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				郁达夫《故都的秋》 
				Yu Dafu  « L’automne 
				dans l’ancienne capitale » 
				traduction par Brigitte Duzan et 
				Zhang Xiaoqiu, 12 août 2010    
				Présentation 
				 
				  
				Ce texte de Yu Dafu 
				inaugure une nouvelle rubrique de ce site : les textes à 
				écouter. Il comporte en effet nombre d’allitérations, de 
				passages quasiment rimés, et même, à un moment, des jeux sur 
				l’accent pékinois, qui justifient qu’on l’écoute autant qu’on le 
				lise. 
				  
				C’est un texte qui date 
				de 1934, date à laquelle Yu Dafu s’était retiré à Hangzhou. On 
				devine, à travers une allusion, la virulence des critiques 
				contre le caractère « décadent » de son œuvre, ses nouvelles 
				surtout, qui, outre les problèmes d’allégeance politique dans 
				cette période troublée, ont dû l’inciter à rechercher le calme 
				en dehors du tumulte de Shanghai.  
				  
				Il a été écrit pendant 
				le « huitième mois » lunaire, vers la mi-septembre, voire la fin 
				du mois ; l’automne est un sujet tout choisi, mais, 
				contrairement à ce qu’on attendait d’un natif de la banlieue de 
				Hangzhou, ce qu’il chante ici, ce sont les automnes du Nord de 
				la Chine, et de Pékin en particulier. Le style correspond à la 
				période de retour au classicisme qu’ont été pour Yu Dafu les 
				années passées à Hangzhou, une sorte de recueillement, ou de 
				retour aux sources. Il n’est pas anodin qu’il cite un poème de 
				Su Dongpo, grand poète et homme d’Etat des Song, qui fut écrit, 
				justement, pendant une période d’exil. 
				  
				C’est un texte qui 
				reflète une grande sérénité, rendue par l’équilibre, le rythme 
				paisible des phrases ; c’est une réflexion sur la beauté de 
				l’automne dans le Nord, traduite en couleurs (celles des fleurs 
				et des arbres, du ciel et de la poussière) et en sons (le chant 
				des cigales, le bruit de la pluie ou celui du vent, et même 
				certaines sonorités propres à l’accent pékinois), tout ceci 
				donnant cette « saveur » spécifique de l’automne qu’il aime.
				 
				  
				Il y a là le reflet 
				d’un retour aux plaisirs profonds de l’existence, en particulier 
				dans la contemplation de la nature, qui est très classique en 
				soi. On pourrait presque sentir comme un vague sentiment taoïste 
				dans cette méditation. C’est en tout cas très romantique, mais 
				d’un romantisme très personnel. 
				   
   
				Texte et vocabulaire 
				  
				   
				秋天,无论在什么地方的秋天,总是好的;可是啊,北国的秋,却特别地来得清,来得静,来得悲凉。我的不远千里,要从杭州赶上青岛,更要从青岛赶上北平来的理由,也不过想饱尝一尝1这“秋”,这故都的秋味。 
				
				  江南,秋当然也是有的,但草木凋得慢2,空气来得润,天的颜色显得淡,并且又时常3多雨而少风;一个人夹在苏州上海杭州,或厦门香港广州的市民中间,混混沌沌地过去4,只能感到一点点清凉,秋的味,秋的色,秋的意境与姿态5,总看不饱,尝不透,赏玩6不到十足。秋并不是名花,也并不是美酒,那一种半开、半醉的状态,在领略7秋的过程上,是不合适的。 
				  不逢8北国之秋,已将近十余年了。在南方每年到了秋天,总要想起陶然亭的芦花9,钓鱼台的柳影10,西山的虫唱11,玉泉的夜月,潭柘寺12的钟声。在北平即使不出门去吧,就是在皇城13人海之中,租人家一椽破屋来住着,早晨起来,泡一碗浓茶,向院子一坐,你也能看得到很高很高的碧绿的天色14,听得到青天下驯鸽15的飞声。从槐树叶底16,朝东细数着一丝一丝漏下来的日光,或在破壁腰中,静对着像喇叭似的牵牛花(朝荣)的蓝朵17,自然而然地也能够感觉到十分的秋意。说到了牵牛花,我以为以蓝色或白色者为佳,紫黑色次之18,淡红色最下。最好,还要在牵牛花底,教长着几根疏疏落落的19尖细且长的秋草,使作陪衬20。 
				
				  北国的槐树,也是一种能使人联想起秋来的点辍21。像花而又不是花的那一种落蕊22,早晨起来,会铺得满地。脚踏上去,声音也没有,气味也没有,只能感出一点点极微细极柔软的触觉23。扫街的在树影下一阵扫后,灰土上留下来的一条条扫帚的丝纹24,看起来既觉得细腻,又觉得清闲25,潜意识下并且还觉得有点儿落寞26,古人所说的梧桐一叶而天下知秋的遥想27,大约也就在这些深沉的地方。 
				秋蝉的衰弱的残声28,更是北国的特产,因为北平处处全长着树,屋子又低,所以无论在什么地方,都听得见它们的啼唱29。在南方是非要上郊外或山上去才听得到的。这秋蝉的嘶叫29,在北方可和蟋蟀耗子一样30,简直像是家家户户都养在家里的家虫。   
					
						| 
						01 
						饱尝   
						
						bǎocháng 
						  savourer 
						à plein, goûter de 
						02 
						凋     
						
						diāo  
						se flétrir, 
						se faner  
						03 
						时常   
						
						shícháng 
						
						souvent  
						04 
						混沌   
						
						hùndùn    
						
						chaotique, désordonné  
						05 
						意境   
						
						yìjìng       
						état 
						d’âme        
						姿态zītài 
						attitude 
						06 
						赏玩   
						
						shǎngwán 
						
						goûter, se délecter de  
						
						...不饱 
						(bǎo),...不透(tòu),...不到十足 
						surenchère de 
						résultatifs pour indiquer l’incomplétude 
						07 
						领略   
						
						lǐnglüè     
						
						goûter, apprécier 
						08 
						不逢   
						
						bùféng… 
						 cela fait 
						… que je n’ai pas vu, rencontré… 
						09 
						陶然亭 
						
						Táorántíng 
						nom d’un pavillon qui a donné son nom a un parc du sud de Pékin (陶然亭公园)
						qui 
						était traditionnellement un lieu de rendez-vous des 
						lettrés ; le nom du pavillon陶然亭vient 
						d’un poème de Bai Juyi (白居易) 
						: |  | 
						 
						陶然亭 
						
						Taorantíng |  
					
						| 
						
						更待菊黄家酿熟,与君一醉一陶然 
						 
						gēng dài jú 
						huáng jiāniàng shú, yú 
						jūn yí zuì 
						yì táorán 
						attends que jaunissent les   
						chrysanthèmes et que le vin de la 
						maison ait fermenté,  
						et c’est avec joie que je m’enivrerai 
						tranquillement avec toi.  
						     
						   芦花 lúhuā 
						chaton de roseau 
						10 
						钓鱼台 
						
						Diàoyútái  (nom chinois des îles Senkaku) nom donné à une résidence pékinoise 
						destinée à recevoir les hôtes de marque du gouvernement, 
						en particulier les |  | 
						 
						chaton de roseau |  
					
						| 
						cadres provinciaux pendant leurs déplacements dans la capitale : 
						钓鱼台国宾馆. 
						11 
						西山   
						
						Xīshān  
						les 
						Collines de l’Ouest, à Pékin  
						12潭柘寺  
						
						Tánzhèsì 
						temple Tanzhe (= du bassin au cudrang, ou mûrier de Chine), temple 
						bouddhiste situé dans les Collines de l’Ouest. 
						 
						13 
						皇城   
						
						huángchéng 
						la 
						partie centrale de la capitale autrefois ; la capitale 
						impériale |  | 
						 
						钓鱼台 
						
						Diaoyutai  |  
				14 
				碧绿   
				bìlǜ 
				vert 
				émeraude  (碧bì
				émeraude/ 
				bleu, en particulier pour le ciel = 
				青天qīngtiān) 
					
						| 
						15 
						驯鸽   
						
						xùngē 
						 pigeon 
						apprivoisé, domestique 
						16 
						槐树   
						
						huáishù  
						sophora  
						漏lòu  
						suinter, 
						fuir / laisser passer, laisser filtrer  très 
						17 
						喇叭   
						
						lǎbɑ 
						
						trompette, haut parleur, klaxon...   
						喇叭花
						
						lǎbahuā
						
						 liseron, volubilis (appelé喇叭花pour 
						la forme des fleurs) 
						
						   
						牵牛花 
						qiānniúhuā 
						 plante proche du volubilis, généralement à fleurs blanches  
						朝荣   cháoróng  
						= 
						早晨开的花 : 
						fleur ouverte 
						très tôt à 
						l’aube
						 
						18 
						紫黑色 
						
						zǐhēisè  
						pourpre sombre  次之cìzhī 
						en second  |  |   
						 
						temple Tanzhe |  
				19 
				疏落的 
				
				shūluòde   éparpillé 
					
						| 
						20 
						陪衬   
						
						péichèn  
						
						(faire) ressortir  
						21 
						点辍   
						
						diǎnchuò 
						
						 embellir 
						22 
						蕊     
						
						ruǐ  
						pistil 
						23 
						触觉   
						
						chùjué  impression, 
						sensation tactile 
						24 
						扫帚   
						
						sàozhou  
						balai 
						       
						丝纹sīwén 
						
						traces, marques (laissées par le balai) 
						25 
						既...
						又 
						jì… yòu  
						et…et         
						细腻    xìnì 
						exquis, ravissant  //   
						清闲qīngxián
						 détendu, sans hâte (comme quelqu’un d’oisif)        
						26 
						潜意识 
						
						qiányìshí 
						subconscient            
						落寞luòmò
						
						 désolé  |  | 
						 
						volubilis |  
				27 
				梧桐          
				wútóng  sterculier à feuilles de platane    
				遥想 
				yáoxiǎng  rappeler, remémorer 
				梧桐一叶而天下知秋wútóng 
				yíyè ér tiānxià zhīqiū 
				 = 
				从一片梧桐叶的凋落,就知道秋天就要来到。 
				Il suffit d’une feuille 
				fanée de platane (sterculier) pour que l’on sache que l’automne 
				est arrivé. 
				28 
				蝉     
				chán 
				 cigale  
				        衰弱shuāiruò 
				faible    
				残 
				cán  
				infirme / déficient 
				29 
				嘶叫   
				
				sījiào
				
				 cri  
				(rauque, enroué)           
				啼唱 tíchàng
				chant des cigales (onomatopée) 
				30 
				蟋蟀   
				
				xīshuài  criquet                
				耗子 
				hàozi  
				souris 
				  
				
				  还有秋雨哩,北方的秋雨,也似乎比南方的下得奇,下得有味,下得更像样1。 
				  在灰沉沉2的天底下,忽而来一阵凉风,便息列索落地3下起雨来了。一层雨过,云渐渐地卷向了西去,天又晴了,太阳又露出脸来了,着着很厚的青布单衣或夹袄的都市闲人4,咬着烟管,在雨后的斜桥影里5,上桥头树底下去一立,遇见熟人,便会用了缓慢悠闲的声调6,微叹着互答着地说: 
				  “唉,天可真凉了-----”(这了字念得很高,拖得很长。) 
				  “可不是吗?一层秋雨一层凉了!” 
				北方人念阵字,总老像是层字7,平平仄仄起来8,这念错的歧韵9,倒来得正好。 
				  
				北方的果树,到秋天,也是一种奇景。第一是枣子树10,屋角,墙头,茅房11边上,灶房门口,它都会一株株地长大起来。像橄榄12又像鸽蛋似的这枣子颗儿,在小椭圆形13的细叶中间,显出淡绿微黄的颜色的时候,正是秋的全盛时期14,等枣树叶落,枣子红完,西北风就要起来了,北方便是沙尘灰土的世界,只有这枣子、柿子15、葡萄,成熟到八九分的七八月之交16,是北国的清秋的佳日,是一年之中最好也没有的Golden 
				Days。 
				  
				
				  有些批评家说,中国的文人学士,尤其是诗人,都带着很浓厚的颓废的色彩17,所以中国的诗文里,赞颂秋18的文字的特别的多。但外国的诗人,又何尝不然19?我虽则外国诗文念的不多,也不想开出帐来,做一篇秋的诗歌散文钞,但你若去一翻英德法意等诗人的集子,或各国的诗文的Anthology来,总能够看到许多并于秋的歌颂和悲啼20。各著名的大诗人的长篇田园诗或四季诗里21,也总以关于秋的部分。写得最出色而最有味。足见22有感觉的动物,有情趣的人类,对于秋,总是一样地特别能引起深沉,幽远、严厉、萧索的感触23来的。不单是诗人,就是被关闭在牢狱里的囚犯24,到了秋天,我想也一定能感到一种不能自已的深情25,秋之于人,何尝有国别,更何尝有人种阶级的区别呢?不过在中国,文字里有一个“秋士”的成语26,读本里又有着很普遍的欧阳子的《秋声》27与苏东坡的《赤壁赋》28等,就觉得中国的文人,与秋和关系特别深了,可是这秋的深味,尤其是中国的秋的深味,非要在北方,才感受得到底。 
				
				  南国之秋,当然也是有它的特异的地方的,比如廿四桥的明月29,钱塘江的秋潮30,普陀山的凉雾31,荔枝湾的残荷32等等,可是色彩不浓,回味不永。比起北国的秋来,正像是黄酒之与白干33,稀饭之与馍馍34,鲈鱼之与大蟹35,黄犬之与骆驼。 
				秋天,这北国的秋天,若留得住的话,我愿把寿命的三分之二折去,换得一个三分之一的零头。 
				  
				01 
				像样   
				
				xiàngyàng  
				décent, convenable 
				02 
				灰沉沉 
				
				huīchénchén  
				(ciel)  de plomb, gris et bas 
				03 
				息列索落
				
				xīlièsuǒluò 
				  bruit très fort de la pluie (摩擦声音) 
				04 
				着     
				ici 
				zhuó   revêtir, porter            
				夹袄 
				
				jiá'ǎo   
				veste doublée 
				05 
				斜桥   
				
				xiéqiáo  
				 pont biais, ou oblique  
					
						| 
						06 
						缓慢
						悠闲   
						huǎnmàn yōuxián 
						
						lent et insouciant, léger, désinvolte    
						声调shēngdiào 
						ton 
						07 
						阵字...
						层字 
						"zhèn" zì …" 
						céng" zì    : remarque sur les mots (les 
						caractères : 
						字) 
						utilisés par les gens du nord quand ils parlent d’un 
						passage pluvieux, d’une ondée, ils n’utilisent pas le 
						classificateur  
						阵  
						zhèn 
						mais 
						层céng 
						(une 
						couche) 
						08 
						平仄   
						
						píngzè   
						tons plats 
						(dont le deuxième ton) et tons obliques – d’où 
						prononciation 
						09 
						歧韵   
						
						qíyùn       
						
						韵yùn
						son 
						agréable (instrument de musique, voix..)  
						歧qí 
						 différent 
						/ erroné 
						10 
						枣子树 
						
						zǎozishù  
						jujubier  (originaire, effectivement, du nord de la Chine) 
						11 
						茅房   
						
						máofáng  
						latrines |  | 
						 
						jujubier |  
				12 
				橄榄   
				
				gǎnlǎn  
				 olive   
				13 
				椭圆形 
				
				tuǒyuánxíng  
				de forme ovale   
				                              
					
						| 
						14 
						全盛   
						
						quánshèng 
						
						(période) apogée, point culminant / pleine (saison) 
						15柿子   
						
						shìzi   
						kaki 
						16 
						交    jiāo  
						 arriver (saison)  
						17 
						颓废   tuífèi 
						  décadent     色彩 
						sècǎi
						  
						couleur, teinte / touche, tonalité 
						18 
						赞颂  zànsòng 
						
						chanter, célébrer 
						19 
						何尝  hécháng 
						ce 
						n’est pas que…  
						不然 bùrán 
						il 
						n’en est pas ainsi 
						20 
						歌颂  gēsòng   
						louange              
						悲啼bēití 
						 plainte 
						21 
						田园诗 
						
						tiányuánshī 
						poésie bucolique, pastorale          
						四季诗sìjì 
						shī 
						 poésie sur les saisons  |  | 
						 
						jujubes |  
				22 
				足见   
				
				zújiàn  
				 ici : pour bien montrer (ce qui précède) il suffit de voir…
				 
				23 
				萧索   
				
				xiāosuǒ  
				sombre, désolé / déprimé           
				感触gǎnchù
				 émotion 
				24 
				牢狱   
				láoyù 
				  prison
				囚犯qiúfàn  prisonnier 
				25 
				不能自已
				
				bùnéngzìyǐ  
				incontrôlable, irrépressible  
				26秋士    
				
				qiūshì       
				« lettré en automne »
				 
				Allusion à l’expression 
				ancienne 
				春女秋士chūnnǚ 
				qiūshì (les 
				femmes au printemps, les lettrés en automne) : au printemps, en 
				regardant les fleurs se faner, les jeunes filles ressentent la 
				fragilité de la beauté et la précarité des choses ; en automne, 
				en voyant le monde perdre sa vitalité et prendre un aspect 
				désolé, les jeunes garçons ressentent amèrement l’inanité de 
				tout héroïsme. 
				27 
				《秋声》
				
				qiūshēng  sons/bruits d’automne, poème du onzième siècle en prose rimée (du genre
				赋 
				fù
				) de Ouyang Xiu (欧阳修), 
				poète de la dynastie des Song du Nord : le poète est en train de 
				lire, la nuit, et brusquement entend du bruit ; il prête 
				l’oreille, le bruit se renforce, on dirait une armée en marche ; 
				alors il envoie un petit serviteur au dehors, pour voir ce qu’il 
				en est ; l’enfant revient en disant : 
				         
				“星月皎洁,明河在天,四无人声,声在树间。”
				 
				         
				la lune et les étoiles brillent, on voit très bien la Voie lactée, 
				          à des 
				lieues à la ronde pas un bruit chez les hommes,  
				 c’est des arbres qui vient le bruit qu’on entend.  
				Alors le poète 
				s’exclame : 
				“噫嘻,悲哉!此秋声也..." 
				
				                           « Quelle tristesse, c’est donc le 
				bruit de l’automne… etc… » 
				28 
				苏东坡 
				Su Dongpo, autre poète des Song, dont l’un des poèmes les plus célèbres 
				est l’ « Ode à la Falaise rouge » (《赤壁赋》), 
				également poème du genre fù, inspiré de la bataille 
				navale du troisième siècle qui fait partie de l’histoire des 
				Trois Royaumes. Le poème est en deux parties et écrit à la suite 
				d’une visite du poète 
				sur les lieux de la bataille, alors qu’il était en exil dans la 
				région. La promenade eut lieu en automne, et le poème commence 
				ainsi : 
				壬戌之秋,
				七月既望,en 
				l’automne de l’année… A la fin, le poète rompt l’humeur triste 
				qui émane du lieu et de la saison, pour se réjouir de pouvoir 
				profiter des  
					
						| 
						beautés 
						éternelles de la nature et boire en leur honneur… 
						29 
						廿四桥 
						
						niànsìqiáo 
						(廿=二十)  
						le « pont vingt quatre », à Yangzhou (de marbre blanc, 
						il mesure 24 mètres de long, 24 mètres de large, etc…), 
						c’est l’un des 24 monuments du « lac étroit de l’ouest »(瘦西湖), 
						au sud-ouest de la ville, où une histoire raconte que 24 
						beautés vinrent jouer de la flûte : Yanghzou est la 
						ville dédiée à la lune, et le meilleur endroit pour la 
						contempler est ce pont. L’expression 
						廿四桥的明月 
						est un vers d’un poème de Du Mu (杜牧). 
						30 
						钱塘江 
						
						Qiántáng jiāng 
						le Qiantang, fleuve  |  |   
						
						 
						Le pont vingt quatre |  
				qui se jette dans la mer à l’endroit de la baie de 
				Hangzhou ; il est 
				célèbre pour le plus grand mascaret du monde, nommé le « dragon 
				d’argent », d’où l’expression 
				
				到钱塘江观潮 : 
				aller au fleuve Qiantang voir la marée. 
					
						| 
						31普陀山  
						
						Pǔtuóshān 
						 mont Putuo, montagne sacrée bouddhique, sur l’île Putuo, au large de 
						Shanghai, centre du culte de Guanyin.  
						32 
						荔枝湾 
						
						Lìzhīwān  
						Lychee Bay, à Canton (Guangzhou)   
						残荷 
						cánhé 
						lotus aux fleurs fanées 
						33 
						白干   
						
						
						báigān  
						alcool blanc 
						34 
						稀饭   
						
						xīfàn   
						gruau de 
						riz ou de millet      
						馍馍mómo 
						petit pain 
						fourré = 
						馒头 
						35 
						鲈鱼   lúyú  
						
						perche (poisson) 
						蟹 
						xiè  
						crabe |  | 
						 
						lotus aux fleurs fanées |      
				  一九三四年八月,在北平 
				Pékin (Beiping), 1934, huitième mois.    
   
				Traduction : 
				 
				  
				L’automne, quel que 
				soit l’endroit où l’on se trouve, c’est toujours bien ; mais, 
				les automnes du Nord de la Chine, cependant, sont 
				particulièrement clairs, particulièrement calmes, 
				particulièrement tristes. Ayant l’occasion de me rendre de 
				Hangzhou à Qingdao, et de là à Beiping (1), un millier de lis 
				tout au plus, je compte aussi en profiter pour m’y délecter de 
				cet "automne", cette saveur automnale de la vieille capitale. 
				  
				Le Jiangnan (2), bien 
				sûr, a aussi son automne, mais la végétation s’y flétrit 
				lentement, l’air est chargé d’humidité, le ciel d’une couleur 
				très pâle, et, en outre, très souvent, il pleut beaucoup et il y 
				a très peu de vent. Lorsqu’on se trouve seul dans la foule de 
				Suzhou, Shanghai ou Hangzhou, ou encore à Xiamen, Hong Kong ou 
				Canton, et que l’on y flâne sans but, on ne peut ressentir qu’un 
				tout petit peu de clarté et de fraîcheur ; la saveur de 
				l’automne, les couleurs de l’automne, l’atmosphère et les traits 
				propres à l’automne, on ne peut 
				jamais les percevoir vraiment, jamais en jouir totalement, 
				jamais s’en délecter comme on voudrait. L’automne, ce n’est pas 
				le plaisir de voir s’ouvrir quelque fleur, ou de s’enivrer de 
				bon vin, ce n’est pas ainsi qu’on apprécie l’automne.   
				  
				Cela fait près de dix 
				ans que je n’ai pas vécu un automne du Nord de ce pays. Dans le 
				Sud, tous les ans, les premiers jours de l’automne 
				me font toujours penser aux chatons de roseau du pavillon Taoran (3), à 
				l’ombre des saules du Diaoyutai, au cri des insectes des 
				Collines de l’Ouest, à la clarté de la lune sur celles de la 
				Source de Jade, au tintement de la cloche du temple Tanzhe. A 
				Beiping, même si l’on ne sort pas de la ville et que l’on reste 
				dans la marée humaine de la cité impériale, même si l’on habite 
				la maison la plus décrépie, si, aux premières lueurs de l’aube, 
				on se fait une tasse d’un thé bien fort et que l’on va s’asseoir dans 
				un parc, on peut contempler, haut, très haut, le bleu émeraude 
				du ciel, où se perçoit le vol des pigeons domestiques. Quelques 
				rayons de soleil perçant, vers l’est, à travers les frondaisons 
				d’un sophora, ou, telles des clochettes, les corolles bleutées 
				de volubilis (écloses dès l’aube) paisiblement accrochées à 
				quelque mur en ruine, cela peut suffire à transmettre tout 
				naturellement l’atmosphère automnale. 
				En parlant de volubilis, je pense que les bleus et les blancs 
				sont les plus beaux ; ensuite, il y a ceux d’un pourpre sombre, 
				et en dernier lieu les rouge pâle. Mais le mieux, c’est quand, 
				éparpillées au milieu des fleurs, ont poussé quelques longues 
				tiges très fines d’herbes automnales ; les fleurs en ressortent 
				d’autant mieux. 
				  
				Les sophoras du Nord 
				évoquent eux aussi l’une des plus belles images liées à 
				l’automne.  Comme les fleurs, aux premières heures du matin, ils 
				couvrent le sol de leurs pistils, mais pas de la même façon. Si l’on marche dessus, 
				cela ne fait aucun bruit, cela ne sent rien non plus, on peut 
				tout au plus en ressentir une infime, une imperceptible 
				sensation tactile. Quand les balayeurs sont passés sous les 
				sophoras, les minuscules traces laissées par leurs coups de 
				balais dans la poussière grise offrent au regard une image à la 
				fois exquise et libre des soucis de ce monde, même si, 
				inconsciemment, on en ressent une impression de désolation en se 
				remémorant ce que disaient les anciens : qu’une feuille de 
				platane fanée suffit à annoncer l’automne. 
				  
				Le bruit très affaibli 
				des cigales est encore plus caractéristique des automnes du 
				Nord : à Beiping, en effet, il y a des arbres partout, et, en 
				outre, les maisons sont basses, si bien que, où que l’on soit, 
				on entend partout leurs chants. Dans le sud, en revanche, ce 
				n’est qu’en périphérie des villes ou en montagne qu’on peut les 
				entendre. Par contre, dans le nord, ce chant des cigales en 
				automne rappelle les criquets et les souris, on dirait des 
				insectes familiers élevés au sein de chaque foyer.  
				  
				Il y a aussi la pluie 
				d’automne, la pluie d’automne du Nord, elle aussi, semble plus 
				étonnante, moins fade, bien plus convenable que celle du Sud. 
				Sous un ciel d’un gris anthracite souffle soudain une rafale de 
				vent froid, et la pluie se déverse aussitôt avec un crépitement 
				d’enfer. L’ondée passée et les nuages s’étant peu à peu 
				dissipés vers l’ouest, le ciel s’éclaircit à nouveau et le 
				soleil reparaît ; une cigarette à la bouche, en profitant alors 
				pour aller flâner un instant du côté du pont biais où les arbres 
				dessinent à nouveau leur ombre après la pluie, le citadin oisif 
				de la vieille capitale, vêtu de sombre, épais manteau ou  veste 
				doublée, rencontre par hasard une vieille connaissance avec 
				laquelle il entame en soupirant légèrement un bout de 
				conversation sans conséquences : 
				« Ah, le temps a 
				fraîchi, non ?……. »   
				« N’est-ce pas ? En 
				automne, une vague de pluie amène une vague de froid ! » (4) 
				  
				Dans le Nord, les 
				arbres fruitiers aussi sont un spectacle étonnant. Je pense en 
				particulier aux jujubiers que l’on trouve au coin d’une maison, 
				au-dessus d’un mur, à côté de latrines ou à la porte d’une 
				cuisine. Les fruits ressemblent à des olives, ou à des œufs de 
				pigeon ; quand on en aperçoit la couleur jaune pâle au milieu du 
				vert tendre des fines feuilles ovales, c’est vraiment la marque 
				du plein automne ; ensuite, lorsque les feuilles tombent, que 
				les jujubes tournent au rouge, et que se lève le vent de nord-ouest, tout le 
				Nord du pays devient un monde couleur de poussière de sable, 
				grisâtre ; c’est seulement quand arrive le septième ou le 
				huitième mois que jujubes, kakis et raisins arrivent à 
				maturation, ou à peu près, et ce sont alors les plus belles 
				journées d’automne, dans le Nord, des « golden days » comme on 
				en voit qu’une fois dans toute l’année. 
				  
				Il y a des critiques 
				littéraires pour dire que les hommes de lettres chinois, et tout 
				particulièrement les poètes, ont des traits profondément 
				décadents, et que c’est la raison pour laquelle il y a tellement 
				de poèmes chinois qui chantent l’automne. Mais les poètes 
				étrangers, alors ? Il est vrai que je ne connais pas très bien 
				la poésie étrangère, et que je n’ai aucunement l’intention de me 
				mettre à l’étudier pour écrire un essai sur les élégies 
				automnales, mais, quand même, il suffit de feuilleter un recueil 
				de poésies anglaises, allemandes, françaises ou italiennes, ou 
				une anthologie poétique de quelque pays que ce soit, pour voir 
				qu’ils contiennent de nombreux poèmes louant ou déplorant 
				l’automne.  
				  
				Tout long poème 
				bucolique, comme tout poème sur les saisons, comporte forcément 
				une partie concernant l’automne. C’est le passage le plus 
				marquant et le plus intéressant, pour la bonne raison que tout 
				animal doué de sensation, toute personne capable de sentiment 
				ressent toujours vis-à-vis de 
				l’automne une émotion 
				profonde, soutenue, grave et sombre. Il n’y a pas que les 
				poètes, les prisonniers, eux aussi, je pense, du fond de leur 
				prison, quand arrive l’automne, sont pris de la même 
				irrépressible sensation ; face à l’automne, comment pourrait-il 
				y avoir des différences nationales, ou des différences de 
				classes ? En Chine, cependant, il y a un dicton sur « le lettré 
				en automne », il y a aussi, parmi les œuvres poétiques, des 
				poèmes très connus comme « le bruit de l’automne » de Ouyang 
				Xiu, ou l’ « Ode à la falaise rouge » de Su Dongpo (5), ce qui 
				me laisse penser que les hommes de lettres chinois ont un 
				rapport privilégié avec l’automne ; cependant, cette profonde 
				saveur de l’automne, et tout particulièrement cette profonde 
				saveur de l’automne chinois, il n’y a que dans le Nord du pays 
				que l’on peut la goûter à plein.  
				  
				L’automne en Chine, il 
				est vrai, a aussi des particularités locales, comme la clarté de 
				la lune sur le pont vingt quatre à Yangzhou, le mascaret 
				d’automne du Qiangtang, les brouillards froids du Putuoshan ou 
				les lotus aux fleurs passées de la baie aux Lychees, à Canton 
				(6), mais l’impression que tout cela suscite n’est pas profonde, le 
				souvenir n’en est pas éternel. Si l’on compare ce genre 
				d’automne à celui du Nord, c’est comme comparer du vin jaune à 
				de l’alcool blanc, le gruau de riz à des petits pains farcis, 
				une perche à un gros crabe, et un chien jaune à un chameau.
				 
				  
				L’automne, cet automne 
				du Nord, si je pouvais le conserver, je suis prêt à donner les 
				deux tiers de ce que j’ai encore à vivre pour, en échange, 
				l’avoir pendant le tiers restant. 
				   
				  
				
				Notes 
				(1) Pékin (ou Beijing
				
				北京 :
				la 
				capitale du Nord)  fut rebaptisée Beiping 
				(北平), c’est-à-dire la paix du Nord, 
				 en juin 1928, après le 
				succès de l’expédition du Nord du Guomingdang qui vint à bout 
				des seigneurs de guerre du Nord et pacifia la région ; en même 
				temps, Nankin (ou Nanjing 
				
				南京 : 
				la capitale du Sud) 
				était proclamée 
				capitale de la République de Chine. 
				(2) Jiangnan (江南), 
				ou ‘Sud du fleuve’, désigne le Sud du fleuve appelé 
				traditionnellement Yang Tsé (ou Changjiang 
				长江, 
				le long fleuve) ; c’est la zone de la civilisation de Wu, qui 
				inclut les grandes métropoles du sud, Shanghai, Suzhou, 
				Hanghzou, Nankin, Yangzhou entre autres. 
				(3) Tous ces endroits 
				sont des sites de Pékin ou de sa proximité. Voir le détail des 
				explications dans le vocabulaire. 
				(4) La phrase qui 
				précède (entre parenthèses) est une remarque ironique sur 
				l’accentuation de la particule finale. 
				La phrase qui suit, 
				intraduisible, est une autre remarque ironique sur les tics de 
				langage des Chinois du Nord qui utilisent le classificateur
				层 au lieu 
				de 阵 
				pour signifier ce qui 
				peut être une averse brutale ou une soudaine vague de froid. Et 
				malgré tout, dit l’auteur, ils le font sonner tellement bien 
				qu’ils en font oublier l’erreur. 
				  
				(5) Voir les détails 
				sur ces poèmes dans la partie vocabulaire. 
				(6) Il s’agit de sites 
				célèbres, aujourd’hui attractions touristiques. Voir détails en 
				partie vocabulaire. 
				  
				  
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