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Ye Mi 叶弥
Présentation 介绍
par Brigitte Duzan, actualisé
26 août 2018
Ye Mi est
l’une des meilleures représentantes de l’art de la
nouvelle, aujourd’hui en Chine, et si elle est
devenue célèbre, soudain, grâce au cinéma, c’était
justement à une période charnière de sa création ;
sa notoriété est seulement venue souligner le talent
et la maîtrise avec lesquels elle a su peu à peu se
forger un style et un ton personnels pour nous
conter des histoires où l’irrationnel apparaît
naturellement dans la réalité de tous les jours.
Enfance dans le Subei
Ye Mi est
née en 1964, à Suzhou, dans le Jiangsu. On ne sait
pas grand-chose de sa famille, mais elle a donné
quelques bribes d’histoire familiale dans l’une des
nombreuses pré- et postfaces qui accompagnent ses
publications
:
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Ye Mi en 2014 |
"我祖上是无锡前洲乡人。太爷爷闯荡上海滩学生意,从此子孙于上海定居。我父亲一九五六年二十一岁时参加上海援疆干部工作队。我母亲是苏州人。我父亲在火车上碰到我母亲,就跟了她来苏州定居。"
Mes ancêtres étaient
originaires de Wuxi (无锡).
Mon arrière-grand-père est allé s’établir sur le Bund à Shanghai
pour faire du commerce, et la famille, ensuite, y est restée. En
1956, mon père, qui avait alors 21 ans, a fait partie d’une
équipe d’aide au Xinjiang. C’est ma mère qui est de Suzhou. Mon
père l’a rencontrée dans un train, et il est allé s’installer
avec elle à Suzhou. ….
C’est peu de choses,
mais suffisant pour faire comprendre le choc et le déracinement
qu’a été, pour elle comme pour ses parents, le déménagement dans
le nord du Jiangsu, quand elle avait six ans.
Son père a en effet
fait partie des jeunes de Suzhou envoyés « à la campagne » près
de la ville de Yancheng (盐城
Yánchéng,
la « ville du sel »).
Elle y est restée pendant toute la Révolution culturelle,
jusqu’à l’âge de quatorze ans. Elle l’a ainsi décrit dans la
suite de la même postface :
"我出生在严衙前二十六号,苏州第一人民医院边上。六岁跟着父母亲“下放”到苏北盐城市阜宁县三灶公社前灶大队前灶小队。…读的是前灶小学。一年级到五年级总共有五个班,每个班有三十人左右。
去苏北的轮船上,我母亲接受《苏州日报》记者采访。采访见报,说,为了响应毛主席的号召上山下乡,我们全家四口人开了一个家庭会,大家统一思想,准备到最苦最穷的地方接受贫下中农再教育。我母亲几次和我说起这件事,一说就笑,说,统一思想?你实足才五岁,你弟弟才两岁。哈哈。
《苏州日报》上登了我母亲写下的七言诗:《浪击江洲赋新章》。根据形势,突出“上山下乡”的豪情壮志,抒发革命理想。"
A l’âge de six ans,
j’ai suivi mes parents quand ils sont partis dans le Subei,
travailler dans une équipe d’une brigade de production de la
commune populaire n° 3 du district de Funing de la ville de
Yancheng …. . J’ai fait les cinq années de primaire à l’école de
la commune populaire, dans des classes d’une trentaine d’élèves.
Sur le bateau qui
nous a amenés au Subei, ma mère a été interviewée par un
journaliste du Quotidien de Suzhou (《苏州日报》) ;
elle a déclaré que c’était pour répondre à l’appel du président
Mao demandant aux jeunes citadins d’aller s’établir à la
campagne (上山下乡)
que les quatre membres de leur famille s’étaient réunis et en
étaient arrivés unanimement à la décision d’aller vivre dans le
coin le plus désolé et le plus misérable pour se faire rééduquer
par les paysans pauvres et moyen-pauvres. Ma mère m’en a parlé
plusieurs fois par la suite, en me disant en riant : décision
unanime ? tu n’avais encore que cinq ans, et ton frère n’en
avait que deux. Ahahah…
Le journal a aussi
publié un poème de ma mère, un septain de circonstance qui
chantait les nobles aspirations du mouvement d’envoi des jeunes
à la campagne en louant les idéaux révolutionnaires.
Ye Mi parle rarement de
sa mère, mais c’était une intellectuelle qui a exercé une grande
influence sur elle ; on le voit dans l’allusion ci-dessus, et à
travers ce que Ye Mi raconte de ses lectures d’enfant, dans le
primaire :
我小学五年级,看了脂砚斋批注《石头记》、
《水浒》、《普希金文集》——只能说是“看”,不能说是“看了”。大多数时候, 只是乱翻,瞎看。
《石头记》是我母亲用《韩非子》换来的,原本属于一位县城中学老师。《普希金文集》是她从苏州带到苏北去的。批《水浒》时,她把这本书带回家里写批判材料,我趁机看了。从这三本书上,我认识了各色人等。
Quand j’étais en
CM2, j’ai lu les commentaires de Zhi Yanzhai sur « L’histoire de
la pierre »
,
« Au bord de l’eau », un recueil d’œuvres de Pouchkine – enfin,
lire est un bien grand mot, ce n’était la plupart du temps que
feuilleter rapidement, lire en diagonale.
« L’histoire de la
pierre » » était un livre qui appartenait à un professeur du
collège du district et que ma mère avait échangé contre le « Han
Feizi », mais elle avait apporté les œuvres de Pouchkine de
Suzhou. « Au bord de l’eau », elle l’avait emprunté pour en
écrire un commentaire à la maison, et j’ai profité de l’occasion
pour le lire. Ces trois livres m’ont fait connaître toutes
sortes de gens différents et de toutes conditions…
Dans la même postface,
elle a fait allusion aux conditions de vie très dures qui furent
les siennes pendant ces huit années.
我从六岁到十四岁,都在苏北农村度过。我十多岁的时候,有一天小伙伴们互相传说,村里来了一个阜宁县城里的人,我就跟着他们去看“城里人”。我站在人家门外看得津津有味,不料一个女孩子对我说,听我妈说,你原先也是城里人。她这么一说,我倒想起六岁以前的城里生活了,最想的是某店的白面大馒头。
J’ai vécu dans le
même petit village du Subei de l’âge de six ans jusqu’à quatorze
ans. J’avais un peu plus de dix ans quand, un jour, des
camarades ont raconté qu’un homme de la ville, du district de
Funing, était arrivé au village ; alors je les ai suivis pour
voir « l’homme de la ville ». J’étais plantée à la porte,
fascinée, quand une petite fille m’a dit : j’ai entendu ma mère
dire que toi aussi, avant, tu étais quelqu’un de la ville. Quand
elle m’a dit cela, cela m’a rappelé ma vie avant mes six ans, et
ce à quoi j’ai pu penser de plus proche, c’est un petit pain
blanc dans une boutique.
Ce sont huit années qui
ont cependant modelé son existence ultérieure. C’est même dans
la commune populaire qu’elle a rencontré son futur mari, dont la
famille travaillait dans la même brigade de production ; ils ont
été en classe ensemble. Mais ce fut aussi une période
formatrice qui lui a permis de faire l’expérience directe de la
misère des petites gens au milieu desquels elle a alors vécu,
et, en même temps, de leur formidable résistance au malheur.
我到苏北第一眼见到的,是房东寿足大爷腰里的那根稻草绳子。回首往事,最后悔的一件事,就是当时没钱给他治好他的白内障…。
La première chose
que j’ai vue, en arrivant au Subei, c’est la ceinture de paille
de riz que notre vieux propriétaire avait à la taille. Et en y
repensant, ce que je regrette le plus, c’est de ne pas avoir eu
l’argent pour le faire opérer de la cataracte…
Elle a ainsi développé
une sensibilité particulière à leurs conditions d’existence ;
c’est ce qui constitue l’essentiel de son inspiration
littéraire. Elle a déclaré que ces huit années de sa vie
suffiraient à lui fournir de quoi écrire pendant le restant de
son existence.
L’écriture comme nécessité impérieuse
Vocation précoce
Sa vocation d’écrivain
lui est venue très tôt, envers et contre tout :
中国的老师永远和父母一样,喜欢问孩子们长大了想做什么?孩子们大都要当解放军,我是想当作家。我的想法公布于众不久,上早操,我们的语文老师托某同学带给我一句话:你考试的作文多写了一个问号,当不了作家。过一会,语文老师自己也过来和我说,(句子后面)多了一个耳朵?还当作家呢?语文老师是个老大爷,多少年中,我一直记得他笑眯眯的调侃样子,让人感到温暖和羞愧。
Les professeurs, en
Chine, comme les parents, aiment demander aux enfants ce qu’ils
veulent faire plus tard. La majorité de mes camarades disaient
vouloir entrer dans l’Armée de libération, mais moi, je voulais
devenir écrivain. Je n’avais pas fait connaître publiquement mon
ambition depuis longtemps lorsque notre professeur de langue et
littérature a chargé un camarade de venir me dire : ton devoir
d’examen a plein de points d’interrogation, tu ne peux pas
devenir écrivain. Peu de temps plus tard, le même professeur est
venu me voir en personne : avec tous les points d’interrogation
que tu as après chaque phrase, tu veux quand même devenir
écrivain ? C’était un vieux professeur, dont, après tant
d’années je me souviens encore du sourire moqueur, qui vous
faisait chaud au cœur, mais faisait honte aussi.
Débuts tardifs, mais
nécessaires
Elle a pourtant
toujours gardé le désir d’écrire. Elle a commencé vers dix-huit
ans, mais elle s’est ensuite mariée, a eu un enfant et la vie
familiale l’a absorbée. C’était la période de l’ouverture, puis
du décollage économique, le monde changeait, mais sa vie restait
la même :
又过了若干年,周围的人,都翻天覆地,唯有我过着小日子,与时代脱节的样子。我没有目标,我对现实生活不满,却不知为何不满。这样到了三十岁,我对现实生活愈发不满,又增加了对无情岁月的惊恐。无奈之下开始写小说。
En quelques années,
la vie de tout le monde autour de moi a été complètement
chamboulée, il n’y a que moi qui ai continué à vivre la même
petite existence, comme coupée de son époque. Je n’avais pas
d’ambition, n’étais pas satisfaite de ma vie, mais ne savais pas
pourquoi. J’ai ainsi atteint mes trente ans, de plus en plus
insatisfaite de ma vie, et de plus en plus alarmée par cette
époque impitoyable. C’est ainsi que, faute d’alternative, je me
suis mise à écrire.
C’est donc poussée par
le besoin d’éviter la sclérose intellectuelle qui guette la
femme au foyer, et taraudée par la nécessité de coucher sur le
papier toute l’expérience accumulée, qu’elle a recommencé à
écrire, à près de trente ans. Elle est revenue aux sources, en
quelque sorte…
Premières nouvelles
La première nouvelle
qu’elle écrit alors est publiée en 1994 dans la Revue de
Suzhou (《苏州杂志》).
C’est un court récit de trois mille caractères intitulé « Le
chef célèbre » (Míngchú
《名厨》),
inspiré de l’histoire de son oncle Wu Yongren (吴涌根),
qui fut
le cuisinier de Lin Biao (林彪).
C’est dès 1996 que Ye
Mi acquiert un début de notoriété avec une nouvelle plus longue,
intitulée « Grandir c’est muer » (chéngzhǎng rútuì《成长如蜕》),
qui contient déjà ses thèmes de prédilection ; c’est un portrait
de personnage issu du peuple, le premier d’une galerie de
petites gens qui forme l’ossature de son œuvre.
C’est à cette occasion
qu’elle prit son nom de plume, car l’éditeur pensait que son nom
véritable, Zhou Jie (周洁),
était trop commun. Elle choisit d’abord le nom de famille de sa
mère, puis ouvrit au hasard le dictionnaire pour trouver le
second caractère. Un écrivain était né. Mais la mue ne faisait
que commencer.
Les deux nouvelles qui
suivent sortent un peu du cadre qu’elle avait commencé à
esquisser, en particulier la deuxième, « Gouttes de rosée dans
la ville » (《城市里的露珠》),
qui traite de la bourgeoisie de Suzhou, de la frivolité des
femmes, de leur amour de la mode. Elle a alors pris des leçons
de conduite et s’est retrouvée dans un milieu de femmes qui lui
était jusque là étranger. Elle a donc raconté cette expérience
pour elle insolite, dressant au passage un portrait de femme
moderne - un voile sur le visage, et de longs cheveux teints,
couleur châtain – représentant les excès de l’attrait de la mode
occidentale, avec tout le côté superficiel et clinquant d’une
société purement matérielle.
Ce ne fut
cependant qu’un bref épisode sans lendemain dans sa
mue d’écrivain. A partir de là, elle en est revenue
aux thèmes et personnages inspirés de l’expérience
du Subei : retour aux racines, aux fondamentaux
comme elle dit (归根到底...).
Années 2000 : mues et célébrité
Création
d’un univers en marge
A partir de
2001, elle multiplie les publications de recueils de
nouvelles (voir Publications ci-dessous). Dans ces
récits, elle se recentre sur la vie des petites
gens, mais avec un léger infléchissement dans sa
thématique et son mode narratif au tournant du
millénaire. Au lieu d’être directement en conflit
avec la réalité, ses nouvelles reflètent plutôt une
volonté d’entente avec le monde (“与世界和解”),
mais comme idéal, |
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Le carnet rose, 2003 |
d’où une tension
narrative qui sous-tend ses récits et en fait l’originalité.
Velours, recueil 2004 |
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L’intérêt
de ses nouvelles tient désormais dans la création
d’un espace différent, en marge, ou à côté du monde
réel, où évoluent ses personnages. C’est le cas de
l’une des nouvelles parmi les plus représentatives
de la période,
« Velours »
(《天鹅绒》),
initialement publiée en 2002 : Ye Mi crée comme une
bulle en marge de l’espace, mais aussi du temps (la
Révolution culturelle, à peine évoquée). La mère de
son jeune personnage est carrément folle, mais les
autres évoluent comme en apesanteur dans cet univers
décalé qui frise l’irrationnel et l’absurde –
univers bien sûr conditionné par l’histoire, mais
univers, aussi, propre à Ye Mi. En ce sens, la
tension est aussi entre passé et présent.
On a fait
un parallèle avec
Can Xue (残雪).
Les nouvelles de Ye Mi ont cependant une toute autre
atmosphère. Ses personnages évoluent certes dans un
univers personnel, en marge, ils ont une attitude et
une logique de vie spécifiques, qui se dégagent des
conventions jusqu’à |
intégrer
l’irrationnel, mais leur univers commence par la vie
quotidienne, et y est ancré. Et si finalement Ye Mi fait une
large part à l’absurde, c’est parce qu’il fait partie du
quotidien, et qu’elle le ressent comme faisant partie
intégrante du sien.
Elle a expliqué sa
démarche ainsi, avec la même logique tortueuse qui préside à son
écriture :
"我是女人,女人喜欢做梦,做梦是不切实际的。所以小说就成了中和我这个特性的手段。我必须通过小说到达现实并理解这个世界,从而实现我个人的目的。所以我的小说呈现出的状态是清醒和理智的,有些甚至是残酷的。我经常游离在我的小说以外,也让读我小说的人有里在我的小说以外。说实话,我认为这是个优点。但让我痛苦的是:我发现写小说成了我的另一种梦,一种会走路的梦,你不知道它将带你到何方去。"
« Etant une femme,
j’aime rêver, et rêver consiste à se mettre en marge de la
réalité. Ecrire des nouvelles est ainsi pour moi le moyen de
neutraliser cette tendance. J’ai besoin d’écrire pour revenir à
la réalité et expliciter le monde ; c’est mon objectif
personnel. Ce sont donc l’éveil et la raison qui conditionnent
la genèse de mes nouvelles, mais il y a là quelque chose d’un
peu cruel. Alors je m’évade parfois de mes récits, et permets à
mes lecteurs de s’en évader. A dire vrai, je pense que c’est un
détour favorable. Mais il y a quelque chose qui me tourmente :
je me suis aperçue que mes nouvelles sont devenues pour moi une
autre manière de rêver, une sorte de rêve pour cheminer dans les
rues, mais sans savoir où cela va nous conduire. »
Les nouvelles sont
ainsi pour elle une manière de dialoguer avec le monde, entre
rêve et réalité, mais parfaitement éveillée, en parfaite
maîtrise de soi, c’est le lecteur, lui, qui se retrouve sous
hypnose. Avec l’expérience, son écriture est devenue de plus en
plus soignée, de plus en plus subtile, en plongeant directement
dans la psychologie de ses personnages…
Mais, en même
temps, elle se posait de plus en plus de questions…
Crise en 2005,
déménagement et nouveau départ
写着文字,又过了一段浑浑噩噩的生活。也写了一些别人叫好的小说,也拍成了电影。但还是没觉得好过。写作没有给我带来快乐,反而消耗了我仅有的力量。
因为从写作的那天起,就没有想要写个天长地久。二零零五年起,想要慢慢地脱离文字了。一年也就写一到两个短篇。
Tout en écrivant, je
continuais à mener une vie au jour le jour. J’écrivais des
histoires bien, ou dites telles, en regardant des films de temps
à autre. Mais cela ne me contentait pas. Ecrire ne m’apportait
aucune joie, au contraire, cela épuisait le peu que j’avais
d’énergie.
Le jour où j’ai
commencé à écrire, je ne pensais pas continuer ad vitam
aeternam. Alors, au début de 2005, j’ai voulu arrêter, peu à
peu. Je n’ai plus écrit qu’une à deux nouvelles dans l’année.
En janvier
2005, elle publie un recueil dont les nouvelles sont
pleines de chaleur humaine, mais aussi d’un grand
réalisme : « Citadins » (《市民们》).
Elle publie effectivement moins de nouvelles
ensuite, mais publie un court roman, en avril
2006. Elle y raconte la croissance d’un enfant de
onze ans pendant la Révolution culturelle, mais très
loin de la littérature des cicatrices, plutôt à la
manière d’une sorte de conte de fées : le jeune
garçon se consacre à la poursuite de la beauté.
C’est sans
doute ce qu’elle appelle des histoires « dites
bien ». Ye Mi continue sa réflexion et sa recherche.
Une nouvelle charnière est
« Un
aigle disparu dans le palais du Potala » (《消失在布达拉宫的一头鹰》)
qui est représentative à la fois de sa construction
narrative, mais aussi de sa manière propre de
soudain faire apparaître l’étrange et l’irrationnel
dans le quotidien, irrationnel qui est d’ailleurs
dans les têtes d’abord, sous l’influence à la fois
du bouddhisme et du taoïsme populaire, lié à la
croyance au surnaturel. |
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Citadins, 2005 |
Initialement publiée en
janvier 2007 dans la revue « Ecrivains de Chine » (《中国作家》), la nouvelle a été couronnée fin octobre 2008 d’un prix littéraire
bisannuel instauré cette année-là (“首届小说双年奖”).
二零零七年年底,我不死心,又想认真地看待小说。力量可以再生。且把力量生出后,看看我到底是要什么。
A la fin de 2007, je
n’avais toujours pas abandonné, et considérais même l’écriture
avec plus de sérieux que jamais. On arrive toujours à retrouver
de l’énergie. Et une fois que j’ai eu rassemblé toute mon
énergie, je me suis demandé ce que je voulais faire vraiment.
C’est alors qu’elle
déménage, et qu’elle trouve le calme idéal pour son
épanouissement :
于是把家搬到靠太湖边的小镇后面。前面是镇,后面是村。丈夫在外在工作,坐火车来回一次十几个小时。半月回家一次。我一个人在新家,人生地不熟,小区里外都没灯。小区里远远地住着另一家不往来的人。一到晚饭时间,路上鬼都没有一个。也算静心,也算修行。竟渐入佳境,身心也健康起来。怒风如吼的台风之夜,照常鼾睡如泥,那管外面一地狼藉。坐公交车进城来回要三个多小时,夜里进城,不习惯城里满地的灯光。在城里,看不到月光。在这里,有月光,有花草之香,有无数鸟,有野生的小动物,有鬼,有神,有狐……有孤独。
有时晚上临睡前,掐指一算,咦,今天一天没有与人讲话,昨天一天也没和人说话。于是明天早起,去菜场和菜贩鱼贩拉家常。孤独虽好,不能忘了与人交流。
Alors, j’ai déménagé
dans un petit bourg au bord du lac Taihu. Le bourg est devant,
et derrière, il y a un petit village. Mon mari travaillait loin,
à cinq heures de train. Il rentrait à la maison deux fois par
mois. J’étais toute seule dans la nouvelle maison, je ne
connaissais ni l’endroit ni personne alentour, et la nuit la
route n’était pas éclairée. La maison la plus proche était loin,
et je ne voyais pas passer âme qui vive de toute la journée.
C’était à la fois calme et idéal pour méditer. Je me suis faite
peu à peu à cet environnement, et me suis requinquée, corps et
âme. Même par les nuits de tempête, les hurlements du vent
n’arrivaient pas à me réveiller. La ville était à trois heures
de train aller-retour ; comme elle est éclairée de nuit comme de
jour, on n’y voit jamais la lune, alors que, dans le village, au
contraire, on la voit, on sent l’arôme des fleurs et de l’herbe,
on entend d’innombrables oiseaux, il y a des bêtes sauvages, des
fantômes, des esprits, des renards… et il y a la solitude.
Parfois, le soir,
avant de m’endormir, je comptais sur mes doigts, eh,
aujourd’hui, de toute la journée, je n’ai adressé la parole à
personne, hier, de toute la journée, non plus. Alors demain, de
bonne heure, je vais aller au marché, parler de choses et
d’autres avec le marchand de légumes, ou le marchand de
poissons. La solitude, c’est bien, mais il ne faut pas oublier
les rapports humains.
Le résultat est là.
Elle publie coup sur coup plusieurs de ses meilleures nouvelles,
dont plusieurs sont primées, dont « La montagne des
brûle-parfums » (《香炉山》),
initialement publiée dans Shouhuo en février 2010, et
couronnée du prix Lu Xun en 2014.
Elle est inspirée d’une
prise de conscience qui lui est venue un jour qu’elle s’était
perdue au bord du lac Taihu, justement. Elle a eu très peur.
"我意识到,现代人对于陌生的人、陌生的环境,已经失落了探究的心情,总是处在保护自己的焦虑中。当人们完全放松不再戒备时,世界也会给人们全新的面貌。"
« J’ai ressenti combien l’homme moderne, face à un inconnu, confronté
à un environnement inconnu, a perdu le sens de la recherche, de
l’exploration ; il est essentiellement inquiet de préserver sa
sécurité. Mais, s’il se détend et baisse ses gardes, le monde
peut prendre une tournure totalement différente. »
C’est le sujet de la
nouvelle, qui part d’un événement fortuit, d’un jour par
ailleurs ordinaire.
Soudaine célébrité
grâce au cinéma
Vas-y, la couleur est passée au
pourpre |
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quelques interviews de
l’auteur. Ye Mi était catapultée volens nolens sous les feux
des projecteurs.
Si Ye Mi
est devenue célèbre grâce au cinéma, c’est qu’elle
n’a pratiquement écrit que des nouvelles, et qu’il
est très difficile à un auteur de devenir célèbre
dans ces conditions.
De manière
caractéristique, en mai 2004, elle a publié un
recueil de nouvelles – « Vas-y, la couleur est
passée au pourpre » (《去吧,变成紫色》)
– qui a été publié aux éditions de la Fédération des
lettres et arts de Chine (中国文联出版社),
dans la collection « Les rois de la nouvelle courte
» (“短篇王”文丛).
Il s’agit d’une collection destinée, justement, à
sensibiliser le public à ce genre littéraire trop
négligé. Les initiatives se sont multipliées depuis
lors, le roman étant en crise.
Mais Ye Mi
a sacrifié à la popularité. En mars 2014, elle a
publié dans Shouhuo un roman original qu’elle
a passé six ans à écrire et qui a fait couler
beaucoup d’encre : « Une peinture venue du passé » (fengliu
tujuan《风流图卷》) : |
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Les regrets du néflier, 2012 |
一个人,在乡里住了六年。六年中写了《风流图卷》。没有结束,按照五年前的构思,还有一部延续下去,下一部叫什么?肯定有“风流”二字。这篇小说,…谢谢我弟,某一天他在看宋人的画册,对我说,“风流”后面加“画卷”二字,多好?遂成“风流图卷”四字。
J’ai
vécu six ans, seule dans ma campagne. Et pendant ces
six ans j’ai écrit le roman « Une peinture venue du
passé » Alors que j’avais presque terminé, et que,
d’après le schéma préalable des cinq années
précédentes, il me restait encore une partie à
écrire, je me suis demandé quel titre lui donner.
Assurément, il devait comporter les deux caractères
fēngliú“风流”
[talentueux et distingué mais non conventionnel, et
hérité du passé]. … je remercie mon frère qui, un
jour qu’il était plongé dans un album de peinture
des Song, m’a suggéré d’ajouter « Rouleau de
peinture »
“画卷”
après fēngliú“风流”ce
qui a donné les quatre caractères du titre final.
Mais c’est
un cas isolé. Elle n’a pas cessé ses publications de
nouvelles, recueil sur recueil. Et la plus belle
qu’elle ait peut-être jamais écrite est celle qui
figure en première position dans le recueil des plus
belles nouvelles de l’année 2015 paru aux éditions
du Liaoning (辽宁人民出版社) :
« An die Musik » (《致音乐》)
.
C’est l’histoire croisée de deux hommes à la fin de
la Révolution culturelle : un musicien qui revient
de loin, pour rentrer à Pékin, et un petit voleur
qu’il croise sur son chemin ; après une échauffourée
stupide, le petit voleur laisse le musicien pour
mort et part à Pékin à sa place. Chacun trouve son
bonheur de façon tout à fait inattendue. |
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Roman Fengliu tujuan, Shouhuo mars
2014 |
C’est un conte réaliste
au départ, tellement bien écrit, avec tellement de chaleur et
d’émotion, que l’on jette volontiers aux orties toute velléité
de logique ou de crédibilité. De toute façon, c’était l’époque,
celle, elle le répète plusieurs fois, des lendemains de la chute
de la Bande des quatre. Alors tout n’était-il pas possible ?
Ye Mi est là à son
mieux, dans son style très personnel, aux confins du rêve et de
la réalité.
Un style très
personnel
Six nouvelles de Ye Mi, 2014 |
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Une époque de chaos, 2014 |
Famille, recueil 2016 |
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Ye Mi avec Fang Fang lors d'une réunion
de l'Association
des écrivains du Jiangsu,
en juin 2017 |
Avril 2001
Les deux faces
d’une pièce de monnaie《钱币的正反两面》
Recueil de neuf nouvelles (et deux préfaces),
dont :
Juillet 2003
Le carnet rose
《粉红手册》
Recueil de onze nouvelles courtes et une postface, dont :
Une perle de rosée dans
la ville 城市里的露珠 /
Une nuit
rose 粉红夜 /
La corde de Sima
司马的绳子
Une
histoire porno 黄色的故事
Mai 2004
Velours
《天鹅绒》
Recueil de seize
nouvelles (et deux préfaces), dont :
Une
femme sans importance
小女人
/ Le père
et l’escroc
父亲和骗子 /
Mai 2004
Vas-y, la couleur est passée au pourpre《去吧,变成紫色》
Editions de la Fédération des arts et des lettres,
Collection « Les rois de la nouvelle courte »
“短篇王”文丛
Janvier 2005
Citadins《市民们》
Avril 2012
Regrets du
néflier《恨枇杷》
Ascension solitaire
独自升起/
Clandestin
逃票 /
La montagne des
brûle-parfums
香炉山
Un survivant
幸存记 /Multicolore
五彩缤纷 /
Famille 亲人
/
Tempête de neige une
nuit sur le quai aux fleurs
花码头一夜风雪 /
Janvier 2016
Famille《亲人》
Sélection de treize nouvelles courtes
Traductions en
anglais
- Family
《亲人》,
tr. Florence Woo, Chinese Arts & Letters vol. 1 n° 2, pp.
165-178
- Beyond Your World
《你的世界之外》,
tr. David Haysom
A lire en ligne :
http://www.spittingdog.net/translations/ye-mi-beyond-your-world/
- Love’s Labor
《郎情妾意》,
tr. Hu Ying (copyright 2008), Words Without Borders, avril 2008
A lire en ligne :
http://www.wordswithoutborders.org/article/loves-labor
- The Hot Springs
on Moon Mountain 《月亮里的温泉》,
tr. Canaan Morse, Pathlight Oct. 2015.
-
Trois nouvelles dans
Chinese Arts
& Letters, 2018 n° 1,
les deux premières
traduites par Ella Schwalb, la troisième par Natascha Bruce (pp.
7-62) :
-
Le Monastère de la
Clarté lunaire (Bright Moon Temple
《明月寺》),
2003
-
Méditation sur les
flocons de neige (Snowflake Meditation
《雪花神》),
2015
-
Le mont Xianglu (Mount
Xianglu
《香炉山》),
2009.
Lin Biao fut
le chef de l’Armée populaire de libération pendant un
temps désigné comme successeur de Mao, mais disparu dans
des circonstances mystérieuses dans un accident d’avion
en 1971.
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