Jin Yucheng : essais et nouvelles
par Brigitte Duzan, 18 août 2022
III. Les nouvelles… et leurs
illustrations
A/ Les nouvelles
Historique
Jin Yucheng (金舒澄)
est rentré à Shanghai en 1977 après huit années passées dans une
ferme du Heilongjiang, dans le nord-est de la Chine. Pendant
toutes ces années, sa seule distraction a été d’écrire des
lettres à ses amis et à sa famille et ce sont ces lettres ainsi
que les souvenirs qui y étaient liés qui lui ont fourni la base
initiale de ses récits quand il a commencé à écrire, alors qu’il
travaillait dans une usine de pièces détachées d’horlogerie à
Shanghai.
Ce sont des nouvelles qu’il
écrit d’abord. Il publie la première en 1985 – à l’âge de 33 ans
- dans la revue Mengya (《萌芽》)
: c’est « La rivière disparue » (《失去的河流》),
qui est aussitôt primée par la revue. C’est dans cette même
revue que Jin Yucheng publie encore trois autres nouvelles
l’année suivante : « L’île » (《方岛》),
« Taches solaires » (《光斑》)
et « Terre étrangère » (《异乡》).
Mengya
avait repris sa publication en 1981 et
s’était affirmée comme l’une des revues littéraires les plus
créatives du moment en Chine. Jin Yucheng lui a rendu hommage
lors de son centième anniversaire, en 2016 :
“《萌芽》发表了我年轻时候的作品。许多杂志改变或消失了,只有《萌芽》始终摸准了年轻人的脉搏,并且一直充当着‘土壤’的角色。”
C’est Mengya qui a publié
mes écrits de jeunesse. Beaucoup de revues avaient alors disparu
ou s’étaient transformées ; seule Mengya continuait à prendre le
pouls des jeunes, et à jouer ainsi un rôle de terreau
nourricier.
C’est grâce à Mengya
qu’il entre en contact avec l’Association des écrivains – il
faut dire qu’à Shanghai, la revue était au deuxième étage du
bâtiment de l’Association, en dessous de « Littérature de
Shanghai ». C’est grâce à Mengya donc qu’il est
sélectionné pour une classe de formation créée à Shanghai par
l’Association, classe où se retrouvent les futurs écrivains de
la nouvelle génération des écrivains de Shanghai. Ainsi,
lorsqu’en 1986 la revue « Littérature de Shanghai » (《上海文学》)
publie un numéro spécial consacré à ces jeunes écrivains, le
numéro comporte une nouvelle inédite de Jin Yucheng : « L’île
dans le vent » (《风中鸟》).
Elle est primée par la revue en 1988, année qui marque un
tournant dans la carrière de l’auteur : il entre à l’Association
des écrivains et à la rédaction de « Littérature de Shanghai ».
Accaparé par son travail, il
écrit moins, mais publie encore quelques nouvelles au début des
années 1990 : en 1990, « Désir » (《欲望》)
dans la revue Shouhuo (《收获》),
suivie de deux autres en 1993, dans la même revue, « La légende
de l’oiseau immortel » ou « Légende du phénix » (《不死鸟的传说》)
et « Perdu dans la nuit » (《迷夜》).
En 1991, il avait publié une nouvelle « moyenne » (中篇小说) :
« « Légers frimas » (《轻寒》) ;
elle est reprise dans un recueil publié en 1994 sous le titre
« Perdu dans la nuit ».
Il cesse ensuite d’écrire des
nouvelles pour se consacrer à son travail de rédacteur tout en
écrivant de temps en temps
des essais
dont un premier recueil sera publié en 2006, sous le titre
« L’époque du battage de cartes » (《洗牌年代》),
essais qui représentent les prémices de l’écriture du roman
Fanhua.
C’est la décennie 1985-1994 qui
est donc la grande période des débuts d’écrivain de Jin Yucheng,
et elle est marquée par l’écriture de nouvelles. Deux recueils
en ont été réédités en août 2018 aux éditions Littérature du
peuple de Shanghai (上海人民出版社),
en même temps que
des essais
sous le titre « Un bol » (《碗》).
Ces nouvelles sont à découvrir, sinon à redécouvrir.
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Les
trois recueils réédités en 2018, de g. à dr. :
Un
bol《碗》,
L’île《方岛》,
Légers frimas
《轻寒》 |
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L’île Fang Dao |
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Les recueils
1. « L’île » Fang dao《方岛》
Ce recueil comprend neuf des
principales nouvelles écrites dans les années 1980-1990, la
dernière une nouvelle moyenne en huit parties :
Métaphores《譬喻》/
Désir《欲望》/
La légende de l’oiseau immortel《不死鸟传说》/
L’île《方岛》/Spécimens《标本》/
L’oiseau dans le vent《风中鸟》/Conte
《童话》/
Voyage de nuit《夜之旅》/Fin
d’hiver – vieilles rancunes《冬末·漫长的宿怨》
Comme la première, « Métaphores » (《譬喻》),
qui ouvre le recueil comme une sorte d’introduction au style
épuré et allusif de l’ensemble, la plupart de ces nouvelles sont
des histoires qui se passent dans des villages du nord-est alors
qu’y sont hébergés des jeunes instruits venus de la ville
pendant la Révolution culturelle. Fondés sur les souvenirs de
l’auteur, ces récits montrent les difficultés rencontrées par
ces jeunes dans un environnement dur et complexe, mais aussi la
vie des villages, dans un grand dénuement matériel qui influe
sur les mentalités et les comportements.
Dès ces premières nouvelles, Jin Yucheng esquisse sa thématique
et son style : il réduit au maximum l’étude psychologique de ses
personnages, en mettant l’accent sur ce qu’ils voient et ce
qu’ils disent. La dernière nouvelle du recueil est
représentative de son style tout en allusions et de son art
narratif qui refuse la linéarité conventionnelle.
Exemple 1
Se présentant comme une nouvelles assez longue, en huit parties,
« Fin
d’hiver – vieilles rancunes »
(《冬末·漫长的宿怨》)
se détache du reste au moins par son sujet : pas de jeunes
instruits ici, le nord-est est évoqué entre les lignes, mais on
est dans un lieu indéfini, loin de tout, et les deux personnages
principaux sont deux jeunes garçons, Xiaoman (小满)
et Aisheng (爱生),
qui n’ont rien à faire et s’ennuient. Le début donne le ton :
那列火车驶离城市后,在洼地附近出了事故。小满和爱生都听说,火车滑下路基,随后就烧着了,像撞在一列货车上,线路被截断,有几班车发不出去,那情景非常可怕。可惜,两个孩子没有看见这个场面,他们认为这是件大事。
小满的叔叔,据说也死于这次事故,走前没通知小满,…
Au sortir de la ville, le train avait eu un accident dans le
marécage tout proche. Xiaoman et Aisheng avaient entendu dire
qu’il avait déraillé et pris feu après, semble-t-il, avoir
percuté un train de marchandises ; la ligne de chemin de fer
avait été coupée et plusieurs trains avaient dû être supprimés.
C’était une scène effrayante. Malheureusement, les enfants
n’avaient pas pu y assister, mais pour eux c’était un événement
de première importance.
D’après ce que l’on disait, l’oncle de Xiaoman y avait sans
doute trouvé la mort ; il était parti sans rien dire à Xiaoman…
L’oncle travaillait dans une
usine qui fabriquait des badges ; il avait raté une opération,
avait pris le badge fautif et s’était enfui en courant de
l’usine qui était proche de la voie ferrée, sans doute avait-il
sauté dans un train qui sortait de la gare encore au ralenti,
disait-on… On croit deviner entre les lignes, sans qu’il n’en
soit rien dit, qu’il s’agissait de l’un de ces badges à
l’effigie de Mao que l’on fabriquait à la chaîne à l’époque ;
l’oncle a dû être terrifié à l’idée d’avoir pu déformer le
visage du grand Timonier, d’où son réflexe immédiat de fuite, en
emportant l’objet du délit.
L’énigme de cette mort va
planer sur le reste du récit, le train devenant une sorte de
train fantôme sur lequel l’auteur nous donnera quelques détails,
mais qui restera toujours noyé dans une aura de mystère.
以后,他们从道岔员那里查到了那列火车的车次,一趟学生的“串联”专列,是去南方的。叔叔扒住车门的铁扶手,嘴里含着银圆大的像章坯件,一定会钻到车厢里去的,学生们会照顾他的,他是工人嘛。这似乎挺好,大家一起开到什么地方去,去到南方的城市里,或者到北京,这是两个孩子想都不敢想的地方。
Par la suite, ils apprirent
d’un aiguilleur le numéro de ce train ; c’était un train qui
transportait des étudiants lors du mouvement de « chuanlian »,
et qui allait vers le sud. S’agrippant à la poignée de métal, le
badge raté de la taille d’une pièce d’argent entre les dents,
l’oncle avait dû réussir à grimper dans un wagon, et les
étudiants avaient dû l’aider, il était ouvrier, non ! C’était
vraiment génial de pouvoir partir ainsi n’importe où, vers
quelque ville du sud, et même peut-être jusqu’à Pékin, autant
d’endroits où les enfants n’osaient même pas rêver d’aller.
De manière typique, tout est
suggéré sans être dit, il faut lire attentivement : d’abord, il
est question du da chuanlian (“大串联”),
ce mouvement de « grand échange d’expérience » lancé par Mao au
début de la Révolution culturelle, en août 1966, qui a permis au
jeunes de tous les coins du pays de prendre le train
gratuitement pour sortir de chez eux et aller où bon leur
semblait. Le récit est ainsi indirectement daté, et se poursuit
ensuite pendant l’hiver (au début de la troisième partie, il est
précisé qu’il a neigé et qu’il fait froid). Par ailleurs, il est
dit que le train allait « vers le sud », ce sud englobant
Pékin : on est donc dans le nord, et vraisemblablement comme
dans les autres récits, dans le nord-est. Mais le vague
entretenu sur les lieux exacts donne au récit une aura
supplémentaire de mystère.
Les épaves des wagons du train,
au milieu du marécage, vont devenir lieu d’exploration pour les
enfants en quête de merveilleux dans leur quotidien. Quant aux
trains à l’arrêt dans la gare pendant la nuit, c’est un autre
lieu où affronter l’inconnu, un monde interlope qui fascine les
enfants mais que l’on devine dangereux. Comme bien souvent chez
Jin Yucheng, la fin est aussi allusive que le reste, symbolique
aussi d’une période sans espoir : les trains sont à l’arrêt ou
en percutent d’autres dans de spectaculaires accidents dont
personne ne sait trop comment ils sont arrivés, combien il y a
eu de morts ni ce qui s’est réellement passé ; les catastrophes
restent enveloppées dans le non-dit.
Exemple 2
Cependant, la plus atroce des
nouvelles du recueil est celle qui lui a donné son titre : « L’île »
(Fang dao《方岛》).
Nous sommes ici pendant la période de la Grande Famine
(1959-1961)
,
dans une ferme du nord-est, mais qui pourrait être aussi bien
ailleurs. Le personnage principal est un vieil homme, Lao Mo (老莫).
C’est le plus âgé de son équipe de travail. Bien qu’ayant juste
dépassé la cinquantaine, le travail harassant et la faim l’ont
vieilli avant l’âge ; il arrive à peine à faucher le blé, mais
une portée de souriceaux découverte par hasard est l’aubaine
inespérée qui lui redonne des forces pour les jours suivants.
Quand il trouve un enfant qui a
été enterré vivant et qu’il le sauve, il ne peut s’empêcher de
fantasmer en voyant les pieds et les mains de l’enfant s’agiter
devant lui. On pense à la nouvelle d’A
Cheng (阿城)
« Fumée
de cuisine » (《炊烟》)
et au cri qui conclut « Le journal d’un fou » (《狂人日记》)
de
Lu Xun :
« Sauvez les enfants ». Ce que montre la nouvelle, c’est que la
catastrophe qu’a été la Grande Famine a montré combien est
fragile la nature humaine quand elle est soumise à la violence
absurde et à la faim, le tout lié à la peur, constante,
viscérale, et que ne subsiste plus que l’instinct fondamental de
survie, qui est celui de l’animal.
Le titre, Fang dao (方岛),
évoque une table carrée (fang
方), couverte de
victuailles comme dans l’illustration qui accompagne le texte.
Cette table est une histoire dans l’histoire : à l’époque de la
moisson, l’équipe commençait à moissonner en partant de l’autre
extrémité du champ, et ceux qui travaillaient le plus vite et
arrivaient les premiers à la table pouvaient manger tout leur
soûl. Il ne restait rien à ceux qui arrivaient en dernier ;
c’était le cas du vieux Lao Mo et c’est pourquoi les souris lui
ont permis de survivre.
Quant à la deuxième partie du
titre, l’île (dao
岛), c’est une référence
à toutes les expériences de survie dans des environnements
coupés de la civilisation, où les lois et règles usuelles n’ont
plus cours : ici, le système carcéral contre le monde
civilisé. Mais, dans les romans, l’île apparaît habituellement
aux Robinson naufragés comme une terre inespérée au milieu de
l’océan ; l’île de Jin Yucheng est un monde où la civilisation a
cédé le pas à la barbarie.
Jin Yucheng rejoint ici les
auteurs qui ont témoigné de leur expérience en camp de « réforme
par le travail » pendant cette période,
Zhang Xianliang (张贤亮)
en particulier. Comme ce dernier, il le fait dans un style
personnel qui donne toute leur valeur à ses récits.
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La
table dans le champ de blé, illustration de la
nouvelle « L’île » (p. 64), avec l’intitulé
explicatif :
队长让人在麦地里搁一张板桌。
把这伙人每日的四两口粮做熟,堆在这板桌上。
人们谁先割近桌子(通常在晌午可以到达),谁可以撑个饱。
Le chef d’équipe faisait installer une table au bout
du champ de blé.
Il faisait cuire tous les jours 200 g. de rations de
céréales qui étaient disposées dessus.
Les premiers faucheurs arrivés à la table (souvent
vers midi) pouvaient s’en mettre plein la panse. |
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2. « Légers frimas »
Qinghan《轻寒》
Il s’agit d’une novella
(中篇小说)
en treize parties, initialement publiée en 1991. Le cadre
géographique n’est plus le nord-est mais une petite ville proche
de Shanghai - on devine la région de Wuxi, avec ses nombreux
canaux et zones lacustres. La période est ici celle de l’avancée
des troupes japonaises au moment de l’invasion de la Chine, mais
sans qu’aucune date précise ne soit indiquée : il est souvent
question de l’été et même, dans la deuxième partie, du 28
juillet - on devine qu’il s’agit de l’été 1937 (avant la chute
de Shanghai en novembre). Ici aussi Jin Yucheng procède par
allusions ; l’imminence de l’arrivée des troupes japonaises est
rendue sensible par des détails égrenés au fil du récit : il est
question d’un bateau de réfugiés, d’une troupe d’opéra de
passage car chassée de chez elle plus au nord, de fusillades
dans le lointain. Et puis, tous ceux qui le peuvent prennent la
fuite, un à un, ou voudraient le faire tant qu’il n’est pas trop
tard… les Japonais ne sont pas loin.
Le récit est flou, ambigu,
fragmentaire. On sent la catastrophe approcher, tout le monde
tente de fuir comme des mouches engluées dans du miel. C’est une
atmosphère de danger latent, de peur informulée, de sentiment
d’insécurité renforcé par la nature même des lieux : un paysage
lacustre noyé dans la brume qui semble rendre impossible une
vision nette des choses, de ce qui se passe. On devine
l’identité des personnages plus qu’on ne la cerne vraiment : un
marchand, son commis, sa fille adoptive, des boutiquiers, un
policier, des nonnes qui continuent de chanter inlassablement
leurs litanies comme si de rien n’était ; c’est tout un petit
peuple qui essaie de continuer à vivre, dans l’incertitude du
lendemain. Leurs faits et gestes sont bien plus brumeux
encore : des gens partent, des femmes disparaissent, le marchand
aussi, un matin, le policier enterre des corps en secret au
milieu des roseaux… La conclusion est aussi floue que le reste.
C’est un texte superbe qui
mériterait sa place dans le courant de
littérature d’avant-garde de la
fin des années 1980
bien qu’il lui soit légèrement postérieur. C’est une écriture
qui, par son caractère flou, ambigu et fragmentaire, est proche,
entre autres, de celle
du Ge
Fei (格非)
des « Nuées d’oiseaux bruns » (《褐色鸟群》)
et de « La barque égarée » (《迷舟》),
avec une utilisation similaire des effets de brume – Ge Fei
étant lui-même natif du Jiangsu.
B/ Les illustrations,
dessins et peintures
On ne peut passer sous silence
les illustrations dont sont émaillés ces recueils de nouvelles,
comme toute l’œuvre de Jin Yucheng. Elles font partie
intrinsèque des textes, en les enrichissant par des commentaires
visuels qui vont au-delà de ce que peuvent exprimer les mots.
Bien que préférant peindre dans
la journée, pour l’effet de la lumière sur les couleurs, Jin
Yucheng ne peut souvent s’y consacrer qu’en fin de journée, en
raison de son travail très prenant de rédacteur en chef de
« Littérature de Shanghai », et c’est souvent dans le calme de
la nuit qu’il peut le faire. À l’inverse de l’écriture qui
nécessite d’avoir pensé et préparé son sujet, le dessin est un
geste impromptu, privilégiant la spontanéité ; il dit commencer
à dessiner sous l’inspiration du moment, ce qu’il appelle « un
sentiment d’improvisation poétique » (“诗歌般的即兴感”)
.
Les dessins étaient à l’origine
destinés à l’illustration des textes, comme Jin Yucheng le
faisait déjà dans ses lettres quand il était dans le nord-est.
Il a commencé pour illustrer Fanhua, en dessinant d’abord
surtout les cartes des endroits évoqués, des cartes intimes
offrant la précision de son imaginaire. Il a complété par le
dessin ce qu’il n’avait pas totalement exprimé dans les quelque
445 pages du roman. Les deux recueils de nouvelles, comme le
reste de son œuvre, sont ainsi illustrés de même de sa main (y
compris la couverture des recueils de l’édition 2018), et les
illustrations sont de plus en plus en couleur. « L’île »
commence ainsi par un autoportrait.
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Jin
Yucheng, autoportrait |
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Ses dessins et peintures sont
aujourd’hui autonomes et, offrant bien plus de liberté, ont
tendance à phagocyter l’écriture. On y perd le pouvoir évocateur
des mots, surtout dans le dialecte de Shanghai, mais on y gagne
le charme d’une image à déchiffrer dans ses infimes détails. Car
si les textes de Jin Yucheng sont parfois assez difficiles à
saisir dans toutes leurs subtilités, l’image est souvent
entièrement à décoder – telle cette scène du début des années
1960 à Shanghai qui évoque l’atmosphère de l’époque : en un
temps où l’achat du moindre bout de tissu nécessitait un coupon,
dans les maisons de l’ancienne Concession, en revanche, les
vieilles cravates moisissaient dans les tiroirs ; comme le
dénuement était total, le moindre balai étant une rareté, les
femmes attachaient les vieilles cravates désormais inutiles pour
en faire des serpillères. Toute la pauvreté matérielle de
l’époque est là, dans un dessin, encore faut-il avoir
l’explication. Griffonné sur la table des matières d’un
catalogue des Éditions des arts et des lettres étrangers (《外国文艺》),
le dessin est laconiquement, ou symboliquement, intitulé
« 1963 ».
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1963 (exposition à Singapour, mars
2019) |
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Ses dessins et peintures
donnent aujourd’hui lieu à des expositions. La dernière, à
Singapour en mars 2019, en regroupait près de 150, créés au
cours des dernières années :
http://www.chouscfoundation.org/zh-hans/events-zh/an-exhibition-of-literature-and-art-by-jin-yucheng-2/
Mais on peut regretter d’y
perdre la référence du texte. Par exemple, dans « L’île », le
dessin illustrant la table dans les blés (commenté ci-dessus)
nécessite le décodage du texte pour comprendre la cruelle
réalité qu’il recouvre, alors que la peinture, revue et tirée de
son contexte, peut être perçue comme une peinture
impressionniste du genre « le déjeuner sur l’herbe ».
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La
table dans le champ de blé, hors contexte |
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L’écriture picturale de Jin
Yucheng s’entend à deux niveaux de lecture, le premier degré
étant bien pauvre en comparaison du deuxième, qui le sous-tend.
Comme dans ses textes, il faut chercher partout le sens caché.
Traduction en anglais
A Nest of Nine Boxes, recueil
de quatre nouvelles, trad.
Yawtsong Lee,
Shanghai Press, 2016, 184 p.
https://www.walmart.com/ip/Contemporary-Writers-from-Shanghai-Nest-of-Nine-Boxes-
Paperback-9781602202542/54488274
1/ The
Specimens
《标本》
Racontée par un
narrateur à la troisième personne, cette nouvelle évoque un
personnage qui était facteur, quand il était à la campagne, et
qui a été arrêté pour avoir ouvert du courrier qui ne lui était
pas destiné. Restée sans
nouvelle, sa femme pensait qu’il était mort….
2/ A Nest of Nine Boxes
Jin Yucheng évoque ici les
maisons de Shanghai promises à démolition. Dans sa nouvelle, une
vieille femme sonde les murs avant que la maison soit livrée aux
bulldozers pour tenter de trouver des objets que son mari y
aurait cachés, comme cela est arrivé parfois. Le bruit d’un mur
qui s’écroule est celui d’un monde qui disparaît avec ses
secrets.
3/ Late Winter--Long-Running
Discontent
《冬末·漫长的宿怨》
Il s’agit de l’histoire de
Xiaoman et Aisheng commentée plus haut.
4/ A Crispness in the Air
《轻寒》
Il s’agit de la nouvelle
moyenne qui a donné son titre au deuxième recueil publié en 2018
(voir ci-dessus « Légers frimas »)
[Traduction qui a le mérite
d’exister, mais qui aurait pu être bien meilleure si le
traducteur, ou l’éditeur, n’avait donné entre parenthèses des
explications qui auraient dû figurer dans des notes en bas de
page]
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