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Feng Zikai,
caricaturiste lyrique : un très bel ouvrage de Marie Laureillard
par Brigitte Duzan, 07
janvier 2018
Le nouvel ouvrage de
Marie Laureillard
qui vient de paraître, en décembre 2017, aux
éditions de L’Harmattan, poursuit le travail de son
auteure sur l’un de ses principaux thèmes de recherche :
les rapports de l’image au texte. C’est aussi la somme
de ses recherches sur
Feng Zikai (丰子恺),
qui vient compléter le recueil d’essais qu’elle a
traduits auparavant.
Feng Zikai
est un grand artiste connu essentiellement comme auteur
de manhua (漫画),
et initiateur du genre en Chine après un voyage d’étude
au Japon. Mais Marie Laureillard analyse son œuvre bien
au-delà de ce seul aspect : dans ses composantes tant
graphiques que littéraires. C’est bien le sens de son
sous-titre : dialogue du mot et du trait.
Auteur de manhua
Après une
brève introduction donnant les principaux |
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Feng Zikai, un caricaturiste lyrique |
éléments biographiques permettant de replacer l’auteur et son
œuvre dans le contexte de son époque, c’est d’abord au manhua
que sont consacrées les deux premières parties de l’ouvrage (pp.
19-172) : genèse, définition et développement, d’abord, puis
analyse du genre, tant du point de vue de son esthétique (et de
ses règles de composition) que de ses liens avec la poésie ou
l’art narratif, bref de « l’alliance texte-image »
.
Feng Zikai, un caricaturiste lyrique,
quatrième de couverture |
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C’est dans la première partie que l’auteure insère deux
chapitres sur l’art d’illustrateur de Feng Zikai : l’un
consacré à ses illustrations de nouvelles de
Lu Xun (鲁迅),
à commencer par « La véritable histoire d’AQ » (《
阿Q正传》),
l’autre à ses illustrations de contes et de poèmes pour
enfants d’écrivains de son époque.
Ce dernier chapitre permet indirectement d’apprécier les
relations qu’entretenait Feng Zikai avec, en
particulier, des auteurs qui, dans les années 1920-1930,
ont contribué aux débuts d’une
littérature chinoise pour enfants :
le poète
Yu Pingbo (俞平伯),
son ami
Ye Shengtao (叶圣陶),
et le frère de Lu Xun, Zhou
Zuoren (周作人).
Ces liens sont une autre manifestation des liens très
étroits de Feng Zikai avec le monde des enfants (y
compris les siens), que l’on ressent en voyant tous ses
dessins d’enfants pris dans la spontanéité de leur
quotidien. |
Dialogue littérature-dessin
Un apport significatif de Marie Laureillard dans cet
ouvrage est le parallèle qu’elle établit entre l’œuvre
graphique de
Feng Zikai et
son œuvre littéraire. On ne parle en effet que rarement
de son œuvre de conteur et de poète, et encore moins de
son travail de traducteur. Or ce dernier aspect est
particulièrement important, car c’est en termes de
traduction, d’un langage artistique à un autre, qu’il
définit lui-même son art de dessinateur et
d’illustrateur.
De même, on évoque rarement sa contribution personnelle
à l’art de l’essai, en particulier dans |
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Elagage |
sa forme libre d’essai dit « au fil de la plume » (suibi
随笔),
terme qu’il applique aussi bien au manhua, puisque
celui-ci relève à la base, du même trait de pinceau que l’essai
littéraire.
Dialogue avec son temps, ouverture sur le monde
Méditation |
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Dans la quatrième partie de l’ouvrage. Marie Laureillard
revient sur les rapports de
Feng Zikai avec
son temps, en le replaçant dans les grands mouvements
politiques et littéraires de son époque, et en
particulier la distinction largement fabriquée
jingpai/haipai.
Mais elle le situe aussi dans une dimension quasi
religieuse, une tension entre bouddhisme et taoïsme, et
un dilemme entre besoin d’ouverture sur le monde et
désir de retrait hors du monde. |
En ce sens,
Feng Zikai
apparaît sous sa plume comme
un digne descendant des grands lettrés de l’époque
impériale qui aspiraient au calme de leurs retraites à
la campagne, loin des tumultes de la cour. Lettrés qui
ne connaissaient pas eux non plus de clivage entre
littérature et peinture. Et c’est sur ce point que
termine Marie Laureillard
: sur la confluence
littérature-peinture, magnifiée par la grande tradition
lettrée des "trois perfections" (san jue "三绝")
que sont poésie, peinture et calligraphie, fondées sur
l’unique et fondamental trait de pinceau, et le principe
"dans toute peinture |
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Jeux d’enfants |
est un poème, dans tout poème est une peinture" ("画中有诗,
诗中有画").
Feng Zikai
applique à son œuvre graphique des images et métaphores tirées
du Livre de la poésie (le Shjing
诗经),
de poèmes classiques ou du Mencius. Il ouvre ainsi le manhua
sur une vision plus universelle, le pouvoir conjugué du texte et
de l’image lui permettant de transcender et l’un et l’autre,
mais sans s’écarter de la tradition lettrée chinoise la plus
ancienne.
Riches analyses d’illustrations
L’un des grands atouts de cet ouvrage est de comporter
un grand nombre de reproductions d’œuvres de
Feng Zikai, la
famille ayant donné son
autorisation à leur reproduction. Elles sont
accompagnées de riches analyses qui permettent de mieux
en apprécier le style autant que la teneur, avec des
comparaisons avec d’autres dessinateurs de manhua
de la même époque, sur des sujets proches.
L’ouvrage est complété par de riches annexes
bibliographiques et un index très utile, ainsi que par
une postface de Danièle Elisseeff qui souligne la riche
diversité stylistique des dessins, ainsi que leur audace
dans la représentation de l’horreur de
la guerre, au-delà de l’image agréable léguée par l’histoire.
Feng Zikai, un caricaturiste lyrique, dialogue du mot et du
trait,
de Marie Laureillard, postface de Danielle Elisseeff,
L’Harmattan, coll. L’univers esthétique, décembre 2017, 404
pages.
Couleur de nuage, de Feng Zikai, essais traduits,
présentés et annotés par Marie Laureillard,
Gallimard/Bleu de Chine, 2010.
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