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Liu Xinglong 刘醒龙

Présentation

par Brigitte Duzan, 30 mars 2014

    

Ouvrier pendant la Révolution culturelle, devenu écrivain professionnel ensuite, Liu Xinglong est considéré comme l’un des chefs de file du « néoréalisme » (新现实主义) qui s’est développé à partir de la fin des années 1980. Il est cependant beaucoup moins connu qu’un Liu Heng (刘恒) ou un Yu Hua (余华), bien que l’un de ses romans ait été couronné du prix Mao Dun en 2011. C’est sans doute parce que le meilleur de son œuvre, ses nouvelles surtout, datent des années 1990 ; beaucoup ont été traduites en français, et, pleines d’humour, elles se lisent toujours avec le même plaisir.

      

Etudes erratiques puis travail en usine

     

Liu Xinglong est né en janvier 1956 dans une famille modeste à Huangzhou (黄州), un district de la ville de Huanggang (黃冈) dans la boucle du Yangzi à l’est du Hubei.

 

Liu Xinglong

      

Enfant du Hubei, mais sentiment de déraciné

     

Il est très attaché au Hubei, mais il a expliqué qu’il ressentait péniblement le manque d’attaches à un coin de terrenatal :

     

很多时候,我都在觉得自己没有真正意义的故乡、故土和老家,无法象大多数人那样,有一座老屋可以寄放,有一棵同年同月同日生长的树木作为标志,再加上无论走得多远都能让内心踏实可感的一块土地。我是在古城黄州的黄冈地委招待所出生的。刚满一岁,父亲就请了两个挑夫,一位挑着我和姐姐,一位挑起我们全家的行李,一步一步走进大别山腹地,在一处名叫石头嘴的小镇上停留下来。关于我的贯籍,前些时,终于与团风和英山两地的朋友一起达成共识:我的灵魂与血肉是团风给的,而思想与科智慧是在英山丰富的。

Il m’arrive très souvent de penser que je n’ai ni famille, ni terre d’origine,  ni village natal au sens véritable du terme ; impossible, comme la majorité des gens, de me raccrocher à une vieille maison, à un arbre du même âge que moi qui me serve de repère, à un bout de terre que je puisse préserver au fond du cœur aussi loin que j’aille. C’est vrai que je suis né dans la vieille ville de Huangzhou, un district de Huanggang. Mais, alors que j’avais à peine un an, mon père a fait venir deux porteurs, l’un pour nous emmener, ma sœur et moi, l’autre pour emporter toutes les affaires de la famille ; ils se sont peu à peu enfoncés dans les monts Dabie et se sont finalement arrêtés dans un petit village du nom de Shitouzui [la bouche de pierre]. Pour ce qui concerne mes racines, je suis d’accord avec mes amis de Tuanfeng et Yingshan: je suis corps et âme de Tuanfeng, mais ma pensée et mon esprit se sont enrichis à Yingshan.

     

Tout cela mérite une explication. Si Liu Xinglong est né à Huangzhou, sa famille était originaire de Tuanfeng (团风), unedivision administrative de Huanggang, mais plus au nord. En 1957 (il avait un an), son père a été condamné comme droitier et envoyé en « rééducation » dans le village de Shitouzui (石头嘴), un district deYingshan (英山), dans les monts Dabie (大别山), une chaîne au nord-est du Hubei, limitrophe avec le Henan et l’Anhui. Ce sera le cadre de son enfance, et celui de nombre de ses nouvelles et romans.

     

L’école cahin caha…

     

Liu Xinglong est entré à l’école primaire très jeune, à quatre ans et demi, en 1960 ; mais ce n’était pas parce qu’il était surdoué, simplement parce que ses parents travaillaient, ils avaient beaucoup d’enfants, et les aînés s’occupaient des plus petits ; on l’envoya donc à l’école avec sa sœur. Au bout des six ans,en 1967, la Révolution culturelle avait éclaté, il dut rester chez lui. Et quand il put reprendre la classe, son père fut transféré plusieurs fois dans des endroits différents. Sa scolarité suivit ainsi un cours chaotique, d’une école à l’autre.

     

Il termine le secondaire au collège de Hongshang (红山高中) en 1973. Il aurait aimé continuer ses études, mais, en mai, son père l’envoie travailler dans l’équipe d’entretien d’un réservoir qui venait juste d’être terminé, de l’autre côté de Wuhan.  Il part avec cinq yuans en poche, reçoit un salaire de misère, et encore se fait voler sa seconde paie. Mais c’est un travail temporaire. Au bout de trois mois, il part sur le chantier de construction d’un autre réservoir non loin de là, à Xihe (西河), et continue ainsi sur divers projets d’irrigation lancés à l’époque dans la région – autant d’expériences dont on retrouve le reflet dans son œuvre. Ainsi le roman « Mitian » (《弥天》), publié en 2002, a pour cadre le projet de réfection du réservoir de Yanheling (岩河岭), dans la région de Yingshan.

     

… et l’usine au bout du compte

     

Il aspire cependant à s’enrôler dans l’armée, comme beaucoup d’autres. Pendant l’hiver 1974, il participe à un entraînement militaire, mais pendant ce temps, des usines locales recrutant, sa famille l’inscrit d’office. C’est ainsi que, au début de 1975, il se retrouve ouvrier dans une fabrique de valves. Il y restera dix ans, gravissant peu à peu les échelons. Ce n’est qu’en 1983 qu’il est transféré au bureau de la culture du district ; mais il doit revenir à l’usine l’année suivante, et lui faudra attendre 1985 pour en être définitivement et officiellement libéré.

    

Entre-temps, en 1984, il a commencé à publier des nouvelles. Il devient responsable de la section littérature de l’Institut des arts populaires de la zone de Huanggang (黄冈地区群艺馆文学部主任), vice-président de l’association des écrivains de la région de Huanggang, et rédacteur adjoint de la revue littéraire « La falaise rouge » (《赤壁》).

 

Weifeng linlin

    

Porte-drapeau du néo-réalisme

    

Dès ses premières nouvelles, il opte pour un style simple, résolument ancré dans la réalité, et pour des sujets inspirés de son expérience vécue, dans les campagnes et montagnes du Hubei, ce qui donne fraîcheur et authenticité à ce qu’il raconte. En même temps, ses récits sont écrits avec un humour désopilant ; il sait à merveille dépeindre la mentalité paysanne, les mille ruses et astuces déployées par les villageois pour contourner des règlements souvent absurdes imposés d’en haut, et continuer à vivre comme si de rien n’était ; ou encore les efforts déployés par les cadres locaux

    

pour s’élever dans la hiérarchie politico-administrative, les traquenards et coups bas, et au final l’incurie générale de l’appareil politique au niveau local.

    

Les années 1990

 

Prière du soir

    

Après l’hermétisme croissant de la littérature chinoise à la fin des années 1980, ce retour au réalisme est bienvenu ; Liu Xinglong a très vite du succès. Après une série de nouvelles

en 1992, il devient écrivain professionnel, en 1993. Il publie son premier roman en 1994, Weifeng linlin (《威风凛凛》), qui se passe dans les monts Bieshan, à Xihe, et se présente comme une sorte de légende dorée des gens de la région. Le roman a été primé en 1996.

     

C’est une période à la fois riche et prolifique, dominée par les nouvelles « moyennes », en somme de courts romans. Deux des nouvelles du début des années 1990 sont adaptées au cinéma, par deux très bons réalisateurs, et les deux films sortent en 1994 : « Country Teachers » (《凤凰琴》) réalisé par He Qun (何群) (1), et « Back to Back, Face to Face » (背靠背,脸对脸) réalisé par Huang Jianxin (黄建新)(2).

     

« Country Teachers »est adapté de l’une des nouvelles

 

Enivré par le vent d’automne

moyennes publiées en 1992, dont le film a conservé le titre chinois, qui désigne un instrument de musique traditionnel. L’histoire est celle de ces instituteurs envoyés dans des villages de montagne isolés, qui doivent résoudre les contradictions entre leurs propres aspirations et les responsabilités vis-à-vis les jeunes dont ils ont la charge. Le film est remarquablement interprété par des acteurs de premier plan qui ont contribué au succès du film.

    

« Back to Back, Face to Face »est adapté d’une nouvelle publiée à la fin de la même année 1992 et primée à Taiwan : littéralement « enivré par le vent d’automne » (《秋风醉了》). Le thème est différent, il s’agit d’une satire acerbe de la bureaucratie locale, qui reprend le thème abordé déjà dans l’une des premières nouvelles publiées par Liu Xinglong, « Le secrétaire de village » (《村支书》).

     

La nouvelle décrit les déboires d’un cadre qui aspire à être élu directeur du bureau de la culture où il travaille ; mais c’est un

 

Du thé pour Pékin

autre qui est envoyé par le Parti et élu à sa place. Il tente alors de se venger, et se retrouve à l’hôpital pour dépression… On n’a jamais décrit avec autant de réalisme les affres et frustrations des petits cadres de base.

    

Les principales traductions concernent des nouvelles de cette période (voir ci-dessous), choisies, pour la plupart,  pour leur humour décapant, très bien rendu par la traductrice Françoise Naour.

    

Beaucoup de ces nouvelles ont été primées, dont « Du thé d’hiver pour Pékin » (《挑担茶叶上北京》), publiée en 1996 et couronnée du premier prix Lu Xun, décerné en février 1998.

    

De la nouvelle au roman

 

The Skywalkers

     

Recevant le prix Mao Dun des mains de Tie Ning

 

A partir de 1997, Liu Xinglong ne change ni de style ni de ton ni de sujets, mais s’oriente plutôt vers le roman. L’œuvre représentative des années 2000 est « The Skywalkers » (《天行者》), roman publié en 2009 et couronné du 8ème prix Mao Dun, en 2011, qui reprend le sujet des instituteurs de villages de montagne de la nouvelle de 1992.

 

     

A partir de 2005, les romans de Liu Xinglong sont même souvent édités en plusieurs volumes. C’est le cas de « La porte céleste » (《圣天门口》), publié en deux volumes en 2005, couronné de deux prix prestigieux, et réédité en trois volumes en 2014. Quant à son dernier roman, « Une leçon politique » (《政治课》), sur un thème proche de la nouvelle de 1992 « enivré par le vent d’automne » (《秋风醉了》), Liu Xinglong a annoncé qu’il en préparait un second volet…

     

Plus intéressant est sans doute le recueil de nouvelles qu’il a publié en 2012 et qui reprend six de ses meilleures nouvelles depuis 1993, en commençant par « Prière du soir » (暮时课诵).

    

    

 

Notes

(1) Sur He Qun, voir  chinesemovies (à venir)

(2) Sur Huang Jianxin, voir : www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Huang_Jianxin.htm

 

La porte céleste (2 vol)

   


      

Principales publications

    

Nouvelles moyennes (中篇小说代表作)

1992  Le secrétaire du village 《村支书》

1992  Instituteurs de montagne《凤凰琴》

1992  Enivré par le vent d’automne 《秋风醉了》

1993  Prière du soir暮时课诵

1994  Choux raves 《白菜萝卜》

1996  Infortune partagée《分享艰难》

1996  Du thé d’hiver pour Pékin 《挑担茶叶上北京》

1997  La neige en chemin 《路上有雪》

     

Romans (长篇小说)

1994  Weifenglinlin 《威风凛凛》

1995  Un amour impitoyable 《至爱无情》

1996  Une vie entre labeur et bienveillance 《生命是劳动与仁慈》

1997  Le chant de la solitude 《寂寞歌唱》

1997  La douceur du passé 《往事温柔弗莱

1998  L’amour pour l’éternité 《爱到永远》

1999  La garde municipale 《市府警卫》

2001  Une perte douloureuse 《痛失》

2002  Mitian《弥天》

2005  La porte céleste (2 vol.) 《圣天门口》

(2014 réédition en trois volumes)

2009 The Skywalkers《天行者》

2010  Une leçon politique《政治课》

 

Leçon politique

    


     

Traductions en français

Nouvelles traduites par Françoise Naour, publiées chez Bleu de Chine

     

- 1994 La déesse de la modernité, recueil de trois nouvelles

Comité de quartier / La déesse de la modernité / La guérite

D’une ironie jubilatoire, la dernière nouvelle est reprise dans l’anthologie « Les rubans du cerf-volant », Gallimard/Bleu de Chine, 2014, 141-161.

- 1998 Croquants de Chine, recueil qui regroupe les nouvelles « Choux raves » (白菜萝卜) et « Infortune partagée » (《分享艰难》)

- 1999 Instituteurs de montagne《凤凰琴》

- 2004 Du thé d’hiver pour Pékin《挑担茶叶上北京》

     


    

A lire en ligne 

     

Deux des nouvelles traduites par Françoise Naour :

La déesse de la modernité, Perspectives chinoises, 1998, n° 50, pp 49-54 :

www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1998_num_50_1_2363

Comité de quartier, Perspectives chinoises, 1998, n° 49, pp 64-70 :

www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1998_num_49_1_2342

     

    

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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