|
Lin Huiyin 林徽因
1904-1955
Présentation
par Brigitte Duzan, 18
octobre 2010
Lin Huiyin (林徽因)
est l’une des plus brillantes représentantes de l’élite
littéraire chinoise des années
1930-1940, mais elle fut aussi la première architecte
chinoise. Elle est restée dans les annales comme“一代才女” : la femme talentueuse d’une époque, ou d’une génération, mais c’est un
éloge quelque peu ambivalent, ce terme de
才女 cáinǚ renvoyant
implicitement aux femmes lettrées d’autrefois, qui
écrivaient dans leur boudoir, perdues dans des songes
creux ou l’éternel regret d’amours inabouties.
On ne saurait
mieux définir
Lin Huiyin, cependant, car toutes les ambivalences du
personnage apparaissent en filigrane derrière ces quatre
caractères. Ambivalence car elle était
l’une des deux éminentes représentantes du
jingpai
dont le discours néo-traditionnel ne faisait
guère de place aux femmes que dans l’ordre du local et
du familial. |
|
Lin Huiyin (林徽因) |
Ambivalence car
elle était architecte épouse d’architecte, et que son nom, dans
ce domaine, n’apparaît le plus souvent que comme assistante, au
mieux inspiratrice de son époux. Ambivalence enfin parce qu’elle
était belle, et que l’on a bâti toute une légende dorée autour
de ses amours de jeunesse, comme si la vie
d’une femme, aussi intelligente et talentueuse soit-elle, ne
pouvait in fine se réduire qu’à quelque romance, tragique de
préférence.
Heureusement, son œuvre
littéraire connaît aujourd’hui un regain d’intérêt ; un volume
complet en a été publié en janvier 2010. Si elle tient en un
seul volume, c’est que Lin Huiyin cumulait ses recherches
d’architecte et sa
carrière d’écrivain, et qu’elle a été fauchée très tôt par la
tuberculose, mais la qualité et l’originalité de ce qu’elle a
écrit ne peut que faire amèrement regretter qu’elle ait disparu
si jeune.
Jeunesse et adolescence dorées
Enfant |
|
Lin Huiyin est née en 1904 à Hangzhou, mais sa famille
paternelle était originaire de Minhou (闽侯),
dans la province du Fujian. Son père,
Lin Changmin (林长民),
était un
éminent personnage, né en 1876, « talentueux rêveur
politique » selon les termes du sinologue Jonathan
Spence (1). En 1906, il partit étudier trois ans au
Japon, à l’université Waseda, prestigieuse université
privée, fondée dans un esprit libéral visant à
l’harmonie entre cultures orientale et occidentale, qui
forma nombre d’intellectuels chinois et ‘rêveurs
politiques’ de l’époque.
Mais Lin
Changmin était typique de cette époque, justement, à
cheval entre idéal moderniste et persistance de la
tradition. Comme son épouse ne lui donnait pas de fils,
il prit
deux concubines.
Lin Huiyin était la fille,
et |
seul enfant survivant, de la
première concubine ; bien
qu’étant l’enfant
préférée de son père, elle vécut une enfance tiraillée entre
l’amour de son père et la jalousie de l’épouse qui ne supportait
pas la présence des concubines, situation classique.
Elle eut un
début d’éducation très traditionnel, commençant, à l’âge
de cinq ans, à apprendre ses premiers caractères et
poèmes avec l’une de ses tantes du Fujian, Lin Zemin (林泽民).
Son père occupa divers postes officiels à son retour du
Japon, en 1909, dont représentant du Fujian à
l’assemblée provisoire. La famille déménagea à Shanghai
en 1912, et Lin Huiyin, qui avait huit ans, entra dans une école primaire de Hongkou (虹口爱国小学).
Puis, en
juillet 1917, Lin Changmin fut nommé procureur général
du gouvernement Beiyang (北洋政府司法总长), en poste à Pékin. Lin Huiyin entra alors, avec ses trois sœurs,
dans un
établissement de missionnaires britanniques de la
capitale, l’école Peihua (北京培华女中).
Une exposition sur l’évolution du
qipao, qui a eu lieu de juin à septembre dernier
au muséum d’histoire de Hong Kong,
donnait
l’uniforme de l’école Peihua, jupes grises et pull |
|
A l’école Peihua |
noir, comme exemple de ce qui se faisait de
plus chic et résolument moderne à l’époque : la « nouvelle tenue
civilisée » (文明新装).
Il se trouve que
la photo de l’exposition qui illustrait la tenue en question
est, sans les nommer, celle… de Lin Huiyin et de ses trois
sœurs : preuve, s’il en fallait, qu’elles faisaient partie de
l’élite progressiste à Pékin.
Saint-Mary’s College vers 1920 |
|
En 1920, Lin
Changmin fut envoyé à Londres comme représentant du
gouvernement Beiyang auprès de la Ligue des Nations dont
la Chine était un des membres fondateurs : il emmena
avec lui sa fille Huiyin, qui avait alors seize ans,
pour lui servir de compagne et d’hôtesse, et l’inscrivit
au Saint Mary’s College, qui était encore à l’époque
dans les splendides locaux victoriens de Brook Green.
|
C’est alors que
Huiyin rencontra le jeune poète Xu Zhimo (徐志摩)
qui
arrivait des Etats-Unis, initialement pour suivre des
cours à la London School of Economics, mais trouva très
vite à Cambridge un environnement qui lui convenait
mieux, et qui décida de sa carrière littéraire. Il est
certain que Xu Zhimo tomba éperdument amoureux de Lin
Huiyin : marié en 1915 par décision paternelle à une
riche héritière,
Zhang Youyi (张幼仪),
il demanda ensuite le divorce, puis se remaria, mais,
dit la chronique, resta éternellement amoureux de
Huiyin, ce qui prit une tournure tragique lorsqu’il
disparut dans un accident d’avion, en 1931, alimentant
les rumeurs et inspirant divers scénarios romantiques
depuis lors (2).
Huiyin, elle
aussi, tomba vraisemblablement sous le charme du poète,
mais ils n’eurent pas le temps de développer beaucoup
leur relation : en novembre, Lin Changmin
|
|
Xu Zhimo (徐志摩) |
repartit à Pékin, non point,
comme on le dit souvent, pour enlever sa fille à cette influence
nocive, mais plus prosaïquement parce que le siège de la Société
des Nations fut alors transféré à Genève, et qu’il fut rappelé à
Pékin pour d’autres missions. Ce qui n’empêche pas qu’il ait
peut-être été ravi d’emmener sa fille…
Avec R. Tagore
(泰戈尔)
lors de son voyage à Pékin |
|
Il avait en
effet d’autres visées pour elle : Liang Sicheng (梁思成),
fils d’un de ses amis de longue date, Liang Qichao (梁启超),
philosophe, historien, journaliste et grand réformiste
de la fin des Qing, principal initiateur de la réforme
dite des « Cent Jours ». Xu Zhimo, d’ailleurs, était
lui-même un fervent disciple de Liang Qichao et c’est
sur ses conseils qu’il était parti faire des études
d’économie politique aux
Etats-Unis.
Mais il était revenu poète de Cambridge.
De retour à
Pékin, en 1923, il fonda la « société du croissant de
lune » (新月社)
avec Wen Yiduo (闻一多),
Hu Shi (胡适)
et
quelques autres. Le nom de la société venait d’un poème
du Rabindranath
Tagore, prix Nobel de littérature 1913, qu’ils
admiraient – et qui eut une grande influence sur toute
leur génération. Ils l’invitèrent à Pékin. Lin Huiyin,
qui participait aux activités de la société, lui servit
de guide et d’interprète, avec Xu Zhimo. Mais son destin
était maintenant d’être aux côtés de Liang Sicheng. |
Etudes aux Etats-Unis, mariage et retour en Chine
Liang Sicheng était né
à Tokyo en 1901, pendant l’exil forcé de son père après l’échec
de la réforme des Cent Jours. La famille était revenue en Chine
en 1912, après la chute de la dynastie, Liang Qichao reprenant
son activisme politique en faveur de la démocratie, et
s’opposant, entre autres, en 1915, à
la tentative de
Yuan
Shikai de se proclamer empereur.
Sicheng entra
cette année-là dans ce qui allait devenir l’université
Qinghua, mais n’était encore que l’école préparatoire
Qinghua ou Qinghua Xuetang (清华学堂),
créée en 1911 avec des fonds provenant des indemnités
payées par les Etats-Unis à la suite de la révolte des
Boxers, les étudiants étant ensuite envoyés étudier aux
Etats-Unis avec des bourses du gouvernement financées de
la même manière. |
|
Le premier bâtiment de Qinghua
清华学堂 |
Avec son père vers 1920 |
|
C’est dans ces
conditions que les deux jeunes étudiants partirent en
juin 1924, d’abord à
l’université
Cornell pour le programme d’été, puis à l’université de
Pennsylvanie à l’automne,
n’ayant
l’autorisation de se marier qu’une fois diplômés. Ils
devaient étudier tous les deux
l’architecture,
mais l’école d’architecture de
l’université
de Pennsylvanie, à l’époque,
n’admettait pas
de femmes ; Lin Huiyin s’inscrivit donc dans la section
Beaux-Arts, tout en suivant les cours d’architecture.
Elle eut son diplôme en 1927, après avoir terminé le
cursus de quatre
années en
trois. |
Après un stage à Yale,
Lin Huiyin rejoignit Sicheng à Harvard qui venait d’y passer un
an de recherches sur l’architecture chinoise ; au printemps
1928, ils partirent ensemble à Vancouver où ils se marièrent,
rejoignant la Chine après un petit périple en Sibérie en août
1928.
Ils furent
alors invités à l’université du Nord-Est (东北大学),
à Shenyang, qui avait été créée cinq ans plus tôt et
était en pleine expansion. Avant de s’y rendre,
cependant, Lin Huiyin rendit visite à sa famille dans le
Fujian où elle donna deux conférences sur « architecture
et littérature » (《建筑与文学》)
et «l’art des jardins » (《园林建筑艺术》)
; puis, avec son oncle Lin Tianmin (林天民), elle dessina le théâtre « de la rue de l’Est » de Fuzhou (福州东街文艺剧场), à l’emplacement
de l’actuel cinéma Mingxing du jardin Juchun
(聚春园明星影城).
A Shenyang, les
deux époux créèrent un département
d’architecture,
dont le cursus avait pour modèle celui de
l’université de
Pennsylvanie. Lin Huiyin enseigna l’histoire de la
décoration architecturale, et donna également un cours
d’anglais
technique. Malheureusement, l’occupation de laville par
les Japonais à la suite de l’incident dit |
|
Avec son mari Liang Sicheng |
« de Mukden » (ou
九一八事变)
du 18 septembre 1931 mit fin à leur travail et les obligea à
revenir à Beiping.
Ils devinrent membres
d’un institut qui avait été créé en 1929 : l’Institut d’étude de
l’architecture chinoise (中国营造学社) ;
Lin Huiyin participa activement aux travaux de recherche,
voyageant avec Liang Sicheng dans une bonne partie de la Chine
pour étudier des monuments anciens et participant également à la
rédaction, à partir de leurs études de terrain, de nombreux
articles et livres, bien que son nom n’y apparaisse
qu’occasionnellement.
Dans les années 30 |
|
C’est alors, en
1932, que les deux époux firent la connaissance d’un
jeune couple américain, les Fairbank, dont ils devinrent
les amis intimes. Wilma était venue rejoindre John King
Fairbank, alors chargé de cours à l’université Qinghua,
et ils venaient de se marier. Jusqu’à leur retour aux
Etats-Unis en 1936, ils fréquentèrent régulièrement Lin
Huiyin et son époux, et, dans son livre cité plus haut
(1), elle nous a laissé des témoignages personnels des
frustrations alors ressenties par Huiyin : « Je l’ai
vraiment aidé [Liang Sicheng], même si c’est difficile à
croire pour beaucoup. » L’écrivain et journaliste Xiao
Qian (蕭乾),
compagnon de route du
jingpai, l’a
appelée l’« héroïne anonyme » (无名英雄)…
En même temps,
cependant, Lin Huiyin se fit un nom comme écrivain,
commençant, dans les quelques moments
|
de liberté que lui restaient, à
écrire des poèmes dont le style se nourrissait d’images
empruntées à ses écrits sur
l’architecture,
ceux-ci, en retour, étant écrits dans un style poétique très
personnel.
Poèmes et nouvelles
Elle a écrit la plupart
de son œuvre littéraire dans les années 1931-1937, entre le
moment où ils furent chassés de Shenyang par l’invasion
japonaise, et celui où la guerre les força à nouveau à
déménager, cette fois vers l’ouest, avec le flot des réfugiés,
et en particulier des intellectuels, fuyant les combats.
Poèmes d’avant-garde
Elle publia son
premier poème en avril 1931, dans le second numéro de la
revue « Poésie » (《诗刊》)
que Xu
Zhimo avait relancée en janvier (3). Il était intitulé
« qui aime ce changement incessant » (《谁爱这不息的变幻》) et elle l’avait signé du nom de plume Huiyin
“徽音”,
soit ‘le
son comme emblème’, ce qui était une profession de foi
pour quelqu’un qui allait soigner particulièrement
l’aspect mélodieux de ses écrits. Si ce premier poème
est d’une métrique assez régulière, d’un effet apaisant,
il utilise en effet un procédé de rimes qui le rend très
harmonieux à
l’oreille. Ce
sont là les deux principales originalités de ses poèmes,
rime et rythme, résultant d’une recherche formelle,
syntactique et sémantique.
On voit là
l’influence des poètes du « croissant de lune » et leurs
recherches formelles : Hu Shi (胡适)
et ses
« huit interdictions » (ne négligez pas la grammaire,
n’utilisez pas |
|
Revue “Poésie”, n°2《诗刊》第二期 |
de formes obsolète,
mais ne négligez pas la substance non plus) ou Wen Yiduo (闻一多)
et ses recherches d’une beauté poétique à la fois musicale et
« architecturale », où l’on retrouve, justement, les
préoccupations de Lin Huiyin.
On ne peut pas négliger
cet aspect de leur création car la poésie était pour ces
écrivains le domaine
d’innovation par
excellence, la révolution en littérature, dès la fin du
dix-neuvième siècle, ayant commencé par une révolution en
poésie. On retrouve ainsi dans les nouvelles de Lin Huiyin un
reflet de ses recherches d’un nouveau langage poétique comme de
ses écrits sur l’architecture, la description du galbe d’un toit
ou de la perspective d’un jardin étant chez elle une autre forme
d’expression poétique.
Lin Huiyin était
devenue une figure notoire du monde littéraire du
jingpai,
retranché sur son pré carré de Beiping et Tianjin alors
que la plupart des intellectuels avaient préféré partir sous les
cieux encore relativement calmes de Shanghai. Elle fut alors
nommée rédactrice de la section « nouvelles » du supplément des
lettres et des arts du Dagong Bao (《大公报·文艺丛刊·小说选》),
publication
privilégiée des écrivains du
jingpai après la
nomination de
Shen Congwen à la direction du supplément en
1934, puis membre du comité de rédaction de la « Revue
littéraire (《文学杂志》) lorsqu’un
autre écrivain du
jingpai, Zhu
Guangqian (朱光潜),
en fut nommé
rédacteur en chef, en 1937. (4)
Elle participa en outre
à des manifestations politiques lancées par universitaires et
écrivains : en 1936, elle fut parmi les signataires de la
« déclaration sur la situation politique des cercles culturels
de Beiping et Tianjin » (《平津文化界对时局宣言》),
présentant au gouvernement des propositions en huit points pour
intensifier la guerre de résistance contre le Japon.
Série de nouvelles
C’est dans ces années
1931-1937 que, parallèlement à ses poèmes, Lin Huiyin a écrit
une série de six nouvelles, à laquelle il faut ajouter la
traduction, ou plutôt l’adaptation d’un conte d’Oscar Wilde :
« Le rossignol et la rose » (《夜莺与玫瑰》).
L’une de ces nouvelles,
« Par 37°2 à l’ombre » (《九十九度中》),
est très connue : elle a été abondamment commentée et traduite
parce qu’elle est originale.
On
a tendance à en faire l’œuvre représentative de Lin Huiyin ;
elle a cependant également écrit dans un style beaucoup plus
courant, mais toujours très personnel, et ses nouvelles se
divisent en fait en deux types :
- les deux
nouvelles « Par 37°2 à l’ombre »
(《九十九度中》)
et « Zhonglü » (《钟绿》),
publiées à un an d’intervalle, l’une en mai 1934 et l’autre en
juin 1935, écrites selon le même schéma non linéaire,
construites en scènes sans lien apparent, reflètent un monde en
profond bouleversement ;
- les
quatre autres nouvelles, publiées avant et après celles-ci, la
dernière, « Xiuxiu »
(《绣绣》),
en avril 1937, sont d’un genre plus conforme à la tradition de
peinture humaniste de caractères.
La guerre et l’exil
forcé vers le sud-ouest de la Chine mirent brutalement fin à
cette période d’intense activité littéraire. On reste ainsi avec
l’impression d’une œuvre en devenir.
Salon littéraire
Parallèlement, Lin
Huiyin joua un rôle important dans la constitution d’un esprit
propre aux écrivains du
jingpai. Bien
qu’ayant chacun un style et une thématique propres, ils
partageaient des principes
No. 24 Beizongbu Hutong début janvier
2010 |
|
communs, des
idées semblables qu’ils échangeaient en se retrouvant
régulièrement pour lire et discuter
de leurs
conceptions, esthétiques et autres. Deux salons furent
alors leurs lieux de
rendez-vous privilégiés : celui de Zhu Guangqian et celui de Lin Huiyin.
Au retour de Shenyang, en 1931, le couple avait loué une
maison traditionnelle au numéro 3 (aujourd’hui 24) d’un
hutong du
dictrict de
Dongcheng, Beizongbu hutong (北总布胡同).
La salle à manger devint « le
salon de madame », |
et
accueillit les grands noms à la fois de la société du « croisant
de lune » et du
monde du
jingpai,
tous amis
de
l’hôtesse :
Shen Congwen,
bien sûr, mais aussi le grand journaliste et traducteur
Xiao Qian (蕭乾),
le poète Bian Zhilin (卞之琳) ou encore le philosophe et logicien
Jin Yuelin (金岳霖),
fondateur du département de philosophie de l’université
Qinghua en 1926, dont on a fait un autre prétendant
transi de Lin
Huiyin. (5)
La maison a
failli être détruite, avec tout le hutong, pour
faire place à un centre commercial. Elle a, depuis
janvier 2010, été placée sur la liste du patrimoine
pékinois à préserver, comme beaucoup
de maisons
d’écrivains, artistes et hommes politiques célèbres. Il
est probable qu’elle sera un |
|
Jin Yuelin (金岳霖) |
jour transformée en musée, comme
les autres.
Exil forcé dans la Chine en guerre
Pendant l’été 1937
encore, Lin Huiyin se rendit au Wutaishan, le célèbre site du
Shanxi (山西五台山),
où elle
participa à la découverte et à l’étude d’un des bâtiments les
plus anciens de Chine, le grand hall du temple Foguang (佛光寺大殿),
datant de
l’époque des Tang. Mais, après l’incident dit « du pont Marco
Polo », le 7 juillet, (七七事变),
qui marquait le
début effectif de la guerre, la progression de l’armée japonaise
fut très rapide, et Beiping fut occupée fin juillet. Lin
Huiyin était partie juste avant.
Une rue de Lizhuang |
|
Ce fut un
véritable exode : les grands centres universitaires et
de recherche furent transférés à l’ouest. Huiyin et
toute la famille, son mari, sa belle-mère et ses deux
enfants, partirent dans le flot de réfugiés, d’abord à
Changsha, puis à Kunming, capitale du Yunnan. Mais,
après la chute de l’Indochine française aux mains des
Japonais, en septembre 1940, Kunming devint la cible de
bombardements et les universitaires furent transférés
ailleurs ; Lin Huiyin dut suivre
l’unité de
travail de son époux et déménager à nouveau, mais sans
Liang Sicheng qui, malade,
ne la
rejoignit que plus tard. |
Il leur fallut quinze
jours pour arriver à destination, une petite ville près de Yibin
(宜宾),
dans le
sud-est du
Sichuan : Lizhuang (李庄镇).
C’est
une
vieille ville
dont la
construction actuelle remonte à la dynastie des Ming,
avec de vieilles maisons en bois le long de ruelles
étroites pavées de pierres bleutées, et qui devint à
l’époque l’un
des quatre grands centres culturels de la Chine en
guerre, avec
Chongqing,
Kunming et Chengdu. Mais il n’y avait que trois mille
habitants. Les universitaires et chercheurs furent
disséminés dans les vieilles maisons et les temples ;
l’Institut d’étude de l’architecture chinoise de Liang
Sicheng fut logé dans un vieux bâtiment dans un village
proche, Yueliangtiang, et la famille dans une ferme à
côté. (6) |
|
Le bâtiment de la Société d’étude de
l’architecture chinoise à Yueliangtian 李庄中国营造学社旧址 |
Les déplacements
successifs, l’humidité et la précarité des conditions de vie en
général eurent raison de la santé de Lin Huiyin. Elle souffrait
de tuberculose et son état empira. Condamnée à l’inactivité,
elle se plongea dans la lecture de textes anciens pour y étudier
les passages concernant l’architecture, travaillant souvent
jusqu’au milieu de la nuit. Elle en tira des enseignements
précieux qui servirent à Liang Sicheng lorsqu’il commença, en
1942, à écrire sa monumentale « Histoire de l’architecture
chinoise » (《中国建筑史》),
publiée en chinois après sa mort, en 1988, après la version
anglaise publiée en 1984 par Wilma Faibank (voir note 1).
La maison de Lin Huiyin et son mari à
Yueliangtian |
|
Elle écrivit
très peu par ailleurs. Sa situation était d’autant plus
précaire qu’ils n’avaient pas l’argent pour payer le
traitement dont elle avait besoin. Sicheng était malade
lui aussi et les mauvaises nouvelles se succédaient : un
de ses frères fut tué à Chengdu, puis ils apprirent que
les précieux négatifs des photos prises lors de leurs
recherches antérieures et laissés dans un coffre de
banque à Tianjin avaient été endommagés par une
inondation.
Ses poèmes de
l’époque reflètent sa profonde
|
tristesse, aux bords
de la dépression, son incertitude quant à l’avenir, et une
certaine fatalité.
Retour à
Beiping
C’est en août 1946
qu’elle put rentrer à Beiping avec le reste de la famille. Elle
reprit ses activités
d’architecte, mais
aussi de poète. En mai 1948, elle publia, dans le « magazine
littéraire » (《文学杂志》), neuf
poèmes intitulés « Divers poèmes du fond de la maladie » (《病中杂诗》).
A la fin de
l’année, Beiping était
libérée.
Au début de
1949, des officiers de l’armée de libération vinrent
leur demander une carte indiquant en rouge les bâtiments
historiques importants à préserver. Touchés, le deux
époux en oublièrent leurs réticences vis-à-vis du Parti
communiste. Mais, dans les années cinquante, ensuite,
ils vécurent la mort dans l’âme la destruction des
vieilles murailles de la capitale, alors qu’ils avaient
tenté de préserver les vieux monuments et, en
particulier, les murailles en créant un « parc de la
muraille » (“城墙公园”),
idée qui
a resurgi lorsqu’il était trop tard : il n’en reste que
l’ombre … |
|
Le monument aux héros du peuple, avec
les couronnes de fleurs à la base 英雄纪念碑 |
Lin Huiyin,
pour sa part, fut nommée professeur à l’université
Qinghua en 1950, et travailla alors à deux projets qui
furent ses dernières réalisations :
l’emblème
national de la République populaire, et les motifs
décoratifs à la base du monument aux héros du peuple
|
|
Un bas-relief |
(人民英雄纪念碑)
de la place
Tian’anmen, en particulier les couronnes de fleurs au-dessus des
bas-reliefs.
Sa tombe |
|
Sa santé se
détériora en 1954. Elle est décédée le premier avril
1955, à l’âge de cinquante et un ans,
alors que
tombaient les dernières murailles
de la capitale, et enterrée au cimetière de Babaoshan (八宝山) :
sa tombe de marbre blanc est toute simple, avec son nom
pour toute inscription, décorée cependant d’une couronne
de fleurs taillées dans le marbre, comme celles du
monument
aux héros du peuple qu’elle avait dessinées.
On ne saura
jamais les nouvelles qu’elle aurait encore pu écrire.
|
Notes
(1) Dans
son introduction au livre de Wilma Fairbank « Liang and
Lin : Partners in Exploring
China's Architectural Past »,
University of Pennsylvania Press,
September 1994.
Le
livre est un hommage à Lin Huiyin et son époux Liang
Sicheng, et un témoignage personnel car Wilma et son
époux John King Fairbank, historien et sinologue de
Harvard, furent des amis intimes des deux époux ; le
livre retrace, sur la base de ses propres souvenirs,
leur vie mouvementée dans la Chine en guerre, ainsi que
le début des recherches sur l’architecture chinoise et
sa naissance en tant discipline universitaire. C’est un
document inestimable sur Lin Huiyin, sérieux et émouvant
à la fois.
Note : Wilma
Fairbank
fut attaché culturel à l’ambassade américaine à
Chongqing pendant la guerre, puis dans la capitale
nationaliste de Nankin. En 1972, elle fut invitée par le
premier ministre Zhou Enlai. Elle a publié plusieurs
ouvrages sur ses propres recherches sur l’architecture
et
l’art chinois, en particulier sur les peintures murales
des tombes Han et les bronzes Shang. C’est elle qui
édita, à |
|
Liang and Lin : partners in exploring
China's architectural past |
titre
posthume, en 1984, l’œuvre monumentale de Liang Sicheng
« Chinese architecture, a pictorial history », après avoir passé
des mois à rechercher un paquet égaré de photos et dessins
originaux… Elle est décédée en 2002.
(2) On en a
déjà fait un feuilleton télévisé : une série en vingt
épisodes de la télévision taiwanaise PTS, qui conte les
amours contrariées du poète Xu Zhimo, les trois femmes
dans sa vie étant prises comme symboles de trois types
de femmes chinoises du début du vingtième siècle.
Diffusé en 2000, le feuilleton est intitulé « April
Rhapsody » (《人间四月天》),
titre
d’un très beau poème, extrêmement mélodieux, de Lin
Huiyin, censé être dédié au poète. Or, selon son fils,
son père lui aurait dit qu’il aurait en fait été rédigé
à sa naissance, ce qui donne une toute autre
signification au poème qui commence et se termine
ainsi : |
|
Lin Huiyin et Xu Zhimo dans « April
Rhapsody »
(《人间四月天》) |
你是人间的四月天 / ——一句爱的赞颂
Tu es un jour d’avril ici-bas, /
—— un
vers d’une ode à l’amour…
你是爱,是暖,/ 是希望,你是人间的四月天
Tu es l’amour, la douceur, l’espoir / tu es un jour d’avril ici-bas.
(3) Xu Zhimo a fait
preuve d’une inépuisable fougue éditoriale. D’octobre 1925 à
octobre 1926, il fut rédacteur du supplément du Courrier du
matin, auquel il adjoint deux sections spéciales, l’une pour le
théâtre, l’autre pour la poésie, intitulée
《诗刊》,
qui devint
l’organe des poètes du « croissant de lune ». A la fin de 1926,
Xu Zhimo, Hu Shi et leurs amis furent de ceux qui partirent pour
Shanghai où ils relancèrent leur société, doublée de du mensuel
« Croissant » (《新月》).
Lorsque, en 1929, celui-ci adopta une ligne éditoriale plus
politique, Xu
Zhimo s’en détacha ; en 1931, Hu Shi revint à Beiping comme
doyen de l’université, et offrit un poste à Xu Zhimo qui, à son
retour, relança alors la revue « Poésie » (《诗刊》).
Mais elle ne dura que quelques mois, jusqu’à l’accident d’avion
qui coûta la vie au poète, le 31 novembre.
(4) Zhu Guangqian
(朱光潜1897-1986)
: après des études à l’université de Hong Kong, il partit
étudier à l’université
d’Edinbourg, puis fit un doctorat à Strasbourg. Il est l’auteur
de traités d’esthétique qui ont marqué les débuts de la
discipline en Chine.
(5) L’histoire est
développée en particulier dans un opéra chinois moderne,
« Another Farewell to
Cambridge »,
dont une nouvelle production sera donnée en décembre 2010 dans
le grand opéra de Pékin (National Centre for the Performing Arts
国家大剧院).
Le titre est un
rappel du célèbre poème éponyme de Xu Zhimo « Saying goodbye to
Cambridge again » (《再别康桥》) :
悄悄的我走了,/正如我悄悄的来
...
Je pars tout
doucement, comme tout doucement je suis venu …
Le scénario est
construit en flashback à partir d’une visite de Jin Yuelin sur
la tombe de Lin Huiyin, parcourant sa vie en tableaux successifs
faisant intervenir les principaux personnages qui l’ont marquée.
A la fin, Jin Yuelin exprime son amour pour elle en un poème qui
rappelle le sien (voir note 2) : les jours
d’avril restent à
jamais dans le séjour des immortels (万古人间四月天).
Emotion garantie.
(6) Voir le fascinant
documentaire de CCTV international (en anglais) sur Lizhuang
pendant la période 1940-1946, avec des images d’archives
exceptionnelles et le témoignage de la fille de Lin Huiyin et
Liang Sicheng, la cinquième et dernière partie étant consacrée à
Yueliangtian :
http://www.cctv.com/program/e_documentary/05/19/index.shtml
Nouvelles :
Septembre
1931
《窘》
(dans
la gêne)
Mai 1934
《九十九度中》 Par 37°2 à l’ombre
Juin
1935
《钟绿》
Zhonglü
Août 1935
《吉公》
Jigong
Juin
1936
《文珍》
Wenzhen
Avril 1937
《绣绣》
Xiuxiu
La première fut publiée
dans la revue du « croissant de lune » (《新月》),
la seconde dans la revue
Xuewen《学文》,
créée début 1934 pour succéder à la revue précédente,
et les quatre autres dans le supplément des arts et des lettres
du Dagongbao (《大公报·文艺副刊》.
A la série se rattache
l’adaptation du conte d’Oscar Wilde tiré du recueil « The happy
prince and other stories » : « Le rossignol et la rose » (《夜莺与玫瑰》).
On en trouve le
texte anglais et la version de Lin Huiyin sur
http://www.1b1.org.cn/xspace/?uid-397-action-viewspace-itemid-80
Traduction en
français :
- « Par 37°2 à
l’ombre » (《九十九度中》)
in : « Le
fox-trot de Shanghai et autres nouvelles chinoises » réunies,
présentées et traduites par Isabelle Rabut et Angel Pino, Albin
Michel, 1996 (p. 117-148)
A lire en
complément :
L’analyse de la
nouvelle
« Par 37°2 à l’ombre » (《九十九度中》)
La nouvelle
« Xiuxiu » (《绣绣》)
A voir en complément :
Le
documentaire de Hu Jingcao sur Ling Huiyin et Liang Sicheng
|
|