Nouvelles de a à z

 

« Il ne faut jamais manquer de répéter à tout le monde les belles choses qu’on a lues »

Sei Shōnagon (Notes de chevet)

 
 
 
     

 

 

Ye Mi 叶弥

Un aigle disparu dans le palais du Potala

消失在布达拉宫的一头鹰

par Brigitte Duzan, 18 août 2016

 

Cette nouvelle semble un parfait exemple du modèle défini par Mao Dun, au début des années 1930, dans un article célèbre [1] donnant comme principe de base à la nouvelle de « décrire un segment de vie de manière à permettre au lecteur d’en voir l’ensemble. »

 

Ye Mi nous offre ici un condensé de vie qui est en même temps une satire ironique des mentalités et du poids des traditions et superstitions que des décennies de maoïsme n’ont pas réussi à éradiquer des esprits. Elle situe son récit dans un petit village anonyme assez typique, dominé parson petit temple en haut de la montagne, petit temple qui a échappé par miracle aux destructions de la Révolution culturelle et continue de peser sur les esprits de manière insidieuse.

 

Ye Mi se moque gentiment, et avec beaucoup de sympathie, du syncrétisme de la religion populaire, qui mêle allègrement

 

Publication dans la sélection

des nouvelles de l’année 2007

éléments de bouddhisme et de taoïsme, le tout finalement assimilé à un ensemble de recettes et prescriptions, morales mais aussi alimentaires, dont elle fait le nœud de son intrigue.

 

Elle nous fait ressentir physiquement le poids de terreurs superstitieuses nées d’une soumission aveugle à l’autorité des moines et à la vox populi. Le moine par lequel le malheur arrive est présenté ironiquement comme un spécialiste du « Yijing et des hexagrammes », concentré de sagesse taoïste dans sa forme la plus ésotérique dont il tire une sorte d’aura magique, et sinistre.

 

Les personnages de ce récit sont typiques d’une mentalité syncrétiste qui a sinisé jusqu’aux bodhisattvas pour en faire des divinités bien chinoises popularisées par une iconographie très riche. On retiendra le clin d’œil de Ye Mi alignant les images pieuses de sa principale protagoniste, mêlant allègrement bodhisattvas et immortels, et y intégrant l’image de Mao [2].

 

Initialement publiée en janvier 2007, et primée l’année suivante, cette nouvelle témoigne de l’art de conteur de son auteur. La progression dramatique est superbement bien menée, entièrement construite sur la psychologie des personnages, les deux ou trois descriptions « extérieures » de nature et de paysage étant limitées à l’essentiel : la perception d’une certaine atmosphère influant sur l’état d’esprit des personnages. C’est une douce ironie qui prime, jusqu’à la conclusion finale, comme un dernier sourire en coin.

 


 

  蒋百年是我们村子里最令人敬畏的人物之一,这是铁板钉钉的事。我们村子四周围都是山,东南面的山后,还有一方很大的蓝色湖泊。村子里的老百姓性情温和,老老实实种着自己的地,家里有船的人家闲时也到湖里去打鱼,日子过得风调雨顺而平缓单调,昨天和今天一个样,明天还是这个样。感觉到在这儿过上一百年,就像过了一天似的。但是这并不是说村子里的人全都甘于默默无闻,这里也出现过令人敬畏的人物。

 

Jiang Bainian est sans nul doute l’une des personnes de notre village qui inspire le plus de respect. Notre village est entouré de montagnes de tous côtés, et, derrière la montagne du sud-est, s’étend un lac, tout bleu. Les habitants sont d’un caractère très doux ; ils passent leur temps à cultiver leur lopin de terre, et, lorsqu’il arrive à l’un des membres d’une famille qui possède un bateau d’avoir un moment de libre, il va pêcher dans le lac ; la vie s’écoule au gré du temps, dans une douce uniformité, chaque jour qui passe identique au précédent et semblable au suivant. Chaque journée, ici, donne le sentiment d’avoir vécu cent ans. Mais on ne peut pourtant pas dire que les gens du village sont tous de vulgaires inconnus, là aussi sont apparus de temps à autre des personnages dignes de respect.

 

  比方说,一百多年前从村子里走出的那个冷脸翰林,据说他在皇帝面前也是冷然应对的。还有那个赫赫有名的杀人不眨眼的湖盗1,他先是和日本人打仗,后与解放军打仗……他是一条好汉,可惜了。蒋百年身形矮小,木讷寡言,既不是读书人,性情也不凶悍,他与邻村一个绰号叫老黄牛2的司机合伙开着一辆中巴车,轮到他休息的时候,他就在院子里给花圃浇浇水,拔拔草,脸上挂着温和知足的微笑。

 

1. 湖盗 húdào : littéralement le brigand, le voleur (dào) du lac - allusion ironique au Jiānghú (江湖), “fleuves et lacs”, le monde marginal des histoires d’arts martiaux, expression qui a son origine dans le célèbre classique du 14ème siècle « Au bord de l’eau » retraçant les aventures d’une bande de nobles hors-la-loi sous la dynastie des Song,

2. 老黄牛 Lǎo Huángniú vieux bœuf roux - surnom donné à des personnes d’un caractère placide et d’un naturel peu bavard, mais solides – comme des bœufs de labour. Ce détail aura son importance dans la suite de l’histoire.

 

On peut citer, par exemple, ce lettré au visage sévère, membre de l’Académie impériale, qui partit d’ici il y a plus d’un siècle, et dont on raconte qu’il arborait la même mine sévère en présence de l’empereur. Il y a aussi ce brigand de grand chemin célèbre pour le zèle avec lequel il assassinait ses victimes sans ciller ; il avait commencé par combattre les Japonais, puis s’était retourné contre l’Armée de libération…. C’était pourtant un brave type, quel dommage. Jiang Bainian, lui, était de petite taille ; peu disert et d’élocution hésitante car il n’avait pas fait d’études, il n’avait vraiment rien de féroce ; il conduisait un minibus qu’il exploitait sous forme d’entreprise collective avec un collègue du village voisin surnommé Lao Huangniu, c’est-à-dire Vieux bœuf roux, et, quand c’était son tour de pause, il allait arroser les fleurs de son jardin et en arracher les mauvaises herbes, le visage toujours éclairé d’un sourire doux et satisfait.

 

  村子的东面有一座长满竹子的满山,满山上有一座明代造的寺庙,一年四季受着山下百姓的香火。到了“文革”,有一次,城里的“红卫兵”联络了村里的“红卫兵”,浩浩荡荡,手里拿着五花八门的器械,像土枪1,皮鞭什么的,居然还夹杂着几杆红缨枪2,呐喊着冲上山,指望转眼间就收拾掉这座庙,没料到蒋百年腰里绑着土炸药,守在进庙的路口,脸上比他们还大义凛然呢。从下午对峙到第二天凌晨三点,“红卫兵”们撤走,总算人和寺都安然无恙。脸上总是挂着温和笑容的蒋百年成了英雄,他守卫在进庙路口的形象据说威风凛凛地活像一头老鹰,他从此也被人叫出一个“蒋老鹰”的外号。传说村里最年长的蒋八公放下架子,当天夜里赶到蒋家,掀起自己的棉袄用肚皮给蒋百年捂冻僵的脚。

 

1. 土枪 tǔ qiāng fusil de fabrication artisanale, utilisé pour la chasse à la campagne. Le terme a souvent une connotation péjorative.

2. 红缨枪 hóngyīngqiāng lance à pompon rouge - armes anciennes, utilisées tout particulièrement dans les arts martiaux, mais pas seulement : pendant la guerre de résistance contre le Japon, encore, les paysans organisés en détachements armés qui devaient monter la garde étaient armés de ces lances ! C’est une vieille tradition, c’est bien pourquoi Ye Mi précise qu’il était étonnant de voir les Gardes rouges les brandir car la Révolution culturelle était sensée détruire justement ce genre de « vieillerie ».

 

A l’est du village se dresse une montagne couverte de bambous sur laquelle s’élève un temple datant de la dynastie des Ming où les gens du village vont brûler de l’encens tout au long de l’année. Un jour, au début de la Révolution culturelle, les « Gardes rouges » de la ville vinrent rencontrer ceux du village ; ils déferlèrent à grands cris en brandissant les armes les plus hétéroclites, des fusils de chasse, des fouets de cuir, et même, étonnamment, au milieu du reste, quelques lances à pompons rouges, pour se ruer, au milieu des clameurs, à l’assaut de la montagne et aller, vite fait bien fait, démolir ce temple ; ils n’avaient pas prévu que Jiang Bainian serait là, gardant l’entrée de l’allée y conduisant, des explosifs attachés à la ceinture, le visage empreint d’une expression imposant bien plus le respect que le leur. Ils restèrent ainsi face à face de l’après-midi aux premières heures du matin, jusqu’à ce que les « Gardes rouges » se retirent, à trois heures, laissant hommeet temple

 

Lance à pompon rouge

sains et saufs. Sans avoir jamais eu à se départir de son sourire empreint de douceur, Jiang Bainian devint un héros, et, la rumeur publique ayant fait de lui, gardant l’entrée de l’allée menant au temple, l’image vivante d’un aigle en majesté, les villageois le surnommèrent dès lors « Jiang le vieil aigle ». On raconte que le doyen du village, Jiang Bagong, se rendit chez lui en tout humilité cette nuit-là et, ayant soulevé sa veste ouatée, lui réchauffa les pieds engourdis par le froid en les appliquant contre sa poitrine. 

 

  后来,村子里的婆娘们就告诉自己的丈夫,蒋百年为啥要那么拼命地护寺呢?原来他的老婆私底下是一位笃诚的佛教徒,他要讨他老婆的欢心呢。

   尽管风传这样的冷言冷语,此事过后,蒋百年腰缠炸药包的形象还是被人记住了,他与翰林、湖盗一起,成了一位令人敬畏的人物。

 

Par la suite, les femmes du village racontèrent à leurs maris pourquoi Jiang Bainian s’était ainsi porté à la défense du temple au péril de sa vie : en fait, c’était parce que sa femme était en secret une fervente disciple du Bouddha, et qu’il avait ainsi pensé lui plaire.

Malgré ces racontars quelque peu ironiques, les gens gardèrent à l’esprit l’image d’un Jiang Bainian ceint d’un chapelet d’explosifs, image qui alla rejoindre celle du membre de l’Académie impériale et du bandit de grand chemin, au rang des personnages vénérés par les gens du village.

 

  蒋百年的老婆葛宝珍笃信阿弥陀佛,每个月的初一和月半吃素斋,逢菩萨的生日也吃素斋。她是个做事大大咧咧的女人,吃素斋的时候,偶尔也会尝一小口葱油饼什么的,吃得嘴巴“啧啧”响。葱油饼当然好吃,粉里拌了鸡蛋和切得绝细的香葱,放在热猪油里炸成两面金黄色,黄昏的时候坐在院子里吃这个,满桌子上就它最是鲜艳夺目,它是餐桌上开放的花,又大又香,简直压过院子里开放的香水玫瑰。

 

L’épouse de Jiang Bainian, Ge Baozhen, était une fervente disciple d’Amitabha ; le premier et le quinze de chaque mois, elle faisait maigre, ainsi que le jour de l’anniversaire du Bouddha. Elle n’était cependant pas d’une grande rigueur ; les jours où elle faisait maigre, elle pouvait, à l’occasion, goûter une petite bouchée de galettes à la ciboule, par exemple, qu’elle savourait en faisant claquer bruyamment la langue. Il faut dire que c’est un pur délice, les galettes à la ciboule, on mélange dans de la farine des œufs et de la ciboule coupée en tout petits morceaux, puis on les fait frire dans de la graisse de porc jusqu’à ce que les deux faces soient bien dorées ; quand on en mange à la tombée de la nuit, dans la cour de la maison, la table entière resplendit de cette couleur éblouissante, on dirait de grandes corolles de fleurs parfumées décorant un festin, et leur senteur l’emporte même sur celle des roses épanouies dans la cour.

 

  这天是月半,照例上山烧香叩头的日子。一大早,村里的几个女人就来到蒋家叫葛宝珍,葛宝珍让她们坐在院子里,自己楼上楼下地跑,屋前屋后地转。几个人等了片刻,不耐烦起来,一个叫马淑琴的中年女人喊道:“葛宝珍,你再不走,我们就走啦。让你一个人孤零零地上山吧!”

  葛宝珍马上出现在她们的面前,应着:“来了来了!”

  ——走到外面,她小声说:“我亲家两口儿昨天傍晚来的,要住两天才走。我五点钟就起来给他们煮粥、摊饼——这两天我可是有事情做了。”

她说完嘴巴美滋滋地吧嗒了一声。马淑琴把脸凑过去仔细看看她,问道:“葛宝珍,你的嘴巴上怎么回事?油光光的,你又偷吃什么东西了吧?”葛宝珍用手擦擦嘴,睁大眼睛,摆出一副抵赖的样子:“什么?我偷吃东西了?我偷吃什么了?你再胡说八道,等会儿在菩萨面前打你的屁股。”

Ce jour-là, un quinze du mois, jour où la coutume veut que l’on monte se prosterner devant le Bouddha et brûler de l’encens, quelques femmes du village passèrent de très bonne heure chercher Ge Baozhen ; après les avoir fait asseoir dans la cour, celle-ci s’affairant en courant de tous côtés, montant et descendant, entrant et sortant, au bout d’un certain temps, à bout de patience, une femme d’un certain âge du nom de Ma Shuqin lui cria : « Ge Baozhen, si tu n’es pas prête, on va y aller. Tu n’auras qu’à monter toute seule. »

Ge Baozhen arriva tout de suite et leur dit : « J’arrive, j’arrive ! ».

Une fois dehors, elle expliqua à voix basse : « Hier soir, deux de mes proches parents sont arrivés à la maison, ils vont rester deux jours avant de repartir. Je me suis levée à cinq heures du matin pour leur préparer du gruau de riz et des galettes – les deux jours qui viennent, je vais certainement avoir pas mal de choses à faire. »

Sur ces mots, elle fit claquer ses lèvres d’un air réjoui. Ma Shuqin s’approcha pour la regarder de plus près et lui dit : « Ge Baozhen, qu’est-ce que tu as sur les lèvres ? Elles sont brillantes de graisse, est-ce que tu n’aurais pas mangé quelque chose en cachette ? » Ge Baozhen s’essuya les lèvres de la main et, écarquillant les yeux, fit mine de nier effrontément : « Quoi ? Moi, manger quelque chose en cachette ? Et qu’est-ce que j’ai mangé en cachette ? Tu dis à nouveau n’importe quoi, attends un peu qu’on soit devant le Bouddha, je vais t’envoyer une bonne claque sur le derrière. »

 

她们上了满山,来到寺庙里。天还没怎么亮,庙里黑乎乎的。除了她们几个,还有别的村里的妇女也在烧香或轻声唱经。葛宝珍走进庙里的时候,一个跪在菩萨面前的老女人嘀咕了一声:“谁吃了荤啊?”这老女人形容干枯,瘦得剩一把骨头,头发却整整齐齐地挽在脑后。葛宝珍偏过头去一看,认得是浦村的戚寡妇。这戚寡妇是个没人敢惹的主,她打一斤酱油,非要人家给一斤二两不可,她说人家短秤。不补给她二两的话,她就朝地上一躺,说出她的经典名言:“我是个寡妇!我要什么没什么。你们样样齐全,当然要欺负我这个苦命人。可怜可怜我这个苦命人吧!我在菩萨面前给你们烧高香了。”

葛宝珍见到是她,肩膀一耸,暗地里一笑,马淑琴看到她的笑容,嘲讽地在她的胳膊上揪了一下。

 

Au sommet de la montagne aux bambous, elles arrivèrent au temple. Il ne faisait pas encore jour, et l’intérieur était très sombre. Outre leur petit groupe, il y avait aussi là quelques femmes d’autres villages qui brûlaient de l’encens ou psalmodiaient des prières à voix basse. Lorsque Ge Baozhen pénétra dans le temple, une vieille femme agenouillée devant le Bouddha grommela : « Qui a mangé gras ? » C’était une vieille femme toute sèche, si maigre qu’elle n’avait plus que la peau sur les os, mais dont les cheveux étaient impeccablement tirés en arrière. Ge Baozhen pencha la tête pour la regarder et reconnut la veuve Qi du village de Pu. Cette veuve Qi était quelqu’un que personne n’osait irriter ; si elle commandait une livre de sauce au soja, personne n’aurait songé à ne pas lui en donner une vingtaine de grammes de plus, car elle disait que les gens avaient des balances fausses. Si quelqu’un s’aventurait à ne pas lui rajouter ces grammes supplémentaires, elle s’allongeait par terre et lui sortait sa litanie habituelle : « Moi, pauvre veuve, je ne possède rien. Vous, vous avez à profusion tout ce que vous désirez, et bien sûr vous voulez encore me tromper, moi, malheureuse créature. Ah ! quel misérable sort que le mien, quel misérable sort ! Je vais aller brûler pour vous des bâtons d’encens devant le Bouddha. »

Lorsque Ge Baozhen vit que c’était elle, elle haussa les épaules et rit sous cape ; la voyant rire, Ma Shuqin lui pinça le bras d’un air moqueur.

 

  葛宝珍上了香和供品,跪下来。她与戚寡妇隔着七、八个人,但是戚寡妇还是从空气里嗅到了一些什么。不,确切地说,是感觉到了什么。戚寡妇直起上半身,张开她那薄削的鼻孔,脑袋慢吞吞地四下转一圈,厉声问:“谁吃了荤啊?”她的声音嘶哑悠长,在黑暗静谧的屋子里显得十分凄凉。一时间,她成了众人瞩目的中心,她得意起来,晃晃身体,语调平和地重申:“有人吃了荤了。”

大家都不去看她,该烧香的烧香,该诵歌的诵歌。戚寡妇在众人的脸上扫了一眼,心里开始打退堂鼓。这件事眼看着再过几秒钟就没人理会了,突然事情起了变化,佛堂里走进一个和尚,傲慢地问:“我听说谁在今天吃了荤了?”

 

Ge Baozhen alluma ses bâtons d’encens, déposa ses offrandes puis s’agenouilla. Sept ou huit personnes la séparaient de la veuve Qi, mais celle-ci arrivait quand même à sentir les effluves qui flottaient dans l’air. Ou, pour être plus précis, elle avait le sentiment qu’il y avait quelque chose dans l’air. Elle redressa alors le buste, ouvrit grand ses narines très fines, tourna lentement la tête dans toutes les directions et demanda d’un ton sévère : « « Qui a mangé gras ? » Dans la paisible obscurité de la pièce, sa voix rauque et traînante donnait une impression lugubre. En un instant, tous les regards se concentrèrent sur elle ; contente de son effet, elle se redressa en balançant les épaules et répéta d’un tonposé : « Il y a quelqu’un qui a mangé gras. »

Plus personne ne la regarda, tout le monde se remit à brûler les bâtons d’encens à brûler, à psalmodier les prières à psalmodier. Après avoir balayé l’assistance d’un regard, la veuve Qi prit le parti de battre en retraite. Quelques secondes plus tard, plus personne ne songeait à l’affaire lorsque soudain se produisit un événement qui changea tout : entra dans la salle du temple un moine qui demanda d’un air hautain : « D’après ce que j’ai entendu dire, quelqu’un aujourd’hui a mangé gras ? »

 

女人们看到他,不安地交头接耳,就像一阵风刮过池塘,又像一阵风刮起了一堆干草。这和尚大家自然是认得的,一个小庙,大家常来常往,每个和尚从什么地方来,什么脾性,大家都是清楚的。一般来说,寺里的和尚都是安静祥和的人,走进来的这个和尚叫智修1,恰恰不是个安静祥和的人物。有人说他极聪明能干,精通周易八卦2。但他脾气暴躁,为人自大。原先是城里一座大寺里的和尚,因为老是和师兄弟们拌嘴,还经常对香客胡乱预言命运,香客告了状,被住持赶到这里来修炼。

1. 智修 zhìxiū celui qui cultive son savoir – nom évidemment ironique.

2. 精通 jīngtōng connaître à fond, être un expert en… 周易 Zhōu Yì autre nom du Livre des mutations, ou Yi Jing (易经) – Zhōu Yì ou Mutations des Zhou, car il est réputé dater du 1er millénaire avant JC, soit l’époque de la dynastie des Zhou. Considéré comme le plus ancien texte chinois, c’est un traité ésotérique servant à prédire les états du monde et leur évolution, dans le but d’aider à la prise de décision, voire à mieux se connaître et maîtriser son destin. La lecture se fait à partir de 64 hexagrammes ou 八卦 bāguà. Il est évidemment étonnant – et ironique - de voir un moine bouddhiste spécialiste « du Zhōu Yì et des hexagrammes » car le livre est empreint de sagesse taoïste. Mais c’est aussi une pointe pleine d’humour envers la confusion entre les différentes croyances au niveau de la religion populaire en Chine.

 

Les femmes, en le voyant, se mirent à échanger des conciliabules à voix basse, on eût dit un coup de vent passant sur l’eau d’un étang, ou soulevant un tas d’herbes sèches. Ce moine, tout le monde, naturellement, le connaissait ; dans un petit temple, on parle beaucoup, tout le monde sait exactement d’où vient chacun des moines, et quel est son caractère. D’une manière générale, dans un monastère, les moines sont des gens calmes et de bon aloi, mais le moine qui venait d’entrer, justement, n’était ni l’un ni l’autre. Il s’appelait Zhixiu et avait la réputation d’être intelligent et compétent, particulièrement en matière de Yijing et d’hexagrammes. Mais il avait un tempérament irascible, et un comportement suffisant. Auparavant, il avait été moine dans un grand monastère de la ville, mais, comme il n’arrêtait pas de se disputer avec le supérieur et les autres moines, et provoquait même souvent des plaintes de la part de fidèles qu’il avait menacés de prédictions fantaisistes, il avait été envoyé par le supérieur dans ce temple pour s’y amender.

 

  他走进屋来,站在那里像一座铁塔一样。屋里很暗,但是葛宝珍看见了智修脸颊上没刮干净的两道络腮胡子,它们呈现出让人害怕的青黝黝的光。他问完话,一个一个地挨着审视,他看到葛宝珍时,葛宝珍忽地在人群里举起手,诚实地招认:“是我,是我尝了一口葱油饼。”

谁也不知道这时候的葛宝珍是怎么想的,促使她举手认账的动机是什么。事情发生得太快,也许她自己都不太清楚到底想了些什么。有一点肯定的是,她的诚实表白让众多的女人松了一口气,当然戚寡妇除外。大家都想,凭着葛宝珍的身份,只要她认下账,这事情就轻松地过去了。

 

Lorsqu’il pénétra dans la salle du temple, il resta figé à l’entrée comme une statue. Malgré l’obscurité ambiante, Ge Baozhen pouvait distinguer, des deux côtés de son visage, les traces de favoris qu’il n’avait pas rasés et dont la vague lueur sombre avait quelque chose d’inquiétant. Une fois sa question posée, il scruta le visage de chacune des femmes, une à une ; lorsqu’il arriva à Ge Baozhen, celle-ci, soudain, leva la main au milieu des autres et avoua franchement : « C’est moi, c’est moi qui ai goûté une bouchée de galettes à la ciboule. »

Personne ne sait ce qu’elle pensa à ce moment-là, ni ce qui la poussa à lever la main et reconnaître sa faute. Tout cela était arrivé très vite, peut-être elle-même ne savait-elle pas exactement ce qu’elle avait alors pensé Ce qui est à peu près sûr, cependant, c’est que cette déclaration sincère fit pousser un soupir de soulagement à nombre de femmes autour d’elle, à l’exception, bien évidemment, de la veuve Qi. Elles pensaient toutes que, vu la position sociale de Ge Baozhen, il suffisait qu’elle reconnût ses torts, et l’affaire serait réglée.

 

  智修好像没听清楚,瞪大了眼睛凶狠地直视葛宝珍,问:“你吃了什么?”葛宝珍在大庭广众被这和尚逼问,不由得又是羞愧又是后悔。事到如今,无可奈何地回答:“我尝了一口葱油饼。”智修想了一想又问:“是不是猪油煎的?”这次葛宝珍闭紧嘴巴了。智修看了一眼葛宝珍,低下头,嘴里开始嘀嘀咕咕的,像是在祈祷,又像在咒骂。马淑琴挤上来劝解道:“大师傅,你饶了她吧。她平时做了很多好事呢。她的当家人,你也许听说过,叫蒋百年……蒋老鹰的,‘文革’时候护过这座庙的……”智修嘴巴里停止嘀咕,手一摆打断女人的唠叨,朝葛宝珍脸上一指:“你冒犯菩萨,马上就有大祸降到你头上了!”葛宝珍终于忍不住了,喊道:“我要见方丈。方丈不像你这样的。”智修说:“方丈今天生病了,在床上躺着起不来了。你快快回去吧,把你嘴里的腥味刷干净。”

葛宝珍默默地走了出去,脚步沉重,下山的路比来的时候长了好几倍。

 

Zhixiu, semble-t-il, n’avait pas bien pas bien entendu ; fixant sur Ge Baozhen un regard mauvais, il lui demanda brutalement : « Qu’est-ce que tu as mangé ? » Ainsi harcelée en public par le moine, Ge Baozhen ne pouvait qu’en ressentir de la honte mêlée de regrets. Dans ces circonstances, elle n’avait d’autre choix que de répondre : « J’ai goûté une bouchée de galettes à la ciboule. » Zhixiu resta pensif un instant puis demanda à nouveau : « Ne fait-on pas frire ces galettes dans de la graisse de porc ? » Cette fois, Ge Baozhen, les lèvres pincées, resta muette. Zhixiu lui lança un coup d’œil, baissa la tête et se mit à marmonner comme s’il murmurait une prière, ou une incantation. Ma Shuqin se hâta d’intervenir pour calmer les choses : « Maître, pardonnez-lui. Elle fait d’habitude plein de bonnes actions. Et vous avez peut-être entendu parler de son mari, Jiang Bainian… celui qu’on appelle Jiang le vieil aigle, et qui a défendu ce temple pendant la Révolution culturelle … » Zhixiu cessa son murmure, d’un geste de la main arrêta le bavardage de la femme, et s’adressa à Ge Baozhen en pointant du doigt son visage: « Tu as offensé le Bouddha, un grand malheur va te frapper. » Ge Baozhen, finalement, n’y tint plus et lui cria : « Je veux voir le supérieur. Le supérieur, lui, n’est pas comme vous. » A quoi Zhixiu répliqua : « En ce moment, le supérieur est malade, il est alité et ne peut se lever. Rentre vite chez toi et va te nettoyer la bouche pour faire disparaître cette odeur de viande. »

Ge Baozhen sortit en silence, d’un pas pesant, et mit bien plus de temps à redescendre au village qu’elle n’en avait mis pour monter au temple.

 

  她刚出去,智修就显能说:“对那些存心亵渎佛祖的人,佛祖的惩罚最严厉了。你们瞧着,不出三天,她就会出车祸。我说话是极准的。”

  邻村的一个老太太听不过去,说:“阿弥陀佛!你还准呢?谁不知道你在城里胡乱给人算命,出了事才到我们这里来的。”

智修对老太太翻了一个白眼,这话说到了他的痛处,他不好说什么,转身走出来了。到了门外无人的地方,他歪着脑袋,两眼瞧着天上,愤愤不平地自言自语:“哼,葱油饼!我有三十年没碰过它了,你倒是想吃就吃的……”呆乎乎地想了一想,猛然一跺脚,正想再次发点什么牢骚时,屋子后面转出一个和尚,对他说;“智修,你又在乱思乱想什么,是不是又被师傅训了?”智修正想发作一下,那和尚也不理他,一阵风似的走了。

 

A peine était-elle partie que Zhixiu, étalant son savoir, expliqua : « C’est envers ceux qui profanent délibérément les mânes du Bouddha que son châtiment est le plus sévère. Vous verrez que, dans les trois jours qui viennent, elle aura un accident de voiture. Ce que je vous dis là est l’exacte vérité. »

Une vieille femme d’un village voisin qui ne voulait pas s’en laisser compter s’écria : « Dieu du ciel ! Toi, dire l’exacte vérité ? Tout le monde sait bien qu’en ville tu as prédit n’importe quoi et c’est justement pour cela que tu as été envoyé ici. »

 

Zhixiu jeta sur cette vieille femme un regard méprisant, mais, comme ces paroles touchaient chez lui un point sensible, il lui était difficile de répondre ; tournant les talons, il sortit. Ayant trouvé un endroit isolé, la tête inclinée et le regard tourné vers le ciel, il se dit en lui-même d’un air furieux : « Pouah ! Des galettes à la ciboule ! Moi, cela fait trente ans que je n’en ai pas touché, et toi, parce que l’envie te vient d’en manger, tu en manges… » Plongé dans ses pensées, l’air absent, il tapa rageusement du pied et allait exprimer quelque nouveau grief, quand apparut un moine qui lui dit : « Zhixiu, tu as de nouveau l’esprit qui déraille, le supérieur ne t’a-t-il pas déjà mis en garde contre cela ? » Zhixiu était sur le point de se mettre en colère, mais le moine, sans lui prêter plus d’attention, disparut en coup de vent, aussi vite qu’il était apparu.

 

2 太阳升起很高了,山上吹着小风,被夜露打湿的路和树都干了。平常从庙里下来,是葛宝珍最快活的时候,谁不知道她的男人护过这座寺庙?谁不知道她的男人宝贝她?但是今天不同了,葛宝珍一步一拖,走到半山腰就再也走不动了,坐下来睁大着眼睛喘气,眼睛里空空的,什么也看不到心里去。

 

Le soleil était déjà haut, une légère brise soufflait sur la montagne, séchant les dernières traces de rosée nocturne sur le chemin et les arbres. D’habitude, c’était lorsque Ge Baozhen revenait du temple qu’elle était le plus gaie ; qui ignorait que c’était son mari qui avait protégé le temple ? et que c’était parce qu’il l’adorait ? Mais aujourd’hui, c’était différent, Ge Baozhen avançait en traînant les pieds ; arrivée à mi-pente, elle s’arrêta et s’assit pour reprendre son souffle, les yeux grands ouverts, totalement vides, comme si rien de ce qu’elle voyait ne pouvait parvenir jusqu’à son esprit.

 

  过了一会儿,同村的女人们从庙里赶过来了,于是她们一起坐在地上休息。很奇怪,天并不热,葛宝珍的身上却一个劲地出冷汗,额头上的汗珠密密地朝下流,擦也擦不完的样子。马淑琴怜惜地看着她说:“葛宝珍,你想开点。自古以来吃荤的和尚都多的是,你没听说过‘酒肉穿肠过,佛祖心中留’这句话?你不过是尝了一口葱油饼。智修是个恶和尚,你别听他胡说八道。上次他说人家刘三婆婆不敬菩萨,要遭天雷打。人家刘三婆婆听了哈哈一笑,理也不理他,到今天还活得好好的。”葛宝珍听到马淑琴拿刘三婆婆打比方,心里有些不悦,因为刘三婆婆无儿无女,一年四季有三个季节在外面捡垃圾或乞讨,她住的房子在湖边,两间破瓦房,又小又潮湿。这个乞丐婆逢人就说好话,点头哈腰,怎么和她能比呢?她是蒋百年的老婆,蒋百年在地方上是一个人物,这么多年来她帮着丈夫经营家业和声誉,里里外外一把手,她不是个等闲之辈,算得上是一个女中丈夫。

   葛宝珍抹了一把汗,不说话,站起来先走了。

 

Au bout d’un moment, des femmes du même village qui revenaient du temple la rejoignirent et s’assirent par terre avec elle pour se reposer. Etrangement, il ne faisait pas chaud du tout ; pourtant, Ge Baozhen était trempée d’une sueur froide, de son front coulaient d’abondantes gouttes de sueur qu’elle ne cessait d’essuyer. Prise de pitié en la voyant ainsi, Ma Shuqin lui dit : « Ge Baozhen, détends-toi un peu. Depuis les temps les plus reculés, nombreux sont les moines qui ont mangé gras, n’as-tu pas entendu dire que « l’alcool et la viande passent dans le ventre, l’esprit du Bouddha reste dans le cœur » ? Tu as goûté une bouchée de galettes à la ciboule, c’est vrai. Mais Zhixiu est un moine malveillant, n’écoute pas ses stupidités. La dernière fois, il a dit à la mère Liu qu’elle avait manqué de respect envers le Bouddha et qu’elle allait être frappée par la foudre. Ça l’a bien fait rire, la vieille Liu, elle n’y a prêté aucune attention et elle est toujours en bonne forme. »

 

En entendant Ma Shuqin citer l’exemple de la mère Liu, Ge Baozhen, en elle-même, ne fut pas très contente, car la mère Liu en question n’avait pas d’enfants, elle passait les trois quarts de son temps dehors, tout au long de l’année, à ramasser des ordures et à mendier, et elle habitait deux petites pièces au bord du lac, délabréeset humides. Cette vieille quémandeuse qui avait toujours des paroles mielleuses à la bouche en se confondant en courbettes, comment pourrait-elle lui être comparée ? Elle était, elle, l’épouse de Jiang Bainian, ce Jiang Bainianqui était devenu une célébrité dans le coin, et qu’elle aidait depuis des années à gérer les affaires familiales et à soigner sa réputation, s’acquittant de toutes ses taches avec une parfaite efficacité ; elle n’était pas du genre à rester sans rien faire et était considérée comme une maîtresse femme, une battante parmi les autres femmes.

Ge Baozhen s’essuya le front sans rien dire, se leva et partit.

 

  葛宝珍回去就睡觉。蒋百年带着亲家到镇上去了,中午就在那里吃了饭,一直到傍晚,两亲家才在路上搭上蒋百年的中巴车回村。葛宝珍在无人干扰的情况下从中午睡到傍晚。当蒋百年把她从绣着鸳鸯图形的枕头上摇醒时,她糊里糊涂地看一眼老伴温和的笑脸,又看一眼窗外浅黑的天色,喃喃地说:“天还没亮呢,淑琴她们要到出太阳的时候才来叫我上山。”她一刹那把今天上午发生过的事忘了,以为一切还可以重来一遍的。

   她坐起来,把丈夫支出去,想起智修的预言,郁闷地淌了几滴眼泪,然后爬起来给一家人做了晚饭。两亲家嚷嚷着早晨的葱油饼好吃,她只得又做了几张葱油饼。看着大家争着吃饼,她一个人没滋没味地在旁边喝着米粥。

   这情形被蒋百年看在眼里。

   晚上睡觉时,蒋百年问她:“你今天精神不大好,是不是上山去受了风寒?”葛宝珍闷着头在床上整理被子,淡淡地说:“没有。立秋了,我浑身乏力,每年立秋都是这个样子。”铺好被子,她自己先躺下来,脸朝着墙,摆出一副不愿答理别人的样子。蒋百年在她身后坐了一会儿,看她没有回心转意的迹象,就干笑了一声,走出门到马淑琴家去。

[rentrée chez elle, elle dort toute la journée, son mari la réveille le soir pour qu’elle prépare le dîner. Tout le monde mange ses galettes à la ciboule, sauf elle. Son mari remarque qu’elle n’est pas bien, et au moment de se coucher, lui demande ce qu’elle a, mais elle reste évasive et se retourne pour dormir. Alors il part chez Ma Shuqin]

隔着没多远就听见她家里吵嚷得厉害,走近了,才知道她与两个双胞胎男孩吵成一团。她对孩子们嚷嚷说,当年她求菩萨,只要一个的,又没要两个,请他们中间的一个谁现在就回去吧。一个男孩眼泪汪汪地说:“你让我们回到什么地方去?”淑珍大声说:“从什么地方来的就到什么地方去,你们两个读书不用功,以后只能像刘三婆婆那么活。我要你们干什么?你们趁早走一个。”另一个男孩儿凶狠地说:“我们要走就一起走,你休想留下一个当奴隶。”马淑珍的丈夫阿坤背对着他们看电视,“哈哈”狂笑起来,不知道是听了这句话觉得好笑,还是从电视里看到了什么好笑的东西。

   蒋百年站在门口,轻轻咳了两声。还是阿坤听到了,拿了香烟走出来。蒋百年说:“我不抽烟,戒了一年多就没上过嘴。”阿坤自己点燃了一支香烟吸着,隔着香烟不好意思地笑了一笑,说:“家里这三个东西老是闹哄哄的。”蒋百年说:“哪家不是这样的?就说我家里那口子,先是请了观音1,后来又请了大肚菩萨2、钟馗3、八仙4……说是避邪的。前几天又要我上城里给她带一张毛主席的像,说如今时兴家里挂毛主席的像,也是避邪的。我总是忘了这件事,今天想着你是做古董生意的,你手上兴许有。”阿坤殷勤地说:“有,有,我手上有几张‘文革’时候的毛主席像,朋友托我卖的。百年哥,我去拿一张你看看。”

片刻,蒋百年拿到毛主席像,看也不看,握在手里说:“你忙吧。明天和你算钱。我走了。”他走到门口,回过头,好像无意中说道:“你嫂子今天和淑琴她们上山,回来精神不太好。淑琴有没有告诉你什么?”

 

1. 观音 Guānyīn le bodhisattva de la compassion, l’équivalent chinois d’Avalokiteshvara, devenue divinité populaire féminine en Chine ; son nom signifie « celle qui est à l’écoute des sons du monde », c’est-à-dire des voix de ceux qui souffrent. Autre exemple de syncrétisme religieux, elle est placée au rang des immortels par les Taoïstes.

2. 大肚菩萨 dàdùpúsà le Bouddha au gros ventre, ou Milefo (弥勒佛), moine ventripotent et souriant devenu en Chine incarnation de Maitreya selon une légende populaire. Son ventre est signe et présage de prospérité.

3. 钟馗 Zhōng Kuí célèbre légende aux multiples variantes qui raconte l’histoire d’un talentueux lettré arrivé premier aux examens impériaux, mais auquel l’empereur refusa le titre qui lui revenait de droit car, selon lui, son extrême laideur le rendait impropre à exercer une fonction publique. Choqué, Zhong Kui se suicide en se fracassant la tête sur les marches du palais, ce qui le condamne à l’enfer. Mais le roi des Enfers le nomme roi des démons, en charge de les chasser et de les éliminer. En tant que tel, il est devenu une sorte de divinité, liée à d’anciens rites d’exorcisme.

4. 八仙 bāxiān les Huit Immortels, autres célèbres divinités du taoïsme populaire.

 

Alors qu’il arrivait tout près de chez elle, il entendit le bruit d’une altercation terrible qui provenait de la maison ; s’approchant encore, il reconnut sa voix et celle de ses deux jumeaux qui se disputaient ; elle hurlait aux enfants que, cette année-là, elle était allée prier le Bouddha pour lui demander un fils, et non deux, et qu’il fallait donc, maintenant, qu’il y en ait un des deux qui parte. L’un des enfants en larmes lui dit : « Où veux-tu qu’on aille ? » Shuqin répondit en criant : « Vous n’avez qu’à repartir d’où vous

 

Milefo entouré de ses disciples au mont Feilai, à Hangzhou

venez, vous ne faites rien en classe, ni l’un ni l’autre, vous finirez comme la mère Liu. Vous voulez savoir ce que je veux que vous fassiez ? Que l’un de vous deux fiche le camp au plus tôt. » L’autre enfant lui répliqua violemment : « S’il faut qu’on parte, on partira tous les deux, n’espère pas que l’un de nousdeux reste ici à te servir de domestique. » Le mari de Ma Shuqin, Akun, qui regardait la télévision en leur tournant le dos, se mit à rire bruyamment, sans que l’on puisse savoir s’il avait éclaté de rire parce qu’il trouvait drôle ce qui venait de se dire, ou parce qu’il était en train de regarder quelque chose de drôle à la télévision.

 

Zhong Kui

 

Debout à l’entrée, Jiang Bainian toussota deux fois ; quand Akunl’entendit, il lui tendit une cigarette, mais Jiang Bainian répliqua : « Je ne fume plus, j’ai arrêté il y a plus d’un an et n’ai plus touché une cigarette depuis. » Akun, lui, s’en alluma une, en tira une bouffée en écartant un peu sa cigarette, et lui dit avec un rire gêné : « Dans cette famille, ces trois-là n’arrêtent pas de crier. » Jiang Bainian lui répondit : « C’est bien partout pareil. Mais à la maison, ma femme au début priait Guanyin, puis elle s’est mise aussi à prier Milefo, Zhong Kui, les huit Immortels… elle dit que c’est pour éloigner les esprits malins. Il y a quelques jours, elle m’a aussi demandé de lui rapporter de la ville une image du président Mao (8), elle dit que, maintenant, si l’on suspend une image du président Mao chez soi, cela aussi éloigne les esprits malins. Je n’y pense jamais, mais, aujourd’hui, je me suis dit que, comme tu fais commerce d’objets anciens, tu en as peut-être. » Akun répondit avec empressement : « J’en ai, j’en ai, j’ai quelques affiches du président Mao qui datent de la Révolution culturelle, c’est

un ami qui me les confiées pour que je les lui vende. Je vais t’en chercher une, vieux frère. »

 

Jiang Bainian prit l’affiche sans même la regarder, et lui dit, l’afficheà la main : « Tu es occupé, je reviendrai demain te régler. Il faut que j’y aille. » Il alla jusqu’à la porte, puis se retourna et demanda comme par inadvertance : « Ge Baozhen est montée au temple, aujourd’hui, avec Shuqin et les autres, quand elle est revenue, elle n’avait pas l’air dans son assiette. Shuqin ne t’a rien raconté ? »

 

  蒋百年很快就从阿坤那里得知妻子和智修的冲突了。阿坤说到预言那一节时,十分激动,结结巴巴,语无伦次,好像他亲身经历了一样,从中也可以想见当淑琴向他描述这件事时有多么激动。

  现在我开始说蒋百年了。当蒋百年听见智修的预言时,他脑子实实地晕乎了一下。但他是个要强的男人,他不会让别人看见他内心的慌张,一丝一毫也不会。他马上笑起来,满不在乎地说:“谁不知道智修这东西老是胡说八道?他的话也能信?”

事至此,他的思路和所有人一样,放到那个莫名其妙的预言上去了。大家都想:就算这个预言是荒唐可笑的,但是天有不测风云,万一说准了呢?这世道谁都靠不住,只有靠自己凡事小心在意。

 

Les Huit Immortels

 

Akun lui raconta alors brièvement le heurt qui s’était produit entre son épouse et Zhixiu. Lorsqu’il en vint à la prédiction du moine, il se mit à bégayer d’excitation et à tenir des propos sans suite, comme s’il en avait fait personnellement l’expérience, ce qui permettait d’imaginer l’émotion qui devait être celle de Shuqin lorsqu’elle lui avait décrit la scène.

 

Quant à Jiang Bainian, lorsqu’il apprit l’histoire de la prédiction de Zhixiu, il sentit la tête lui tourner un peu. Mais il n’était pas homme à se laisser abattre facilement, et il n’aurait pas voulu que l’on pût dénoter chez lui le moindre affolement. Il se mit soudain à rire et déclara d’un ton insouciant : « On sait bien que Zhixiu raconte constamment ce genre de bêtises. Qui pourrait bien croire ce qu’il dit ? »

 

Jusque-là, il avait la même façon de penser que tout le monde, et ce n’est pas cette prédiction déconcertante qui le fit changer. L’opinion générale était qu’il s’agissait là de propos absurdes frisant le ridicule ; personne ne saurait prévoir ce que nous réserve le ciel, et encore moins avec autant de précision ; de tels raisonnements n’étant pas fiables, la seule chose à faire est d’être constamment sur ses gardes.

 

  屋子里淑琴和双胞胎不吵了,三个人六只大眼睛齐刷刷地望着他们。蒋百年被他们望得浑身不自在。

   他走时,阿坤追着他问:“百年哥,要不要叫人去教训那和尚一顿?请他滚回城里去,少在我们这里惹是生非。”蒋百年说:“教训他不管用的。”淑琴的丈夫眨巴着眼睛想不明白,为什么教训智修不管用?

[alors qu’il s’en va, Akun lui propose d’aller donner une bonne leçon au moine – à quoi cela servirait-il ? répond Bainian]

 

  蒋百年现在要走回家去。从淑琴家走到自己的家,需用大约十分钟时间,经过人居住的屋子和屋子边上的果园、花圃,再要经过一个大池塘。夜里的小路散发着鸡鸭的粪便味,新割的稻米味。橘子的清香是整个夜晚的大背景,晚饭花的味道特别悠长。秋露水下来了,露水没什么味道,但是你仔细想想,露水里就有淡淡的往事一样的味道。短短十分钟的路程,闭上眼睛都能摸回去的路,温暖可亲的路,蒋百年却走得风云变幻。

   如何描述蒋百年此时的心理活动是一个问题,他此时的心理十分复杂,当他得知那个预言时,他马上觉得自己矮了一头。这种感觉不仅是心理上的,还给他带来了无比真实的现实感。就像他现在走在路上,时不时地看看自己,再看看头顶上的月亮,寻思着:是不是今天的月亮特别地高,人的个子才显得特别地矮小?他皱起眉头。他不喜欢现在的感受,这种感受让他痛苦。

   刚才说过了,秋露水里有一股淡淡的往事一样的味道,这也是蒋百年的感受。想起了往事,他便觉得千言万语涌上心头。有些话是不能对别人说的,有些话只能对自己说。于是他在池塘边蹲下来,两只手抱住膝盖,这种姿势让他有了一种满足感和安全感。池塘里有一条鱼“啪”地跳了出来,又“啪”地落进水里,水波在月亮光里荡漾开来,伸展到岸边,岸上的虫子忽地齐声鸣叫起来。趁着这热闹的时候,蒋百年大声说:“蒋老鹰,你别信邪!”

[retour de Bainian, à pied, le long de petit étang près de chez eux – description de la nature, en lien avec les sentiments du personnage. Mais finalement en voyant un poisson sauter joyeusement dans l’eau, il rejette ses pensées sombres en refusant de croire aux forces occultes]

 

邪门的事还是发生了。这天夜里,蒋百年回去时对葛宝珍说:“有我在,你会活得好好的!”葛宝珍早就睡着了,听不见他的话。第二天早晨,蒋百年被葛宝珍推醒,葛宝珍一脸惊恐地说:“我做了一个噩梦,梦见被你的汽车压死了。”蒋百年推她一下,斥责她:“胡说!”葛宝珍激动地说:“我做了两个这样的梦,记得清清楚楚。百年,我要大祸临头了。”蒋百年披衣下床,被葛宝珍一把拖住,她可怜巴巴地说:“老头子,你到哪里去?”蒋百年掰开她的手说:“你放手,我要出去静静心。”

 

Il se produisit pourtant des événements étranges. Cette nuit-là, de retour chez lui, Jiang Bainian dit à Ge Baozhen : « Tant que je suis là, tu peux vivre tranquille. » Mais Ge Baozhen s’était endormie tôt et ne l’entendit pas. Le lendemain matin, de bonne heure, Jiang Bainian fut réveillé en sursaut par une Ge Baozhen à la mine terrifiée qui le secouait en lui disant : « J’ai fait un cauchemar, j’ai rêvé que je mourais écrasée par ta voiture. » Jiang Bainian la tança en la repoussant : « Tu dis n’importe quoi ! » Mais Ge Baozhen reprit avec excitation : « C’est la deuxième fois que je fais ce même rêve, j’en garde un souvenir très net. Bainian, il va m’arriver quelque chose de terrible. » Jiang Bainian se jeta une veste sur les épaules et repoussa Ge Baozhen qui s’accrocha pitoyablement à lui en lui disant : « Où vas-tu, dis ? » Jiang Bainian se dégagea et lui répondit : « Lâche moi, j’ai besoin de sortir pour reprendre mes esprits. »

 

  他走出去,四下望了一望,心里乱七八糟的,决定先到公厕解个手。村子里只有一个公厕,坐落在大路边上。他蹲下来,突然发现厕所门口有个人影一晃掩到墙边去了。他定定神喝道:“谁?”马上有个人走进来说:“我。阿坤。”蒋百年恼火地问:“你鬼鬼祟祟地干什么?”阿坤结结巴巴地说:“百年哥,我来向你说个事,你只当我放了个屁,别朝心里去……我老婆昨天夜里做了一个梦,说是宝珍嫂子被一辆汽车撞翻了,那汽车像你的汽车……”他还没说完,像一头蚱蜢一样蹦了出去。

   蒋百年蹲在那里,摇着头苦笑,一个劲地骂:“放屁放屁……”1

 

1. 放屁 fànglâcher un pet

 

Il sortit en regardant de tous côtés, en proie aux sentiments les plus confus, dans l’intention d’aller d’abord se soulager aux toilettes publiques, situées sur la grand-rue, les seules qui existaient dans le village. S’étant accroupi, il aperçut soudain à la porte une ombre qui passait furtivement le long du mur. Toute son attention en éveil, il cria : « Qui est là ? » Quelqu’un entra aussitôt et lui dit : « C’est moi, Akun. » Furieux, Jiang Bainian lui demanda : « Qu’est-ce que tu fabriques à te faufiler en douce comme ça ? » Akun bégaya : « Je suis venu te raconter quelque chose, vieux frère ; mais surtout ne le prends pas trop au sérieux, ce sont des histoires. La nuit dernière, ma femme a fait un rêve, elle a rêvé que Ge Baozhen se faisait renverser par une voiture, et apparemment c’était la tienne… » A peine avait-il fini de parler que, d’un bond de sauterelle, il se précipita dehors.

Accroupi là, hochant la tête avec un rire amer, Jiang Bainian lâcha une bordée d’invectives : « Tout ça, c’est vraiment du vent, du vent… »

 

  他提上裤子出去,迎面碰到刘三婆婆。刘三婆婆祖上可是显赫过的,她是那个冷脸翰林的后代。世事沧桑,刘三婆婆现在推着一辆破自行车,正要到镇上去捡垃圾。刘三婆婆碰到什么人都要说一番好话的,她一看见蒋百年话马上出了口:“英雄,你是个大英雄。真的是英雄……大英雄……”蒋百年闪到一边让她过去。

   刘三婆婆却不过去,慢吞吞地,不动声色地说:“你家要惹上麻烦了。我刚才看见淑琴,她告诉我说,夜里做了一个怪梦,说是宝珍被汽车碰坏了。她叫我不要去和别人说,但我看见她告诉方达海的老婆了。方达海的老婆肯定再要去告诉别人……百年兄弟,这几年你发了财,也不知道惦念惦念我们这种人。”

蒋百年什么也不说,让刘三婆婆走过去。刘三婆婆最想说的其实是最后那句话,听得出她是有点怨气的……仿佛村里对他蒋百年有怨气的人还不少,平时风平浪静的时候还不知道呢。

[en sortant des toilettes, Bainian tombe sur la mère Liu qui ne le laisse pas passer : elle a entendu parler de la prédiction et prédit des ennuis à Bainian, pour ne pas avoir suffisamment été compatissant avec les gens comme elle…]

 

  蒋百年接下来就碰到了村长,村长也是来上公厕的,这是他从小养成的一个习惯,一定要到这里来拉屎撒尿,否则就便秘。两个人脸对着脸,没有说话,乡下有身份的人在厕所里外是不说话的。两个人擦肩而过。蒋百年忽然起了疑心,他好像看见村长和他擦肩而过的时候脸上冒出一抹嘲笑。他回过头去叫住了村长:“你在笑我吗?”村长吓了一跳,慌忙回答:“没有没有。有啥好笑的?”蒋百年“噢”了一声就走。村长回答完了觉得不对劲,情绪激动地向蒋百年的背影招着手,喊道:“百年哥,你怎么用这种腔调跟我说话?”蒋百年头也不回地说:“就是用这种腔调!怎么?”这句话村长听到了,他不快地嘀咕:“妈的,人越老就越是像个小孩子。你当你真是个英雄啊?”

蒋百年不答理村长,他站下来四处看看,陡然觉得生活的什么地方隐藏着无形的杀气。他没有目标地冷冷地笑了一声,这一声冷笑颇有力量。

[puis il rencontre le chef de village, et réagit nerveusement en pensant que l’autre rit de lui dans son dos… ]

 

  大约一个小时后,他出现在满山上的庙里。住持把智修叫来,一边咳嗽,一边训斥他。智修等住持数落完,撅起嘴巴说:“你说来说去,就是说吃葱油饼是对的。我今天就下山去吃葱油饼。”说完扬长而去。住持猛地咳嗽了一阵,咳得弯下了腰。片刻直起身体对蒋百年说:“我不生气,我不生气……他心怀怨恨,不能开悟。这种人由他去,但是蒋先生要知道,种瓜得瓜种豆得豆,各人有多少福分上天早就注定好的。”蒋百年皱起了眉头,不快地说:“我从来没有做过伤天害理的事,难道上天也要整我一下吗?”住持从袖子里拿出一块手绢擦擦嘴,说:“今生修养,前生还有冤业呢。”蒋百年听出住持的话里有些傲慢,不禁笑了起来:“这么说这世上就没有地方讲道理了?”住持文绉绉地说:“你是我小庙的大恩人……”说完这句话后,他语气一顿,眼睛也垂了下去。他不喜欢提到这个话题,那让他有欠债不还的感觉。他继续说:“你是我小庙的大恩人。我会想办法在菩萨面前消你的罪业。你要静心,还要坚忍,不然有难。”

[après quoi Bainian monte au temple voir le supérieur – celui-ci fait venir Zhixiu, le tance et rassure Bainian qu’il remercie encore d’avoir sauvé le temple, mais en terminant sur une petite phrase qui sonne inquiétante dans le contexte : « Soyez serein, mais aussi persévérant, sinon vous courez au-devant de grands malheurs. »]

 

蒋百年被住持吓唬了几句,不好多说什么,忿忿地从山上下来,在山脚下碰到前来寻找他的老黄牛。今天应该是老黄牛出车,但老黄牛的孙女今天满月,他想在家里喝酒。他刚才把车子开到蒋百年家里去了。他走在村子里听别人议论说,蒋老鹰上山求菩萨去了。村里有些人这么说:别看蒋老鹰狠了大半辈子,人家智修胡说一句,他就顶不住了,吓得屁滚尿流地上山找方丈去了。方丈受过他好处的,铁定会为他消灾的。菩萨那边也能开后门的。老黄牛说完就笑出声来,他觉得这些话很好笑,太有趣了。他笑了一半没能笑下去,因为蒋百年的脸色陡然铁青。蒋百年咒骂道:“我一上山怎么就有人知道了?这个地方有鬼。”老黄牛劝解道:“百年,你这几天跟往常不太一样呢。这些小事也计较起来了?这样吧,不管有鬼没鬼,你今天也不要开车了。你今天开车是有危险的。你跟我到儿子家里喝两杯,消消闷,长点精神,下午再回去。”

 

Ces paroles effrayèrent Jiang Bainian qui préféra en rester là et redescendit du temple de mauvaise humeur ; arrivé en bas, il tomba sur Lao Huangniu qui le cherchait. Ce jour-là, c’était Lao Huangniu qui devait conduire le minibus, mais sa petite-fille avait juste un mois et il voulait rester chez lui boire quelques verres en cet honneur. Il venait juste d’arriver chez Jiang Bainian pour lui laisser la voiture. Au village, il avait entendu dire que le vieil aigle, comme on l’appelait, était monté prier le Bouddha. Certains des villageois allaient jusqu’à dire que, bien quele vieil aigle, toute sa vie, ait été une forte tête, lorsque ce Zhixiu avait débité ses bêtises, il avait craqué, et, cédant à une panique viscérale, était monté au temple voir le père abbé. Comme celui-ci avait bénéficié de ses faveurs, il était sûr et certain qu’il pourrait en retour lui éviter une catastrophe. Auprès du Bouddha, aussi, on peut se faire pistonner. Sur ces paroles, Lao Huangniu éclata de rire ; il pensait que c’était vraiment très drôle, à mourir de rire. Mais il ne rit qu’à moitié, car Jiang Bainian avait soudain blêmi et se mit à vociférer : « Les gens ont su que j’étais là-haut dès que j’y suis arrivé, comment cela se peut-il ? Il faut croire qu’il y a des esprits dans cet endroit-là. » Lao Huangniu tenta de le raisonner : « Bainian, tu n’es pas dans ton état normal. Comment peux-tu croire à des balivernes de ce genre ? Dans ces conditions, aujourd’hui, esprits ou pas esprits, tu ne peux pas conduire ; ce serait trop dangereux. Tu vas venir avec moi chez mon fils boire un verre ou deux, dissiper ton humeur noire et retrouver ton entrain ; tu reviendras chez toi dans l’après-midi. »

 

  葛宝珍夜里连续做了两个噩梦,白天一边手里做着事,一边心里胡思乱想。往常这时候她可是精神十足的,有时候嘴里还要哼哼地方小调。两亲家坐在院子替她剥毛豆,他们自然不知道她的身上发生了什么事,就是知道了他们也不会多说些什么。后来马淑琴打来了一个电话,说她家里大蒜叶子没有了,问葛宝珍可有。葛宝珍刚回答说没有,马淑琴紧跟着说蒋百年上山了。

   葛宝珍“啊呀”一声,浑身冷了。

   放下电话,葛宝珍就呆呆地守在电话边上。她像痴了一样,守了一个多小时。突然醒悟过来,明白自己根本不知道要守候些什么,这才给村长家里打了一个电话,村长不在,村长的老婆知道蒋百年上山去了,她安慰葛宝珍没事的,说,凭着蒋老鹰的为人处世,那智修还不乖乖认错。再说这件事确实是智修不对,佛也不是这样强加于人的。吃了一块葱油饼并不说明这个人对佛祖就不诚心了。葛宝珍听得眼泪汪汪的,不停地擦眼睛,她现在安心多了。她小声纠正村长的老婆:“不是一块,我就吃了一小口。”

心情大好的葛宝珍开始准备午饭。亲家婆在院子里笑着喊她,说:“宝珍,我还想吃葱油饼呢。真是百吃不厌的。我回去就吃不到了。”葛宝珍答应着去屋后橘园边上掐葱,心里说:“我才不管你这个老太婆爱吃不爱吃。”她想的是蒋百年,此时,她对老伴满心的感激,她想不通怎么找了这么一个好丈夫。其实她一开始根本不会做葱油饼,只是看见蒋百年到别人家里去最爱吃这道点心,才下决心学会了。今天中午当然她会把自己的心全融到葱油饼里去,不怕他吃了不开心。

 

[Ge Baozhen ayant fait deux cauchemars dans la nuit, elle a des idées noires, et plus encore quand elle apprend que Bainian est monté au temple – tout le monde tente de la consoler. Rassérénée, elle se met à préparer ses fameuses galettes à la ciboule, c’est le plat préféré de son mari…]

 

  做葱油饼就四样东西:糯米粉、葱、鸡蛋、盐。并不是鸡蛋和葱越多越好吃。不是的,恰到好处才好吃。什么是恰到好处?在到位的地方多一点点。什么东西多一点点?那就是葛宝珍的经验在起作用了。

   这天中午,葛宝珍做好葱油饼,又做了几个菜,坐在院子里的树阴下等蒋百年。蒋百年的手机没有带走,就放在床头。眼看过了午饭的时间,她打发两亲家先去吃。两亲家让她过去和他们一起吃,她坚决地拒绝了。她往常不是这样的,往常她和蒋百年两个人的日子过得松松散散的,谁先吃谁先睡没有计较。

  她今天非常计较。非但不肯吃,还悄悄地溜出门朝满山的方向去了,她心里想着也许会在路上碰到蒋百年,那样的话,他们就一起肩并着肩走回来,她的心里不会再虚弱,将会无比踏实。她迫切地需要这种感觉。路上,有个熟悉的女人招呼她:“宝珍,到哪里去啊?”她诚实地回答:“老蒋到山上去了,我去看看他。”那女人马上取笑她:“哎呀,弄得像小夫妻一样,不怕丢人。”葛宝珍笑了一笑就算应付了。

[suit la description de la préparation des galettes, avec beaucoup d’amour, en pensant à Bainian… puis elle décide de monter au temple à sa rencontre…]

 

  昨夜里下了一场雨,路上早就干了。但是路边的竹林在阳光强力的蒸郁之下,散发出一股霉烂的气息。这气息让女人想到了一些与死亡有关的令人不快的场景,她在满山脚下站住,抬头看看山丘,那山上满山遍野都是竹林——令人不快的竹林。

[description du paysage des deux côtés de la route…]

 

  再说蒋百年跟着老黄牛到他的儿子家里去,他酒量不大,平时也不好酒,只喝了一瓶啤酒,剩下的时间全在听人家说话。吃完这顿饭,他的心情好多了,两只手背在后面,独自从小路绕回了家。两亲家告诉他,葛宝珍见他没回家,中午不肯吃饭,后来就悄悄走了,有一个小时吧。也许她到什么地方去找他了。

   蒋百年二话没说,开着小中巴车就朝满山脚下去找葛宝珍。他往常也不是这样的。往常他回家根本就不管老婆在不在家,在谁家玩或者帮谁家做什么事,他对女人很放心的,他的女人很能干,很有脑子,她从来不会有事的。

 蒋百年从昨天起,心里开始莫名其妙地虚弱。他要让她稳稳地坐在边上,有她在边上,他心里会十分踏实。他们这么多年来互相依靠,彼此能感到凝聚在他们中间的那股力量。

[quant à Jiang Bainian, chez Lao Huangniu, il apprend que Ge Baozhen est partie à sa rencontre, mais comme cela fait une heure, inquiet, il part la chercher – depuis l’histoire de la veille, il voulait l’avoir à ses côtés pour la protéger…]

 

  他看见葛宝珍了。葛宝珍无精打采地一个人在路边走,脸朝着他,是回家的方向。她想着什么,根本没发现蒋百年的车子已到了面前。蒋百年高兴地咧开了嘴,猛地按了两下喇叭。她听到了,突然抬起头来,脸上一副惊喜的模样。在惊喜之下,她朝路中间跨了两步,对着驾驶位上的蒋百年挥起手来。

   于是事情就发生了。蒋百年感到自己稳如泰山地1踩下了刹车,但是他却惊奇地发现车子非但没有停下来,反而猛地向前一冲。待到它停下来的时候,葛宝珍不见了,她在汽车底下。蒋百年瘫倒在位子上动弹不得。他现在明白过来是踩了油门了。他想起葛宝珍还饿着肚子呢。

1. 稳如泰山 wěnrú Tàishān ferme comme le mont Tai – l’une des montagnes sacrées de Chine - expression inspirée d’un discours célèbre du président Mao « Servir le peuple » (《为人民服务》).

 

Il aperçut Ge Baozhen. Elle marchait sans entrain, toute seule sur le bord de la route, dans sa direction ; Revenant au village, plongée dans ses pensées, elle n’avait pas vu le minibus approcher. Jiang Bainian esquissa un sourire joyeux et appuya violemment deux fois sur le klaxon. Elle leva brusquement la tête en l’entendant ; une expression d’heureuse surprise se peignit sur son visage et, sous le coup de la joie, fit deux pas vers le milieu de la route, en faisant signe de la main à Jiang Bainian, sur le siège du conducteur.

 

C’est alors que l’accident arriva. Jiang Bainian, aussi ferme que le mont Tai (12), appuya résolument sur le frein, mais il se rendit compte alors avec stupeur que non seulement le véhicule ne s’arrêtait pas, mais que, au contraire, il continuait de foncer en avant. Quand enfin il s’arrêta, Ge Baozhen avait disparu : elle était sous la voiture. Jiang Bainian, paralysé sur son siège, n’arrivait pas à bouger. Il comprenait maintenant ce qui s’était passé : il avait appuyé sur l’accélérateur. Il pensa alors que Ge Baozhen n’avait rien mangé.

 

  捡垃圾的刘三婆婆是村里最早的目击者,她马上在闯祸的汽车前跪下来祷告上天,还感叹了一句:我一无所有,阎王爷1不会来找我。做人真是不能太风光的。

   满山脚下发生的这件事,满山庙里的和尚很快就知道了。住持一边派人下山去帮忙,一边叫人找来智修。他一看见智修就拿起红木抓手打他的秃脑壳,骂:“你这张破嘴,你这张破嘴,叫你这张破嘴……”智修辩解说:“我是瞎说八道的。我喜欢乱说话,你又不是不知道。”住持说:“知道,知道。”一抓手下去打在智修的眼睛边上,把他打得跳起来,大叫:“死掉个把人有什么了不起?那是她的命!”住持一听更是恼怒,恶狠狠地说:“还说什么命。没有什么命!就是你这张破嘴。”他下手越发沉重。打着打着他哭了起来,好像他打的是自己。智修挨了一顿打,瞅个空,一溜烟地逃走了。住持气喘吁吁地坐下来,自言自语:“我算看透了!”他看透什么别人不知道,走进来服侍他的小和尚只看见老和尚一脸的伤心无奈。

   现在是下午快接近傍晚的时候,东南方向的天空乌云密布,雷声隆隆,西边快落山的太阳陡然无比明亮炽热,把人的脸都照薄了。蒋百年坐在院子里,拿起一张葱油饼放在眼前一照,阳光透过它映到脸上,苍黄而黯淡2

 

1. 阎王爷 Yánwángyé Yama, dieu des enfers. Dans l’hindouisme, il est le juge des morts qui se tient à la porte de l'enfer pour peser leurs bonnes et leurs mauvaises actions, et qui décide de leur destin. Lui aussi a été sinisé dans la religion populaire chinoise où il est devenule roi Yan , l’un des dix juges de l’enfer 地狱 dìyù, concept qui incorpore des idées à la fois taoïstes et bouddhistes.

2. 苍黄 cānghuáng couleur jaune-verdâtre souvent associée à la complexion des malades.

 

Ce fut la mère Liu, qui, arrivée là en ramassant ses ordures, fut le premier témoin du village. Elle s’agenouilla aussitôt devant le véhicule accidenté pour rendre grâce au ciel, s’exclamant en soupirant : « Moi, pauvre misérable sans le sou, Yama n’a pas daigné venir me chercher. En ce monde, vraiment, il vaut mieux ne pas se mettre trop en vue. »

 

Les moines du temple, là-haut, apprirent vite l’accident qui s’était produit au pied de la montagne aux bambous. Le supérieur, d’un côté, en envoya quelques-uns en bas pour donner un coup de main, et, de l’autre, fit appeler Zhixiu. Lorsqu’il le vit, saisissant une baguette de palissandre, il se mit à en frapper sa tête rasée en l’abreuvant de reproches : « Toi et tes histoires, tu as la langue bien pendue, une vraie langue de vipère… » Zhixiu chercha à se justifier : « C’est vrai que je parle à tort et à travers. J’aime faire des histoires. Ce n’est pas comme si vous ne le saviez pas. » Le supérieur répondit : « Oui je le sais, je le sais. » Et il frappa Zhixiu sur la tempe ; le coup fit bondir celui-ci qui s’écria : « Que cette femme soit morte, qu’est-ce que cela a d’extraordinaire ? C’était sa destinée ! » Ces paroles rendirent le supérieur encore plus furieux, il dit avec rage : « Tu recommences à parler de destinée ! Il n’y a pas de destinée !  Tout cela, ce sont tes histoires ! » Et il redoubla de coups. Tout en continuant à frapper, il se mit à pleurer ; on aurait pu croire qu’il se frappait lui-même. Profitant d’un bref répit, Zhixiu réussit à s’esquiver en coup de vent. Le supérieur s’assit, le souffle coupé, en se disant : « Je crois que j’ai compris. » Ce qu’il avait compris, personne ne le sait, le petit moine qui vint ensuite s’occuper de lui remarqua simplement que le vieux moine avait l’air terriblement affligé et désemparé.

 

En fin de journée, à l’approche de la nuit, le ciel au sud-est se couvrit de nuages noirs, le tonnerre gronda, le soleil couchant, sur le point de disparaître, darda soudain de toutes parts des rayons incomparablement chauds et lumineux, illuminant les visages de leurs feux. Jiang Bainian, assis dans sa cour, prit une galette à la ciboule et la souleva pour la regarder ; la lumière du soleil en dessina l’ombre sur son visage, qu’elle assombrit en lui donnant un teint jaunâtre.

 

  按照地方上的风俗,死人在家里停放三日后火葬,富有一些的人家还要请和尚诵经超度。蒋百年第二天下午就把葛宝珍送进了火葬场,也不请和尚诵经超度。但是他还算近人情,葛宝珍火化的当天晚上,他按规矩在家里摆了四大桌子。大家都提心吊胆,不敢大吃大喝,只有他喝得酩酊大醉。

   看看夜深,露水下来了。赴宴人早就走光,蒋百年还赖在桌子边上不肯起来,老黄牛心肠很软地陪着他说话。蒋百年酒后说了许多疯话。

   比如:他说他是个英雄,永远都是个英雄。虽说他长得不像个英雄。

   再比如他攻击命运这个玩意儿,他说也许有命运,但他偏不相信。

   老黄牛点头如捣蒜,他赞同蒋百年的话,蒋老鹰确实是个英雄。命运这东西也是飘忽不定的,可有可无的。现在夜深了,夜幕下只有他们两个。老黄牛说:“你看,露水把头发都沾湿了,该睡觉了。”

蒋百年拍着桌子大叫:“不睡,今天不睡。”他痛苦万分地用脑袋撞桌子,告诉老黄牛,出事那天他才喝了一瓶啤酒,才一瓶啤酒。而且离出事时还相隔着一个多小时。他想来想去想不通,究竟为什么他要去找葛宝珍呢?

 

Selon les coutumes locales, le corps d’un défunt devait rester trois jours chez lui avant d’être incinéré, mais les gens qui en avaient les moyens tenaient aussi à inviter des moines à venir psalmodier des prières pour le repos de son âme. Jiang Bainian, lui, emmena dès le lendemain après-midi Ge Baozhen au funérarium, et s’abstint aussi d’inviter des moines à venir prier pour elle. Cependant, pour respecter quelque peu les sentiments des gens, le soir de l’incinération, conformément aux règles établies, il installa quatre grandes tables chez lui. Mais tout le monde était tellement angoissé que personne n’osa ni manger ni boire beaucoup ; Jiang Bainian fut le seul à boire au point de finir ivre mort.

 

Au milieu de la nuit, la rosée tomba. Les invités au banquet se retirèrent tôt, laissant Jiang Bainian agrippé au bord de la table sans même se lever. Lao Huangniu, lui, resta gentiment à l’écouter : dans son ivresse, il divaguait complètement.

Il disait par exemple qu’il était un héros, qu’il serait éternellement un héros. Et cela, même si, en vieillissant, il n’avait plus l’air d’en être un.

Il dit aussi qu’il contestait cette idée fumeuse qu’on appellle la destinée, que cela existait peut-être, la destinée, mais qu’il refusait d’y croire.

 

Hochant la tête comme quelqu’un qui pile de l’ail, Lao Huangniu approuvait les paroles de Jiang Bainian : Jiang le vieil aigle, oui, était réellement un héros ; quant à la destinée, ce truc-là n’était vraiment pas clair, peut-être bien que cela existait, mais peut-être aussi que cela n’existait pas. A cette heure-là, au milieu de la nuit, il ne restait plus qu’eux deux sous le couvert de l’obscurité, alors Lao Huangniu lui dit : « Regarde, la rosée nous a mouillé les cheveux, il vaut mieux qu’on aille se coucher. »

 

Mais Jiang Bainian tapa sur la table en hurlant : « Non, aujourd’hui on ne va pas dormir. » D’un air infiniment douloureux, frappant la table de la tête, il raconta à Lao Huangniu que, le jour de l’accident, il n’avait bu qu’une bouteille de bière, seulement une bouteille de bière. Et encore, il s’était écoulé plus d’une heure entre le moment où il l’avait bue et le moment où était arrivé l’accident. Il avait beau y penser et y repenser, il n’arrivait pas non plus à comprendre pour quelle raison, au juste, il avait voulu aller chercher Ge Baozhen.

 

  他说完就站起来走出去,老黄牛紧紧跟在后面。蒋百年在村口找到了出事的那辆中巴车。出事以后它一直孤零零地待在那儿,已经蒙上了一层灰,没人敢去碰它。它犯的错误可不小,但是它浑身上下看不出犯错误的痕迹,除了车头那儿略有凹陷外,它每一个地方都没有损坏。

   蒋百年一把拉开门坐了进去,他要证明给老黄牛看,他今晚喝了那么多的酒也能把车子开得稳稳当当的。老黄牛含着眼泪上去抱住他,想把他抱下车子,但是蒋百年机灵得很,已经把车子发动起来了。

 

Sur ces paroles, il se leva et sortit, suivi précipitamment par Lao Huangniu. Jiang Bainian alla à l’entrée du village où le minibus accidenté était resté, seul, après l’accident, sans que personne n’ait osé le toucher ; il était déjà couvert de poussière. Il est possible que l’accident ait été dû à une grosse erreur, mais, même en regardant soigneusement, on ne pouvait en déceler aucune trace ; à l’exception d’un toute petit choc à l’avant, il n’y avait aucune autre marque.

 

Jiang Bainian ouvrit la porte et entra s’y asseoir ; il voulait prouver à Lao Huangniu que, même après avoir bu comme il avait bu cette nuit-là, il pouvait quand même conduire de manière très sure. Refoulant ses larmes, Lao Huangniu monta lui aussi, le saisissant à bras-le-corps pour tenter de le faire descendre, mais Jiang Bainian, bien éveillé, avait déjà allumé le moteur et démarré.

 

  说真的,蒋百年开车开得好极了。往常他的驾驶技术是一流的,这次简直顶呱呱。他沉着地问老黄牛:“黄牛,怎么样?”老黄牛翘起大拇指夸奖:“这条路上找不出第二个人!”开着开着就到了出事的地方了,蒋百年突然警觉,问:“老黄牛,到啥地方了?”老黄牛说:“到满山山脚下了。我们回去吧,还是你开车。”蒋百年“噢”了一声,停下车子,把头探出去朝山上看了一阵,说:“我是护过这座庙的。现在看看它实在太小了,我要找一座世上最大的庙去保护。”老黄牛耐心地劝导他说:“你不要去操心人家的事,人家的庙,自然人家会保护。”老黄牛说:“你说的话当然有道理,但是不去看一看怎么能知道呢?”他显得脑子很清楚。接下来他就很有条理地问老黄牛:“我说老不死的黄牛,世上最大的庙在什么地方?”老黄牛的儿子今年夏天刚与几个朋友开车到过西藏,所以他脱口而出:“布达拉宫,在西藏。”蒋百年想了一想说:“我知道了,那天在你儿子家里喝酒,你儿子跟我说过这件事。他们是从南京走的,到安徽,到兰州,到甘肃……从格尔木1进青藏线……他们说开了八天到布达拉宫。我算了一算,用不了八天就能到那里。”老黄牛生气地说:“你爱到哪里就到哪里去吧。”蒋百年说:“那我现在就去了。”老黄牛赌气说:“去吧。你这破车到不了安徽就要抛锚。”

蒋百年真的走了。

 

1. 格尔木 Gé’ěrmù Golmud, ville du Qinghai en bordure du Xinjiang au nord-ouest et de la région autonome au sud-ouest, entre Xining et Lhassa. C’est actuellement le point de départ de la ligne de chemin de fer qui relie le Qinghai à Lhassa.

 

Il faut dire ce qui est, Jiang Bainian conduisit alors extrêmement bien. Il conduisait d’ordinaire avec un art consommé; cette fois-ci, c’était tout simplement le top du top. Parfaitement maître de lui, il demanda à Lao Huangniu : « Alors, Huangniu ? Tu me trouves comment ? » Lao Huangniu leva le pouce en signe d’éloge : « Sur cette route, tu es sans égal. » De fil en aiguille, ils arrivèrent en fin de compte sur le lieu de l’accident ; les sens soudain en éveil, Jiang Bainian demanda alors : « Lao Huangniu, à quel endroit est-on arrivé ? » Lao Huangniu répondit : « Au pied de la montagne aux bambous. Maintenant rentrons, tu n’as qu’à continuer à conduire. » Jiang Bainian répondit par un grognement, arrêta la voiture, et, sortant la tête, contempla un moment le haut de la montagne ; puis il dit : « J’ai été le gardien de ce temple. Maintenant, il me semble vraiment bien petit. Je veux rechercher le plus grand temple du monde pour en devenir le protecteur. »  Lao Huangniu tenta patiemment d’émettre un conseil : « Tu n’as pas à t’occuper des affaires qui ne te regardent pas ; les temples des autres, il est naturel que ce soient eux qui les protègent. » Jiang Bainian répondit : « Ce que tu dis là, bien sûr, a sa logique. Mais tant qu’on n’y est pas allé voir, comment savoir ? » Il semblait avoir l’esprit très clair. Continuant sur sa lancée, il demanda méthodiquement à Lao Huangniu : « Alors dis-moi, mon vieux Huangniu, où se trouve le plus grand temple du monde ? » Justement, cet été-là, le fils de Lao Huangniu était allé en voiture au Tibet avec des amis, il répondit donc sans avoir à réfléchir : « C’est le palais du Potala, au Tibet. » Jiang Bainian répliqua après un instant de réflexion : « Je le savais ; le jour où je suis allé boire un verre chez ton fils, il m’a raconté leur voyage. Ils sont partis de Nankin, ont traversé l’Anhui, puis Lanzhou et le Gansu ; enfin, de Golmud, ils ont pris la route qui relie le Qinghai au Tibet. Ils m’ont dit qu’ils ont mis huit jours pour arriver au palais du Potala. Moi, j’ai bien réfléchi, je n’ai pas besoin d’autant de temps pour aller jusque-là. » Lao Huangniu se mit en colère : « Si tu as tellement envie d’y aller, tu n’as qu’à y aller. » Jiang Bainian répondit : « Je vais y aller, pas plus tard que maintenant. » Lao Huangniu fit la tête : « Eh bien vas-y. Avec ce vieil engin, tu vas tomber en panne avant même d’atteindre l’Anhui. »

 

Jiang Bainian partit réellement.

 

  老黄牛后来对人推心置腹地说,蒋百年当时虽然喝多了酒,但他不是说着玩的,他真的要走了。

  从此以后,老黄牛的生活多了一件事,那就是等蒋百年的电话。

   蒋百年第二天没来电话,第三天也没来电话……到第十二天的傍晚,老黄牛的手机响起来,上面显示一个陌生的区号。老黄牛打开一听,里面一阵线路嘈杂声过后,蒋百年语调兴奋地对他说:“黄牛,你是不是以为我已经死了?我还不想死呢,我马上就要翻唐古拉山1,明天就能到布达拉宫了。”老黄牛的眼泪下来了,还有些生气。这个蒋老鹰,要走起码带个手机,可以随时联系,大家也不会像现在这样为他担心。心里这么埋怨,嘴上说出来的是:“你到了布达拉宫,要是人家那里不需要你保护,你就赶紧回来。外面再好,不如家乡……”

1. 唐古拉山Tánggǔlā shān la chaîne des monts Tanggula ou Dangla, sur le plateau tibétain. Le col de Tanggula est à peu près à mi-chemin entre Golmud et Lhassa.

 

Le col de Tanggula

 

Dans les jours qui suivirent, Lao Huangniu alla s’épancher auprès des uns et des autres, disant que, bien qu’il eût beaucoup bu ce jour-là, Jiang Bainian parlait très sérieusement, qu’il voulait vraiment partir.

Dans la vie de Lao Huangniu vint dès lors s’ajouter un élément nouveau : attendre un coup de téléphone de Jiang Bainian.

 

Celui-ci, cependant, ne téléphona ni le lendemain ni le surlendemain. Le soir du douzième jour, Lao Huangniu entendit son téléphone portable sonner ; voyant

s’afficher l’indicatif d’une région qu’il ne connaissait pas, il prit la communication ; il entendit d’abord beaucoup de bruit sur la ligne, puis la voix toute excitée de Jiang Bainian : « Eh Huangniu, tu as cru que j’étais mort, non ? Je n’ai pas l’intention de mourir encore ; je vais bientôt passer le col de Tanggula et demain j’arriverai au palais du Potala. » Lao Huangniu avait les larmes aux yeux, mais il était aussi légèrement en colère contre ce vieil aigle de Jiang : quand on part, on emporte au moins son téléphone portable avec soi, comme ça on peut appeler de temps en temps, cela évite que les gens se fassent autant de souci. Il avait au fond du cœur tellement de griefs contre lui qu’il proféra : « Quand tu arriveras au Potala, si les gens n’ont pas besoin que tu le leur gardes, tu n’auras qu’à revenir tout de suite. Les montagnes sont toujours plus vertes ailleurs, mais rien ne vaut son petit coin de terre à soi. …

 

  手机突然断了,老黄牛马上打回去,怎么也打不通。他只好对着“嘟嘟”响的手机把话说完:“我不在乎车子,只要你人安全回来,车子就是报废,我也不骂你一个字。”

  老黄牛当天夜里一夜没睡,蒋老鹰在翻越唐古拉山,他不敢合眼。

   但是蒋百年就此杳无音信了。关于他的传闻很多,有人说他在翻唐古拉山的时候必死无疑,有人说他去西藏不过是个幌子,实质上是畏罪潜逃。也有人说他根本没有去西藏,他逃到一个安全的地方藏起来了。只有老黄牛深信他的老搭档已经到了布达拉宫,并且在那里驻扎下来。

 

[mais la communication est coupée… Jiang Bainian n’a plus donné signe de vie. Seul Lao Huangniu,dans le village, était convaincu qu’il était vraiment arrivé au Potala]

 

  于是一年以后,老黄牛到布达拉宫去寻蒋百年了。他的儿子在拉萨有朋友,儿子的朋友是个灵活人,替他多方打听,人家都说从来没有见过一个开着小中巴的汉人到这里。这一天傍晚,老黄牛又来到布达拉宫广场,坐在地上,不甘心地看着山上的布达拉宫,太阳光从西边照亮了布达拉宫的一侧,它投下的巨大的阴影覆盖了山顶上的大部分建筑,这是一天中最美丽也是最有魅力的时刻。就在这时,一只老鹰从老黄牛的头顶上飞旋而过,它翅膀搅出来的风吹起了老黄牛的头发。它落在了地上,离老黄牛不远。老黄牛心里一动,对它说:“喂,你是不是蒋老鹰?”老鹰一本正经地转过来了,黄澄澄的圆眼严肃而善解人意地看着老黄牛,它保持着这种姿势,一动也不动。老黄牛恭敬地站起来,他认定这头鹰就是蒋百年。蒋百年说过,这世上也许有命运这东西,可他偏不信。不信命的蒋百年也许变成了一头展翅高飞的鹰。

   片刻,鹰一冲而起,向着布达拉宫飞去。老黄牛极目远眺,目送这头鹰消失在布达拉宫里。

 

Alors, un an plus tard, Lao Huangniu partit chercher Jiang Bainian au palais du Potala. Son fils avait un amià Lhassa, et c’était quelqu’un de très débrouillard ; il alla se renseigner pour lui un peu partout, mais personne n’avait vu un Chinois han conduisant un minibus. Ce jour-là, Lao Huangniu se rendit encore une fois en fin de journée sur la place du Potala, s’assit sur le sol et leva malgré lui les yeux vers le palais, sur la montagne ; la lumière du soleil en éclairait la façade ouest, et une ombre gigantesque couvrait une grande partie de l’édifice au sommet de la montagne ; de toute la journée, c’est le moment le plus beau, et le plus enchanteur. Et justement, à ce moment-là, un aigle vint tournoyer autour de la tête de Lao Huangniu, qui sentit le souffle produit en passant par ses ailes lui soulever les cheveux. Il se posa sur le sol, non loin de Lao Huangniu, qui, très ému, lui dit : « Eh, c’est toi, Jiang le vieil aigle, non ? » L’aigle pivota d’un air guindé, fixant Lao Huangniu de ses grands yeux dorés, d’un air sévère mais compréhensif, et conserva cette attitude sans plus bouger. Lao Huangniu se leva respectueusement, fermement persuadé que l’aigle était bien Jiang Bainian. Il avait bien dit qu’il y avait peut-être en ce bas monde quelque chose comme la destinée, mais qu’il se refusait à y croire. Ce Jiang Bainian qui ne croyait pas au destin s’était peut-être transformé en un aigle qui planait là-haut, les ailes déployées.

 

Au bout d’un moment, l’aigle prit brusquement son envol, et se dirigea vers le palais du Potala. Le suivant des yeux, Lao Huangniu, le vit s’éloigner et disparaître dans le palais.


 


[1] « Le naturalisme et la fiction chinoise contemporaine » (自然主义与中国现代小说)

[2] Mao rejoint les huit immortels taoïstes au panthéon des divinités populaires vénérées par Ge Baozhen. Dans son livre « Le roman et la vie » (《闲话闲说》), A Cheng (阿城) dit la même chose : « Ces dernières années, j’ai trouvé très intéressant de constater comment Mao Zedong est peu à peu devenu un « dieu » à la manière des dieux taoïstes, et comment, dans la vie quotidienne, on chasse les influences néfastes grâce à son portrait. » (tr. Noël Dutrait, éditons de L’Aube, 1995, p. 56)



 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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