样,写出老派都会的自信、颓唐与暮气,我们笔下的新兴城市小说,充满动荡与摇晃的活力,充满是非纠缠的矛盾与决裂,我们的视线带着飘移者特有的不成熟,我们擅于以点及面、以局部推测整体,以窥视去滋养想象,我们有点气喘吁吁地,利用并不算太长的都市经验,带着先天的乡村基因,以祖传审美加后天见识揉杂而成的复杂视角,投向同样复杂、同样揉杂的城市生活,去试图书写这么一个正处于发育期且发育不均、发育过快乃至伴有诸多并发症的都市,这个都市,它被豪华地堆砌、被粗暴地误会、声名狼藉、被追求同时被丑化、认为它是一切罪恶的温床,可同时也是它,在以巨大的勇气的和力量拖曳着这个东方国度全力向前,甚至也包括我们总是难以忘怀、并总认为是在被城市毁坏的乡村文明。

Notre propos n’est pas, comme dans les romans occidentaux, de dépeindre l’assurance, l’accablement, l’atonie que peuvent ressentir les anciens citadins. Sous notre plume, au contraire, les romans décrivent des villes en plein essor, débordant de vitalité et d’animation, mais regorgeant aussi de brèches et de conflits insolubles ; notre ligne d’horizon est celle, un rien immature, caractéristique des déracinés, prenant un point comme référence du tout, et une partie comme élément représentatif de l’ensemble, et utilisant les bribes perçues pour nourrir notre imagination. De façon quelque peu haletante, sur notre expérience encore bien trop limitée de la ville, nous greffons nos gênes ruraux innés ainsi que l’esthétique léguée par nos ancêtres, et y ajoutons nos connaissances acquises afin de former une vision complexe ensuite projetée sur une vie urbaine tout aussi complexe et hétéroclite ; c’est ainsi que nous tentons de décrire la ville : en plein essor, mais un essor inégal, et tellement rapide qu’il semble accompagné d’un mouvement de folie. Or cette ville, notoirement noyée dans le luxe, est grossièrement méconnue et a très mauvaise réputation ; diffamée alors même qu’elle est recherchée, on en fait le foyer de toutes sortes de délits, mais, en même temps, c’est bien elle, la ville, qui, avec un courage et un dynamisme formidables, tire ce pays oriental vers l’avant, et notre inoubliable civilisation rurale avec, alors que nous pensons qu’elle est détruite par la ville.

 

从这个角度而言,我现在有点信服我在前面所提到的海外版代们的那种“订购式”的邀约了。外界的偏见式期待,自身的偏见式局限,清浊合流,正负交杂,最终将成就我们这一代的最大辨识度所在,它将区别于西方中产写作的那种圆熟、老烂、高冷,我们会以烙铁般的热忱,形成一种复杂、分裂、自我矛盾的新鲜经验,这是只有在当下中国、只有在这一代城乡背景混杂者的写作者身上,才会生产的。我们会以一个潜入者、后来者的姿态,深入到这个时代的腹部,深入到它的铁与锈,贡献出中国文学进程中的一块巨大基石。

En ce sens, je suis maintenant assez convaincue par les sollicitations en forme de « commandes » que nous recevons des éditeurs et agents étrangers mentionnés précédemment. Les attentes extérieures partiales et nos propres limitations tout aussi partiales convergent comme deux cours d’eau, l’un limpide et l’autre fangeux, et ce confluent de forces positives et négatives formera finalement le caractère le plus marquant de notre génération. Ce sera totalement différent du style stéréotypé, mou, arrogant et froid des récits de la classe moyenne en Occident. Nous, avec notre enthousiasme fougueux, nous nous forgeons une expérience toute fraîche, complexe, éclatée et pleine de contradictions, qui est spécifique à la Chine et propre à notre génération d’écrivains hybrides partagés entre ville et campagne. C’est en retardataires que nous pénétrons en profondeur au cœur de notre époque, de son fer et de sa rouille, pour y apporter notre contribution en posant une importante pierre angulaire dans le développement de la littérature chinoise.

 

 


[1] Lu Min utilise une très belle image en opposant le ciment shuǐní 水泥, littéralement terre mélangée à de l’eau, et la glaise nítǔ 泥土– l’un venant recouvrir l’autre.

[2] Fenêtre sur cour, (Rear Window), film d’Alfred Hitchcock sorti en 1954, avec James Stewart dans le rôle d'un photographe qui, à la suite d'un accident, se retrouve dans une chaise roulante avec une jambe cassée ; il passe son temps à observer ses voisins de sa fenêtre, et commence à soupçonner l'un d’eux de meurtre.

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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