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Club de lecture « Voix au chapitre-Morbihan »

Compte rendu de la séance du 28 mars 2019

par Brigitte Duzan, 7 avril 2019

 

Séance consacrée aux deux livres programmés :

Un Paradis, de Sheng Keyi, et Funérailles molles, de Fang Fang

En présence de la traductrice Brigitte Duzan

 

La séance du club de lecture s’est déroulée à la suite de la présentation des deux livres et de leurs auteures, brièvement replacés dans leur contexte, historique et littéraire, par Brigitte Duzan à la librairie Le silence de la mer, dans le centre historique de Vannes.

 

Lors du tour de table initial, les avis des membres du groupe ont fait apparaître des réactions très différentes à la lecture de ces deux

 

Vannes, présentation des livres à la libraire Le Silence de la mer

livres, soulignant ainsi leur différence. Ces avis ont été notés et transcrits sur le site du club ; on peut les consulter en ligne :

http://www.voixauchapitre.com/archives/2018/chine_fang_fang_sheng_keyi.htm

 

Séance du club de lecture VAC-Morbihan
consacrée à Un Paradis et Funérailles molles

 

Il est intéressant de faire une synthèse des grandes lignes qui s’en dégagent avant de rebondir sur les commentaires faits en séance par la traductrice et ses réponses données aux questions posées.

Ce qui frappe dès l’abord, c’est l’adhésion quasiment unanime (à une exception près) que le livre de Fang Fang a suscitée, tandis que celui de Sheng Keyi a éveillé davantage de réserves, tout en déclenchant un net enthousiasme chez plusieurs lecteurs.

 

A/ « Un Paradis » de Sheng Keyi

 

1.       Avis des lecteurs

 

- Avis positifs

 

Le livre - considéré comme plus grave qu’il n’y paraît, et plutôt enfer que paradis - est bâti sur une opposition entre deux groupes de personnages : les femmes d’un côté, les dirigeants de l’autre. Les premières sont caractérisées à la fois par leur opportunisme, leur courage et leur solidarité (elles « font corps »). Les seconds, et surtout le président Niu, sont des caricatures aux discours pleins de lieux communs et « d‘autosatisfaction ampoulée ». Face à au caractère effrayant de l’autorité, l’intelligence est du côté des femmes, en particulier celles qui ont étudié, suscitant méfiance et crainte du président ; finalement la victoire leur appartient.

 

Outre cette opposition fondamentale entre femmes victimes (et rebelles) / hommes ignobles, dans le clan desquels figure aussi une femme, le récit est par ailleurs bâti sur une série d’autres oppositions :

o    monde brutal (autoritaire)  / monde tendre et sensuel (des femmes-fruits)

o    illégalité / règlement

o    ombre / lumière et monde clos / ouverture sur le rêve et la nature…

 

Un Paradis ou Fudi : publication discrète en Chine, dans un recueil de nouvelles de l’auteure (2016)

 

De manière générale est soulignée l’originalité du récit, qui tient au regard distancié et poétique de la jeune Wenshui, avec sa perception imagée, drôle et sensuelle à la fois de la réalité en interférence constante avec le passé, à travers les souvenirs de son enfance. Si le thème est terrifiant, le ton est ainsi tendre et le livre touchant.

 

Ce regard candide opère constamment un glissement subtil de la réalité aux souvenirs d’enfance nimbés de tendresse, avec un retour vers la nature originelle. Cette ouverture sur une poésie de l’enfance est soulignée par les aquarelles, unanimement appréciées.

 

Au-delà du monde chinois, souligne une lectrice, en évoquant « en creux » un système où des femmes pauvres « fabriquent » des bébés pour des femmes riches, le livre renvoie aux inégalités du monde d’aujourd’hui, monde cynique et déshumanisé qui est aussi bien celui de l’Inde, de l’Afrique ou de l’Amérique.

 

- Réserves

 

Si, pour certains des membres du groupe, la lecture fait passer de l’appréhension à l’étonnement puis au délice (de savourer l’horreur en contenant le dégoût instinctif), le thème du livre et son traitement ont cependant rebuté nombre de lecteurs ; les personnages apparaissent peu sympathiques, ou pas assez fouillés : ils ne permettent pas de s’identifier à eux. Le récit pèche aussi, pour certains, par un excès de grotesque. La cruauté du récit (mort du petit chien, accrochage de sa peau sur le mur, scène de la fausse couche) suscite un sentiment de rejet, ou tout au moins empêche le plaisir de la lecture.

 

Dans l’ensemble, pour ces lecteurs rétifs, le récit manque de progression, d’intensité, de charge émotionnelle. Une fois les personnages présentés et bien campés, une certaine lassitude s’installe au fur et à mesure de la lecture.

 

- Analogies littéraires :

o    « Confiteor » de Jaume Cabré, lu précédemment dans le groupe, pour l’écriture mêlant subtilement présent et passé.

o    « Le Poisson-scorpion » de Nicolas Bouvier, pour les références aux cafards (« vu une blatte courir sur le col défraîchi du docteur, palper l’air de ses antennes comme pour me demander conseil… »).

 

-  La note aux lecteurs en introduction à la traduction a été appréciée : elle permet de situer les personnages dès le départ, en expliquant les noms.
 

2.       Commentaires de la traductrice

 

 - Satire du régime en forme de fable

 

Dans son « Paradis », Sheng Keyi nous livre une satire féroce du régime chinois, entre autoritarisme, démagogie et affairisme sans scrupules. Le choix formel d’une sorte de fable cruelle entraîne des conséquences pour les personnages : ils sont un peu caricaturaux, jusqu’à l’excès, comme des personnages de pantomime, ou de théâtre d’ombres. Le découpage en courts chapitres, facilitant la lecture, va également dans ce sens.

 

Paradis, une illustration

 

Mais c’est une satire féministe, une pseudo fable où l’auteure exprime son ressentiment envers le traitement millénaire réservé aux femmes dans la société chinoise, sous quelque régime que ce soit ; ce qu’elle conteste violemment, c’est l’asservissement du corps des femmes et leur assujettissement à la politique décrétée par le pouvoir. La « moitié du ciel » n’est qu’un leurre purement démagogique ; les femmes doivent se plier à la volonté énoncée, travailler, se faire avorter ou enfanter selon les besoins du pays.

 

L’auteure décoche au passage une flèche contre la méfiance maladive de Mao envers les intellectuels, qu’il a pourchassés et persécutés sans relâche : ce sont les femmes un tantinet éduquées, parmi les mères porteuses, qui mènent la rébellion contre le système quasi carcéral de la clinique et ces « intellectuelles aux pieds nus » font peur au président qui recule et cède devant leur détermination subversive à assouplir le règlement.

 

- Personnage central de Wenshui

 

Ce thème féministe est dominant dans les romans de Sheng Keyi, et souvent énoncé sous forme de métaphores ou d’allégories. Dans « Un Paradis », le récit est plus subtil, fondé, comme noté par les membres du groupe, sur des oppositions qui laissent la part belle à des personnages féminins sensibles et sensuels, dont la solidarité s’affirme contre les diktats des autorités, et surtout à un personnage central d’où émane une poésie inédite.

 

Comme souligné dans les avis, le personnage de Wenshui est effectivement fondamental dans le récit de Sheng Keyi, par son caractère d’enfant attardé, incapable de vivre de plain-pied dans la réalité, toujours en marge du présent, dans un passé de poésie qui prend des allures de conte fantastique parfois, mais toujours avec la présence tendre et rassurante de la mère.

 

Ces personnages d’enfants un peu attardés, un peu déphasés, se retrouvent dans les nouvelles de l’auteure [1], moins connues que ses romans car moins traduites, mais qui mériteraient de l’être plus : ses romans sont l’expression véhémente de son engagement pour la cause féminine, les nouvelles sont beaucoup plus sensibles et poétiques, avec une dimension autobiographique prononcée.

 

- Poésie illustrée dans les aquarelles

 

Le charme subtil de ces nouvelles d’où émane toute la poésie d’un regard d’enfant posé sur le monde se retrouve dans les aquarelles de l’auteure nées de la même source d’inspiration : le passé rural, dans des paysages lacustres qui ont presque des aspects de nature originelle, et une charge affective au-delà de la misère qui était le lot quotidien. Sheng Keyi peint une petite fille sous un saule pleureur comme un point rouge en forme de leitmotiv, accompagnée de son petit chien comme celui de « Paradis ».

 

- Réponse à une question

Cette question concernait le sens à donner à la répartie de l’une des femmes, la dénommée Poire des neiges, lors de son altercation avec sa consœur Grenade qui se moque d’elle parce qu’elle bredouille et cherche ses mots : « Je parle chinois, non ? » (chapitre 2, p. 13)

Il s’agit d’une satire ironique de ces femmes qui viennent de régions différentes, et parlent leur dialecte d’origine, un sabir local qui n’a rien à voir avec le mandarin (ou putonghua) standard, celui enseigné à l’école. Ces dialectes sont toujours très vivants en Chine, surtout dans les villages ; à la campagne, la plupart des enfants, en fait, sont littéralement bilingues, et même parfois plus dans le sud, où deux villages proches peuvent avoir des dialectes différents, et souvent mutuellement incompréhensibles.

 

B/ « Funérailles molles » de Fang Fang

 

1.       Avis des lecteurs

 

 

Fang Fang et « Funérailles molles » ou Ruan mai (publication en Chine, 2016)

 

 

Le livre a emporté l’adhésion de la totalité des membres du groupe, à une exception près. Le mot chef-d’œuvre a même été prononcé. A été particulièrement apprécié le mélange d’émotions (liées au destin de Ding Zitao) et de données historiques (histoire des débuts de la République populaire).

 

Le début donnant le pressentiment d’un drame à venir, le récit se déroule ensuite comme un puzzle dont les éléments sont à rassembler avant de pouvoir le reconstruire. L’intérêt pour le destin des familles plongées dans la tourmente de la Réforme agraire va grandissant au cours de la lecture. Une lectrice a parlé d’« épopée sauvage » s’achevant dans l’apaisement.  

 

La construction narrative est généralement considérée comme l’élément le plus étonnant – et séduisant –  du roman : elle forme un double mouvement faisant alterner d’une part une remontée dans le temps, à travers dix-huit niveaux successifs de conscience [2] (mémoire de Ding Zitao), et d’autre part une plongée dans l’autre sens, en quête du passé (recherches de son fils Qinglin).

 

Ses recherches sont motivées par le désir impérieux de savoir ce qui est arrivé dans le passé à ses parents, et surtout à sa mère, mais il les laisse finalement laissées inabouties par peur de souffrir, de bouleverser sa vie. Le thème principal du roman est donc une réflexion sur la mémoire et l’oubli, et sur le caractère insaisissable de la vérité, et de la vérité historique en particulier. C’est un thème universel qui donne beaucoup de profondeur au roman, au-delà de son cadre historique propre.

 

Les seules et rares réserves exprimées concernent quelques longueurs narratives, surtout celles liées au personnage de Liu Jingyuan et à sa propension à raconter ses campagnes.

 

2.       Commentaires de la traductrice

 

o    « Funérailles molles » est effectivement un roman hors normes dans la littérature chinoise contemporaine chinoise :

 

- d’une part en raison des événements historiques qui forment la trame du récit : la Réforme agraire, l’une des premières lois promulguées par le régime communiste, avec la Loi sur le mariage, au tout début des années 1950. Cette Réforme, qui a donné la terre aux paysans en les « libérant » selon la terminologie officielle, est l’un des fondements essentiels du régime. Elle a donné lieu à des épisodes sanglants de règlements de compte et à l’élimination de familles entières de propriétaires terriens. Mais il est interdit d’en parler autrement que dans les termes officiels qui ont été fixés une fois pour toutes, et qui classent arbitrairement paysans et propriétaires de façon manichéenne en bons et mauvais éléments, révolutionnaires d’un côté, contre-révolutionnaires de l’autre.

 

La réforme agraire n’a pas duré longtemps, mais elle a eu un impact déterminant sur l’évolution de la société chinoise. Cela a changé le destin d’un nombre considérable de Chinois, quel que soit leur statut, paysans, propriétaires fonciers, notables de village, intellectuels ….  Tout le monde en a subi des conséquences dévastatrices. Mais, pour protéger les générations suivantes, beaucoup sont ceux qui ont préféré oublier, et ne rien raconter des événements terribles et des malheurs subis.

 

- d’autre part, roman hors normes en raison de la double construction narrative adoptée, amplement soulignée dans les avis exprimés, et d’autant plus frappante qu’elle est assortie d’un style différent : réaliste d’un côté (recherches sur le terrain), plus onirique de l’autre (remontée dans le temps de Ding Zitao).

 

Les caractères ruan mai

sur la couverture française

 

Il est rare de trouver le thème de la mémoire historique traité de cette manière dans la littérature chinoise [3], et tout particulièrement celui de la mémoire des événements traumatiques dont l’histoire chinoise récente est riche. On pense généralement que ces événements sont occultés par le pouvoir, et considérés comme tabous. La réflexion ouverte par Fang Fang va donc au-delà des idées reçues, en interrogeant la finalité de la mémoire, voire sa possibilité même, en fonction des souffrances qui lui sont liées – réflexion, en même temps, d’ordre personnel et individuel, et non plus collectif.

 

La réception du roman en Chine rend bien compte de sa qualité et de l’importance qui lui est reconnue : prix Lu Yao et très bonnes critiques, mais aussi témoignages de lecteurs, publiés sur des forums internet ou envoyés à

Fang Fang, pour témoigner de l’intérêt pour cette réflexion sur l’histoire et sa mémoire.

  

« Funérailles molles » apparaît bien comme un roman exceptionnel dans la littérature chinoise contemporaine tant par les thèmes traités que ses qualités proprement littéraires. On en était resté en France aux quelques nouvelles néo-réalistes de la fin des années 1980 et du début des années 1990 traduites en français [4] ; depuis lors, Fang Fang a fait des recherches sur l’histoire de sa ville et de sa région, et a écrit des romans sur ce sujet. « Funérailles molles » est une nouvelle ouverture dans ce domaine, née d’une histoire vraie, celle de la mère d’un ami qui faisait des cauchemars incompréhensibles…  

 

o    Le roman évoque des mythes grecs, ce qui témoigne bien de l’universalité de ses thèmes

 

Le premier mythe auquel il renvoie est celui d’Antigone comme certains l’ont également remarqué dans le club de lecture « A la page » de Narbonne [5].

 

Mais « Funérailles molles » évoque aussi le mythe de Léthé, le fleuve de l’Oubli de la mythologie grecque. Les âmes qui avaient expié leurs péchés au royaume d’Hadès se voyaient gratifiées de la faveur de revenir sur terre habiter une autre enveloppe charnelle ; mais, avant de sortir de l’Enfer, elles devaient perdre le souvenir de leur vie antérieure, et pour cela boire des eaux du Léthé qui leur faisait tout oublier.

 

La rivière de « Funérailles molles », en ce sens, ressemble fort au Léthé. Qui plus est, la vérité, en grec, se dit aletheia, c’est-à-dire littéralement absence d’oubli. Léthé nous amène donc au thème de réflexion de Fang Fang : la réflexion sur la vérité historique et sa mémoire.

 

3.       Réponses de la traductrice aux questions posées

 

Outre le sujet de la Réforme agraire, le roman a suscité diverses questions sur des points liés à la culture et à l’histoire chinoises, paraissant obscurs ou tenant simplement de la curiosité.

 

- Le sens du titre :

Il est expliqué dans le roman, étant un terme dialectal local, aussi obscur pour un Chinois moyen que pour un Français. Ruan signifie « mou » et mai « enterrer ». « Enterrer mou » se réfère à une pratique qui consiste à enterrer un mort sans cercueil ni linceul, à même la terre. Une superstition locale veut que le défunt ne puisse plus alors se réincarner ; certains pourraient donc y recourir pour éviter qu’un mort ne revienne se venger…

 

Mais ce titre est à prendre aussi au sens figuré : il désigne également le passé enseveli, qu’il ait été oublié involontairement, ou que le souvenir en ait été offusqué, voire refusé consciemment, et enseveli dans un coin inaccessible de la mémoire.

 

- Les bandits :

Des bandits, autrement dit des éléments insoumis, causeurs de troubles, voire de rébellions, il y en a toujours eu en Chine, et ce au moins depuis l’époque dite des Royaumes combattants, quelques siècles avant l’ère chrétienne, avant l’unification par le Premier Empereur. Lorsqu’un des Etats en lutte pour l’hégémonie était éliminé par un rival plus puissant, il laissait une armée en déroute, dont les soldats devenaient des spadassins errants, avec leur épée pour tout moyen de subsistance. Ce phénomène s’est reproduit lors de toutes les périodes de troubles qui émaillent l’histoire de l’empire chinois.

 

A la fin des années 1940, dans une Chine exsangue en proie à la guerre civile entre Nationalistes et Communistes, les bandits se sont à nouveau multipliés, et les Nationalistes se sont alliés à eux pour lutter contre leur ennemi juré. Quand ils se sont repliés à Taiwan et que les Communistes ont pris le pouvoir, ceux-ci ont mené des opérations d’envergure pour éliminer les groupuscules de bandits bien implantés dans certaines provinces, et en particulier au Sichuan.

 

En février 1950, l’éradication des bandits est devenue une priorité du nouveau régime communiste, et d‘abord dans le sud-ouest où le banditisme était le plus virulent. Dès la fin de l’année 1950, d’importantes bandes étaient annihilées dans toute la région. L’armée est alors passée à la poursuite des bandits réfugiés dans les zones plus reculées.  A la fin de 1953, l’opération a été déclarée terminée avec succès dans tout le sud-ouest, y compris le Sichuan. Les conflits entre bandits et anciens soldats nationalistes ont contribué au succès de la campagne, mais également l’aide de certains propriétaires fonciers, comme le raconte Fang Fang dans son roman.

 

- Les maisons :

L’une des forces du roman est de s’appuyer sur une recherche approfondie sur l’architecture des maisons des propriétaires terriens et la culture qui leur était liée. Fang Fang décrit très précisément les fameuses tours de défense qui les caractérisaient, semblables au tours fortifiées ou diaolou (碉楼) du sud de la Chine, dans la région de Kaiping. Dans le Sichuan, on connaît des tours de ce genre, appelées qiáolóu (谯楼), dans l’ouest de la province. Mais ce sont des tours de village, non des tours de défense de vastes maisons seigneuriales isolées, comme les décrit Fang Fang. Les tours étaient bien sûr liées au banditisme, les maisons ainsi protégées constituant de véritables oasis de culture lettrée dans les endroits les plus reculés. Il en reste peu aujourd’hui, car elles ont été abandonnées ou occupées par les paysans sans être entretenues.

 

- Les sentences parallèles :

Dans le contexte où apparaît l’expression dans le roman, il s’agit de sentences propitiatoires rédigées au moment de la fête du Printemps et composées du même nombre de caractères se répondant dans une formulation symétrique. Calligraphiées à l’encre noire (ou parfois dorée) sur des bandes de tissu ou papier rouge, elles sont affichées ou collées des deux côtés des portes des maisons, ainsi qu’à l’entrée ou à l’intérieur des temples, et le plus souvent accompagnées d’une sentence supplémentaire, horizontale, au-dessus de la porte. A l’origine, il s’agissait de branches de pêcher accrochées pour porter bonheur.

 

- Les noms :

Chaque personne, en Chine, a un patronyme xing qui définit son appartenance familiale, et un prénom ou nom personnel ming(zi), aujourd’hui très souvent en deux caractères, généralement donné par son père. Autrefois, sous l’empire, les lettrés utilisaient également un nom dit de courtoisie zi dans leurs relations familiales ainsi qu’avec leurs proches

 

Sentences parallèles

(photo Brume de Chine)

amis. Les noms personnels sont choisis en fonction des qualités que le père souhaite pour l’enfant, avec des spécificités masculines ou féminines, et parfois des séries fondées sur des caractères ayant des éléments communs. A la campagne, le nom personnel peut être comme un sobriquet reflétant la vie rurale.

 

- Les âmes :

Elles sont au nombre de dix, et de deux sortes : trois âmes hun et sept âmes po, les premières étant les âmes célestes, les secondes les âmes terrestres.

Voir les explications : Âmes hun et âmes po

 

- Exemple de difficulté de traduction

L’expression : « c’est moins bien qu’avoir la pêche, mais bien mieux qu’être dans la dèche. »

                                                                                                (chap. VI.33,  p. 179)

 

 

Dessin caricatural sur l’expression bi shang bu zu, bi xia you yu

 

 

C’est une manière de relativiser, « une manière de voir les choses », comme le répond le vieux Ma à Liu Jinyuan qui tente de le consoler des malheurs qu’il a subis, en lui faisant remarquer que lui au moins est encore vivant.

 

Essayons d’expliquer caractère par caractère.

 

-    En chinois : [这样想想,倒也是呀。] 比上不足,比下有余                                 

bi shang bu zu, bi xia you yu

 

Phrase caractéristique de quatre fois quatre caractères, les deux derniers groupes de quatre rimant entre eux (不足 buzu = être insuffisant 有余 youyu = avoir en abondance) et formant une double locution adverbiale.

 

Cette double expression est fondée sur l’opposition shang sur, au-dessus / xia sous, en-dessous ; le premier caractère bi marquant la comparaison (comparé à).

-    Traduction littérale : « [Effectivement, on peut le voir comme ça ]: c’est moins que (ça ne vaut pas) ce qui est au-dessus, mais c’est bien plus que ce qui est en-dessous ». (donc ce n’est pas si mal).

 

C’est là un exemple de la difficulté qu’il y a à rendre en français une langue dont la beauté est fondée sur son extrême concision, et le parallélisme des termes. Il s’agit d’une expression populaire de type adverbial, à la limite de l’expression poétique, un peu comme dans une comptine. La traduction cherche donc à rendre ce double caractère, avec rime interne.

 


 


[1] Par exemple le petit garçon du « Sieur de l’encens », passionné de cérémonies funéraires et de la veille des morts, dont on ne sait trop s’il est pervers ou idiot, ou la petite fille de la nouvelle « Le Dit du pêcheur », enfant elle aussi en décalage avec la réalité qui se rêve un père idéal.

La traduction en français a initialement été publiée sous le titre Paroles de pêcheur dans le magazine Books, en décembre 2013. Texte en ligne sur :

http://www.voixauchapitre.com/archives/2018/sheng_keyi_parole_pecheur.pdf

[2] Un peu comme dans l’Enfer de Dante, est-il souligné, enfer qui n’en compte que neuf ; mais, le huitième étant subdivisé en dix « fosses », cela donne un total de dix-huit.

[3] Ce qui est amplement traité, c’est la mémoire personnelle de type autobiographique et nostalgique.

[4] Fang Fang est justement l’auteure qui, à la fin des années 1980, a lancé le mouvement dit néo-réaliste qui a supplanté le mouvement avant-gardiste.

[5] Voir la deuxième partie du compte rendu de la séance du club de lecture de Narbonne consacrée aux deux mêmes livres.


 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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