Auteurs de a à z

 
 
 
     

 

 

Huang Beijia 黄蓓佳

Présentation

par Brigitte Duzan, 12 juin 2017

 

En mai 2017, le prix Jindong 2017 a été décerné au roman « Le regard d’un enfant » (《童眸》) de Huang Beijia, dans la catégorie"meilleur livre pour enfants". Sorti en juin 2016, le roman raconte, du point de vue de l’un d’eux, l’histoire d’un groupe d’enfants dans une petite ville du Jiangsu dans les années 1970 ; c’est une vision rétrospective de l’enfance de l’auteur, et un livre qui s’adresse autant aux adultes qu’aux enfants.

 

Car Huang Beijia n’a pas écrit que pour les enfants, bien qu’elle ait publié une bonne vingtaine de livres pour la jeunesse et qu’elle soit généralement classée parmi les auteurs de littérature pour enfants. Toute une partie de son œuvre reste à découvrir. Elle a été l’un des écrivains chinois invités au Salon du Livre, à Paris, en mars 2014, année où Shanghai était ville invitée, mais cela n’a pas changé la vision

 

Huang Beijia

parcellaire que donnent les quelques traductions que l’on a de ses récits. 

 

Ecrivain du Jiangsu

 

Huang Beijia est née en juin 1955 à Rugao, dans le sud-est du Jiangsu (江苏如皋).

 

Enfance et adolescence pendant la Révolution culturelle

 

Elle avait onze ans en 1966, quand éclate la Révolution culturelle. Ses parents étaient tous deux enseignants, son père professeur de chinois, et, comme il n’y avait alors aucun autre livre, elle a lu les manuels du primaire, tout ce qui lui tombait sous la main ; quand elle n’avait rien d’autre, il lui restait les dazibao (affiches en gros caractères) dans la rue. C’est ce que racontent aussi les écrivains chinois de sa génération.

 

Ce qui l’a beaucoup plus marquée, cependant, ce sont les contes et histoires d’opéras traditionnels que lui racontait sa grand-mère : ils ont été l’une de ses principales motivations pour se mettre à écrire. Mais pas seulement.

 

Sortir des champs

 

A la fin du lycée, elle est envoyée travailler dans les champs, fort heureusement non loin de chez elle, dans une commune populaire située dans une petite île au milieu du Yangtsé. Elle était relativement favorisée, mais le travail était quand même dur, et, comme beaucoup d’autres, elle a cherché à s’en évader en écrivant des chansons et des pièces de théâtre, dans l’espoir d’être transférée dans une station de radio ou un service d’information – la seule autre voie royale pour s’échapper de la terre étant l’armée.

 

C’est ainsi qu’elle commence à écrire, au début des années 1972, par nécessité plus que par véritable vocation.

 

Premières publications

 

Elle publie une première nouvelle en 1973 : « Session de rattrapage » (《补考》), puis plusieurs autres nouvelles et histoires pour enfants, dont « La ruelle de la pluie » (《雨巷》) qui a été traduite en français (voir Traductions ci-dessous). Mais elle est alors très marquée par le style de l’époque, et influencée en particulier par celui de Hao Ran (浩然), le grand modèle des années 1970, allant jusqu’à adopter certaines de ses expressions, typiques de la langue vernaculaire du nord, elle qui était du Jiangsu, provoquant les railleries de son père.

 

Beida !

 

La ruelle de la pluie

  

Petit bateau, petit bateau

 

Un nouveau Autant en emporte le vent

 

En 1977, au moment de la réouverture des universités, elle est admise dans le département de littérature chinoise de l’Université de Pékin, Beida. C’était une chance : elle n’avait même pas osé postuler pour cette université, son problème n’étant pas tellement son niveau de connaissances, mais bien plutôt ses antécédents politiques. Par chance, cette année-là, l’université de Pékin bénéficiait d’une priorité pour admettre les candidats qui avaient les meilleurs résultats à l’examen d’entrée national, le fameux gaokao. C’est ainsi qu’elle y est entrée, en 1978.

 

En fait, sa composition écrite pour l’examen a été publiée dans diverses revues littéraires, dont Jeunesse du Shanxi (山西青年). Et le journal lui a versé son premier cachet : 7 yuans - une aubaine à l’époque, qui lui a permis de s’acheter un dictionnaire et une petite trousse [1]. Les éditeurs étant alors à la recherche d’auteurs, elle a ensuite été sollicitée.

 

L’un des éditeurs qui l’a beaucoup encouragée est celui de Littérature pour la jeunesse (青年文学). C’est lui qui, en 1980, publie son premier recueil d’histoires pour enfants, « Petit bateau, petit bateau » (《小船小船》), pour lequel elle touche la somme fabuleuse de 800 yuans.

 

A Beida, elle fait partie de la Société littéraire du 4 mai, et écrit pour le journal qu’elle édite, Lac Weiming (未名湖), du nom du lac du campus de l’université. Responsable en outre de la section culturelle de l’association des étudiants, elle organise dans ce cadre des activités littéraires et artistiques, dont des spectacles de chants et de danse.

 

Elle sort diplômée de Beida en 1982, et n’a cessé ensuite d’écrire en alternant histoires pour enfants et nouvelles et romans pour adultes.

 

En 1984, elle devient écrivain professionnel, membre de l’Association des écrivains. Elle est aujourd’hui vice-présidente de l’Association des écrivains du Jiangsu.

 

Entre littérature pour la jeunesse et littérature pour adultes

 

Après s’être fait connaître par ses histoires pour enfants, elle revient vers la littérature pour adultes dans les années 1980.

 

Années 1980-début 1990 : récits marqués par l’époque

 

Les récits qu’elle écrit se situent dans le contexte de la confusion et des angoisses ressenties par les intellectuels pendant cette période mouvementée des premières réformes. Ses écrits ont une touche de poésie et de romantisme teintés de mélancolie qui correspond à l’humeur et au style privilégié des jeunes, à l’époque.

 

Le ton se fait plus réaliste, mais plus sombre après 1989, et, au début des années 1990, ses nouvelles s’achèvent en général sur une mort, reflétant inconsciemment l’atmosphère qui régnait autour d’elle. D’une réflexion sur la vérité historique, et sur son objectivité, elle passe à une réécriture de l’histoire dans sa version la plus actuelle. Un exemple en est sa nouvelle « Le révolver Parker » (《派克式左轮》), publiée en 1994 et basée sur un fait divers intervenu à l’université de l’Iowa en novembre 1992, quand un étudiant chinois, Lu Gang (卢刚), a ouvert le feu sur la foule [2].

 

Tournant en 1996

 

En 1996, Huang Beijia est marquée par un événement familial : sa fille passe l’examen d’entrée au collège (notre ancien examen d’entrée en 6ème), dans une atmosphère d’intense compétition. Pendant six mois, elle se trouve prise dans un climat de fièvre et de stress qui l’amène à réfléchir sur le système éducatif chinois, sur l’environnement des enfants, et à en parler avec les parents autour d’elle.

 

C’est dans ce contexte qu’elle revient à la littérature pour enfants et écrit une nouvelle histoire née de son expérience personnelle: « Je veux être un bon petit enfant » (《我要做好孩子》). Elle y dépeint une petite fille de onze ans, Jin Ling (金铃), dont les résultats à l’école sont très moyens, mais qui fait tous ses efforts pour satisfaire à la fois ses parents et ses maîtres ; il y a cependant loin des désirs à la réalité, et l’enfant se sent petite souris, qui plus est bien dodue (胖老鼠), entourée de chats qui la surveillent. Elle réussit quand même dans son entreprise.

 

 

Aujourd’hui c’est moi qui hisse les couleurs

 

 

Publiée en décembre 1996, l’histoire rencontre un succès immédiat, qui ne s’est pas démenti par la suite et a valu à Huang Beijia une pluie de contrats. Elle est suivie trois ans plus tard de « Aujourd’hui c’est moi qui hisse les couleurs » (《今天我是升旗手》), autre histoire superbe, entre morale traditionnelle et satire du système, éducatif, familial et social. Ici le héros est un petit garçon de Nankin nommé Xiao Xiao (肖晓), dont le rêve est de pouvoir, avant la fin du primaire, être celui qui hausse les couleurs dans sa classe ; sa mère est morte quand il était tout petit, et comme son père travaille loin, il vit avec ses grands-parents. Le lot de tant d’enfants, aujourd’hui, en Chine.

 

Les deux textes sont devenus des classiques et figurent dans les manuels scolaires. Les autres histoires pour enfants de Huang Beijia ont ce même caractère : à la fois calquées sur les modèles didactiques du passé, mais en même temps subversifs de ces mêmes modèles, avec un côté de satire sociale qui en fait des textes aussi intéressants pour les adultes que pour les enfants.

 

Après avoir pris ses sujets dans le présent, elle est ensuite revenue vers le passé et son enfance, et ses histoires prennent là un aspect de mémoire historique qui leur confère un intérêt supplémentaire, pour les enfants actuels autant que pour leurs parents.

 

Entre littérature pour jeunes et pour adultes

 

Elle affirme cependant que c’est en écrivant pour les adultes qu’elle peut véritablement exprimer sa propre expérience, ses rêves et ses souvenirs. C’est pourquoi elle y revient sans cesse, en développant de plus en plus les thèmes sociaux et historiques, avec un côté nostalgique.

 

Au début des années 2010, elle a publié un roman qui est en

 

Je veux être un bon petit enfant

 

Un regard tout aussi transparent

 

Un corps sans nom

 

Me faire aimer de ma maman

 

Tu es mon bébé adoré

 

Les gens de la famille

 

Le bracelet d’herbes

 

La série des 5 romans

 

L’immortelle qui vivait dans une mandarine

 

quelque sorte l’aboutissement de ce processus : « Les gens de la famille » (《家人们》). Il s’agit de l’histoire de deux familles qui, partant d’un mariage contrarié, sur un mode très traditionnel, reflète les transformations de la société chinoise sur trois générations, des années 1950 à nos jours.

 

Huang Beijia emprunte le genre de la saga familiale à la manière de Lao She en la modernisant, en particulier en empruntant un mode narratif non linéaire, la narration faisant des allers-retours entre les diverses périodes de l’histoire. Le premier titre qu’elle avait donné à son roman était : « En courbant l’espace-temps ». C’est cette idée qui a, consciemment ou inconsciemment, orienté son écriture.

 

Beaucoup plus original, cependant, est sa série de cinq romans, publiée en 2010, qui retrace l’évolution du monde des enfants chinois sur une centaine d’années, en prenant pour chacun de ses romans un héros emblématique de huit ans : la série dite « A huit ans » (58岁系列), soit les cinq romans « Le bracelet d’herbe » (《草镯子), « Coton blanc » (《白棉花), « Sing Sing So» [3] (《星星索), « Yeux noirs » (《黑眼睛), « Nuit de Noël » (《平安夜).

 

La série reflète les changements de la société, mais sans description d’événements historiques particuliers. L’histoire est en contrepoint : le premier roman, « Le bracelet d’herbe », se passe en 1925, aux lendemains de la révolution de 1911, « Coton blanc » en 1944, à la fin de la guerre de résistance contre le Japon ; « Sing Sing So » se situe en 1967, au début de la Révolution culturelle ; « Yeux noirs » (《黑眼睛) se déroule en 1982, au début de l’ouverture et de la période des réformes, et le dernier, « Une nuit paisible » (ou Nuit de Noël), en 2009, à l’ère d’internet. Chaque roman est conté du point de vue de l’enfant qui est au centre de l’histoire, et en donnant des détails différents de ce que nous avons l’habitude de lire sur chacune de ces périodes historiques.

 

Le Xiao Mi (小米) du dernier volume vit seul avec son père, dans une famille urbaine de la classe moyenne, et il est dépeint comme ayant une maturité que n’avaient pas les enfants chinois dans le passé. Cependant, c’est une maturité économique et pratique correspondant à l’environnement urbain moderne qui donne plus d’autonomie à l’enfant ; intérieurement, l’enfant reste en fait tout aussi naturel, spontané et sincère, mais, selon Huang Beijia, avec une plus grande subjectivité, et une vitalité et une créativité décuplées.

   

Changements de modes de vie et de mentalités qui représentent autant de défis pour l’écrivain pour enfants, et qui se traduisent surtout dans les romans sur la vie urbaine ; les histoires en milieu rural conservent les traits traditionnels du genre, avec des enfants qui n’ont pas de contrôle sur leur existence et sont plus émotionnellement introvertis que leurs alter egos citadins.

 

En même temps, cependant, Huang Beijia a publié une autre série de récits : des contes chinois traditionnels, réécrits à la manière des contes revisités par Lu Xun. Son idée était bien sûr de redonner aux enfants chinois d’aujourd’hui la connaissance et le goût des récits traditionnels dont elle-même a été nourrie dans son enfance, par sa grand-mère, et de tenter de combler le fossé grandissant entre les enfants et la culture ancienne.

 

Contes de Chine

 

 

Le regard d’un enfant

 

Ces efforts vont dans le sens des efforts actuels des autorités chinoises, pour tenter de contrer l’influence des livres occidentaux pour enfants, extrêmement prisés des enfants chinois et de leurs parents.

 

Lors du lancement de son roman « Le regard d’un enfant », la maison d’édition, Jiangsu Phoenix Youth and Children’s Publishing (江苏凤凰少年儿童出版社), a annoncé la fondation du Studio Huang Beijia, premier studio d’écrivain créé par une maison d’édition en Chine. Le Studio participera à la promotion des livres auprès du public en organisant des lectures, séminaires et autres manifestations.

 

 


 

Principales publications

 

1973 Session de rattrapage 《补考》/ La ruelle de la pluie 《雨巷同行》/

Griseries nocturnes 《夜夜狂欢》

 

Recueils d’histoires pour enfants

1980 Petit bateau, petit bateau 《小船,小船》

1983 Une chanson pour maman 《唱给妈妈的歌》

         Quand volent les fleurs de roseaux 《芦花飘飞的时候》

1985 Une mer quelque part très loin 《遥远的地方有一片海》

 

Recueils de nouvelles courtes et moyennes

1984 Au bord de l’eau 《在水边》

         Un moment si splendide 《这一瞬间如此辉煌》

1988 Une rêverie musicale jouée pour toi 《给你奏一支梦幻曲》

1995 La chambre des roses 《玫瑰房间》

1996 La danse des sarments 《藤之舞》

         Détresse de mai 《忧伤的五月》

 

Recueils d’essais

Mai 1996 Les cicatrices de l’existence 《生命激荡的印痕》

1998 Paysage par la fenêtre 《窗口风景

 

Romans

1989 Folles nuits 《夜夜狂欢》

1992 Cocktail de minuit 《午夜鸡尾酒》

         Retour vers l’inconnu 《何处归程》

1993 L’amour du siècle 《世纪恋情》

1994 Le révolver Parker 《派克式左轮》

1997 Un nouveau Autant en emporte le vent 《新乱世佳人》*

1998 Un mariage imaginaire 《想象出婚姻的流程》

** adapté en série télévisée de 33 épisodes

 

Romanset recueils pour la jeunesse

Décembre 1996 Je veux être un bon petit enfant 《我要做好孩子》

Juillet 1999 Aujourd’hui c’est moi qui hisse les couleurs 《今天我是升旗手》

Janvier 2001 Un regard tout aussi transparent 《目光一样透明》

Juin 2003 Gou’er arrivé au fil de l’eau 《漂来的狗儿》

Novembre 2003 Un corps sans nom 《没有名字的身体》

Mars 2006 Me faire aimer de mamaman 《亲亲我的妈妈》

Je me suis envolé 《我飞了》

Avril 2008 Tu es mon bébé adoré 《你是我的宝贝》

Avril 2008 L’envol de l’ange 《天使飞翔》

Juin 2010 Série « A huit ans » (58岁系列) :

1. Le bracelet d’herbe 《草镯子

2. Coton blanc 《白棉花

3. Sing Sing So 《星星索

4. Yeux noirs 《黑眼睛

5. Nuit de Noël 《平安夜

Avril 2004 et rééditions : Contes de Chine 《中国童话》

Recueil d’une douzaine de contes traditionnels revisités, dont :

Ce cher mari serpent 《亲亲的蛇郎》 Le chasseur Hailibu 《猎人海力布》

L’immortelle qui vivait dans une mandarine 《住在橘子里的仙女》 etc…

Juin 2011 Les gens de la famille 《家人们》

Juin 2016 Le regard d’un enfant 《童眸》

 


 

Traductions en français

 

- L’école des vers à soie, tr. Patricia Batto et Gao Tianhua, Philippe Picquier octobre 2002.

- Comment j’ai apprivoisé ma mère 亲亲我的妈妈, tr. Li Hong et Gilles Moraton, Philippe Picquier nov. 2003

- Ephémère beauté des cerisiers en fleurs, suivie de Ruelle de la pluie (《雨巷》), tr. Philippe Denizet, éditions You Feng, octobre 2005.

 


 

Adaptation au cinéma

 

2003 I Want to Be a Good Child 《我要做个好孩子》 de Ning Jingwu (宁敬武) [4],

adapté du roman éponyme de 1996.

 


 

A lire en complément

 

Chinese Arts and Letters, vol. 1 n° 2, September 2014, featured author Huang Beijia :

- Extrait : Family Members, tr. Josh Sternberg, pp. 8-54

- Critique : One Fabulous Family – on the novels of Huang Beijia, by Xiao Hua et Wang Zheng, pp. 55-74

Une analyse de l’œuvre de Huang Beijiaen fonction de cinq thèmes qui dépassent la seule dichotomie littérature pour enfants/littérature pour adultes : le temps (passé et présent), la jeunesse (et les traces autobiographiques), la tradition (et les rituels, dans un sens historique), les enfants (leur vie et leurs émotions), la culture (en faisant des ponts entre littérature pour enfants et pour adultes).

- Interview : After 40, Memory is still engraved in my heart, interview by Shu Jinyu, tr. Jesse Field., pp. 75-88

A lire en ligne : http://english.jschina.com.cn/chineseartsletters/vol2_2014/index.html

 

 


[1] Selon son entretien avec Shu Jinyu (舒晋瑜), publié dans Chinese Arts and Letters, vol. 1 n° 2, septembre 2014, p. 78 (voir ci-dessous).

[2] Le fait divers est resté désigné du nom d’"Incident Lu Gang" (“卢刚事件) Huang Beijia a adapté son récit en scénario d’une série télévisée en 36 épisodes diffusée en 2005.

[3] Titre d’une barcarolle indonésienne :

 

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.