Lin Hai-yin est une femme de lettres et éditrice
taïwanaise qui a joué un rôle fondamental dans
l’essor de la littérature taïwanaise après la
seconde guerre mondiale.
Une vie entre Taipei et Pékin
D’une famille originaire de Jiaoling, dans le
Guangdong (广东蕉岭),
son père, Lin Huan-wen (林焕文),
était un enseignant originaire du district de
Miao-li (苗栗县),
à Taiwan, sa mère de la ville de Pan-chiao près de
Taipei.
Vingt-cinq ans à Pékin
Ses parents ont quitté Taiwan pour aller vivre au
Japon, et c’est là, à Osaka, qu’est née Hai-yin, en
mars 1918. Ses parents ne sont revenus à Pékin que
quand elle avait cinq ans. Ils se sont alors
installés dans le quartier dit « sud de la ville » (南城)
où Hai-yin a vécu pendant vingt-cinq ans.
Lin Hai-yin dans les années 1990
Lin Hai-yin et son mari He Fan à
Pékin,
vers 1937
Son père est mort en 1931 ; elle avait treize ans
et, selon ses mémoires, ce fut la fin de son
enfance. Après avoir terminé ses études secondaires
au collège de filles de Chun-ming en 1934, elle
passe le concours d’entrée à l’école de journalisme
de ce qui était alors Beiping (北京新闻专科学校),
et débute comme stagiaire au World Daily (《世界日报》).
Elle est nommée journaliste en 1937, et responsable
des nouvelles concernant les femmes.
En mai 1939, elle épouse Xia Chengying (夏承楹),
nom de plume He Fan (何凡),
d’une vieille famille traditionnelle de gens de
lettres, qui était rédacteur dans le même journal.
Elle suit des cours à l’Université normale de
Beiping (北平师范大学),
travaille un temps à la bibliothèque, mais revient
au journal.
A Taiwan : écrivain et éditrice
Quand les Japonais se retirent de Taiwan en 1945, la
famille restée à Taiwan la presse de rentrer. Elle
part à Taiwan avec son mari en 1948, peu avant la
défaite du Guomingdang. A l’automne, à l’âge de
trente ans, elle met pour la première fois les pieds
sur le sol taïwanais, avec ses trois enfants et sa
mère.
A leur arrivée, son mari est invité à travailler au
Chinese Daily (《國語日報》),
mais elle reste au début sans travail. Elle commence
alors à écrire, et publie ses textes dans le Chinese
Daily, mais aussi le Central Daily (《中央日報》).
En 1949, cependant, elle entre à la rédaction du
Chinese Daily, en charge de l’édition du week-end,
et ce jusqu’en 1955.
Pendant cette période, elle fait la connaissance de
nombreuses femmes écrivains dont elle publie les
textes dans le supplément du week-end du Central
Daily et qui
A Pékin pendant l’hiver 1939
resteront ses amies. Elle-même écrit des articles sur la vie
quotidienne, mais en soulevant des problèmes plus profonds.
En 1953, elle donne naissance à son quatrième enfant, et, un
mois plus tard, prend la tête de la rédaction du supplément
littéraire (“联副”)
du United Daily News (《聯合報》),
où elle va rester dix ans. C’était une période d’intense
créativité dans le domaine littéraire, et, en tant que
rédactrice en chef, Lin Hai-yin a alors joué un rôle de premier
plan dans le développement de la littérature taïwanaise en
publiant les textes de nombreux auteurs et en les faisant ainsi
connaître - auteurs de Chine continentale et surtout de Taiwan.
Elle confie une rubrique à divers auteurs, dont une à He Fan,
intitulée « Sur le bureau de verre » (《玻璃垫上》),
qu’il poursuivra une trentaine d’années, et dont les articles
seront publiés dans ses œuvres complètes : ils forment un
témoignage sur le développement de la société taïwanaise pendant
cette période.
Le passage brutal du japonais au chinois après le départ des
Japonais en 1945 a entraîné une crise dans le domaine littéraire
à Taiwan. Privés de la langue dans laquelle ils s’exprimaient,
les écrivains taïwanais furent pour la plupart réduits au
silence. Et à cela s’ajoutèrent la crise économique et le
terrorisme politique après « l’incident » du 28 février 1947
[1],
la loi martiale étant accompagnée d’une période de « littérature
anti-communiste »
[2].
Dans ce contexte, le travail de Lin Hai-yin à la rédaction du
United Daily News fut une providence pour bien des écrivains. Sa
première initiative en arrivant au journal fut de développer le
contenu littéraire et artistique du supplément dont elle avait
la charge, en confiant une rubrique à divers auteurs. En même
temps, elle ouvrit les colonnes du supplément aux nouvelles de
littérature étrangère, en publiant aussi des extraits d’œuvres.
Plus important encore, elle fut la première à accorder une
attention particulière aux écrivains de souche taïwanaise comme
Chung Li-ho (钟理和)
ou Chung Chao-cheng (鍾肇政),
écrivains qui avaient alors cessé d’écrire en raison de leur
inaptitude à écrire en chinois ; elle les encouragea et fit
découvrir toute une nouvelle génération après eux : Huang
Chun-ming (黄春明),
Lin Huai-min (林怀民),
Cheng Ch’ing-wen (郑清文),
Ch’i Teng-sheng (七等生), etc…
C’est dans le supplément de Lin Hai-yin que furent initialement
publiées des œuvres clés de la littérature taïwanaise moderne,
comme la nouvelle "moyenne" de Wen Hsin (文心)
« Le genévrier millénaire » (《千岁桧》),
ou le roman de Chung Chao-cheng « Une fleur de glace un peu
bête » (《鲁冰花》).
Celui-ci a dit combien la lecture de la nouvelle de Wen Hsi
l’avait étonné et encouragé, comme beaucoup d’autres : des
œuvres comme les leurs pouvaient donc être publiées !
Forte de cette expérience, en 1957, Lin Hai-yin fonde en outre
sa propre revue littéraire avec son mari, Literary Star (《文星杂志》),
dont elle est elle-même rédacteur général pendant quatre ans.
Ils publient une collection intitulée « Introduction à la
littérature taïwanaise » dans laquelle ils présentent onze
auteurs, dont Chung Li-ho.
Dans le contexte politique de l’époque, l’attention et le
soutien apportés à tous ces écrivains leur fut une aide immense.
Mais ce n’était pas sans risque. La censure s’exerçait sur
l’édition, la presse et les écrivains. En avril 1963, Lin
Hai-yin boucle un jour la mise en page du supplément du United
Daily News avec un poème commençant par le vers « Il était une
fois un capitaine de vaisseau ignorant… » qui fut considéré
comme une allégorie du président Chiang Kai-chek. L’auteur fut
condamné à trois ans de prison, et elle-même forcée de
démissionner du poste de rédacteur en chef du supplément.
Elle repart alors sur un autre projet d’édition. En janvier 1967
est lancé avec son mari et un groupe d’amis le Mensuel de la
littérature pure (《纯文学月刊》),
et l’année suivante la Maison d’édition de la littérature pure (纯文学出版社).
Elle y publie des œuvres d’auteurs taïwanais modernes, mais
aussi des années 1930, ainsi que des œuvres étrangères. D’une
qualité exigeante, le Mensuel n’eut jamais une diffusion
importante, et il s’avéra difficile à financer. Li Hai-yin dut
en arrêter la publication en 1972, au bout de cinq ans et deux
mois, après 62 numéros. La maison d’édition, elle, continua
jusqu’en 1995. Comme l’a dit sa fille, elle-même écrivain :
« Ecrire était sa passion, le journal son travail, et l’édition
son idéal. »
Ecrire, sa passion
Mémoires du vieux Pékin
De sa période de création littéraire, une vingtaine
d’années à partir de 1948, elle a laissé une œuvre
abondante, quatre romans, des recueils de nouvelles,
des pièces pour la radio, des livres pour enfants.
C’est son recueil de souvenirs d’enfance du sud de
Pékin qui a établi sa renommée et reste le plus
connu : « Souvenirs de la vieille ville du sud » (《城南舊事》/
《城南旧事》),
publié en 1960, et adapté au cinéma en 1982 sous le
titre « My Memories of Old Beijing».
C’est une évocation de la ville de Pékin, et plus
précisément du sud de Pékin, du point de vue de
l’enfant qu’était Lin Haiyin, des lendemains de son
arrivée dans la capitale chinoise, vers six ans,
jusqu’à l’âge de treize ans, c’est-à-dire la mort de
son père. Ecrit dans une langue très vivante, ce
sont des souvenirs spontanés, qu’elle a notés au fil
de la plume tels qu’ils lui venaient à l’esprit. On
sent un travail
cathartique, une sorte de libération d’une
obsession.
Le texte est en cinq parties : L’hôtel Hui’an
(惠安館),
Allons voir la mer (我们看海去),
Tante Lan (兰姨娘),
"Rouleaux d’ânes" (驴打滚儿)
[3],
Les fleurs de papa jonchent le sol (爸爸的花儿落了).
Et chacune comporte des souvenirs émouvants de
détails de la vie courante, et surtout de
personnages, comme la petite fille abandonnée dont
la mère n’était autre qu’une femme que l’on disait
folle, folle du chagrin d’avoir dû abandonner son
bébé….
Mémoires du vieux Pékin, livre
illustré
(2ème partie : allons voir la mer)
Histoires de mariages
Lin Hai-yin a par ailleurs publié trois romans :
« Les nuages de l’aube » (《晓云》),
« Vent printanier » (《春风》)
et « Le voyage de Mengzhu » (《孟珠的旅程》).
Ce sont des histoires de conflit entre amour et
mariage, de femmes de différentes générations ;
elles se terminent de la même manière, la femme
amoureuse renonçant à son amour illicite et partant
pour un long voyage. Mais Lin Hai-yin a également
écrit de nombreuses nouvelles, dont beaucoup
dépeignent des tragédies de femmes mariées et qui
sont regroupées dans trois recueils : « Algues
vertes et œufs salés » (《绿藻与咸蛋》),
« Histoires de mariages » (《婚姻的故事》)
et « La chandelle » (《烛芯》).
Cette dernière nouvelle, par exemple, raconte
l’histoire d’une femme qui n’acceptait pas que son
mari ait une concubine et qui finit paralysée.
Lin Hai-yin est considérée aujourd’hui autant pour
son rôle d’éditeur que pour son œuvre d’écrivain qui
lui a valu de nombreux prix pour l’ensemble de sa
carrière. Peu avant sa mort encore, en 2000, elle a
reçu la Médaille d’honneur des arts et de la
littérature décernée par l’Association des
écrivains. L’ensemble de son œuvre a été publiée en
douze volumes en mai 2000, avec en outre une version
audiovisuelle de ses mémoires.
Retour à Pékin en mai 1990
Lin Hai-yin avec Bing Xin âgée, à la
fin des années 1990
En 1990, elle est revenue pour un court voyage de
quatre jours à Pékin, avec un visa de tourisme.
C’est la première fois qu’elle y revenait depuis
1949. Elle réussit à rassembler tous les gens
qu’elle avait connus, à revisiter les lieux de son
enfance, dont le vieux hutong du « sud de la ville »
où était sa maison. Elle est ensuite devenue un
maillon important des échanges culturels entre les
« deux rives ». En 1997 et en 2000, le musée de la
littérature de Pékin a organisé un colloque sur son
œuvre (“林海音作品研讨会”)
Elle est décédée le 1er décembre 2001.
Au cinéma
Adaptation
1982 “My
Memories of Old Beijing” adapté
par Wu Yigong (吴贻弓),
prix du meilleur réalisateur au 3ème festival du Coq d’or.
My
Memories of Old Beijing
Documentaire
Une vie entre deux villes, documentaire de Yang Li-chou, 2011
Extrait (l’interview du fils de Lin Hai-yin, Xia Zuchao
夏祖焯) :
Traduction en français
La Tunique de Carpe d’or, nouvelle traduite par André Nougé, in
: Anthologie de la littérature chinoise contemporaine (Taiwan
1949-1974), ed. Chi Pang-yuan et al., vol. 2 (Nouvelles),
Institut national de traduction, Taipei 1989.
Traductions en anglais
- "Buried
with the Dead." tr. Jane Parish Yang. The Chinese Pen (Winter,
1980): 33-61.
- "Candle" In Nieh Hua-ling, ed. and trans., Eight Stories By
Chinese Women. Taipei: Heritage Press, 1962, 53-68. Also in Ann
C. Carver and Sung-sheng Yvonne Chang, eds., Bamboo Shoots After
the Rain: Contemporary Stories by Women Writers of Taiwan. NY:
The Feminist Press, 1990, 17-25.
- "The Desk" tr. Nancy Zi Chiang. The Chinese Pen (Winter,
1972): 13-19.
- "Donkey Rolls" tr. David Steelman. The Chinese Pen, (Autumn,
1979): 18-39.
- "Gold Carp's Pleated Skirt" tr. Hsiao Lien-ren. In Chi Pang-yuan
et al. eds., An Anthology of Contemporary Chinese Literature.
Taipei: National Institute for Compilation and Translation,
1975, II, 9-23.
- "Green Seaweed and Salted Eggs" tr. Nancy C. Ing. Taipei: The
Heritage Press, 1963.
- "Let Us Go and See the Sea" tr. Nancy Chang Ing. The Chinese
Pen, (Spring, 1973): 32-66. Republished in Chinese Women
Writers' Association, eds., The Muse of China: A Collection of
Prose and Short Stories. Taipei: Chinese Women Writers'
Association, 1974, 61-94. Also in “Green Seaweed and Salted
Eggs”.
- "Lunar New Year's Feast" tr. Hsin-sheng C. Kao. In Joseph S.M.
Lau, ed., The Unbroken Chain: An Anthology of Taiwan Fiction
Since 1926. Bloomington: IUP, 1983, 68-73.
- "My Memories of Old Beijing" tr. Nancy Ing and Chi Pang-yuan.
HK: Chinese University Press, 1992. Excerpted as "Memories of
Old Peking: Huian Court" tr. Cathy Poon. Renditions, 27-28
(1987): 19-48.
Bibliographie
Dictionnaire biographique des femmes chinoises, 1912-2000 -
中國婦女傳記詞典 :
The Twentieth Century, 1912-2000, by Lily Xiao Hong Lee et
A.D.Stefanowska, M.E. Sharpe 2003, pp.335-338
[1]
L’incident du 28.2.1947 (二二八事件)
désigne le massacre de milliers de victimes à la suite
d’une tentative de révolte anti-gouvernementale née des
tensions croissantes résultant de l’arbitraire et de la
corruption du gouvernement. C’est le début de la
« terreur blanche » au cours de laquelle des milliers de
gens disparurent, exécutés ou emprisonnés.
[2]
La loi martiale a été décrétée le 19 mai 1949, assouplie
après la mort de Chiang kai-chek en 1975, mais levée
seulement le 14 juillet 1987.
[3]
Autre souvenir très vivant, ces
friandises du vieux Pékin : des rouleaux au riz
glutineux fourrés de pâte de haricots rouges. Ils
étaient donc blancs et rouges, mais roulés dans de la
farine de soja jaune. Donc l’extérieur rappelait la
couleur d’un âne couvert de poussière de terre jaune,
d’où leur nom.