Histoire littéraire

 
 
 
          

 

 

Brève histoire de la bande dessinée chinoise

I. Origines et développement

par Brigitte Duzan, 28 septembre 2014, actualisé 2 septembre 2016

       

La bande dessinée chinoise est aujourd’hui connue sous le terme de manhua (漫画), calqué sur le japonais manga qui s’écrit avec les mêmes caractères. Mais le terme générique plus ancien est lianhuanhua (连环画), c’est-à-dire images, ou illustrations en chaînes, ce qui en est en même temps une définition.

       

On peut lui trouver des précurseurs dès le deuxième siècle avant Jésus-Christ, dans les peintures des tombes de Mawangdui (马王堆), au début de la dynastie des Han de l’Ouest, puis dans les fresques des grottes de Dunhuang (敦煌壁画), à partir du quatrième siècle, sous les Wei du Nord (北魏), mais cet art ne s’est vraiment développé qu’à partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, sous forme, d’abord, de satire politique.

       

Il y a dès le départ un lien très étroit entre manhua et littérature, entre l’image et l’écrit. Les fresques des grottes de Dunhuang sont des représentations en images de scènes bouddhistes servant pour l’enseignement des moines et dévots : art visuel qui vient en contrepoint du développement de l’art des conteurs, et du xiaoshuo, influencé à l’origine par la prédication bouddhiste. Le lien littéraire se retrouvera ensuite sous diverses formes.

       

Si le récit conté a pris très vite l’avantage, l’image s’est à nouveau imposée dès que les moyens techniques l’ont permis, donnant naissance à un support idéal pour les masses illettrées, d’un contenu idéologique ou de pur divertissement, avant de devenir un art en soi, en lien, aussi, avec le cinéma quand les images sont animées.

      


            

A/ Avant 1949

     

I. Les antécédents des lianhuanhua

       

Les plus anciens antécédents historiques de la bande dessinée sont des illustrations de légendes liées au taoïsme populaire et d’histoires liées à l’enseignement bouddhiste.

       

Mawangdui et les légendes anciennes

       

Les tombes de Mawangdui, près de la ville de Changsha (长沙市), dans le Hunan, reflètent la culture, et en particulier les pratiques funéraires, de l’ancien Etat de Chu () dont faisait partie le royaume de Changsha – culture distincte de celle des Etats des plaines du Nord, comportant des traits spécifiques liés au chamanisme et à certaines formes de taoïsme populaire, et très prisée des premiers empereurs de la dynastie des Han.

       

 

Détail de la peinture sur soie de la tombe 1, Mawangdui : la légende de Tubo mangeant les serpents

 

      

Certaines des peintures des tombes, datées du deuxième siècle avant Jésus-Christ, sont des illustrations de légendes populaires. L’une des plus connues, dont on trouve l’illustration en haut de la peinture sur soie de la tombe n°1 (1), est celle de « Tubo mange le serpent » (土伯吃蛇) : il s’agit d’une divinité dont la mission était de protéger les défunts des animaux nuisibles pour que leur âme puisse sans encombres gagner le monde de l’au-delà.

       

On a là l’illustration d’une croyance dont la fonction est aussi narrative, liée à un imaginaire fabuleux ; on en retrouvera l’histoire, à ce titre,dans les livres de contes et les bandes dessinées pour enfants.

       

Dunhuang et les fables bouddhistes

       

L’aspect narratif est plus développé dans les grottes de Dunhuang, ou plus précisément de Mogao (莫高窟), puisqu’il s’agissait d’illustrer pour instruire (2). On a dans ces fresques murales de véritables chaînes narratives qui tiennent du lianhuanhua avant l’heure.

      

Il peut s’agir d’épisodes historiques ou de la vie courante, représentés en séquences narratives, mais il y a aussi des Jatakas ou bensheng en chinois (本生), c’est-à-dire des contes et histoires des vies antérieures du Bouddha Shakyamuni qui font ressortir sa nature compatissante. Non seulement ces fresques sont des précurseurs des lianhuanhua, mais beaucoup de jatakas ont aussi été adaptés en bandes dessinées.

       

L’une des plus célèbres de ces fresques en donne un excellent

 

Le cerf aux neuf couleurs,

lianhuanhua de décembre 1983

exemple : celle du « Jataka du Cerf aux neuf couleurs » (九色鹿本生) de la grotte 257 où les différents épisodes de l’histoire sont présentés séparés par des éléments de paysage.

      

La grotte 257 (avec le jataka du cerfaux neuf couleurs à 3’14)

       

A gauche, un homme est agenouillé devant un cerf qu’il remercie de l’avoir sauvé de la noyade et promet de ne pas révéler où il se trouve. Or la reine est malade, et ne peut être guérie que par une potion nécessitant un cerf mort. L’homme oublie sa dette envers le cerf et guide les chasseurs du roi vers le merveilleux animal. La peinture montre ensuite le roi arrivant à cheval, et le cerf lui expliquant la traitrise de l’homme à son égard. Touché par la grandeur d’âme du cerf, le roi décide d’abolir la chasse au cerf dans son royaume. Quant à l’homme, en punition de sa traitrise, il est frappé d’une maladie qui le défigure.

       

L’histoire a été adaptéeen dessin animé en 1981 (3), puis en lianhuanhua fin 1983, en reprenant l’iconographie de la fresque de Mogao.

       

Les peintures narratives sur rouleaux

      

 

Sutra des Dix Rois, Dunhuang grotte 17 (British Museum)

 

       

Les manuscrits retrouvés à Dunhuang, miraculeusement conservés dans une pièce fermée, comportent des peintures sur rouleaux qui ont aussi ce même caractère de narration séquentielle. C’est le cas, par exemple, d’une copie du sutra des Dix Rois, sutra apocryphe du dixième siècle, où chaque roi, assis à une table, juge les actes des défunts qui se présentent (4).

      

 

La nymphe de la rivière Luo

 

       

Des peintures sur rouleau d’une époque proche ont le même caractère de récit séquentiel. C’est le cas, par exemple, de rouleaux narratifs du peintre Gu Kaizhi (顾恺之), datant du royaume des Jin (1115-1234), et en particulier de l’un des plus célèbres : « La nymphe de la rivière Luo » (洛神賦). Il illustre un poème du prince Cao Zhi (曹植) écrit en 222, qui raconte la rencontre du poète avec la nymphe du titre, fille du souverain mythique Fuxi, rencontre évidemment sans lendemain car, comme dit le poète, hommes et divinités doivent suivre des chemins séparés.

       

Comme dans les fresques de Dunhuang, la peinture est articulée autour d’éléments paysagers, montagnes ou forêts, et setraduit par une succession de scènes distinctes, ponctuées d’éléments du texte.

       

Les livres illustrés sous les Song et les Ming

        

Les Biographies de femmes exemplaires, vol. I, 3ème partie (仁智传 les bienveillantes et sages), 1. L’épouse du duc Kang de Mi

 

Sous les Song (960 – 1279), l’essor de la société urbaine et marchande favorise le développement de la littérature en langue vernaculaire. Par ailleurs, l’invention de la xylographie, pratiquée dès la seconde moitié du 7ème siècle en Chine (5), facilite l’impression de l’image, et permet le développement des livres illustrés.

       

Le premier livre imprimé illustré est un livre bouddhiste, une copie du Sutra du Diamant (金刚经) datant de 868, trouvé par Aurel Stein à Dunhuang et conservé à la British Library à Londres.

      

A l’époque des Song, la mode est aux histoires extraordinaires, mais aussi aux histoires édifiantes. L’exemplaire imprimé en 1064 des « Biographies de femmes exemplaires » (列女传), reprenant un texte compilé par Liu Xiang (刘向) vers 18 avant Jésus-Christ, poursuit dans la même ligne que les textes bouddhistes précédents, mais dans une optique confucéenne : c’est un livre donnant des modèles de conduite pour l’instruction des femmes. C’est le premier recueil à comporter autant d’illustrations, pratiquement une pour chacune des 125 notes biographiques, selon le principe shangtu xiawen (上图下文) : en haut l’illustration, en bas le texte.

       

Sous les Ming, le même principe s’applique. En l’an 20 de l’ère Wanli, soit en 1592, les « Scènes mémorables de la vie de Confucius » (孔子圣迹图) racontent en images la vie du grand homme : le livre contient plus d’une centaine de dessins en baimiao (白描), avec un trait au contour très fin et une profusion de détails qui représente le style général des illustrations de l’époque.

 

Scènes de la vie de Confucius (1592)

       

Mais la période Ming est surtout la grande période de développement du roman, surtout romans de mœurs et récits historiques romancés qui paraissent avec de riches illustrations.

       

Le mouvement se poursuit sous les Qing, mais on voit aussi se développer l’art populaire des images du Nouvel An ou nianhua (年画) qui vont constituer une source d’inspiration stylistique pour les dessinateurs de lianhuanhua. Certains se consacreront d’ailleurs aussi bien à l’un ou l’autre genre.

       

Ce n’est donc pas ex abrupto que, dans la seconde moitié du 19ème siècle, naissent les lianhuanhua proprement dits.

       

II. Fin 19ème siècle-1949 : Naissance et développement des lianhuanhua/manhua 

       

Livres de petit format ne contenant qu’une image par page, au-dessus du texte, les lianhuanhua sont les héritiers directs des livres illustrés, avec le même dessin au trait, en style baimiao. Mais ils sont très souvent d’abord publiés en séries  dans la presse.

        

Premiers lianhuanhua

        

Le magazine du Studio de la pierre gravée

 

Le développement de ces récits illustrés destinés à un public populaire a bénéficié des perfectionnements de la lithographie, avec des techniques modernes importées de l’Occident, via Shanghai qui en devient le centre principal. Il s’agit d’illustrer des romans populaires ou des actualités publiées dans la presse.

      

C’est au quotidien Shenbao (申报) de Shanghai que l’on attribue généralement la première série de récits illustrés, toujours en baimiao, publiée en 1884 dans un supplément intitulé Magazine du Studio de la pierre gravée (点石斋画报). Les articles traitent d’événements d’actualité pouvant

toucher les lecteurs, ainsi que de la vie quotidienne en Chine, ce qui vaut au journal nombre de critiques qui lui reprochent de s’intéresser surtout aux marginaux sociaux, mendiants, voleurs et prostituées.

      

Le supplément connaît une grande popularité, grâce à ses illustrations, signées d’une vingtaine de dessinateurs, dont beaucoup sont des spécialistes de nianhua venus de Suzhou ; mais, parmi eux, Wu Youru (吴友如) s’impose comme grand maître du lianhuanhua. Le magazine est bientôt vendu séparément, mais sa publication est interrompue en 1898, après avoir diffusé dans ses pages plus de 40 000 illustrations. Il fait encore figure de précurseur, avec des textes littéraires, écrits en chinois classique.

       

Le développement des lianhuanhua croise alors, au début du vingtième siècle, celui de la satire politique dans les journaux.

 

Studio de la pierre gravée : des mendiants

sont entraînés pour devenir soldats

       

Satire politique et propagande

       

Le Cri du peuple, 1909, avec premières « bulles » : compatriotes, réveillez-vous vite, secouez vos esprits !

 

Dans les années qui précèdent et suivent la révolution de 1911, se multiplient dans les journaux des gravures satiriques critiquant le gouvernement. C’est le cas du quotidien révolutionnaire de Shanghai "Le cri du peuple" (民呼日报) qui, pendant les quelques mois de sa publication, en 1909, s’attaque à l’administration des Qing et au contrôle de la police par les Mandchous.

       

Bien qu’éphémère (92 jours), cette publication marque un tournant dans l’histoire du lianhuanhua : les images, comme les textes, sont des caricatures, mais surtout on voit apparaître des dialogues dans des bulles, et la division de l’image en plusieurs vignettes, sous l’influence de l’étranger.

       

Il faut attendre 1913 pour voir apparaître des séries dans le genre humoristique et satirique, politique ou non. C’est le cas de la série « Les cent avatars du vieux singe » (老猿百态), publiée dans le Quotidien de la République (民国日报). Le vieux singe en question est le président de la République Yuan Shikai (袁世凯), dont le caractère du patronyme () est homophone du caractère désignant un singe (), tous deux prononcés yuán. La série dénonce sa dérive absolutiste et ses abus de pouvoir. Le dessinateur, Qian Binghe (钱病鹤), deviendra par la suite l’un des plus grands auteurs de bandes dessinées.

       

Qian Binghe continue avec des dessins satiriques contre les seigneurs de guerre et l’impérialisme. Ce genre se développe quand le Guomingdang les utilise à des fins de propagande, après avoir engagé journalistes, peintres et dessinateurs pour suivre l’armée au cours de l’Expédition du Nord en 1926. Distribuées à la population, les bandes dessinées acquièrent là une nouvelle importance. C’est ainsi, par exemple, que le père de San Mao, Zhang Leping (张乐平), a commencé sa carrière.

       

Romans populaires et pièces de théâtre

       

En même temps, les progrès de la photogravure et la multiplication des presses rotatives dans les grandes villes facilitent la publication des grands romans classiques en albums illustrés. Le précurseur est, en 1909, une version du Roman des Trois Royaumes (三国演义) adaptée de celleillustrée par Zhu Zhixuan (朱芝轩) en 1898, avec plus de deux cents planches d’illustrations.

       

Mais ces publications restent du domaine du roman illustré. Un pas vers le lianhuanhua est franchi avec les adaptations de ces romans en épisodes individuels, tels ceux inspirés par le Roman des Trois Royaumes publiés en 1911: « Zhuge Liang choisit son épouse » (诸葛亮招亲) ou « Menghuo sept fois captif » (七擒孟获).

      

Dans les années 1920, l’essor de la littérature en baihua (6) stimule la création de séries d’épisodes illustrés des plus

 

Les Trois Royaumes,

avec illustrations de Zhu Zhixuan

célèbres romans populaires. Créée en 1917 à Shanghai, et transformée en société par actions en 1921 pour élargir ses opérations, la maison des Editions du Monde (上海世界书局) se spécialise dans ce nouveau genre, et, de 1925 à 1929, publie des séries de récits "en images" tirés de cinq ouvrages parmi les plus populaires : « Le voyage en Occident » (《西游记》), « Au bord de l’eau » (《 水浒传》), « Les Trois Royaumes » (《三国演义》), « L’investiture des dieux » (《封神榜》) et « Yue Fei » (《岳传》).

       

C’est à l’occasion de la sortie de ces volumes que l’éditeur, pour les désigner, forge le terme de lianhuantuhua (连环图画), c’est-à-dire "dessins (ou images) en chaînes". Il unifie ainsi la terminologie, différente selon les régions, xiaorenshu (小人书) dans le Nord ou gongzaishu (公仔书) dans le Sud.

       

C’est ainsi que naît ainsi une "littérature en image" qui connaît un grand succès, surtout, bien sûr, dans les couches populaires, et qui est profondément enracinée dans le mouvement de la Nouvelle Culture né du mouvement du 4 mai. A partir du milieu des années 1920, ces lianhuantuhua évoluent peu à peu vers une conception autonome, sans plus de référence au théâtre ou à la littérature : on voit apparaître de véritables bandes dessinées qui sont surtout des satires sociales pleines d’humour, très prisées du grand public.

       

1925 : Zikai Manhua

      

1925 apparaît à cet égard comme une année charnière, avec la création du magazine « Zikai Manhua » (子恺漫画) par l’un des grands pionniers de la bande dessinée chinoise : Feng Zikai (丰子恺), peintre, écrivain, traducteur (du russe et du japonais) et musicien, né en 1898 dans le Zhejiang et disparu en 1975, auteur de recueils d’essais qui éclairent sa création picturale (7).

       

Ses croquis apparaissent comme des petits tableaux du quotidien, saisi sur le vif, dans un style influencé par la peinture occidentale, mais tracés au pinceau comme la peinture traditionnelle du lettré, et comme elle empreints de poésie. Feng Zikai voyait l’art du manhua comme un art relevant de la poésie, avec le même principe de concision visant à « montrer le grand au sein du petit » (小中见大).

 

Feng Zikai

       

Feng Zikai, Moments de loisirs

 

Feng Zikai a contribué à fixer le terme de manhua, qui se substitue dès lors aux différentes appellations antérieures, qui en désignent en fait les diverses facettes : croquis satiriques (讽刺画), satires politiques (政治画), dessins d’actualité (时事画), croquis de reportage (报导画), dessins humoristiques (滑稽画) ou comiques (笑画), etc…

      

Feng Zikaia véritablement donné ses lettres de noblesse à un genre généralement considéré comme populaire et mineur, définissant le terme, dans l’un de ses essais de 1948,

par référence à la littérature et à la peinture classiques :

« Dans le mot manhua 漫画, le caractère man apparaît, revêtu de la même signification que dans les termes "essai libre" (manbi 漫笔) ou "conversation à bâtons rompus" (mantan 漫谈). Ces deux termes correspondent en littérature à l’essai au fil dupinceau (suibi 随笔) ou encore à l’essai familier (xiaopin wen 小品文֮), qui, le plus souvent, traitent de thèmes librement choisis par l’auteur, se caractérisent par leur brièveté et présentent un contenu succinct…. »

            [cité et traduit par Marie Laureillard (7)]

       

1929 : Monsieur Wang

       

A la suite du Feng Zikai, la bande dessinée chinoise traverse une période de maturation. La fin de la décennie voit la naissance de l’un de ses titres les plus célèbres : « Monsieur Wang » (王先生), créé par un autre précurseur de génie, Ye Qianyu (叶浅予), autre peintre formé à la peinture traditionnelle chinoise, né en 1907 dans le Zhejiang (8).

       

Par le biais des heurts et malheurs de Monsieur Wang et de son fidèle acolyte Xiao Chen (小陈), Ye Qianyu se livre à une satire acerbe de la société de Shanghai, en opposant la vie des petites gens à celle de la classe moyenne.

 

Monsieur Wang

       

La série est publiée à partir de 1929  dans le magazine Shanghai Sketch ou Shanghai Manhua (上海漫画), cofondé avec dix autres artistes par Ye Qianyu l’année précédente, en avril 1928 : un journal de huit pagesau format tabloïd, en lithographie bicolore, dont quatre pages sont consacrées aux bandes dessinées. Mais Shanghai Manhua n’est pas seulement une vitrine pour les dessinateurs, c’est un journal en lien avec la scène littéraire de Shanghai, et en particulier les auteurs du groupe des « néo-sensationnistes » (新感觉派) (9). La bande dessinée est peut-être un genre populaire, il n’est pas mineur sur le plan artistique : elle s’intègre dans le paysage culturel de Shanghai.

       

Shanghai Manhua disparaît en juin 1930, mais il est suivi de plusieurs autres titres qui reprennent le même format et la même formule : « The Sketch » (半角漫画), lancé en 1929 avec le dessinateur Ye Yinquan (叶因泉), le bihebdomadaire « Modern Miscellany » (时代图画半月刊) fondé en 1930, et « Modern Sketch » (《时代漫画》), lancé en janvier 1934, avec, entre autres, le dessinateur Lu Zhixiang (陆志庠).

       

La fin des années 1920 et le début des années 1930 est une période marquée par ailleurs par le formidable succès des films de wuxia qui sortent en chaîne de studios quelquefois créés à la hâte pour répondre à la demande. Face à cette véritable frénésie populaire, les éditeurs de bandes dessinées se mettent au goût du jour en adaptant les romans de wuxia qui sont en même temps adaptés au cinéma, voire en inventant des suites aux romans les plus connus. C’est le cas, par exemple, d’une série de lianhuanhua inspirée par le grand classique « Au bord de l’eau » (《水浒传》), qui raconte en épisodes successifs les aventures des fils des cent huit héros du roman.
       
Décrivant les étals de bouquinistes dans un article de 1932, Mao Dun (矛盾) s’inquiète d’y voir, à l’époque, les petits livres de bandes dessinées devenus la principale forme de littérature proposée à la clientèle.
       
En 1932, cependant, les films de wuxia sont interdits par la censure du Guomingdang, les bandes dessinées reviennent vers les thèmes sociaux.
               

1935 : création de San Mao

       

San Mao

 

C’est dans « Modern Sketch » que vont être publiés les dessins du célèbre personnage créé au printemps 1935 par Zhang Leping (张乐平) : San Mao (三毛), le gamin aux trois mèches sur le crâne.

       

Le premier dessin paraît le 28 juillet 1935 dans le supplément illustré du Chenbao (《图画晨报》) ; le dessin prévu dans ce numéro était un dessin de la série « Monsieur Wang » de Ye Qianyu ; or, celui-ci étant tombé malade, le jeune Zhang Leping le remplaça, avec San Mao. 

       

Ainsi naquit l’une des bandes dessinées les plus célèbres de Chine, qui eut en outre une étonnante longévité, puisqu’elle eut quelques nouveaux épisodes après la Révolution culturelle. Le manuscrit de la seconde série, « San Mao le petit vagabond » (《三毛流浪记》), qui apparaît aujourd’hui comme un classique, est entré au Musée national des Beaux-Arts, à Pékin, en 1983.

       

1937-1945 : guerre et propagande

       

Entre 1934 et 1937, environ dix-sept magazines de manhua sont publiés à Shanghai, mais la concurrence s’est étendue également vers le sud, jusqu’à Canton (10). A partir de 1934, en outre, beaucoup de journaux ajoutent des pages consacrées au manhua. Ce nouveau format est ensuite utilisé à partir de 1937 comme support de propagande antijaponaise. Pendant les huit années de guerre, pratiquement tous les manhua ont la guerre pour thème. Comme pendant l’Expédition du Nord, les satiristes se font propagandistes.

       

Après l’occupation de Shanghai, les publications de manhua sont transférées à Canton, puis en 1939 à Hong Kong, mais, lorsque cette  ville est à son tour envahie par les Japonais, en 1941, toutes les publications sont arrêtées. Elles reprennent après la fin de la guerre et la défaite japonaise, en 1945.

       

1945-1949 : reprise des dessins satiriques

       

Les quelques années de l’après-guerre, jusqu’en 1949, sont un nouvel âge d’or de la bande dessinée. Le thème principal change pour s’axer sur la vie quotidienne, mais ce sont les journaux qui sont le support principal de ces dessins, le marché des tabloïds étant anéanti par la guerre.

       

Cependant, la lutte entre forces nationalistes et communistes pour la conquête du pouvoir et le chaos qui en résulte inspirent aussi des satires politiques à certains dessinateurs, souvent fixés à Hong Kong.

       

C’est le cas du groupe d’artistes antinationalistes dénommé Renjian Huahui (人间画会), qui inclut des artistes du continent, victimes de purges du Guomingdang et réfugiés dans la colonie britannique. Ils publient le magazine “This Is a Cartoon Era” (这是一个漫画年代), lancé en 1948.

       

Cependant, avec la fondation  de la République populaire, la plupart des artistes procommunistes retournent sur le continent où commence une ère nouvelle pour le manhua.

       

       

Notes

(1) La première sépulture est celle de l’épouse du premier ministre Li Cang (利苍) inhumé dans la tombe n°2.

(2) Encopiant des sutras ou en peignant des images du Buddha, les adeptes du bouddhisme mahayana espéraient pouvoir échapper au cycle de réincarnations et aux souffrances qui y sontliées.

(3) Voir « Le Cerf aux neuf couleurs » (九色鹿) : chinesemovies…  (à venir)

(4) Le manuscrit est à la Bibliothèque nationale à Paris (Pelliot chinois 2003-12). Mais la scène est également représentée sur une fresque de la grotte 17.

(5) Le premier xylographe chinois connu est un exemplaire du sutra de la dharani, datant de 650-670.

(6) Voir La littérature chinoise au 20ème siècle, II. 1917-1927

(7) Voir l’article de Marie Laureillard « Feng Zikai, un caricaturiste lyrique » (Etudes chinoise n°27) qui traite de ses croquis en noir et blanc des années 1920-1940 en montrant en particulier leur enracinement dans la poésie classique chinoise :

www.afec-etudeschinoises.com/IMG/pdf/3-Laureillard.pdf

(8) Il est nommé professeur de peinture à l’Institut central des Beaux-Arts en 1949, mais déclaré « droitier » en 1958. Comme beaucoup d’autres dessinateurs de manhua, il est persécuté pendant la Révolution culturelle, accusé d’être un espion du Guomingdang, et condamné à sept ans de prison en 1969. Il a épousé en 1955 la grande star du cinéma de Shanghai des années 1930 : Wang Renmei (王人美).

(9) Voir l‘article d’Ellen Johnston Laing : Shanghai Manhua, the Neo-Sensationist School of Literature and Scenes of Urban Life, dans lequel elle explique les liens littéraires des auteurs de Shanghai Manhua, mais aussi décrypte certaines des illustrations publiées dans le journal :

https://u.osu.edu/mclc/online-series/shanghai-manhua/

Sur les néo-sensationnistes, voir l’histoire du haipai : www.chinese-shortstories.com/Reperes_historiques_La_litterature_chinoise_au_vingtieme_siecle_3bis_2.htm

(10) Hong Kong Comics, a History of Manhua, par Wendy Siuyi Wong, Princeton Architectural Press, New York 2002, p.15.

 

Bibliographie

 

A Modern Miscellany: Shanghai Cartoon Artists, Shao Xunmei’s Circle and the Travels of Jack Chen, 1926-1938, by Paul Bevan, Brill 2016.

Review by John Crespi : http://u.osu.edu/mclc/book-reviews/crespi2/

L’argument principal de Paul Bevan est de s’opposer à la tendance générale qui lie le manhua au nationalisme et à la résistance anti-impérialiste. Dans une première partie il montre que, dans les années 1920, le manhua fait partie de la scène de l’art moderne en Chine, et reste relativement peu engagé politiquement ; l’art du manhua ne naît pas d’une forme de résistance patriotique aux seigneurs de guerre ou à l’impérialisme, mais des activités commerciales. Les artistes trouvent leur inspiration, comme leurs collègues du modernisme littéraire, dans les revues étrangères populaires. Ce n’est que dans les années 1930, sous la poussée de l’invasion japonaise, que le manhua se politise.

Dans le second chapitre, l’auteur examine les entreprises de Shao Xunmei. Les chapitres 3 et 4 passent en revue les influences artistiques, dont le Mexicain Miguel Covarubias, et l’Allemand Georges Grosz. Les trois derniers chapitres examinent « la dissémination de l’art politique chinois » en terminant par la première exposition nationale de manhua à Shanghai en novembre 1936. C’est l’époque aussi où cet art devient un mouvement anti-fasciste.

        


        

B/ Après 1949

        

III. 1949-1976 : une période contrastée pour la bande dessinée

        

Dès les débuts de la République populaire, la bande dessinée est l’objet d’une promotion active de la part du pouvoir qui y voit un moyen idéal de communication et de propagande auprès des masses semi-illettrées de paysans, mais aussi auprès des travailleurs peu éduqués des villes. Il s’agit de concevoir un lianhuanhua nouveau pour l’éducation des masses.

        

Mais, pendant toute la période du régime maoïste, le sort de la bande dessinée, comme tout le reste, est lié aux campagnes politiques et aux fluctuations de la ligne idéologique.

        

Prémices pendant la guerre

        

Pendant la guerre, Ye Qianyu et Zhang Leping, entre autres, fondent une équipe de propagande formée de dessinateurs de bandes dessinées et de caricaturistes qui accompagne jusqu’à Chongqing les troupes gouvernementales obligées de s’y replier. Ils organisent des expositions itinérantes d’affiches, de caricatures et de bandes dessinées qui ont une double fonction : propagande antijaponaise, en dénonçant les exactions perpétrées par l’armée japonaise et en prônant la nécessité de l’union nationale et de l’engagement de tous contre l’ennemi, mais aussi outil d’éducation de la population, en enseignant, par exemple, comment se protéger des bombardements aériens.

        

En 1940, l’équipe est dissoute par le Guomingdang en raison de ses sympathies procommunistes. Les artistes ne cessent pas pour autant leurs activités. Ils rejoignent les zones libérées contrôlées par les communistes, où ils participent à l’effort d’éducation politique de la population tout en formant de jeunes dessinateurs.

        

En 1942, dans ses Causeries sur l’art et la littérature, à Yan’an, Mao Zedong insiste sur l’importance de servir les masses en mettant l’art à leur service. Les lianhuanhua constituent un vecteur idéal. Leur publication dans les zones libérées s’intensifie.

       

Cette même année paraît un lianhuanhua original, créé par un groupe de trois artistes engagés, Lü Meng (吕蒙), Mo Pu (莫朴) et Cheng Yajun (程亚君) : « Le temple du Bouddha de fer » (铁佛寺). Le titre évoque de façon liminale des titres de romans et de films de wuxia, mais l’histoire est d’actualité, une histoire vraie donnant à la bande dessinée valeur

 

Le temple du Bouddha de fer

d’exemple : elle raconte l’assassinat d’un cadre du Parti, organisé par un notable local, figure emblématique du traître qui joue double jeu.

        

Les illustrations sont à base de gravures en noir et blanc, mais avec une iconographie inspirée des images du Nouvel An et des papiers découpés, autant de formes artistiques populaires qui vont être encouragées par le nouveau régime. La promotion des lianhuanhua fait partie d’un projet initial de mise en valeur de la culture populaire. Mais c’est à des fins pratiques : les lianhuanhua vont devoir jouer un rôle de formation idéologique auprès de l’armée et de la population.

        

1950-1957 : un âge d’or

       

Dans les premières années du nouveau régime, la politique ébauchée dans les zones libérées est mise en pratique. Les éditeurs reçoivent la mission de publier des lianhuanhua, et, en 1951, est en outre créé un magazine spécialisé, le Journal

 

Le journal des lianhuanhua, août 1951

des lianhuanhua (连环画报), publié par les Editions des Beaux-Arts du peuple de Shanghai (上海人民美术出版社). Les bouquinistes qui veulent en acquérir reçoivent des aides des municipalités qui ouvrent en

                  

Mulan s’enrôle dans l’armée, lianhuanhua 1955

 

outre des petites salles de lecture ou wenhua zhan (文化站) dont la majeure partie des livres sont des bandes dessinées.

        

Même si les contes et légendes continuent d’être une fréquente source d’inspiration des nouvelles publications, ainsi que les grands classiques, ce sont les sujets politiques qui priment. La mission des dessinateurs est maintenant de promouvoir les grandes campagnes politiques, d’exalter le patriotisme et l’enthousiasme révolutionnaire dans le travail pour dépasser les objectifs de production, et de participer à la vulgarisation des sciences et des techniques.   

              

Les bandes dessinées – comme les films - vantent les exploits des héros qui se sont sacrifiés pour lutter contre l’ennemi japonais, et louent les progrès permis par la Réforme agraire et la loi sur le mariage. Et si des romans comme « Les Trois Royaumes » et « Au bord de l’eau » sont encore adaptés, c’est dans une optique éducative, pour en souligner les éléments patriotiques ou en faire ressortir la stratégie. De même, dans les nouvelles adaptations, on va jusqu’à réviser les récits populaires pour y introduire des éléments de lutte des classes.

 

Au bord de l’eau, lianhuanhua 1955

              

Trouble au Palais céleste de Liu Jiyou, 1956

 

L’adaptation de la célèbre fable de« Maître Dongguo » (东郭先生) par Liu Jiyou (刘继卣), en 1954, est un modèle du genre. Maître Dongguo est un brave voyageur qui finit dévoré par un loup qu’il a pourtant sauvé des chasseurs : le récit est présenté comme un exemple du caractère fondamental de la lutte des classes. Liu Jiyou est par ailleurs connu pour ses superbes illustrations des histoires classiques comme « Wusong bat le tigre » (武松打虎), en 1954, ou « Trouble au Palais céleste » (闹天宫), en 1956, avec ses extraordinaires personnages flottant dans le ciel comme les apsaras des fresques de Dunhuang.

 

                 

Dans les années 1950, on voit aussi paraître des adaptations d’œuvres d’écrivains socialistes étrangers, comme, en 1955, une adaptation de « The Gadfly » (《牛虻》) de l’Irlandais Ethel Lilian Voynich, avec des illustrations du peintre Lu Yanshao (陆俨少). En 1959, dans le contexte du Grand Bond en avant, est publiée une première adaptation, en trois tomes, du célèbre roman de 1932 du russe Nicolaï Ostrovsky « How the Steel Was Tempered » (钢铁是怎样炼成的), qui est tout à fait dans l’air du temps ; cependant, seul le premier tome du lianhuanhua est alors publié, par les Editions des Beaux-Arts du peuple (人民美术出

 

The Gadfly, lianhuanhua 1955

版社), dans une adaptation de Wang Su (王素) et avec des illustrations de Yi Jin (毅进). La fin du lianhuanhua sera publiée en 1963, les deux derniers tomes étant fusionnés en un seul.  

               

How the Steel was Tempered, 1959

 

Enfin, comme les lianhuanhua à Chongqing pendant la guerre, les nouvelles productions servent au besoin à l’éducation de la population des campagnes, dans le domaine de l’hygiène, par exemple, en doublant dans ce domaine les affiches de propagande.  

                 

Les résultats sont très variables, mais beaucoup de ces lianhuanhua sont des petits chefs-d’œuvre, tant au niveau du texte, qui doit privilégier la concision et la clarté de la ligne narrative, qu’au niveau de l’image, nombre d’illustrateurs étant des peintres, qui utilisent des techniques très diverses, allant du traditionnel dessin en style baimiao, qui reste le mode d’expression graphique le plus

répandu, à la peinture traditionnelle et en particulier au lavis.

            

C’est la technique du lavis, par exemple, qui est utilisé en 1955 par le peintre et calligraphe Cheng Shifa (程十发) pour illustrer une adaptation en lianhuanhua de la nouvelle « La peau peinte » (《画皮》) de Pu Songling (蒲松龄) : l’œuvre est primée en 1960 ; c’était son premier lianhuanhua, il continuera jusqu’à sa mort en 2007.

                 

Les années 1950, jusqu’en 1957, apparaissent comme un âge d’or du lianhuanhua. Le nombre de fascicules édités passe de 21 millions en 1952 à plus de 100 millions en 1957. Jusqu’en 1955, les bouquinistes restent les principaux points de diffusion. Mais, avec le mouvement d’étatisation du commerce, ils disparaissent peu à peu au profit des salles de lecture, ou littéralement "salles de culture" (文化室), gérées par les comités de quartier et contrôlées sur la conformité de leurs titres avec la politique culturelle du gouvernement.

                     

 

La peau peinte de Cheng Shifa, 1955

On en lisait partout, même dans les trains, où on les distribuait gratis aux voyageurs pour les aider à passer le temps. C’est ce qu’a rapporté le journaliste italien Gino Niebolo dans son introduction à la traduction d’un recueil de lianhuanhua où il fait le récit d’un voyage personnel entre Shanghai et Hangzhou pendant une visite officielle à la fin des années 1950 : il raconte que le train avançait très lentement, que le chauffage était en panne, mais que seules deux personnes s’étaient endormies, les autres étant plongées dans leur bande dessinée sans sembler souffrir du froid ou s’énerver des arrêts répétés ; quand quelqu’un avait terminé son petit fascicule, il cherchait impatiemment autour de lui quelqu’un qui ait aussi terminé le sien pour pouvoir continuer sa lecture ; personne ne remarquait ni le contrôleur ni l’hôtesse qui passait offrir du thé de temps en temps ; à l’aube, juste avant l’arrivée en gare de Shanghai, l’un des passagers collecta les livres, en redressa les coins abîmés et les rendit à l’hôtesse … » (1)   

                 

La campagne contre les droitiers (反右运动) freine le mouvement entre 1957 et 1959, en visant spécifiquement des artistes de lianhuanhua. Les publications reprennent lors de la brève détente du début des années 1960, parallèle à l’effort de redressement effectué pour remettre le pays à flot après la catastrophe du Grand Bond en avant.

                 

1960-1963 : Brève embellie

                 

Les directives explicites, au cinéma comme en littérature, sont de favoriser les œuvres simples destinées aux paysans, ceux qui ont le plus souffert du Grand Bond en avant. Les lianhuanhua de ces trois brèves années sont, pour beaucoup, de nouvelles adaptations de légendes et de romans classiques très connus, par des artistes qui ont survécu aux purges, comme Hua Sanchuan (华三川), ou encore Zhao Hongben (赵宏本), auteur du célèbre lianhuanhua « Le singe bat trois fois le Démon aux os blancs », publié en 1963 ; l’affiche inspirée de la bande dessinée sera primée lorsqu’elle sera éditée,en 1977.

                 

Grands changements dans un village de montagne, 1963

 

Les autres œuvres marquantes de la période sont celles de He Youzhi (贺友直), créateur du département de la bande dessinée à l’Institut central des Beaux-Arts à Pékin ; écrivain, ila débuté sa carrière de rédacteur de dessins et dessinateur en 1952, après une formation d’autodidacte : il réalise le lianhuanhua « Li Shuangshuang » (《李双双》) en 1962, au moment où l’on prépare le film éponyme réalisé par Lu Ren (鲁韧), et « Grands changements dans un village de montagne »  (《山乡巨变》), en 1963, où il dépeint en vignettes colorées d’une grande finesse les

transformations intervenues dans les campagnes chinoises sous le régime maoïste. (2)

                 

C’est en 1963 qu’est instauré le premier grand prix national de lianhuanhua. Présidé par le vétéran Ye Qianyu, le jury décerne dix premiers prix, six pour l’illustration et quatre pour les textes. C’est l’apogée de la période. Le mouvement d’éducation socialiste, en 1963, rompt la brève embellie des années précédentes, et la Révolution culturelle va bientôt réduire la production à zéro, mais aussi attaquer et emprisonner les artistes.

                 

1970-1976 : Les lianhuanhua révolutionnaires

                 

Le lianhuanhua renaît de ses cendres en 1970, sous l’égide de Zhou Enlai, mais comme outil de propagande. Les thèmes sont donc limités.

        

 

Les huit opéras modèles en lianhuanhua

 

                 

Au début des années 1970, au moment où se préparent leurs adaptations cinématographiques, sont éditées des adaptations en lianhuanhua des opéras révolutionnaires modèles (革命样板戏), en commençant par « La prise de la Montagne du Tigre par stratégie » (《智取威虎山》), le premier "lianhuanhua révolutionnaire" à paraître, dès 1970. L’iconographie est calquée sur les images des films, en respectant les règles édictées pour leur réalisation, et les couvertures sont imitées des affiches.

                

Au même moment sont publiées des adaptations de biographies de leaders et intellectuels soviétiques, dont celles de Lénine et Gorky.

              

Cependant, de même qu’une certaine ouverture a lieu dans le domaine cinématographique, la production de lianhuanhua se diversifie quelque peu à partir de 1972. En 1973 reparaît le Journal des bandes dessinées dont la publication avait été interrompue en 1961. Mais ce n’est guère que pour publier des récits à la gloire de la Révolution, voire quelques adaptations d’histoires classiques, revues et corrigées pour apporter une saine leçon idéologique.

                 

Les dessinateurs se mettent au service des campagnes politiques. Ainsi, en juin 1974, au moment de la campagne contre Lin Biao et Confucius (批林批孔运动), He Youzhi, par exemple, publie une violente critique de Confucius : « Le cadet Kong, une vie de péchés » (孔老二,罪恶的一生).

 

Le cadet Kong, une vie de péchés

                     

IV. Après 1979 : La bande dessinée chinoise dans la Chine moderne

              

Après la mort de Mao et la chute de la Bande des Quatre, la bande dessinée renaît peu à peu, comme, parallèlement, la littérature et le cinéma, mais il faut attendre 1979 pour que la situation politique se clarifie un peu et que la création soit véritablement relancée. La bande dessinée fait écho au mouvement de retour vers la culture traditionnelle, ainsi qu’au mouvement de « littérature des cicatrices ». Comme en littérature, les auteurs sont partagés entre anciens et nouveaux.

              

Les lianhuanhua dans la Chine de l’ouverture, les anciens…

              

Deng Xiaoping ne parvient pas tout de suite à imposer ses vues après la chute de la Bande des Quatre. La politique d’ouverture est annoncée par la troisième Session plénière du XIe Comité central du Parti en décembre 1978. Elle se traduit par un revirement politique accompagné d’une ouverture sur le monde et permet, entre autres, un nouvel intérêt pour les littératures étrangères. Dans le domaine spécifique de la bande dessinée, l’ouverture se traduit par des adaptations en lianhuanhua de romans et de films étrangers et de traductions de bandes dessinées de divers pays, Japon et pays occidentaux.

              

La Reine Mère de l’Ouest du palais Yongle

 

Mais la fin de la Révolution culturelle se traduit également par un retour à la culture traditionnelle chinoise, étouffée depuis dix ans. Des lianhuanhua adaptés des grands romans populaires publiés dans les années 1950 et au début des années 1960 sont réédités, après avoir été révisés. Des collections de bandes dessinées historiques sont lancées en 1979.

             

Cette même année, un voyage d’étude de deux mois est organisé par l’Association nationale des artistes de Chine pour une dizaine de grands dessinateurs, afin de leur faire parcourir les grands sites chinois de l’art bouddhiste, les grottes de  Majishan (麦积山石窟), dans le Gansu, Yungang (云冈石窟), à côté de Datong dans le Shanxi, Longmen (龙门石窟), dans le Henan, et bien sûr Dunhuang, qui a toujours été une source d’inspiration, tant thématique qu’iconographique ; mais le parcours comporte également un détour par les peintures murales, d’inspiration taoïste, du palais Yongle (永乐宫) à Yuncheng (运城).

              

C’est un véritable retour aux sources. Les participants en rapportent croquis et données diverses qui vont enrichir leur iconographie. Ce sont des dessinateurs réputés de la génération d’avant la Révolution culturelle qui peuvent désormais abandonner le lianhuanhua à vocation politique.

             

C’est le cas de He Youzhi (贺友直) qui adapte en 1980 la nouvelle « Lumière blanche » (《白光》) de Lu Xun (魯迅) (2). Initialement publiée dans le Dongfang Zazhi (东方杂志) en juillet 1922, la nouvelle est l’une des quatorze du recueil « L’appel aux armes » (《呐喊》) publié l’année suivante. He Youzhi l’illustre de superbes lavis qui frôlent parfois l’abstraction, où le malheureux éternel recalé aux examens impériaux Chen Sicheng (陈士成) apparaît comme une pitoyable victime d’un système absurde… image qui devait faire vibrer quelques cordes dans lecœur des rescapés de la Révolution culturelle.

 

Lumière blanche, 1980

              

Extraits du lianhuanhua Lumière blanche : http://blog.sina.com.cn/s/blog_5c2501bb0102e8o4.html

              

…et les nouveaux

              

La cicatrice, lianhuanhua 1979

 

Mais il y a aussi une nouvelle génération d’artistes, qui se sont formés pendant la Révolution culturelle, dans les régions où ils avaient été relégués, et qui participent aux grands mouvements littéraires de l’ouverture, et d’abord à celui de la « littérature des cicatrices » (伤痕文学).

             

Un groupe de trois jeunes dessinateurs adaptent la nouvelle qui lance le mouvement et lui donne son nom : « La cicatrice » (伤痕) de Lu Xinhua (卢新华). Leur lianhuanhua est publié en 1978, aussitôt après la nouvelle, dans le Journal des lianhuanhua ; il est publié en livre l’année suivante. Les auteurs sont trois « jeunes instruits » de Shanghai qui ont passé huit ans dans le nord de la Mandchourie : Liu Yulian (刘宇廉), Chen Yiming (陈宜民) et Li Bin (李斌).

              

              

L’histoire de la nouvelle est un peu la leur, comme elle est celle, symboliquement, de toute leur génération. Ils traitent l’image en couleurs vives, avec en toile de fond les affiches et slogans de la Révolution culturelle, mais en noyant les contours dans une sorte de brume, comme émergeant du souvenir.

             

Cette œuvre s’inscrit dans le mouvement de « l’art des cicatrices » (伤痕美术) comme la nouvelle préfigure la littérature du même nom. Elle est suivie en 1979 d’un second lianhuanhua, tout aussi beau, par les mêmes dessinateurs : « L’érable » (《枫》), adapté d’une nouvelle de Zheng Yi (郑义) qui décrit les conséquences dramatiques des luttes entre Gardes rouges pendant la Révolution culturelle.

 

L’érable

              

Le lianhuanhua L’érable : http://blog.sina.com.cn/s/blog_5f5e490c0100lt56.html

               

Zhang Zhixin

 

Mais « L’érable » déclenche une vive controverse dans les milieux artistiques et officiels. Sa publication entraîne la suspension temporaire du Journal des lianhuanhua. La violence des images, beaucoup plus brutale que dans « La cicatrice », a contribué à aviver la critique officielle, déjà offusquée par la nouvelle, auxquelles les autorités reprochent de ne pas représenter Jiang Qing et Lin Biao sous des traits suffisamment « enlaidis » (丑化), comme requis. En fait, le pouvoir a été choqué de voir les jeunes artistes représenter des scènes d’une grande cruauté surmontées du visage lénifiant de Mao…

             

Le troisième lianhuanhua du trio ne sera pas publié : intitulé « Zhang Zhixin » (《张志新》), il a pour sujet une martyre révolutionnaire emprisonnée pendant six ans, de 1969 à 1975, torturée et finalement exécutée. Il sortira bien plus tard des tiroirs.

              

Concurrencés par les autres medias, les lianhuanhua perdent peu à peu beaucoup de leur signification et de leur importance. Ils ont progressivement sombré dans l’indifférence, puis l’oubli, pour émerger aujourd’hui, pour les plus réputés, comme pièces rares avidement recherchées par les collectionneurs.

             

Du lianhuanhua au manhua

              

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Notes

(1) The People’s Comic Book; Red Women’s Detachment, Hot on the Trail and Other Chinese Comics. Endymion Wilkinson trans. Garden City, N.Y.: Anchor Press, 1973, Introduction.

(2) He Youzhi est un grand dessinateur qui s’est reconverti en 1980 en délaissant la bande dessinée politique et en s’orientant vers l’adaptation de grands classiques. Il a été invité de l’Ecole de l’image à Angoulême, et deux de ses œuvres ont été éditées en France. Voir son interview à cette occasion :

www.du9.org/entretien/he-youzhi/

              

                

Le cas particulier de Hong Kong

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