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Ren Xiaowen  任晓雯

Hao ren Song Meiyong 《好人宋没用》

par Brigitte Duzan, 10 avril 2018

 

“宋没用,苏北女人在上海,生于1921年,卒于1995年。”

« Song Meiyong, une femme du nord du Jiangsu ayant vécu à Shanghai, née en 1921, morte en 1995. »

C’est ainsi que commence la postface ajoutée par Ren Xiaowen à son roman Hao ren Song Meiyong (《好人宋没用》), titre que l’on pourrait traduire par « Une brave femme nommée Song Meiyong ». Dans sa brièveté caustique, elle résume très bien le roman à elle seule.

 

Une histoire de Shanghai

 

Née en 1921, dans une Chine chaotique, Song Meiyong va vivre les pires moments de la Chine moderne : guerre, famine, révolution. Personnage obscur et sans éclat, elle survit à tout avec une résilience caractéristique du petit peuple chinois, et des femmes en particulier. Anti-héroïne des fonds de ruelles, pour paraphraser Wang Anyi, elle est

 

Hao ren Song Meiyong

emblématique par son effacement même. Elle meurt alors que la Chine décolle : la richesse n’est pas pour elle. 

 

En effet, elle est née dans le nord du Jiangsu, région extrêmement pauvre à l’époque [1], et rien ne lui est épargné dès le départ. Sa mère est battue par une brute de mari qui l’engrosse régulièrement : à la naissance de cette petite dernière supplémentaire, elle a déjà plus de quarante ans, a eu neuf enfants et en a perdu cinq. Elle est usée avant l’âge et, vouant le bébé aux gémonies, l’appelle meiyong (没用), c’est-à-dire l’inutile, ou plutôt celle dont on n’avait vraiment pas besoin. Elle aurait aussi bien pu la noyer, mais elle ne le fait pas.

 

En 1923, Meiyong a deux ans, la famine frappe le nord du Jiangsu. La famille s’enfuit à Suzhou, mais le bateau sur lequel ils ont embarqué se fracasse en chemin – c’est le début d’une odyssée qui amène finalement notre Inutile à Shanghai, une ville qui vit sur le souvenir des splendeurs de son passé récent, mais où la pauvreté côtoie la richesse la plus ostentatoire. Song Meiyong est du côté des plus pauvres, dans une semi-mendicité, même, au départ.

 

Elle finit par se marier, avec aussi pauvre qu’elle, a quatre enfants, mais son mari est accusé d’être communiste ; comme de coutume, la famille reprend la maison, Song Meiyong se retrouve à la rue. Elle rebondit en se mettant au service d’un capitaliste, puis passe dans les rangs des rebelles. Elle suit les mouvements plus qu’elle ne les épouse, par nécessité.

 

Avec le régime communiste, son sort ne s’améliore pas vraiment. Elle survit même à la Grande Famine, au début des années 1960. La Révolution culturelle, la mort de Mao, ne sont que des épiphénomènes dans sa vie. Elle aura quand même réussi à élever cinq enfants.  

 

La Chine s’ouvre, la Chine décolle : ce sont ses enfants, justement, qui vont en profiter. Au début des années 1990, Meiyong a soixante-dix ans ; ses enfants la mettent dans une maison, avec une bonne pour s’occuper d’elle, en la considérant comme une charge, plus « inutile » que jamais. Elle est revenue dans son nord du Jiangsu natal, le cycle se referme comme il a commencé, ou presque.

 

Une héroïne ordinaire

 

Le roman est remarquable à au moins deux égards. D’une part, c’est l’histoire d’une femme qui retrace en même temps l’histoire de Shanghai, des années 1920 aux années 1990, et en ce sens il rappelle de célèbres antécédents, des « Fleurs de Shanghai » (《海上花列传》) de Han Bangqing (韩邦庆) [2] au « Chant des regrets éternels » (《长恨歌》) de Wang Anyi (王安忆). Mais Ren Xiaowen se place dans une optique totalement différente, et nouvelle, en prenant un personnage féminin parfaitement ordinaire – une bribe d’existence qui, ajoutée à d’autres semblables, finit par faire l’histoire, dit la romancière :

 

单个的人构成生活。很多很多人的生活,构成了时代。一个个时代,就构成了历史。人是历史的目的。人是起点,也是终点。

Les individus isolés forment des existences. De nombreuses existences forment des générations. Et ces générations créent l’histoire. L’homme est le but de l’histoire. L’homme est son point de départ, mais aussi son point final.

 

Le roman se substitue à l’histoire, en quelque sorte, ou plutôt, comme l’a dit Scott Fitzgerald, cité par Ren Xiaowen : « le roman naît d’un défaut de l’histoire » (小说来自于历史的缺陷). Song Meiyong émerge d’une béance de l’histoire.

 

Un style unique

 

Ren Xiaowen (au centre) présentant son livre

avec Shi Yifeng 石一枫 et Sheng Keyi 盛可以

 

Le roman, cependant, se distingue surtout par son style, un style que Ren Xiaowen a ciselé en écrivant les textes courts de son précédent recueil, « Vies fugitives » (《浮生》). Ici, il est tout aussi travaillé, mais elle y ajoute une subtilité supplémentaire : il change pour refléter l’évolution de la langue pendant la même période, tout en étant parsemé d’expressions dialectales, du nord du Jiangsu et de Shanghai.

 

De par cet aspect-là, « Song Meiyong » participe des mêmes recherches que « Blossoms » (《繁花》) de Jin Yucheng (金宇澄)

 

C’est là que le roman de Ren Xiaowen est vraiment du grand art et qu’il justifie l’enthousiasme qu’il a suscité en Chine depuis sa publication, en août 2017.

 

 

[1] Sur la pauvreté du nord du Jiangsu encore dans les années 1970, voir « Don Quichotte sur le Yangtsé » (《苏北少年堂吉诃德) de Bi Feiyu (毕飞宇).

[2] Sur Han Bangqing et son roman, voir sa présentation dans l’article sur son adaptation au cinéma, par Hou Hsiao-hsien : www.chinesemovies.com.fr/films_Hou_Hsiao_hsien_fleurs_de_Shanghai.htm

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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