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                  | 
				La littérature chinoise au 
				vingtième siècle           I. 1900-1917  : Transition
 
 Préambule
 
 Le 14 août 1900, Pékin était occupée par l’armée des huit 
				nations occidentales alliées, entrées en Chine pour mettre fin à 
				la rébellion des Boxers. Le sac de Pékin et le traité humiliant 
				que dut signer le prince Qing (庆亲王), 
				au nom de l’empereur, le 7 septembre 1901, furent pour les 
				réformateurs une démonstration supplémentaire de la nécessité de 
				réformes drastiques.
 
 
					
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						L’impératrice douairière, 
						qui avait étouffé dans l’œuf les réformes de 1898 (1), 
						fut cette fois obligée d’accepter un vaste programme 
						qui, de 1901 à 1905, réforma entre autres la 
						bureaucratie, l’armée et le système éducatif, avec, en 
						particulier, dans ce dernier domaine, l’abolition des 
						examens traditionnels pour le recrutement des 
						fonctionnaires.                  
						Le programme des réformes 
						de 1898 avait été élaboré par un groupe d’intellectuels, 
						dont Kang Youwei 
						(康有为) 
						et Tan Sitong 
						(谭嗣同). 
						L’objectif était de renforcer le système impérial, 
						l’idéal de Kang Youwei, en particulier, étant 
						l’établissement d’une monarchie constitutionnelle, sans 
						renoncer aux fondements confucianistes. Après l’échec de 
						ces réformes et les événements de 1900-01, cependant, ce 
						sont les réformateurs plus radicaux qui dominèrent la 
						scène politique, sous la houlette d’un élève de Kang 
						Youwei,  
						Liang Qichao
						 
						
						
						(梁启超). La 
						littérature  |  |   
						 
						Liang Qichao |  
				devint désormais un élément 
				essentiel, presque déterminant, des réformes socio-politiques.
 Liang 
				Qichao et la « révolution par l’encre »
 
 Au Japon où il était parti après l’échec des réformes pour 
				échapper à la répression, celui-ci avait été en contact avec les 
				réformateurs japonais et étudié les textes politiques et 
				philosophiques européens dont il avait tiré l’idée d’un « état-nation 
				» où il n’y aurait plus de « sujets » mais des « citoyens », 
				mais, comme chez son mentor, sans changer fondamentalement la 
				structure dynastique. Il appelait ses idées réformistes « 
				révolutionnaires » - 革命 
				– terme qu’il avait emprunté à un néologisme japonais, mais dont 
				l’origine vient du Livre des Mutations où il n’implique qu’un 
				changement de nom de règne.
 
 Le terme devait avoir une application directe en littérature, 
				car, chez Liang Qichao, politique et littérature étaient 
				intimement liées. Il a dit, en citant un passage du Zhuangzi, 
				que, si son engagement politique lui causait ‘froideurs et 
				soucis’ (饮冰), 
				il n’en brûlait pas moins de continuer son œuvre ; il se nomma 
				ainsi "饮冰室主人"
				
				yǐnbīngshì zhǔrén, l’hôte du bureau des froideurs et 
				soucis, pour bien marquer que les réformes sociales et 
				politiques restaient une de ses priorités, la réforme de la 
				littérature en étant un élément indissociable, voire moteur.
 
 Dès 1896, il se fit l’avocat, avec Tan Sitong, d’une réforme de 
				la poésie, puis, plus généralement, d’une réforme de la 
				littérature qu’il mit lui-même en pratique dans ses œuvres, 
				inaugurant un modèle combinant théorie et création littéraires 
				qui devait devenir courant chez les écrivains chinois du 
				vingtième siècle. Egalement pionnier du journalisme en Chine à 
				l’époque, il en fit le support d’une « révolution par l’encre », 
				diffusant ses idées et ses écrits dans son journal, le《新民丛报》 xīnmín 
				cóngbào (le magazine du nouveau citoyen).
 
 Contrairement à Tan Sitong, pour lequel le « poème nouveau » (新诗) 
				devait « utiliser le style ancien pour exprimer des conceptions 
				nouvelles » (以旧风格含新意境 
				yǐ jiù fēnggé hán xīn yìjìng), il y développa un style 
				différent du chinois classique alors encore couramment utilisé 
				dans les écrits sérieux, un style plus proche de la langue orale 
				tout en conservant encore des éléments de la langue classique, 
				qui allait devenir en quelques années la base du nouveau langage 
				utilisé en littérature. C’était le début d’une révolution.
 
 En même temps, ses idées sur la fonction de la littérature dans 
				la société, inspirées des réformateurs japonais, ouvraient la 
				voie à des pratiques littéraires totalement nouvelles : dans un 
				article intitulé « sur les relations entre la fiction et le 
				gouvernement des masses », publié dans le premier numéro de son 
				nouveau journal lancé en 1902,《新小说》(le 
				nouveau roman), il se faisait l’avocat de l’élévation du roman à 
				un statut nouveau en Chine, celui d’un genre de première 
				importance pour tout bon gouvernement. Autre révolution, dans un 
				pays où la fiction était traditionnellement considérée comme un 
				vulgaire divertissement populaire.
 
 Les 
				précurseurs du mouvement de la Nouvelle Culture
 
 Pendant la première décennie du vingtième siècle, un flot de 
				traductions et d’adaptations d’œuvres littéraires étrangères 
				inondèrent la Chine, apportant théories et influences nouvelles 
				qui contribuèrent à accélérer les changements en cours. La mort 
				de l’empereur Guangxu (光绪帝), 
				en 1908, précipita les événements politiques ; la République de 
				Chine était proclamée le 1er janvier 1912 avec Sun Yatsen comme 
				président ; mais il dut céder le poste à Yuan Shikai 
				(袁世凱), en 
				échange de l’obtention par celui-ci de l’abdication du dernier 
				empereur, Puyi.
 
 Or Yuan Shikai, ancien commandant de la meilleure armée de 
				l’empire, dont il avait fait un instrument de pouvoir personnel, 
				fut sans doute déterminant dans le coup d’Etat qui mit fin à la 
				réforme des Cent Jours ; ce n’était pas un démocrate. Il tenta 
				de restaurer le système dynastique, se proclamant même
 
					
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						journal “La Jeunesse” |  | 
						empereur en 1915. A sa mort soudaine en 
						1916, le pays fut plongé dans l’anarchie, divers 
						seigneurs de guerre faisant régner une quasi guerre 
						civile pendant les dix années suivantes. Pourtant cette 
						décennie fut témoin d’une des plus extraordinaires 
						transformations intellectuelles de l’histoire chinoise : 
						comme toujours en Chine en période de division et de 
						chaos politique, la faiblesse – ou l’absence – de 
						gouvernement central permit aux écrivains d’œuvrer dans 
						une relative liberté dans les provinces, dans les 
						concessions étrangères de Shanghai, et même dans la 
						capitale.                  
						L’un des esprits les plus influents de 
						cette période fut Chen Duxiu 
						(陈独秀), 
						activiste révolutionnaire, fondateur à Shanghai du 
						journal “La Jeunesse” 
						(新青年), 
						lancé le 15 septembre 1915 et transféré à Pékin en 
						janvier 1917. Chen Duxiu faisait partie des nombreux 
						étudiants chinois qui, au début du siècle, partirent 
						étudier au Japon. Pour  |  
				lui, le confucianisme était le plus grand obstacle au 
				développement de la Chine ; il proposait de le remplacer par 
				deux concepts occidentaux : la science et la démocratie. La 
				science, cependant, était surtout 
 
					
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						envisagée comme culture fondée sur 
						l’expérimentation, et favorisant la remise en cause des 
						idées reçues, tandis que la démocratie n’impliquait 
						guère plus qu’un suffrage limité à une frange éduquée de 
						la population.                  
						Comme Liang Qichao, il 
						accordait une énorme importance à la littérature. Dans 
						le premier numéro de “La Jeunesse”, il publia un article 
						dans lequel il incitait les jeunes à lutter contre le 
						confucianisme par une révolution en littérature : 
						文学革命论
						wénxué gémìnglùn. Il encouragea alors un étudiant 
						de John Dewey aux Etats-Unis, Hu Shi 
						(胡适), 
						à publier dans “La Jeunesse” ses idées de réforme 
						littéraire. L’article qui les résuma, publié au début de 
						1917, s’intitula modestement « Quelques tentatives de 
						suggestions pour une réforme de la littérature chinoise 
						». Il avançait huit principes qui semblent aujourd’hui 
						assez banals, tournant autour d’une série de 
						recommandations pour éviter l’utilisation de clichés, ou 
						de phrases convenues et sans substance. En revanche, son 
						incitation à ne plus utiliser la  |  | 
						
						 
						Chen Duxiu et Hu Shi |  
				langue classique, mais 
						le chinois vernaculaire ou 
						白话文
						báihuà wèn, initia un 
				mouvement qui devait révolutionner la littérature chinoise. 
				                
					
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						Liu Bannong |  | 
						Hu Shi lui-même illustra ses idées 
						théoriques en publiant, dans le même numéro du journal, 
						quelques poèmes dans le style préconisé, qui furent 
						suivis dans les mois suivants par d’autres poèmes de 
						Chen Duxiu et Liu Fu, ou Liu Bannong 
						(刘复/刘半农). 
						Ce dernier était par ailleurs linguiste et contribua 
						activement, par la suite, au développement du baihua et 
						du système de caractères simplifiés (2). 
 Il y avait donc eu tout un travail préalable de 
						recherche et de diffusion d’idées nouvelles sur la 
						littérature et la langue lorsque 
						
						Lu Xun
						 
						
						
						(鲁迅) 
						écrivit ce qui est considéré comme le point de départ de 
						la littérature chinoise moderne : 
						《狂人日记》, 
						« Le journal d’un fou », publié dans “La Jeunesse” en 
						mai 1918.
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						L’œuvre allait devenir l’emblème du mouvement du Quatre 
						Mai, et de celui, qui lui est lié, de la Nouvelle 
						Culture…                 
				          
				       
				Notes
 (1) La réforme dite des « cent jours », inspirée de la réforme 
				Meiji au Japon : 戊戌变法
				
				wùxū biànfǎ, ou 百日维新 
				bǎirì wéixīn.
 (2) Pour la petite histoire, on lui attribue l’invention du 
				pronom féminin 她tā, qu’il aurait utilisé pour la première fois 
				dans un de ses poèmes ; par la suite, l’usage en fut popularisé 
				en 1930, lorsque son poème《教我如何不想她》
				
				jiào wǒ rúhé bù xiǎng tā (apprenez-moi comment ne plus 
				penser à elle), écrit en 1920 et mis en musique huit ans plus 
				tard par l’autre grand linguiste, mais aussi musicien amateur, 
				Chao Yuanren (赵元任), 
				devint un air populaire. Les paroles en sont assez simples, il 
				vaut mieux les écouter déclamées :
 
				
				
				
				http://v.ku6.com/special/show_1989842/MSYjiZLUHl0q4C89.htmlVersion concert :
				
				
				http://www.tudou.com/programs/view/O83_-ZSk8SY/
 
 天上飘着些微云, Dans le ciel flottent de légers nuages,
 地上吹着些微风。 sur terre souffle une brise légère.
 啊! Ah !
 微风吹动了我头发,La brise a soulevé sa chevelure,
 教我如何不想她? Dites-moi comment ne plus penser à elle.
 
 月光恋爱着海洋, La lune s’est enamourée de l’océan,
 海洋恋爱着月光。 Et l’océan de la lune,
 啊! Ah !
 这般蜜也似的银夜,Cette douceur est celle de la nuit argentée,
 教我如何不想她? Dites-moi comment ne plus penser à elle. etc…
 
 
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