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Ventes record pour le premier numéro du magazine de Han Han

par Brigitte Duzan, 22 août 2010

            

Après des mois de discussions avec les autorités de censure, et une gestation de quelque dix huit mois, la revue de Han Han (韩寒) est enfin sortie le 6 juillet dernier et les ventes, dopées par l’attente et la notoriété du bloggeur le plus populaire en Chine à l’heure actuelle, ont battu des records : une première impression de 500 000 exemplaires a été épuisée en quatre jours, et il a fallu en réimprimer 200 000 exemplaires supplémentaires.

             

Dix jours plus tard, le China Daily parlait de « sweet smell of success » ; mais, si ce lancement est, effectivement, un succès, cela reste une entrée en matière, et les lendemains ne sont pas assurés pour autant. Han Han lui-même affiche une grande retenue.

            

Un  magazine « littéraire »

            

 

Han Han (韩寒) présentant sa revue

Après avoir été annoncé sous divers titres ronflants, dont, en dernier lieu, « Renaissance des lettres et

            

Couverture

 

des arts » (文艺复兴), le bimensuel, communément appelé « la revue de Han Han » (韩寒杂志), a finalement adopté un profil plus consensuel. Le titre finalement choisi est Dúchàngtuán (《独唱团》), ce qui peut se traduire par

‘chœur de solos’, ou ‘ensemble de solistes’, soulignant l’un des principes de base de la revue : la grande liberté laissée à chacun des auteurs qui y participent, tant pour le ton que pour la forme des textes soumis.

            

L’autre trait distinctif de la revue, souligné par Han Han dans son éditorial introductif, est son caractère ‘littéraire et artistique’ (文艺读本). Le premier numéro comporte, sur cent vingt huit pages, trente quatre articles, des bandes dessinées et des photos. Il commence par un texte d’un chanteur/compositeur aveugle, Zhou Yunpeng (周云蓬), intitulé « Le train vert » (《绿皮火车》), qui raconte, sous forme de nouvelle, ses souvenirs de voyage dans les vieux trains de son enfance, et des histoires qui y sont liées dans

sa mémoire. Lui-même a souligné, dans une interview, les deux traits du magazine qui lui semblent les plus importants : la liberté laissée aux auteurs et le caractère « purement littéraire » de la publication (自由,纯文学).

            

Les articles sont à 30 % des commandes, et 70 % des articles soumis à la rédaction en réponse à l’appel lancé par Han Han en mai 2009 (avec des tarifs défiant tout concurrence qui ont, semble-t-il, depuis lors été revus à la baisse). Les auteurs sont surtout des artistes populaires auprès des jeunes Chinois, la génération dite « post-80 », et, parmi eux, des figures médiatisées sur internet, des bloggeurs en particulier.

            

Dans la liste figure en deuxième place, par

 

Zhou Yunpeng (周云蓬)

exemple, Luo Yonghao (罗永浩), dit « fatty Luo » pour son aspect bien enveloppé.  Lui aussi, comme

            

Luo Yonghao (罗永浩)

 

Han Han, a trouvé  l’enseignement bien trop ennuyeux, et a préféré gonfler les rangs des sans diplômes. Il a quand même appris l’anglais, pour enseigner ensuite dans un groupe privé, le New Oriental Group, et devenir une vedette sur internet où ses cours étaient diffusés, avec une aura

d’idole dans les milieux collégiens pour son attitude relax et ses saillies contre le conservatisme socio-politique. Certains de ses fans ont même créé un site appelé « Luo dit ». En 2006, il a abandonné l’anglais et New Oriental « pour des raisons personnelles », et a créé un blog de blogs, Bullog.cn, qui rassemble des contributions de bloggeurs célèbres.

             

Mais il faut reconnaître que, dans l’ensemble, ce ne sont pas des auteurs très connus. Le plus jeune a six ans, il a envoyé un petit poème de quatre lignes…

             

Une image volontairement sobre

             

Le bimensuel est finalement sorti sous forme de livre, car il s’est révélé plus facile de passer la censure dans ces conditions. Cela signifie qu’il faudra, pour chaque parution, tous les deux mois, obtenir un numéro de série standard (ISSN). De toute évidence, Han Han a dû passer sous les fourches caudines des autorités de censure pour pouvoir réaliser son projet, et le résultat est le fruit de compromis de part et d’autre.

            

La couverture annonce d’entrée le profil bas qui a été adopté pour l’ensemble. Après quelques moutures plus ou moins provocantes, l’aspect est presque provocant dans

l’autre sens : le fond est uniformément marron, avec le titre en haut à droite, dans une calligraphie sans relief, et, dans une bande en bas, la liste des articles et de leurs auteurs.

             

Toutes les annonces accompagnant le lancement du magazine ont par ailleurs souligné et répété que son ambition n’est pas de faire de la critique sociale, mais de « revitaliser » la presse littéraire chinoise, qui est actuellement, il est vrai, en déclin, et en particulier le secteur des nouvelles et textes courts qui a du mal à se rentabiliser face à la concurrence des romans.

            

C’est justement ce problème de rentabilité qui va cependant se poser et être déterminant. Le succès initial a

 

Premier projet de couverture

été dû, tout le monde le souligne, Han Han le premier, au phénomène d’expectative créé d’une part par le report répété de la date de sortie de la revue, mais surtout par la popularité et l’image de son créateur. 69 % des personnes interrogées par le site douban.com ont déclaré avoir été attirées par la perspective d’une publication dans la ligne satirique de son blog.

            

Lin Shaohua (林少华)

 

Or l’image du journal, sans doute par la force des choses, est totalement différente. Il s’agit d’abord de pouvoir publier ; Han Han a prévenu ses lecteurs dans son éditorial initial, en s’excusant presque auprès d’eux : l'ouvrage va décevoir « tous ceux qui veulent améliorer la société ou changer le statut quo ». Le ton général, à mon sens, ressort clairement d’une déclaration (très littéraire) de l’un des auteurs du premier numéro, Lin Shaohua (林少华) (1) :

“鲁迅说,这个房子即使不能打开一扇门,开一扇窗也好啊。我们都在起开窗的作用,使这个房子更好,住起来更舒服,而不是要摧毁这个房子”

Lu Xun a dit : si l’on ne peut pas ouvrir la porte de cette pièce, il n’y a qu’à ouvrir une fenêtre. Ce que nous essayons de faire est d’ouvrir une fenêtre, pour que la pièce soit plus agréable, plus respirable, mais il n’est pas question pour autant de détruire la pièce.

            

Le problème est que les lecteurs potentiels sont justement «ceux qui veulent améliorer la société ou changer le statut quo ». Il est vrai qu’il y a quelques textes pour leur plaire : celui de Luo Yonghao, par exemple, intitulé « Histoire d’un Qiuju masculin » (秋菊男的故事) (2), qui raconte ses tentatives, avortées, de poursuivre en justice une école de langues, ou encore les nouvelles de Bei Shan, et de Han Han lui-même, qui traitent de prostitution, sans parler des photos d’Ai Weiwei (艾未未) battu par la police pour être intervenu en faveur d’un activiste.

             

On a l’impression d’un délicat dosage, et le tout manque singulièrement de mordant. Or, avec 400 000 yuans de droits d’auteur et des frais d’impression de 200 000 yuans par numéro, pour un prix de vente de 16 yuans, il faut écouler 200 000 exemplaires pour atteindre le seul point d’équilibre. Il reste donc à savoir à quel niveau vont se stabiliser les ventes des prochains numéros.

             

Sous les paillettes, la littérature ?

             

Il reste qu’il s’agit quand même d’une tentative intéressante, qui s’inscrit indirectement dans le mouvement actuel de littérature sur internet, selon le modèle développé, entre autres, par Shanda : on se fait un nom sur internet, puis on capitalise sur cette notoriété en publiant sur papier.

             

Elle n’est évidemment pas sans provoquer des controverses. Un groupe d’écrivains a d’ores et déjà signé une déclaration commune rejetant ce genre de « pseudo littérature »  et comparant la procédure d’appel à soumission aux rubriques de petites annonces matrimoniales intitulées « pas sérieux s’abstenir » ou非诚勿扰 fēi chéng wù rǎo, allusion ironique au film de Feng Xiaogang sorti l’an dernier (3)

             

Comme pour leur donner raison, la rubrique qui a le plus de succès est un jeu de questions et réponses intitulé « Tout le monde interroge tout le monde » (所有人问所有人: n’importe qui peut poser une question à une personne de son choix, et le journal fait en sorte de contacter la personne en question pour obtenir la réponse. Cela rappelle certains jeux télévisés, et c’est loin, il est vrai, d’avoir une haute tenue littéraire.

             

Les deux autres rubriques les plus lues sont cependant des nouvelles, celle, autobiographique, de Zhou Yunpeng évoquée plus haut, et celle de Han Han qui clôt le numéro.

             

On peut rester dubitatif. Mais, après tout, il paraît que Harry Potter a redonné le goût de la lecture à des milliers de jeunes, en France et dans le monde, alors pourquoi pas ?

             

Notes

(1) Célèbre pour ses traductions de Murakami Haruki.

(2) Allusion au film de Zhang Yimou « Qiu Ju, une femme chinoise » (《秋菊打官司》) qui raconte les péripéties d’une villageoise cherchant obstinément à obtenir réparation d’un préjudice subi par son mari.

(3) Sous le titre anglais « If you are the one ».

     


                       

A lire :

            

韩寒 :《我想和这个世界谈谈》(节选)

Han Han : « J’aimerais bien parler un peu avec le monde » (extrait)

            

周云蓬: 《绿皮火车》

Zhou Yunpeng : « Le train vert »

             

            

            

 

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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