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Chen Ying
沉樱
1907-1988
Présentation
par
Brigitte Duzan, 23 janvier 2019
Chen Ying est l’une des grandes écrivaines chinoises
des années 1930. Elle est l’une de celles dont les
récits illustrent bien qu’il y avait pendant ces
années-là une écriture féminine – voire un féminisme
littéraire - aux côtés de la littérature de gauche.
De la politique à l’écriture
Chen Ying est née en avril 1907 dans une famille
traditionnelle de Weicheng (潍城),
dans le Shandong.
Sa mère était illettrée, mais connaissait des poèmes
et des histoires tirées d’opéras traditionnels ou
des grands romans de la littérature classique
qu’elle récitait et contait à ses enfants. |
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Chen Ying jeune |
Tout en élevant ses enfants dans la morale confucianiste, son
père lui permet d’aller à l’école : en 1920, elle entre à
l’école pour filles n° 1 du Shandong. Elle étudie bien sûr la
littérature chinoise classique, mais un jeune professeur
l’initie aussi à la littérature moderne publiée à Pékin et
Shanghai, ainsi qu’à des traductions d’œuvres modernes de la
littérature russe, japonaise et européenne.
En 1924, la famille déménage à Shanghai. A l’époque, les
universités chinoises ont commencé à ouvrir leurs portes aux
étudiantes. En 1925, Chen Ying entre dans le département de
chinois de l’université de Shanghai (上海大学中文系),
créée par le Parti communiste ; elle participe à des
manifestations politiques en faveur de la paix et de la
démocratie et aide à organiser des partis ouvriers dans
plusieurs entreprises.
Cependant, en 1927, le Guomingdang lance un mouvement de
répression contre les sympathisants communistes et ferme
l’université de Shanghai. Chen Ying passe donc à l’université
Fudan (复旦大学).
Mais il n’est plus question de faire de l’activisme politique ;
elle écrit et joue dans des pièces de théâtre parlé (huaju
话剧).
En effet, le dramaturge Hong Shen (洪深)
est alors professeur à Fudan
et y organise des activités théâtrales. Chen Ying y participe :
elle interprète le rôle principal dans la pièce « La
boutiquière » (《女店主》).
En même temps, elle fait la connaissance du dramaturge Ma
Yanxiang (马彦祥),
qu’elle épouse. Elle divorcera très vite, fin 1930.
Elle écrit surtout beaucoup. En 1930, quand elle obtient son
diplôme, elle est déjà une écrivaine reconnue.
Une série de nouvelles
Après le banquet de mariage |
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De 1929 à 1935, Chen Ying publie une série de cinq
recueils de nouvelles courtes sur le thème du
mariage et de l’amour, mais aussi sur celui des
frustrations et désillusions des femmes, et surtout
des intellectuelles, dans la Chine de l’époque. Elle
publie sa première nouvelle, « Retour à la maison »
(《回家》),
en 1928, sous le pseudonyme de Chen Yin (陈因).
Ce n’est qu’avec la troisième, publiée en août 1929,
qu’elle signe du pseudonyme sous lequel elle sera
ensuite connue : Chen Ying (沉樱).
La nouvelle s’intitule « Désir » (《欲》).
L’une des plus célèbres de celles publiées en 1929
est « L’épouse » (《妻》),
parue dans le Mensuel de la nouvelle (《小说月刊》),
puis dans le recueil « Une jeune fille » (《某少女》).
Le thème - celui de la grossesse non désirée, chez
une |
jeune intellectuelle - n’est pas rare dans les nouvelles des
écrivaines de cette période ; on le retrouve en particulier
dans « Abandonné » (Paoqi
《抛弃》)
de
Xie Bingying (谢冰莹),
publiée en 1932, ou « L’enfant abandonné » (Qi’er《弃儿》)
de
Xiao Hong (萧红),
publiée en 1933. Mais, dans le cas de Chen Ying, le
narrateur est le mari.
C’est la grande originalité de cette nouvelle, qui apporte une
certaine distanciation dans la narration. Le mari raconte
comment sa jeune femme, pleine de rêves de carrière et de
réussite professionnelle, se trouve soudain désorientée quand
elle s’aperçoit qu’elle est enceinte. Ne pouvant se faire à
l’idée qu’elle va devoir abandonner ses plans d’avenir pour
élever un enfant, elle décide d’avorter. L’avortement dure
longtemps, est très douloureux, et, quand elle rentre chez elle,
elle est hantée par le souvenir du bébé, qui était un petit
garçon…
Chen Ying est devenue très populaire, publiant cinq recueils de
nouvelles entre 1929 et 1935. Mais elle a peu écrit après cette
date.
Départ à Taiwan après la guerre
En 1931, en effet, elle a fait la connaissance de
son second mari, Liang Zongdai (梁宗岱),
traducteur et professeur de français à Beida,
l’université de Pékin. A l’automne 1934, celui-ci se
fâche avec le doyen du département de littérature,
Hu Shi (胡适),
et donne sa démission. Sur quoi les deux époux vont
passer un an au Japon. Puis, au début de la guerre,
en 1937, ils suivent le flot des intellectuels qui
se replient vers l’intérieur et vont s’installer à
Chongqing.
A la fin de la guerre, ils reviennent à Shanghai où,
en 1946, Chen Ying devient membre du corps
professoral de l’Ecole expérimentale d’art
dramatique de Shanghai. Mais, en 1948, son frère,
qui était un officier du Guomingdang, la persuade de
partir à Taiwan avec ses enfants. |
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Chen Ying et Liang Zongdai |
Liang Zongdai, Chen Ying et leurs
enfants |
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Là, elle devient professeure de collège et reprend
sa carrière littéraire, comme essayiste et
traductrice, devenant membre de l’Association des
écrivaines de Taiwan. Ses traductions de Somerset
Maugham, Stefan Zweig et Hermann Hesse, ainsi que
d’autres écrivains européens, sont toujours
considérés comme des classiques de la traduction
moderne en chinois. Son grand succès reste sa
traduction de la nouvelle de Stefan Zweig « Lettre
d’une femme inconnue » (《一位陌生女子的来信》)
qui continue à être rééditée en Chine.
Elle prend sa retraite de l’enseignement en 1967 et
lance alors une maison d’édition indépendante pour
publier ses traductions, ainsi que ses essais. Elle
l’appelle « la collection des pissenlits » (“蒲公英丛书”).
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Elle a dit :
“人生的快乐有两个来源:一是创造,一是人与人之间的关系。”
Il y a deux sortes de joies dans la
vie : la création et les relations humaines.
En 1972, elle part vivre aux Etats-Unis, pour être
plus près de ses enfants. Elle y meurt le 14 avril
1988, après être revenue en Chine en 1982 rendre
visite à sa famille et ses amis. Ce fut un long
séjour, pendant lequel elle rencontra ses amis
écrivains, dont
Ba Jin (巴金),
Zhao Qingge (赵清阁),
Zhu Guangqian (朱光潜),
Bian Zhilin (卞之琳),
etc. Au début, elle pensait rester vivre en Chine.
Mais, faute de pouvoir s’y habituer, elle revint aux
Etats-Unis.
A sa mort, son amie la grande femme de lettres et
éditrice taïwanaise
Lin Hai-yin (林海音)
lui a dédié un très beau texte, « En souvenir de la
lointaine Chen Ying » (《念远方的沉樱》),
rappelant leur première rencontre pendant l’été 1956
et brossant trente ans d’amitié
.
Un texte d’où se dégage l’image d’une écrivaine
fidèle à son Shandong natal, et ayant une
philosophie sereine de la vie :
“我不是那种找大快乐的人,因为太难了,我只要寻求一些小的快乐。” |
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Recueil de trois nouvelles, éd. 1987
(Après le banquet de mariage,
Une jeune fille, Femmes) |
Je ne suis pas de ceux qui recherchent de grandes joies dans
la vie, c’est bien trop difficile,
je me contente de petites joies.
Certaines de ses nouvelles, les plus connues, ont été rééditées
en Chine continentale après sa mort, au moment où, entre autres,
Wang
Anyi publiait sa
trilogie « des trois amours ».
Publications
Recueils de nouvelles
1929 Après le banquet de mariage
《喜筵之后》
1929 Au milieu de la nuit
《夜阑》
1929 Une jeune fille
《某少女》
1934 Les femmes
《女性》
1935 Une écrivaine
《一个女作家》
Recueil d’essais sanwen
1972 Les bruits du printemps
《春的声音》(essais
commencés à Chongqing en 1939)
Traduction en anglais
Woman
《妻》,
tr. Amy D. Dooling, in: Writing Women in Modern China, an
Anthology of Women’s Literature from the Early 20th
Century, Columbia University Press, pp. 279-298.
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