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Avec « Incognito »,
Wang Anyi pousse le roman vers l’abstraction
par
Brigitte Duzan, 21 décembre 2015
« Incognito » (《匿名》)
,
le nouveau roman de
Wang Ayi (王安忆),
est paru dans le double numéro de la revue Shouhuo
(《收获》)
de décembre 2015, avant d’être publié début 2016 aux
éditions Littérature du peuple
.
C’est le premier roman de Wang Anyi depuis « Senteurs
célestes » (《天香》)
en 2011 ; il était attendu et a déjà séduit les
critiques.
Ce qui a frappé tout le monde, dès l’abord, c’est que
Wang Anyi a totalement changé de style. Elle s’en est
elle-même expliqué :
“以往的写作偏写实,是对客观事物的描绘,人物言行、故事走向,大多体现了小说本身的逻辑。《匿名》却试图阐释语言、教育、文明、时间这些抽象概念,跟以前不是一个路数的。这种复杂思辨的书写,又必须找到具象载体,对小说本身负荷提出了很大挑战,简直是一场冒险。…
所探讨的符号都要落到小说的实体里,不能超出常识,又要和常识保持一定距离,所以写得很苦很慢”。 |
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Incognito, publication dans Shouhuo |
« Auparavant, j’écrivais dans un style réaliste, en essayant de
garder une vue objective dans mon récit, les propos prêtés à mes
personnages, et en m’efforçant, dans l’ensemble, de préserver
une logique dans l’histoire et son déroulement. Ce nouveau roman
se propose, en revanche, d’élucider des notions abstraites,
comme la civilisation, le temps, l’éducation, la langue ; il n’a
rien à voir avec mes romans précédents. Il procède d’une
réflexion complexe, et, en même temps, il fallait trouver un
moyen concret de l’exprimer ; c’était donc un défi au niveau de
l’écriture romanesque, c’est une expérience risquée, une
aventure. … Je l’ai écrit très lentement, et péniblement. »
Publication à Taiwan |
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Un homme est kidnappé, disparaît… Puis il est abandonné
dans une profonde forêt, en pleine montagne, et doit
apprendre à survivre dans ce nouvel environnement. Il
reste marqué par la civilisation, mais en perd peu à peu
les traces, comme il perd aussi peu à peu la mémoire. A
la fin de cette première partie, un an plus tard, sa
femme va déclarer sa disparition à la police, il est
rayé des registres d’état civil. Il a perdu toute
identité.
Mais ce n’est que la première partie, une longue perte
de vernis social et civilisé, un retour vers la nature,
dans la solitude. Puis, au début de la seconde partie, à
la faveur d’un immense incendie, l’homme disparu est
retrouvé, il est ramené à la ville, il retrouve ses
habitudes sociales, et peu à peu la mémoire. Mais, alors
qu’il est prêt à assumer à nouveau son identité, il
disparaît à nouveau, en quelque sorte…. |
Le début est apparemment celui d’une narration classique, qui
pourrait déboucher soit sur une intrigue de type roman policier,
soit de type survie sur une île déserte. Rien de tout cela ne
suit. « Si le lecteur s’attend à une histoire classique, il va
être déçu. » a averti la romancière. Mais, ajoute-t-elle, c’est
en s’éloignant d’une narration usuelle que le roman prend toute
sa signification.
La rédactrice en chef adjointe de Shouhuo, Zhong
Hongming (钟红明),
a été favorablement impressionnée par le caractère
expérimental et nouveau du roman :
“从80年代初以来,她一直保持高水准的写作,从写作意图到审美表达,从不放弃探索。…我以为王安忆做的正是这样的探索:从一个个体,探索整个人类和世界的普遍的本质性的存在。王安忆撕开了文明的缝隙,她让一个人脱离常识性的、熟悉的文明城市,被绑架被抛弃在深山褶皱里…
« Depuis le début des années 1980, Wang Anyi a toujours
gardé un excellent niveau d’écriture et d’expression
esthétique, sans jamais cesser d’expérimenter. … Dans ce
dernier roman, on peut dire qu’elle part d’une réflexion
sur l’existence individuelle pour aller vers la nature
de l’homme et du monde. Elle ouvre une brèche dans la
civilisation urbaine, projette son personnage dans la
solitude de la montagne et l’y abandonne… » |
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Publication à Pékin |
Dans la première partie, l’homme disparu, est peu à peu
dépouillé de tout ce qui lui est inhérent, y compris son nom et
sa mémoire, puis, dans la seconde partie, après l’incendie,
quand il est découvert et ramené au chef-lieu du district :
“仿佛电脑重启,他逐渐回到文明之中,记忆一块一块找回,而重建之后的他肯定跟之前的人不同了。…
”
« … C’est comme si soudain on avait rallumé un ordinateur, il
retrouve la civilisation, retrouve aussi peu à peu sa mémoire,
mais bien sûr il n’est plus comme avant, comme les autres….. »
Comparé aux précédents romans de Wang Anyi, « Fuping » (《富萍》),
« Un âge des lumières » (《启蒙时代》)
ou « Senteurs célestes » (《天香》),« Incognito » est
différent : l’accent est sur la pensée, non sur la ligne
narrative, c’est une écriture bien plus abstraite qu’auparavant,
une réinvention de la forme autant que du fond.
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