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Pingjiang Buxiaosheng 平江不肖生

Présentation

par Brigitte Duzan, 18 août 2014

              

Pingjiang Buxiaosheng (平江不肖生) est le nom de plume de Xiang Kairan (向恺然), prolifique auteur de romans de wuxia des années 1920. 

      

Aujourd’hui largement tombé dans l’oubli, il est pourtant important à un double titre au moins : il représente un maillon important dans l’évolution de la littérature de wuxiadu début du vingtième siècle, et il est par ailleurs l’auteur d’un roman qui, adapté au cinéma à la fin des années 1920, a lancé la vague de films de wuxia qui a déferlé sur Shanghai au tournant de la décennie, première ébauche des films de wuxia ultérieurs.

     

Pingjiang Buxiaosheng a donc eu un impact déterminant dans le domaine littéraire comme dans le domaine cinématographique chinois au début du vingtième siècle, et son ascendant s’est étendu à la seconde moitié du siècle par

 

Xiang Kairan / Pingjiang Buxiaosheng

l’influence exercée sur les écrivains de la Nouvelle Ecole de wuxia (1). Il est pourtant encore largement méconnu. 

     

Natif de Pingjiang

     

Né en 1889 – ou 1890 – à Pingjiang, dans le Hunan (湖南平江), Xiang Kairan a été un passionné de  littérature et d’arts martiaux dès son enfance, mais rien ne le prédisposait au départ à une carrière d’écrivain.

     

Etudes chaotiques à Tokyo

     

Chen Tianhua

 

Il fait ses premières années d’études à Pingjiang, puis, à quatorze ans, entre dans un collège professionnel à Changsha (长沙), la capitale du Hunan. Un an plus tard, cependant, il est expulsé de l’école pour avoir participé à une commémoration de la mort du révolutionnaire hunanais Chen Tianhua (陈天华) (2).

      

Peu de temps plus tard, il part, comme son modèle, poursuivre ses études au Japon. Mais cette première expérience se solde par un échec cuisant : le jeune Xiang Kairan plonge dans les bas-fonds de la société japonaise, néglige ses études et fréquente les bordels de bas étage de Tokyo.

     

Rentré en Chine, il trouve cependant bientôt une occasion de revenir au Japon. Il repart en 1907, décidé cette fois à poursuivre sérieusement ses études ; il entre à l’université de

Tokyo, pour étudier l’économie politique, et n’en repartira que deux ans plus tard, après avoir obtenu son diplôme.  Mais, en même temps, il renoue avec sa passion pour les arts martiaux, et profite de son séjour pour apprendre de nouvelles techniques, comme le jiujitsu, et se perfectionner dans l’art du sabre et de l’épée.

     

Rentré en Chine, à Changsha, il participe au mouvement contre Yuan Shikai (倒袁运动), puis trouve du travail à Shanghai où il se met à écrire avec zèle ; il est décrit écrivant de nuit et vivant une existence de reclus asocial et original, dans un immeuble exigu, avec une maîtresse, un chien et un singe (和一妾、一狗、一猴居住在一处很窄的小楼中), conditions propices à l’émergence d’un monde imaginaire peuplés de fantasmes.

      

Débuts d’écrivain

    

A partir de 1911, il publiedes textes dans le journal de Changsha (《长沙日报》). Mais son premier livre – celui qui marque ses véritables débuts d’écrivain - est une sorte de confession intime fondée sur ses premières années dans la capitale japonaise :« L’Histoire secrète des étudiants étrangers à Tokyo » (留东外史) est un écrit cathartique et critique qui reflète l’expérience des étudiants chinois au Japon et l’ambiance qui y régnait à l’époque. Commencéen 1914, il est publié en mai 1916 et rencontre un grand succès.

     

En 1922 ensuite, quand Bao Tianxiao (包天笑), le rédacteur en chef du journal La semaine (《星期》), lui demande de collaborer à son journal, Xiang Kairan écrit un complément : « Suite de L’Histoire secrète des étudiants étrangers à Tokyo » (《留东外史补》).

 

L’Histoire secrète des étudiants

étrangers à Tokyo

     

La gloire par le wuxia

     

C’est cette même année 1922 qu’il se lance dans l’écriture de romans de wuxia, à l’instigation de la maison d’édition World Books (世界书局) de Shen Zhifang (沈知方)  (3).

     

Premier roman de wuxia, premier succès

     

Le premier roman est terminé en 1923, et d’abord publié par épisodes séparés à partir du début de l’année dans la Revue rouge (《红杂志》) : c’est « Etranges chevaliers errants des rivières et des lacs » (《江湖奇侠传》), en 42 chapitres (4).

     

Il le signe pour la première fois de ce qui sera désormais son nom de plume : Pingjiang Buxiaosheng (平江不肖生) – c’est-à-dire « fils indigne de Pingjiang ». On pense évidemment à un acte de contrition pour ses frasques à Tokyo, c’est l’explication la plus courante. La raison de ce choix est en fait plus profonde. Il s’agit d’une référence au chapitre 67 du Daodejing (道德经》67) :

天下皆谓我道大;夫惟其大,故似不肖

Dans le monde tous me disent éminent, mais je ressemble à un homme borné.
C'est uniquement parce que je suis éminent, que je ressemble à un homme borné. (5)

 

Jianghu Qixia zhuan, ancienne édition

      

Construit en épisodes distincts, le récit mêle des légendes locales à une histoire mouvementée de membres de diverses sectes d’arts martiaux aux pouvoirs surnaturels. Il établit des thèmes et des techniques narratives qu’il va généraliser dans ses récits suivants et qui seront repris par les auteurs de romans de wuxia ultérieurs. Surtout, le roman amorce un phénomène de culture de masse qui va être démultiplié lorsqu’il sera adapté au cinéma.

    

C’est en effet ce roman qui a été adapté au cinéma en 1928 par Zhang Shichuan (张石川) et Zheng Zhengqiu (郑正秋) pour donner le célèbre « Incendie au monastère du Lotus rouge » (Huoshao Hongliansi《火烧红莲寺》), avec un tel succès que le film fut suivi de 17 autres et déclencha une véritable hystérie collective(6).

     

Pingjiang Buxiaosheng avait entre-temps publié d’autres romans avec le même succès que le premier. Le second lui permit d’abandonner son travail et de se consacrer entièrement à l’écriture.

    

L’histoire de Huo Yuanjia

    

Ce second roman est publié en 1923 : « Noble héros des temps modernes » (Jindai Xiayi Yingxiong Zhuan 《近代侠义英雄传》), en 134 chapitres au total, dont 95 de sa plume.

 

Huo Yuanjia

     

Zhao Yutang

 

Ce roman est basé sur l’histoire d’un personnage historique : celle de Huo Yuanjia (霍元甲) (1868-1910), pratiquant du mizongquan (迷踪拳)  créé par son père, et célèbre pour ses victoires remportées sur des combattants étrangers, russes et japonais. C’est un héros national et un personnage légendaire des arts martiaux, au même titre que Huang Feihong.

     

Le roman fait une peinture très réaliste de la pratique des arts martiaux, tout en célébrant l’esprit patriotique à travers les victoires sur les rivaux étrangers. Célèbre également pour l’école d’arts martiaux qu’il a créée, « L’École de culture physique Jingwu » (精武体操学校), à Shanghai, Huo Yuanjia fut un modèle pour Buxiaosheng qui créa lui aussi sa propre école et participa au développement d’une tendance nationaliste dans les arts martiaux pendant la période républicaine.

     

Ce roman est particulièrement important pour l’influence qu’il a exercée dans les décennies suivantes, en littérature mais aussi au cinéma, en particulier comme inspiration du phénomène Bruce Lee et des films de kungfu dans les années 1970. 

     

Dix autres romans de wuxia

    

Buxiaosheng a publié au total douze romans de wuxia, dont beaucoup sont basés sur des personnages célèbres de l’histoire des arts martiaux, comme Huo Yuanjia : Zhao Yutang (赵玉堂), Wang Zhengyi (王正谊) dit Dadao Wangwu (大刀王五), ou Nong Jinsun (农劲荪), un marchand d’herbes médicinales de Tianjin, vieil ami de Huo Yuanjia qui le servit comme collecteur d’impayés

     

Cet aspect narratif à mi-chemin de la fiction et de la réalité

 

Nong Jinsun

    

Fearless

 

historique a influencé beaucoup d’écrivains par la suite, mais aussi influé sur le développement de films sur le même thème, comme « Fearless » (霍元甲) de Ronny Yu (于仁泰), en 2006, avec Jet Li dans le rôle principal, (très librement) inspiré du personnage de Huo Yuanjia, comme l’indique le titre chinois.

    

La plupart des romans de Buxiaosheng sont cependant des œuvres de fiction sur des thèmes classiques de wuxia. Il est vrai que le fil narratif en est souvent quelque peu confus et répétitif, et le récit parfois incohérent. Mais, au-delà de ces défauts structurels, le grand intérêt de ces romans – dans l’optique du legs littéraire à la postérité - tient à l’univers que l’auteur a su y créer.

    

C’est le monde du jianghu, ce territoire mythique de rivières et de lacs aux confins de la société et des lois de l’empire, un monde en marge, peuplé d’êtres étranges, aux pouvoirs

extraordinaires, capables de voler et de léviter. C’est un monde en marge de la réalité, mais qui n’en n’est jamais très loin, et c’est la réalité locale du Hunan : Buxiaosheng nous conte les rivalités entre villages dégénérant en conflits armés, les rivalités sanglantes entre sectesd’arts martiaux etla lutte pour l’existence…

    

Ainsi, son troisième roman, « L’histoire du grand chevalier errant des rivières et des lacs »  (《江湖大侠传》) se passe dans le district de Taoyuan (湖南桃源县), sur fond de rébellion locale et de lutte pour la préservation d’un bout de territoire. Quant à son premier roman, il se passe à Pingjiang même, et les principaux protagonistes sont des membres des deux grandes sectes Kunlun et Kongtong (昆仑、崆峒两大武林门派) (4).

     

Le côté réaliste de ses récits, ancrés dans la réalité concrète de son Hunan natal, lui a d’ailleurs été reproché, comme 

        

Jianghu Daxia zhuan

nuisant à la valeur littéraire de son œuvre (7). Pourtant, cette saveur de terroir en est peut-être l’aspect le plus intéressant aujourd’hui, privilégiant le contexte de la petite histoire locale, trop souvent offusquée derrière la grande.

      

Retraite dans le Hunan

      

Jianghu Yiren zhuan

 

En 1932, Pingjiang Buxiaosheng avait acquis la célébrité, mais il avait également gagné suffisamment d’argent pour pouvoir revenir dans son Hunan natal, cesser d’écrire et se consacrer à sa passion première : les arts martiaux et leur promotion.

     

De retour chez lui, il créa une école d’enseignement des arts martiaux, et une chaîne nationale de clubs pour les passionnés de « l’art national chinois ». Il se consacra tout spécialement à développer les aspects théoriques de son enseignement et devint l’un des maîtres les plus réputés d’arts martiaux des années 1940.

    

Au début des années 1950, cependant, frappé par l’interdiction de ses activités dans le cadre du nouveau régime chinois, il quitta sa famille et entra dans un monastère bouddhiste.

     

En 1957, il se préparait à recommencer à écrire pour rédiger un ouvrage qui se serait intitulé « Discussions historiques sur les arts martiaux chinois » (《中国武术史话》)  quand il mourut brutalement d’une hémorragie cérébrale, à l’âge de 68 ans.

     

Un précurseur méconnu

     

Pingjiang Buxiaosheng a connu un regain de faveur ces dernières années ; ses romans ont été réédités en Chine à la fin des années 2000.

     

En effet, la mort de Liang Yusheng (梁羽生), en 2009, a réveillé l’intérêt pour le roman de wuxia ; s’il est vrai que l’on a alors surtout parlé des grands auteurs de la Nouvelle Ecole, l’attention a commencé à se porter aussi sur leurs prédécesseurs de la Vieille Ecole dont Buxiaosheng est l’un des chefs de file (1). Le mouvement est encore très timide,

 

Jianghu Guaiyi zhuan

mais il faut bien dire qu’il n’y aurait pas eu de Nouvelle Ecole sans l’ancienne, qu’il n’y aurait pas eu de Liang Yusheng, Jing Yong (金庸) ou Wang Dulu (王度庐) sans Buxiaosheng et ses contemporains…

     

     

Ses douze romans :

     

Etranges chevaliers errants des rivières et des lacs 
Jianghu Qixiazhuan 《江湖奇侠传》
Noble héros des temps modernes 
Jindai Xiayi Yingxiongzhuan 《近代侠义英雄传》
La grande histoire des chevaliers errantsdes rivières et des lacs 
Jianghu Daxiazhuan 《江湖大侠传》
La petite histoire des chevaliers errantsdes rivières et des lacs 
Jianghu Xiaoxiazhuan 《江湖小侠传》
Un personnage extraordinaire des rivières et des lacs 
Jianghu Yirenzhuan 《江湖异人传》
Etranges personnages d’aujourd’hui
Xiandai Qirenzhuan 《现代奇人传》
La tête envolée à minuit
Banye Feitouji 《半夜飞头记》
Une histoire de chasseur 《猎人偶记》
Etranges histoires des rivières et des lacs 
Jianghu Guaiyizhuan 《江湖怪异传》
La nüxia gourgandine
Yanhua Nüxia 《烟花女侠》
Chronique des deux oisillons
Shuang Chu ji 《双雏记》
Chronique de Yanta
Yantaji 《艳塔记》
     

          

  

Notes

(1) Voir : L’histoire du wuxiaxiaoshuo au 20ème siècle.

(2) Chen Tianhua (陈天华) : révolutionnaire né dans une famille de paysans pauvres à Xinhuaen 1875 ; envoyé poursuivre ses études au Japon en 1902, il se joint au mouvement révolutionnaire anti-Qing, revient en Chine au bout de sept mois, participe à Changsha à la fondation d’un groupe visant à renverser la dynastie, puis est contraint de fuir au Japon après l’interdiction de son journal et l’échec d’une première insurrection. Il revient à Changsha en 1903 et participe à la fondation d’une société secrète révolutionnaire. A nouveau contraint de fuir au Japon, en août 1905, il fait partie des membres fondateurs du Tongmenghui (同盟会) de Sun Yat-sen, et se suicide en décembre en se noyant dans la baie de Tokyo pour protester contre les restrictions imposées aux activités des étudiants chinois par le gouvernement japonais.

(3) Maison d’édition créée en 1917 à Shanghai par le directeur adjoint de Zhonghua Books Shen Zhifang (沈知方) ; en croissance rapide, elle est transformée en société à responsabilité limitée en 1922. Shen Zhifang est l’un des grands éditeurs des années 1920-30 à Shanghai, avec un « œil pour les affaires » (生意眼).

Voir le livre de Christopher A. Reed : Gutenberg in Shanghai, Chinese Print Capitalism 1876-1937, UBC Press, 2011.

(4) Voir Note complémentaire ci-dessous.

(5) Phrase en chinois classique qui signifie : 天下人都称道我伟大,伟大而不像任何一物样子。正是由于不像任何一物样子,所以才能够伟大。Traduction en français de Stanislas Julien.

(6) Sur le film et ses auteurs, voir chinesemovies (à venir…)

(7) Essentiellement par le critique littéraire taïwanais spécialiste du roman de wuxia Ye Hongsheng (台湾武侠小说评论家叶洪生) qui voit en particulier dans le premier roman de Buxiaosheng une « déformation » locale du roman de wuxia, le récit étant, selon lui, une histoire de lutte pour la terre dans la région de Pingjiang / Liuyang du Hunan (此书是以湖南省平江、浏阳两县居民争地武斗为经”).

     


     

Note complémentaire sur le premier roman :

« Etranges chevaliers errants des rivières et des lacs » (《江湖奇侠传》)

      

Premier essai et coup de maître : le premier roman de wuxia de Pingjiang Buxiaosheng est non seulement ce qui lui a valu un succès immédiat, mais c’est aussi un récit fondateur, en quelque sorte : il contient en germe son œuvre à venir, avec ses codes, ses clefs et ses thèmes.

      

Au-delà de ses défauts structurels, c’est son aspect novateur qui est intéressant, car il va exercer une influence déterminante sur l’évolution du genre, jusque dans les années 1950, quand il renaîtra à Hong Kong. Il est cependant ancré dans la tradition.

      

Un roman novateur dans les années 1920

     

« Etranges chevaliers errants des rivières et des lacs » (Jianghu Qixiazhuan《江湖奇侠传》) représente une approche personnelle du roman de wuxia. En plein essor au début du 20ème siècle, le genre a souffert de l’hostilité des intellectuels du mouvement du 4 mai, qui y voyaient le pire de la littérature populaire, aux côtés des romans d’amour du genre « canards mandarins et papillons ».

      

Mais il représentait par ailleurs une « voie du guerrier » (1) sur le modèle des héros des premiers récits de wuxia remontant aux Royaumes combattants, c’est-à-dire un modèle martial permettant de lutter contre la dévalorisation de l’image de la Chine, minée par l’incurie impériale, l’intervention étrangère et les divisions internes. La timide renaissance du genre dans les années 1910 proposait des récits emblématiques de résistance martiale au pouvoir impérial.

 

Jianghu Qixia zhuan (édition 1984)

        

Ayant pourtant lui-même milité dans des organisations révolutionnaires d’opposition à Yuan Shikai, mais passionné d’arts martiaux, Pingjiang Buxiaosheng se dégage de ce modèle historique pour revenir à des récits d’aventures martiales sur fond de lutte entre sectes d’arts martiaux, en développant un monde fantastique de personnages étranges aux forces surhumaines.

     

Jianghu Qixia zhuan (édition 1986)

 

Son originalité, cependant, est de forger un récit qui reflète la situation locale de son Hunan natal, et même très précisément, dans ce premier roman, de Pingjiang et des districts alentour. Les aventures de ses héros ne sont pas abstraites ; ils sont en lutte pour défendre leur terre et leur vie contre les menées de ruffians locaux, dans des conflits villageois qui prennent des dimensions épiques.

      

Même les sectes dont ses personnages sont membres ne sont pas celles que l’on rencontre habituellement dans les récits de wuxia : ce sont les sectes Kunlun et Kongtong (昆仑派与崆峒派). La première a son siège dans les monts Kunlun, dans le Qinghai ; c’est une secte, remontant à la très ancienne dynastie des Zhou, dont l’un des fondateurs mythiques aurait été Laozi, une secte taoïste comme celles de Wudang (武当) et Quanzhen (全真) .

      

Quant à la secte Kongtong, elle est liée au mont du même nom, l’une des montagnes sacrées du taoïsme, dans le Gansu. Selon le roman « L’investiture des dieux » (Fengshen Yanyi封神演义), c’est là que l’empereur Huangdi aurait rencontré le sage Guangchengzi (广成子) qui lui aurait transmis la sagesse nécessaire pour fonder la civilisation chinoise. Or, Guangchengzi aurait été un élève de Yuanshi Tianzun (元始天尊), l’autre fondateur mythique de la secte Kunlun. 

      

Il s’agit donc de deux prestigieuses sectes taoïstes, mais dont la notoriété est surtout basée dans l’ouest de la Chine, dans le Xinjiang, avec une forte image ésotérique (2). Elles forment une toile de fond très colorée au récit qui est lui-même ancré dans la tradition locale de Pingjiang d’où il tire sa force expressive et son caractère très vivant. Les luttes ne sont pas seulement pour la suprématie dans le monde des arts martiaux, mais pour la préservation de son bout de terre, comme au temps des Royaumes combattants…

      

En même temps, le roman développe un univers fantastique de personnages qui volent, font des bonds prodigieux, et possèdent des pouvoirs extraordinaires, émanant en particulier de la paume de leurs mains ; c’est  tout un imaginaire qui va nourrir les premiers films d’arts martiaux, et faire rêver les lecteurs, d’autant plus, justement, que le récit est ancré dans la réalité.

      

Cet aspect fantastique du roman remonte à une tradition romanesque plus ancienne.

 

Dai Jin, L’empereur jaune venant s’enquérir du Dao dans les monts Kongtong

      

Un roman ancré dans la tradition

       

L’histoire de la pacification des démons

par les trois Sui

 

Le Jianghu Qixiazhuan a pour référence implicite le roman de Luo Guanzhong (罗贯中) (3) intitulé  « L’histoire de la pacification des démons par les trois Sui » (《三遂平妖传》). Le texte original, de vingt chapitres, nous est parvenu dans la version élargie à quarante chapitres par Feng Menglong (冯梦龙). Il raconte l’histoire de la rébellion de Wang Ze (王则起义), sous les Song du Nord, rébellion qu’il aurait conduite au moyen de pratiques de sorcellerie.

      

Wang Ze était l’époux de la sorcière Hu Yong’er (胡永儿), née des cendres d’une peinture magique, et il était aidé par deux magiciens, un moine et un devin. Le moine se métamorphose en un subtil stratège, Zhuge Sui (诸葛遂智), pour tenter de mettre fin à ses agissements, grâce à ses pouvoirs surnaturels, et c’est le second Sui, Ma Sui (马遂), qui parvient à le juguler, par la ruse : en lui coupant les lèvres, et l’empêchant ainsi de proférer ses incantations…

      

Dans sa « Brève histoire du roman chinois » (《中国小说史

略》), Lu Xun fait de ce roman l’un des modèles du genre qu’il a appelé « les romans sur divinités et démons » (神魔小说) (4). Le roman de wuxia s’était déjà enrichi en s’inspirant des romans d’enquêtes pendant la période Qing. Pingjiang Buxiaosheng le colore de fantastique, très prisé du lectorat populaire que ciblait le journal auquel était destiné le roman. Mais c’est un fantastique teinté de tradition taoïste qui remonte en fait bien plus loin, aux premiers récits de wuxia des Tang…

      

Le legs du fantastique

      

Plus que la réalité locale qui forme la trame de la narration, c’est cet aspect fantastique, lié à une intrigue mouvementée, qui va influencer l’évolution du genre, en particulier dans ses adaptations cinématographiques.

      

En effet, quand le roman est adapté pour la première fois au cinéma, après sa publication en livre, en 1928, pour donner « L’incendie au monastère du Lotus rouge » (火烧红莲寺》), l’adaptation est axée sur le développement des premiers effets spéciaux dans le cinéma chinois, et c’est le début d’une longue histoire...

      

 

      

Notes

(1) Selon l’expression de Liang Qichao (梁启超). Voir : Brève histoire du wuxia xiaoshuo au 20ème siècle.

(2) On les retrouve, par exemple, dans le troisième volet de la « trilogie du Condor » de Jin Yong (金庸).

(3) Luo Guanzhong (1330-1400) est par ailleurs l’un des auteurs présumés du célèbre roman  « Au Bord de l’eau » (Shuihuzhuan水浒传).

(4) Selon la traduction de Charles Bisotto (Gallimard, 1993).

      

Texte chinois : http://book.kanunu.org/book/4680/index.html

      

    

          

    

   

 

 

     

 

 

 

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