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La littérature
féminine du Manchukuo
par Brigitte Duzan, 15 mai 2019
Introduction
La littérature en langue chinoise du Manchukuo est quasiment
inconnue. Dans la plupart des ouvrages sur le Manchukuo, il
n’est pas question de littérature féminine. De manière
significative, seule la page Wikipedia en chinois sur le
Manchukuo fait mention de sa littérature, mais cette mention ne
fait même pas quatre lignes et ne cite que les trois auteurs les
plus connus, dont l’écrivaine Mei Niang. Cette littérature a
pourtant fait l’objet ces dernières années d’un regain
d’intérêt, mais les études sont difficiles en raison du peu de
publications d’origine dont on dispose : elles ne sont pas
nombreuses et sont en outre dispersées.
Si les noms de ces écrivains ont disparu, c’est parce qu’ils ont
été condamnés comme collaborateurs et traîtres par le régime
maoïste. Aujourd’hui, le pendule est passé à l’autre extrême :
ils sont devenus des résistants éclairés, passionnés et
courageux, et en particulier les écrivaines. Leurs carrières et
leurs œuvres reflètent en fait de grandes ambiguïtés ; elles ont
longtemps bénéficié d’une certaine tolérance de la part des
autorités japonaises, ce qui leur a permis de se faire publier
et d’être populaires – mais c’est, en retour, cette popularité
et leurs succès mêmes qui les ont condamnées à des attaques
virulentes sous le régime maoïste. Ce sont toutes les ambiguïtés
qui les entourent qui font de ces écrivaines des sujets d’étude
passionnants, emblématiques d’une histoire coloniale qui
rappelle aussi bien celle de Shanghai
que celle des femmes dans la France occupée.
D’après les recherches menées depuis la fin des années 1980, les
écrivaines les plus importantes de la période dite « coloniale »
du Manchukuo sont au nombre de sept, soit, outre la plus connue,
Mei
Niang (梅娘) :
Dan Di (但娣
1916-1995), Lan Ling (蓝苓
1918-2003), Wu Ying (吴瑛
1915-1961),
Yang Xu (杨絮
1918- 2004), Zhu Ti (朱媞
1925-2012) et Zuo Di (左蒂
1920-1976).
Elles ont toutes été des « femmes des Lumières chinoises » selon
les termes de Wang Zheng
,
attachées à la poursuite de l’émancipation féminine selon les
principes du
mouvement du 4 mai.
Comme leurs consœurs chinoises des années 1910-1920, mais
aussi comme les « femmes nouvelles » (atarashii onna) au
Japon, elles se sont élevées contre le système patriarcal qui
régissait la société du Manchukuo comme celle du reste de la
Chine où, en février 1934, était lancé le Mouvement pour la vie
nouvelle, fer de lance de la politique nationaliste. A la Vie
nouvelle de la République de Chine répondait la Voie royale (Wangdao
王道)
édictée au Manchukuo, avec la même « moralité de maître ».
La promotion par les Japonais de cette Voie royale, impérialiste
et patriarcale, rejetant les femmes dans un statut de « femme
passive »
,
a fait naître une littérature féministe. Tolérée un temps par le
fait même qu’elle était écrite par des femmes, donc a priori
sans peu d’importance, elle a ensuite été violemment combattue
par le régime.
Naissance et essor de la littérature féminine du Manchukuo
Emergence des écrivaines à la fin des années 1930
Une fois le régime consolidé, les Japonais ont tenté de
structurer et contrôler le monde littéraire du Manchukuo pour
limiter la critique socio-politique ; pour ce faire, ils ont
développé les activités de l’Association culturelle (文化会)
fondée le 30 juin 1937 avec des branches locales dans les
principales villes, y compris à Pékin et Tokyo, en alliant
musique, cinéma et peinture à la littérature. Mais, à la fin de
la décennie, la vie littéraire du Manchukuo s’est structurée en
groupes distincts, et c’est dans ce cadre qu’a émergé une
littérature féminine dont le développement a été favorisé par le
départ d’autres écrivaines, en particulier
Xiao Hong (萧红)
qui avait, elle aussi, été élevée en Mandchourie, sous
l’influence des idéaux du 4 mai.
Mais, de même que Duanmu Hongliang (端木蕻良),
Xiao Jun (萧军)
et d’autres, elle a quitté le Manchukuo dans les trois ans de sa
fondation, au milieu des années 1930. Leur départ a créé un vide
qui a été propice à l’émergence d’une nouvelle génération
d’écrivains, au moment où le monde littéraire du Manchukuo se
structurait en trois factions autour de leurs revues : la
Chronique des arts (Yiwenzhi
《艺文志》)
fondée sous l’égide de l’écrivain Gu Ding (古丁)
à l’automne 1939 à Xinjing (新京)
,
Wenxuan (《文选》),
ou Sélections littéraires, fondée par Wang Qiuying (王秋萤)
à Fengtian en décembre 1939 et Wencong
《文丛》),
ou Collection littéraire, fondée à Xinjing l’année suivante.
Dans son premier numéro, la Chronique des arts lança un débat
sur les fonctions de la littérature en disant refuser de
s’intéresser à la politique et en prônant « l’art pour l’art » ;
en fait, le groupe a publié des textes critiques de la politique
japonaise en matière littéraire, mais il est vrai aussi qu’il
était proche des intellectuels japonais de gauche. Les deux
autres groupes, eux, étaient ouvertement critiques, et c’est le
troisième qui regroupait en majorité des écrivaines, dont
Mei
Niang et Wu Ying.
Dans un cas comme dans l’autre, les auteurs étaient influencés
par les deux courants défendus et représentés par
Liang Shanding (梁山丁),
premier mari de Zuo Di et l’un des écrivains les plus influents
du Manchukuo : littérature dite « du terroir natal » (xiangtu
wenxue
乡土文学)
et réalisme (littéralement « écrire la réalité » : miaoxie
zhenshi
描写真实),
la première étant la forme littéraire promue par
Lu Xun comme outil
efficace de critique sociale et renforçant donc le second. Ici
aussi, cependant, les affiliations ne sont pas aussi tranchées :
en fait, la première œuvre reconnue comme relevant de la
« littérature du terroir natal » est la nouvelle « Fleur de
Shanding » (Shanding hua
《山丁花》)
qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas de
Liang Shanding, mais de Yi Chi (疑迟),
un membre du groupe Yiwenzhi, et le récit fut publié dans
Mingming (《明明》),
une éphémère revue du groupe
.
Une littérature féministe engagée
Populaires auprès des lecteurs locaux, leurs œuvres reflètent
les dures réalités de la vie sous l’occupation japonaise, avec
un réalisme qui tranche sur la « littérature transplantée » (yizhi
wenxue
移植文学),
c’est-à-dire les œuvres japonaises promues par les autorités du
Manchukuo. Mais celles-ci avaient une position ambiguë vis-à-vis
de cette littérature « native » : elle avait à leur yeux
l’avantage d’être distincte de la littérature du reste de la
Chine en célébrant les coutumes locales, mais l’inconvénient de
fournir un moyen d’exprimer des critiques du régime.
Les femmes, en particulier, mettent l’accent dans leurs œuvres
sur la recherche de réalisme en en faisant bien plus une
exposition de la réalité visant à la faire éclater au grand jour
(baolu zhenshi
暴露真实) ;
leurs récits sont la peinture des mille difficultés des femmes
dans la société du Manchukuo et une dénonciation du statut
inférieur où elles y étaient maintenues. Représentatif de ce
double courant est par exemple le roman de Zhu Ti « La morne
tristesse du fleuve du Dragon noir » (《黑龙江的忧郁》).
Sur les quatre œuvres considérées comme majeures publiées par la
Collection littéraire en 1944, à côté de celles de Liang
Shanding et de Wang Qiuying figurent les nouvelles de Mei Niang
(« La deuxième génération »
《第二代》)
et de Wu Ying (« Les deux extrêmes »
《两极》) :
elles apparaissent bien comme deux des personnalités les plus
influentes du monde littéraire du Manchukuo à son apogée.
La question féminine au Manchukuo
Critique du système patriarcal
Comme dans le reste de la Chine à la suite du
mouvement du 4 mai,
la « question féminine » (funü wenti
妇女问题)
a animé un débat public en Mandchourie dans les années 1920, la
femme émancipée étant symbole de changement social et de
modernité. Le thème fut repris en 1932 après la création du
Manchukuo. Les Japonais soutiennent alors une culture sociale
traditionnelle de « bonnes mères, sages épouses », comme les
Nationalistes en Chine. Associée à l’individualisme occidental,
l’indépendance réclamée par les jeunes femmes urbaines est
violemment attaquée dans la presse. Pour les Japonais, la
soumission et l’obéissance des femmes étaient un élément
essentiel de leur programme culturel au Manchukuo. Les
« nouvelles femmes » étaient critiquées comme égoïstes et
dissolues, et les femmes chinoises étaient priées d’imiter la
capacité des Japonaises à « supporter la peine et endurer le
labeur » (renku nailao
忍苦耐劳). Les femmes éduquées étaient incitées à assumer des
responsabilités nationales et sociales pour ne pas être des
« potiches » (花瓶)
– comme les femmes réduites au gynécée sous l’empire. Mais ces
rôles et responsabilités étaient ceux de mères, épouses et
travailleuses. La capacité de l’homme à faire la guerre était
mise en parallèle avec celle de la femme à élever les enfants et
travailler dur.
Mais tout ceci restait lettre morte et les commentateurs
japonais déplorent la réluctance des femmes chinoises à adopter
les « belles coutumes » de leur consœurs japonaises. Les
critiques japonaises étaient surtout orientées vers les
Chinoises urbaines dont le mode de vie était différent de celui
des femmes vivant à la campagne. Un auteur chinois, Wei
Zhonglian, cite un auteur japonais, Hayashi Fusao, écrivant
après une visite du nord de la Chine dans le milieu des années
1930 : « Les Chinoises des villes ne peuvent pas vraiment être
qualifiées de Han. On ne trouve de vraies femmes Han (真正汉民族之妇女)
que dans les villages. » (1943) Et ce qu’il décrit comme
« vraies Han » sont des femmes accomplissant des corvées
domestiques et obéissant à leur belle-mère et à leur mari,
préservant ainsi la paix familiale.
Censure : les Huit abstentions
Il y avait donc un fossé entre les idéaux des « femmes
nouvelles » et ceux promus par les Japonais, mis en œuvre par
toute une série de lois promulguées à partir de 1932 dans le but
de couper la Mandchourie du reste de la Chine et de cultiver un
patriotisme Manchukuo fondé sur le wangdao. Dans de
telles conditions, toute œuvre, menaçant la « fondation
nationale » ou induisant « une mauvais conduite » était
interdite.
Ces lois ont été d’une efficacité limitée si bien que, à partir
du printemps 1940 - et encore plus après la signature du pacte
tripartite conclu entre le Japon, l’Allemagne et l’Italie le 27
septembre 1940 - une réglementation bien plus sévère a été
édictée au Manchukuo, parallèlement au renforcement des
contrôles sur la vie artistique au Japon même
.
Après une réorganisation des ministères responsables de la
presse et de l’édition, la règle (formulée de manière très
chinoise) des « Huit abstentions » (ba bu
八不)
a été promulguée le 21 février 1941. Le contrôle des écrivains
était sérieusement renforcé, avec des sanctions allant de
l’interdiction à la prison. En ligne de mire, non seulement les
écrits critiques « négatifs », mais aussi les discussions sur la
sexualité de la femme ou le dénigrement de sa virginité, perçus
comme dénigrement des structures même de l’Etat mis en place par
les Japonais.
Cela n’a pas empêché les écrits prohibés de fleurir, leur
prohibition même leur conférant une aura d’illégalité très
attrayante. Les règles des Huit abstentions n’ont en fait jamais
été appliquées strictement, et heureusement, car si elles
l’avaient été, cela aurait paralysé la production littéraire. La
réglementation a été renforcée au cours des années suivantes,
les dernières du Manchukuo, mais la situation reflète le mélange
complexe de réglementation et de contestation caractéristiques
du Manchukuo, en particulier dans le domaine littéraire.
Tolérance envers les écrivaines
Les écrivaines chinoises n’ont cessé de critiquer la nature
patriarcale du régime du Manchukuo. Pourtant, leurs écrits ont
rencontré une certaine indifférence de la part des responsables
japonais, ce qui ne manque pas de surprendre, mais a été
attribué à leur misogynie même, qui les a empêchés d’accorder de
l’importance aux œuvres écrites par des femmes, jeunes de
surcroit
.
C’est certainement ce qui a sauvé ces écrivaines du sort réservé
à leurs confrères. En outre, si leurs écrits trouvaient des
échos chez les écrivains dissidents japonais, ils n’exprimaient
aucun soutien en faveur de la République de Chine.
L’application de la loi était donc erratique, et la
transgression des Huit absentions était aux risques et périls
des auteurs. Certains écrivains furent forcés à l’exil (dont
Liang Shanding), emprisonnés voire exécutés, pour des critiques
qui étaient tolérées des écrivaines. Suscitant un engouement
populaire et jouissant d’une reconnaissance critique, elles ont
écrit des centaines de nouvelles, de poèmes et d’articles.
Certaines étaient même rédactrices de journaux et revues ; elles
gagnaient de l’argent et avaient du succès. Mais c’est justement
ce qui les a perdues après l’instauration de la République
populaire.
Origines modestes, vies bouleversées par l’invasion japonaise
Familles modestes d’immigrants récents
Dans la première moitié du 20e siècle, la population
du Manchukuo était caractérisée dans son ensemble par un statut
économique modeste de migrants récents. C’est ce qui caractérise
aussi les familles de la plupart des écrivaines. Le père de Dan
Di était soldat quand il est venu du Hunan en Mandchourie
pendant la guerre Russo-japonaise de 1905 ; après la guerre il
est resté là et a épousé une orpheline coréenne. En 1925, le
père de Zhu Ti a déménagé avec femme et enfants de Pékin à Jilin
en quête de meilleures affaires. Le père de Mei Niang est
parti du Shandong pour aller à Changchun travailler comme
messager.
La plupart des écrivaines sont nées en Mandchourie et y ont
grandi, dans un contexte où la présence japonaise était déjà
très importante. Quand le Manchukuo a été fondé, en 1932, elles
étaient enfants ou adolescentes, ce n’est pas elles qui
pouvaient décider si elles restaient ou non. Mais l’occupation
japonaise n’a pas arrangé leur situation familiale.
Dans une économie dominée par des entreprises d’Etat axées sur
l’extraction minière et l’industrie lourde, les Chinois
n’avaient gère leur place. Le père de Mei Niang perdit ses
relations en Russie qui étaient la base de ses affaires, mais
refusa un poste officiel important. Le père de Lan Ling et les
parents de Zhu Ti ont abandonné le Manchukuo pour revenir dans
leur village d’origine, mais qui était aussi sous contrôle
japonais. Les opportunités économiques qui avaient attiré toute
cette population en Mandchourie disparurent avec l’occupation
japonaise. La seule chose que leur offrit le Manchukuo fut une
certaine stabilité introuvable dans le reste de la Chine, mais
éphémère.
Leurs situations familiales étaient aussi très diverses, allant
de foyers monoparentaux à des familles de plusieurs enfants.
Certaines furent affectées par la mort de leur mère, le
remariage ou le départ de leur père. Dans tous les cas, toutes
ont dû lutter pour survivre, la plupart étant élevées dans la
pauvreté – à l’exception notable de
Mei
Niang, mais même son père a fini dans la
pauvreté, laissant en outre une famille éclatée.
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Mei Niang lors du 3ème colloque à
Nankin des écrivains du Grand Est panasiatique
(3ème debout à partir de la g. en veste léopard) |
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Dan Di, pour sa part, a raconté que son père gagnait un
misérable salaire comme professeur dans un collège de Qiqihar ;
pour aider la famille, elle allait ramasser du bois et des
champignons dans la forêt et travaillait dans les champs au
moment des moissons. Comme Lan Ling, elle accompagnait sa mère
au mont de piété et a appris à la dure la difficile condition
des classes pauvres de la société du Manchukuo en apprenant les
stratégies pour faire face. Mais quitter la région n’était pas
simple non plus, car cela signifiait abandonner tous ses biens
et repartir pour un avenir incertain dans une Chine chaotique,
au futur tout aussi flou.
Origines diverses, éducation en Mandchourie
Leurs origines ethniques témoignent du melting-pot
qu’était la Mandchourie : Dan Di avait un père han
et une mère coréenne, Wu Ying était en partie
mandchoue, Yang Xu était hui. Le canon officiel des
Japonais célébrait la multiethnicité, mais ces
écrivaines en ont fait une expérience différente, en
soulignant les contrastes socio-culturels. Dans
leurs |
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« Andi et Mahua » de Dan Di |
écrits, elles font rarement mention des Japonais, mais quand
elles le font, le tableau est négatif. Ainsi dans la
nouvelle de 1940 de Dan Di, « Andi et Mahua » (《安荻和马华》),
l’invasion japonaise a pour effet de détruire un jeune
couple ; dans « Crabes » (《蟹》),
Mei Niang montre comment les règles de travail édictées par
le Japon sèment le chaos dans la vie des Chinois à
Changchun. La coexistence harmonieuse entre ethnies
glorifiée par les Japonais n’apparaît pas dans la
littérature féminine.
“Crabes” de Mei Niang |
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Toutes ces écrivaines ont commencé leur éducation à
la chinoise, pendant la République, en étudiant les
classiques, puis la littérature du 4 mai, chinoise
et étrangère, de
Ba Jin,
Lu Xun et
Ding Ling à
Byron, Tagore, Gorky et Zola. Elles ont continué
leurs études après l’invasion, avec une brève
interruption. Mais la plupart n’ont pas dépassé le
collège, et celles qui sont allées plus loin ont eu
des programmes « de filles » les destinant à être de
bonnes ménagères et à « revenir à la cuisine » (走回厨房).
Au début des années 1940, Mei Niang et Yang Xu ont
critiqué les restrictions de l’éducation des filles
dans le Manchukuo, qui mettait l’accent sur
l’obéissance et la docilité. Dans « Crabes », la
protagoniste féminine de l’histoire est
« particulièrement rebutée » |
(tebie meiqu
特别没趣)
par les classes obligatoires d’économie ménagère imposée aux
filles. Confrontées aux programmes japonais, les deux
écrivaines en concluent à l’infériorité des idéaux promus
par les Japonais en comparaison de ceux du 4 mai. Le seul
aspect du système éducatif du Manchukuo loué par Mei Niang
est le sentiment profondément affectif (nonghou de
ganqing
浓厚的感情)
qu’il lui a donné d’appartenir à la communauté féminine sur
fond d’inégalités typiques d’une société fondamentalement
patriarcale.
Etudes au Japon, critique féministe
Mei Niang et Dan Di ont toutes deux eu la
possibilité d’aller étudier au Japon. Il est vrai
que, partie pour faire des études de médecine, Mei
Niang a pu seulement terminer le secondaire au bout
de deux années ; mais elle a amélioré ses
connaissances de la langue, ce qui lui a permis de
traduire des œuvres féministes japonaises. Toutes
deux ont aussi retiré de leur séjour une
connaissance de la société japonaise, et des femmes
en particulier. Dan Di a été frappée par la
« tristesse silencieuse » de ses camarades de
classe ; en 1942, elle s’est inscrite à un cours
d’histoire qui soulignait la différence entre femmes
chinoises et japonaises et « l’infériorité
physiologique » des femmes par rapport aux hommes,
autant de thèses qui renforçaient la nécessité de
nouveaux idéaux de féminité.
La vie au Japon leur a aussi apporté un autre
élément |
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Dan Di
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positif : au début des années 1940, la vie littéraire était
plus ouverte au Japon qu’en Chine ; elles ont pu trouver une
grande diversité d’œuvres littéraires, de Chine et du monde
entier dans les librairies de Tokyo, même des œuvres
antijaponaises. Finalement, elles ont acquis là une vision
critique du projet impérial chinois, et les moyens de
l’exprimer en influençant la construction d’une féminité
moderne dans le Manchukuo, en rupture avec l’idéal
institutionnel « bonnes épouses, mères avisées » dans une
société centrée sur les hommes.
Cette vision est partagée par l’ensemble des écrivaines. Dans
son « Journal » écrit en 1945 (《我的日记》),
par exemple, Yang Xu rejette comme rétrograde les ambitions
affichées par le pouvoir japonais et elle est saluée par un
critique pour sa détermination à lutter sans crainte d’être
ostracisée.
Dans une lettre ouverte à Wu Ying, Mei Niang déclare que les
souffrances causées par cette société ne faisaient que rendre
les femmes plus progressistes que les hommes, plus conscientes
de leurs responsabilités de changer le monde, d’où sa conclusion
restée célèbre : « Seules les femmes peuvent en faire un
paradis ».
De la critique à la vie
Yang Xu |
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Ces écrivaines ont cherché à réaliser leurs idéaux
dans leur propre vie. Aucune n’a accepté de mariage
arrangé, et elles ont résisté à leurs parents qui
cherchaient à leur en imposer un. Si elles sont
devenues épouses et mères, c’est selon leur propre
gré. Dans plusieurs de ces écrits, défiant les Huit
abstentions, Yang Xu, par exemple, affirme le droit
des femmes de mener leur vie à leur guise, en
refusant les mariages conventionnels qui étaient
pour elle équivalents à la prison. On retrouve les
mêmes affirmations chez ses consœurs, avec des
variations. Pour Zuo Di, par exemple, le mariage est
un cul-de-sac. Et à l’apogée de la nouvelle « Cris »
(Ming
《鸣》)
de Wu Ying, publiée en 1943, la protagoniste se
rebelle contre son mari et s’en va en claquant la
porte, rappelant bien sûr le modèle de « La Maison
de poupée » d’Ibsen.
Toutes ces écrivaines étaient mariées, souvent
contre l’avis de leurs parents, et leurs époux
étaient également engagés d’une manière ou une autre
dans le monde littéraire.
Mei Niang et
son mari Liu Longguang (柳龙光)
ont fait de chez |
eux un salon littéraire où se retrouvaient les jeunes
auteurs. Liu Longguang et le mari de Yang Xu étaient tous
deux rédacteurs dans un journal. Wu Ying et Zuo Di ont
épousé deux des écrivains les plus célèbres du Manchukuo, Wu
Lang (吴郎)
et Liang Shanding.
Mais c’est Dan Di
qui a eu sans doute la vie la plus tragique : son premier
mari, un rédacteur qu’elle avait rencontré en 1946 au travail, a
divorcé quand, en 1947, les Communistes l’ont arrêtée et jetée
en prison ; son second mariage a été détruit quand elle a été
emprisonnée une deuxième fois, pendant la Révolution culturelle,
son mari est mort peu après sa libération ; elle s’est mariée
une troisième fois, alors qu’elle avait plus de soixante-dix
ans, mais elle est morte quelques années plus tard, en 1995.
Quant aux autres, finalement, elles ont été les « bonnes épouses
et sages mères » qu’elles ont toujours critiquées ; Mei Niang
est même restée veuve pendant cinquante ans, ce qui lui aurait
valu une arche de chasteté dans la Chine impériale. Wu
Ying est morte peu de temps après son mari. Zuo Di, elle, ne
s’est jamais remariée après son divorce. Les autres sont restées
mariées pendant des années. Donc leurs critiques de la morale du
Manchukuo doit se lire comme résistance à l’Etat colonial
japonais plus que comme dénonciation de la morale confucianiste
dans son ensemble.
Carrières et réussites dans le contexte colonial
Enseignement…
Ce sont les nécessités financières autant que
l’idéalisme qui ont poussé ces femmes à faire
carrière dans le Manchukuo. Toutes travaillaient
pour gagner leur vie, en combinant l’écriture avec
d’autres activités. Finalement, c’est dans leur vies
professionnelles qu’elles ont été au plus près de
réaliser leurs ambitions et idéaux. Lan Ling, Zhu Ti
et Dan Di étaient enseignantes, reconnaissant
l’importance de l’enseignement pour accroître la
conscience des femmes et leur donner plus de pouvoir
sur leur destin. Dans la nouvelle de Zhu Ti « Mes
enfants et moi » (《我和我的孩子们》),
le personnage principal est une enseignante qui
considère que son devoir est de sauver les
étudiantes des poisons du monde où elles vivent.
Leurs cours ont d’ailleurs fait l’objet de
contrôles. Elles ont été inquiétées : Dan Di a été
interdite d’enseignement, les œuvres de Zhu Ti ont
été censurées, la maison de Lan Ling a été fouillée
deux fois. Elles étaient considérées comme |
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Lan Ling |
menant des activités subversives, mais cela ne les empêchait
pas de continuer.
Zhu Ti et son mari Li Zhengzhong |
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Mais l’enseignement n’était pas la seule profession
possible. Zuo Di a suivi un cours de pharmacologie
pendant deux ans, après quoi elle a travaillé dans
une pharmacie. Mais son salaire était si bas qu’elle
a dû chercher un autre emploi. Grâce à sa maîtrise
de la langue japonaise, elle a trouvé un poste de
secrétaire au Bureau national de la propagande, ce
qui lui a donné à la fois indépendance et
suffisamment d’argent pour nourrir sa famille.
De toutes, c’est Yang Xu qui a eu la carrière la
plus originale. Après avoir fui un mariage arrangé,
elle a trouvé du travail à la Banque centrale à
Xinjing (新京).
Puis, en 1939, elle a quitté la banque pour |
entrer dans une troupe d’art dramatique (文艺话剧团)
sponsorisée par les Japonais, ce qui a choqué la plupart de
ses proches et de ses amis. Mais elle a poursuivi cette
carrière pendant deux ans, culminant avec l’Exposition
pan-asiatique en Corée en 1940 ; elle enregistra des albums,
participa à nombre de productions et parut sur la couverture
d’une revue célèbre, Qilin, en juin 1942. C’est un ami qui
l’introduisit à la communauté littéraire de Xinjing et
l’incita à se lancer dans une carrière littéraire.
… Et écriture
Le Manchukuo semblait là pour durer. Il fallait qu’elles vivent.
Elles écrivaient et/ou étaient employées dans les journaux
sponsorisés par les Japonais ; en 1943, Zuo Di a même édité le
roman de son mari Liang Shanding (梁山丁)
« La vallée verte » (《绿色的谷》),
très vite interdit.
En même temps, elles étaient louées par les critiques chinois
pour leur action et leur impact dans le monde littéraire du
Manchukuo. En 1936, Wu Ying a même été distinguée comme symbole
d’espoir pour la région. Au début des années 1940, elles ont
glané nombre de prix. Mais, ironie des temps, tandis que Dan Di
était acclamée comme écrivaine en avance sur son temps, elle
croupissait dans une prison militaire japonaise. De toutes,
c’est
Mei
Niang qui a été la plus célèbre et la plus
populaire.
Renforcement de la censure
Après la promulgation des Huit abstentions, les écrivaines ont
continué à publier sans être inquiétées, et même dans les
organes de presse japonais. C’est le cas en particulier du
Quotidien chinois d’Osaka (ou Osaka mainichi shimbun/ Daban
huawen meiri
《华文大阪每日》)
dont le mari de
Mei
Niang fut un temps rédacteur. Créé au début de
novembre 1938, il était publié au Japon, avec des bureaux à
Osaka, Pékin et Shanghai. Les rédacteurs jouissaient d’une
liberté d’expression qui leur a permis de publier des œuvres
ouvertement critiques de l’invasion de la Mandchourie et de la
vie au Manchukuo.
Mais la nature de plus en plus virulente des critiques finit par
attirer l’attention des censeurs. En septembre 1941, l’un d’eux
publia plusieurs articles condamnant la « littérature noire »
éditée en violation de la loi, à la suite de quoi des enquêtes
furent effectuées. Fin novembre 1941, des analyses d’œuvres de
huit écrivains, dont Liang Shanding, Wu Ying et Dan Di, furent
publiées dans le Bulletin interne du bureau de la censure.
L’attaque de Pearl Harbor le 8 décembre 1941 aggrava encore la
tension. A la fin du mois, des étudiants, de intellectuels et
des travailleurs suspects d’activités antijaponaises furent
arrêtés. En janvier 1942, il fut procédé à une centralisation
supplémentaire des médias. Ces arrestations et mesures diverses
entraînèrent un exode d’écrivains, dont Mei Niang et son mari
qui allèrent s’installer à Pékin, aussi sous occupation
japonaise, mais où les écrivains n’étaient pas soumis à un
contrôle aussi sévère. En juin 1942, ces transfuges fondent
l’Association des écrivains du Nord de la Chine et du Manchukuo
(Huabei Manzhou xiehui
华北满州协会).
Au sein de l’espace occupé par le Japon, ils soutiennent un
style littéraire différent du reste de la Chine et gardent des
contacts avec les écrivains restés au Manchukuo.
En même temps, le Japon cherchait à intégrer les écrivains de
son empire et, en novembre 1942, organisa un vaste Congrès des
écrivains panasiatiques afin de promouvoir un « esprit de la
Grande Asie orientale » (dadongya jingshen
大东亚精神)
– c’est-à-dire la construction d’un esprit « national » visant à
défendre la guerre, défense qui passait par la littérature. En
1943, les associations et sociétés littéraires sous égide
japonaise se multiplièrent, un deuxième Congrès des écrivains
panasiatiques fut réuni en août, pour promouvoir tout
particulièrement les traductions et un système de prix
littéraires.
La censure se renforça parallèlement et commença à affecter les
écrivaines alors que, dans la seconde moitié de l’année,
paraissent quelques-uns de leurs écrits les plus subversifs. Le
numéro d’octobre 1943 de la revue Culture de la jeunesse (Qingnian
wenhua
《青年文化》)
était un numéro spécial consacré à la littérature féminine. Il
comportait quatre nouvelles qui violent allègrement les règles
des Huit abstentions : « Mise en garde » (Jie
《戒》)
de Dan Di relate l’histoire d’un mère seule qui abandonne son
bébé - le cri de sa protagoniste affirmant que « la victoire
finale sera nôtre » apparaissant comme une allusion à la
résistance contre le Japon.; « Aurore » (Richu《日出》)
de Lan Ling dénonce l’autorité parentale ; « Désir » (Yu
《欲》)
de Wu Ying dépeint les tensions sexuelles d’une veuve remariée ;
« Malheurs de femmes » (Nü nan《女难》)
de Zuo Di décrit l’enfantement comme une sorte de torture.
La nouvelle « Cris » de Wu Ying a été considérée comme
anti-patriarcale et antijaponaise, les divisions dans la famille
décrite étant interprétées comme les divisions politiques entre
la Chine et le Manchukuo. Quant au « Journal » de Yang Xu, il a
été interdit pour son contenu sexuel tandis que deux des récits
de Zhu Ti l’ont été pour leur condamnation explicite du
Manchukuo. La même année, Lan Ling subit deux interrogatoires
pour la tonalité négative de ses écrits.
Mais la censure n’est rien à côté des persécutions subies par
Dan Di et Zuo Di. Dan Di a été emprisonnée deux fois, en
décembre 1943 et juin 1944, et la seconde fois condamnée à deux
ans de prison pour avoir tenté de fuir le Manchukuo. C’est sa
santé qui lui a valu d’être libérée quelques mois plus tard. La
vie de Zuo Di a également été réduite à néant après sa
participation à la publication de « la Vallée verte » de son
mari Liang Shanding, à l’automne de 1943. Liang Shanding s’est
enfui en septembre à Pékin où il a trouvé du travail dans une
maison d’édition grâce à un ami. ; en décembre, leur maison
ayant été détruite à la suite de fouilles, Zuo Di s’est enfuie
elle aussi.
Pourtant, ces écrivaines ont eu à subir bien pire pendant la
période maoïste. Elles n’ont pourtant pas quitté la Chine ;
leurs vies et leurs familles ont été réduites à néant.
Rétribution sous Mao et rédemption ensuite
Persécutions
Les débuts de la période maoïste leur a apporté une stabilité
bienvenue. Elles pensaient que leur patriotisme était
suffisamment attesté par leurs œuvres, et qu’elles n’avaient
rien à craindre. Aucune n’est partie à Taiwan avec les
Nationalistes. Lan Ling, Zhu Ti et Zuo Di sont même entrées au
Parti.
La persécution a pourtant commencé dès 1951, avec un pic pendant
la Révolution culturelle. On a parlé de « littérature de
l’occupation » (lunxian wenxue
沦陷文学).
Les écrivaines de l’ex-Manchukuo ont été attaquées et condamnées
comme « bourgeoises », « droitistes » avec des relations à
l’étranger, et surtout suspectes d’espionner pour le Japon et
d’être traîtres à la Chine. Mais ce n’était qu’un prélude. Elles
ont ensuite été emprisonnées ou condamnées à aller travailler à
la campagne. Elles ne furent réhabilitées qu’en 1978. Mais peu
ont recommencé à écrire.
Redécouverte
Elles ont été redécouvertes à partir du milieu des
années 1980, en grande partie grâce à Liang
Shanding, ex-époux de Zuo Di dont il avait divorcé
quand elle avait été condamnée à la prison ;
lui-même emprisonné, il ne devait jamais la revoir
car elle mourut pendant qu’il était en prison. Il
dénonça la persécution arbitraire dont avaient fait
l’objet toux ceux qui avaient fait carrière dans le
Manchukuo, et en particulier les écrivaines.
En 1991 eut lieu à Shenyang un colloque sur la
littérature du Manchukuo avec quelques-unes des
survivantes dont Dan Di, Lan Ling, Mei Niang, Yang
Xu et Zhu Ti (voir note 8). C’était en fait le
résultat de plus de dix ans de travail pour
réhabiliter leurs œuvres, donnant lieu à une somme
impressionnante d’analyses critiques donnant une
|
|
Liang Shanding dans les années 1990 |
appréciation nouvelle de la littérature chinoise du
Manchukuo en en faisant une littérature de résistance.
C’est leur position anti-patriarcale virulente, leur incapacité
apparente à vivre comme leurs contemporains, leur attitude
radicale qui ont suscité les réactions violentes des autorités
maoïstes. Elles s’étaient élevées contre un Etat misogyne et ont
été persécutée par la Chine maoïste qui se disait lutter pour
l’égalité femmes-hommes. C’est leur succès même qui en a fait
des boucs émissaires.
Finalement, elles avaient plus de liberté pour écrire et
s’exprimer sous le régime dit fantoche des Japonais qu’après
leur « libération » par les maoïstes. Aujourd’hui, si leurs noms
et leurs œuvres sont largement méconnus, leur héritage continue
d’avoir une signification particulière pour la société chinoise
d’aujourd’hui.
En 2017 a été publiée une vaste collection en 34 volumes
constituant l’état actuel des recherches sur les écrivaines du
Manchukuo, réalisées par des chercheurs chinois, japonais,
coréens, canadiens et américains : « Résistance au Manchukuo :
recherches sur les écrivaines critiques de l’« Etat fantoche »
du Manchukuo » (《反抗“满洲国”——伪满洲国女作家研究》).
Les ouvrages sont classés en huit parties :
1.
La création culturelle des femmes chinoises sous le régime
colonial japonais ;
2.
La « question féminine » sur la base de la politique coloniale
au Manchukuo ;
3.
Les cercles littéraires de langue chinoise au Manchukuo, partie
divisée en quatre périodes :
1931-1935 : débuts de l’occupation japonaise
占顶初期
1936-1939 : renaissance littéraire
文学复兴
1940-1941 : durcissement de la censure coloniale
更严厉的殖民审查
1942-1945 : prolifération des organismes
组织扩散
4.
Les activités créatrices des écrivaines du Manchukuo dans le
contexte familial (devenir épouse et mère)
Suivi de deux parties sur les thèmes de leurs écrits :
5.
Lutte contre les caractéristiques misogynes de la société
6.
Critique de la société coloniale (et en particulier du système
patriarcal)
7.
Ecroulement de l’empire et fin des carrières littéraires
8.
Opposition au Manchukuo (vie des Chinoises sous l’occupation
japonaise).
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Collection des grands succès
littéraires et des ouvrages de recherche
sur les œuvres des écrivaines chinoises « contre le
Manchukuo » (2017) |
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On redécouvre les mille subtilités qu’elles ont utilisées,
métaphores à l’appui, pour faire passer des messages liminaires
dans leurs récits et créer une atmosphère délétère. Ainsi, dans
sa nouvelle « Andi et Mahua » déjà citée, Dan Di évoque ainsi le
jour de la fin août 1931 où la Chine a perdu sa souveraineté sur
la Mandchourie : « C’était la fin du mois d’août, le soleil
s’était couché. » (“八月尾,太阳西沉了。”)
De manière habile, elle renverse le symbolisme du soleil levant
attaché au Japon et crée une atmosphère sombre (hei’an
“黑暗”)
qui est la tonalité générale des œuvres de ces écrivaines : loin
d’apporter la civilisation, le Japon apporte l’obscurité et la
souffrance. Associée aux ténèbres, l’automne est également
métaphore du déclin annoncé : la vie est souvent comparée à la
chute des feuilles mortes.
Illustration de la nouvelle de Zhu Ti
« Rêve et printemps » |
|
Il est souvent question de rêve, dans leurs récits,
mais ces rêves sont aussi brefs et finalement
irréels qu’un court printemps, comme dans la
nouvelle de Zhu Ti « Rêve et printemps » (《梦与青春》),
ou bien ils sont gris, comme dans la nouvelle de Zuo
Di « Un rêve gris » (《一个灰色的梦》)
où la jeune protagoniste est terrifiée car, marchant
sur un chemin la nuit, elle a l’impression d’être
accompagnée par un fantôme, invisible à ses côtés.
La réalité est constamment détournée, le temps
orageux, le tonnerre gronde et la tempête provoque
des pannes d’électricité, tout en dispersant les
pétales blancs (symbole de l’inspiration de
l’écrivain), la nuit règne comme dans le poème de
Dan Di évoquant un autre rêve encore : « Rêve et
guqin » (《梦与古琴》) |
外面——漆黑的夜晚
Dehors – la nuit est d’encre
风雨的夜摇灭了蜡烛
Le vent de l’orage a renversé la bougie
敲落了白色的花瓣!
et fait tomber les pétales blancs.
Il est temps de redécouvrir ces écrivaines.
Bibliographie
- Disrupting Narratives: Chinese Women Writers and the Japanese
Cultural Agenda in Manchuria,
1936-1945, Norman Smith,
Modern China,
Vol. 30, No. 3 (July 2004), pp. 295-325
https://www.jstor.org/stable/3181312?seq=28#metadata_info_tab_contents
- Resisting Manchukuo: Chinese Women Writers and the Japanese
Occupation, Norman Smith, University of British Columbia,
2007, 216 p.
(ouvrage salué comme le premier en anglais à traiter de la
littérature et en particulier de la littérature féminine du
Manchukuo)
Table des matières
Introduction / xii
1 Chinese Women and Cultural Production in a Japanese Colonial
Context / 3
2 Foundations of Colonial Rule in Manchukuo and the “Woman
Question” / 20
3 Manchukuo’s Chinese-Language Literary World / 41
4 Forging Careers in Manchukuo / 61
5 Disrupting the Patriarchal Foundations of Manchukuo / 85
6 Contesting Colonial Society / 106
7 The Collapse of Empire and Careers / 126
8 Resisting Manchukuo / 138
Notes / 144 // Bibliography / 170 // Index / 185
Introduction en ligne avec indication des sources :
https://www.ubcpress.ca/asset/9408/1/9780774813358.pdf
(pp. 12-16)
Regulating Chinese Women's Sexuality during the Japanese
Occupation of Manchuria: Reading between the Lines of Wu Ying's
"Yu" (Lust) and Yang Xu's "Wo de riji" (My Diary), Norman Smith,
Journal of the History of Sexuality, Vol. 13, No. 1 (Jan. 2004),
pp. 49-70
Le parallèle est tentant avec Shanghai telle que la
décrit Poshek Fu dans Passivity,
Resistance and Collaboration : Intellectual Choices in
Occupied Shanghai 1937-45
(Stanford University Press, 1993).
Il cite
l’influence du 4 mai
et celui de
l’environnement colonial poussant les intellectuels à
utiliser la littérature comme medium politique. On peut
dresser des
parallèles
entre le « monde noir » (黑暗世界)
de Shanghai et « la période noire » (黑暗时期)
du Manchukuo.
Selon
Vera Schwarcz :
The Chinese Enlightenment: Intellectuals and the Legacy
of the May Fourth Movement of 1919, University of
California Press, 1986, 393 p. La “femme passive” était
devenue dans les années 1910-1920 le symbole d’une Chine
affaiblie.
Thèse soutenue par l’écrivaine Zhu Ti et son mari Li
Zhengzhong (李正中),
nom de plume Li Keju (李柯炬),
lors du colloque international de 1991 sur la
littérature du Nord-est sous occupation japonaise : « Le
Monde littéraire du Nord-Est de 1942 à 1945 »
(1942至1945年东北文艺界).
Intervention publiée en 1992 dans les actes du colloque
伪满时期文学资料整理与研究:史料卷·伪满洲国文学研究资料汇编,
p. 405-409.
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