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Yerkesy Hulmanbiek
叶尔克西·胡尔曼别克
Présentation
par Brigitte Duzan, 12 juin 2016
Alors que, depuis le début des années 2010, la
littérature dite « des minorités nationales » (少数民族文学)
connaît en Chine un essor soutenu par divers
programmes de traduction, la littérature du Xinjiang
fait l’objet d’une promotion particulière
.
On découvre ainsi des auteurs connus jusqu’ici
surtout dans leur région d’origine, telle
Yerkesy Hulmanbiek, romancière, essayiste,
poétesse et traductrice kazakhe
: elle est aujourd’hui tête de file |
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Yerkesy Hulmanbiek lors d’un colloque
à Shanghai en 2013 |
d’une littérature kazakhe du Xinjiang dont commencent à
émerger plusieurs autres auteurs.
Une Kazakhe des bords de l’Altaï
Yerkesy Hulmanbiek
est née au Xinjiang en 1961, dans les pâturages des monts Beita,
ou Baytak Bogd (新疆北塔山),
situés dans le district de Qitai (奇台县),
au pied des monts Altaï. C’est une région proche de celle où vit
Li
Juan (李娟)
pour qui c’est une terre d’élection ; les deux romancières se
connaissent et s’estiment mutuellement : elles représentent les
deux pôles de la littérature actuelle du Xinjiang, la
littérature autochtone et celle des Han venus s’installer là.
Finalement, les deux se rejoignent dans le même amour de la
région, de son peuple, de ses coutumes, traditions et légendes.
Révolution culturelle oblige, c’est au début des années 1980 que
Yerkesy Hulmanbiek
sort diplômée du département de littérature chinoise de
l’Institut central des nationalités (中央民族学院).
En 1983, elle devient rédactrice de la revue Littérature des
nationalités du Xinjiang (《新疆民族文学》),
éditée par la Fédération des lettres et arts du Xinjiang ; elle
est aussi nommée rédactrice adjointe de deux autres revues
locales, et poursuit des recherches théoriques.
Elle commence à publier en 1985.
La renommée avec « L’agneau éternel »
Elle commence par publier des nouvelles, un livre
pour enfants, et soudain c’est le succès, en 2003,
avec la publication de
« L’agneau éternel » (《永生羊》),
couronné l’année suivante du prix littéraire
Tianshan.
Succès du récit
Yerkesy nous conte une histoire d’autant plus
touchante qu’elle est en grande partie
autobiographique : celle d’une petite fille qui
grandit avec pour compagnon un agneau nommé
Salbas auquel elle est de plus en plus attachée.
Mais l’histoire est aussi un essai philosophique
(défini comme sanwen) sur l’apprentissage de
la vie : la petite fille doit finir par comprendre
et accepter qu’on n’élève pas un agneau pour le
garder comme animal de compagnie, mais qu’il doit en
fin de compte nourrir la famille. La leçon de son
père est pratique et anti-sentimentale : « un mouton
est fait pour être tué, ce n’est pas bon de pleurer
sur son sort, et si tu commences par pleurer sur
celui-ci, tu n’auras pas assez de larmes pour
pleurer sur le sort de tous les autres que tu vas
rencontrer en grandissant. »
Le sacrifice de l’animal revêt donc un sens profond,
comme un rituel, puisqu’il s’agit d’une question de
survie humaine, et de la loi naturelle : « Un mouton
ne meurt pas du poids de ses péchés ; l’homme ne
naît pas pour périr de faim. » C’est aussi simple
que cela. Et si les Kazakhs prient pour le mouton
avant de l’égorger, c’est par gratitude envers un
être vivant que l’on tue afin de survivre.
Au final, le récit souligne la foi des Kazakhs dans
le destin, mais sans que cela les empêche de
poursuivre des idéaux donnant toute leur valeur à la
vie et à la liberté.
Adaptation au cinéma |
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L’agneau éternel
L’agneau éternel (le film)
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Sur le tournage du film L’agneau
éternel |
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Porté par son succès, le livre a été adapté au
cinéma, et le scénario confié à Yerkesy elle-même.
Produit par le studio du Xinjiang et sorti en Chine
en octobre 2011, sous le même titre, le film est le
premier film en langue kazakh réalisé en Chine
populaire, avec des acteurs locaux pour la plupart
non professionnels.
Il n’a pourtant ni la profondeur ni la poésie du
roman. Réalisé par le chef de la chaîne documentaire
de CCTV, Gao Feng (高峰),
il garde des caractéristiques de documentaire sur
les traditions locales, et musicales en
particulier, tandis que le récit a été modifié en
faisant du personnage principal un petit garçon et
en introduisant une histoire d’amour contrarié
typique d’un feuilleton télévisé. Il manque un
Pema Tseden
au Xinjiang. |
Mais le succès du livre a valu à son auteur d’entrer à
l’Association des écrivains, en 2005.
Contes kazakhs du Xinjiang
En 2006,
Yerkesy Hulmanbiek a continué en publiant une série
de récits qui offrent une réflexion très
intéressante sur l’histoire et les traditions
kazakhes, et d’autant plus attachants qu’ils partent
d’histoires pour la plupart autobiographiques.
Celui qui donne son nom au recueil apparaît en
grande partie comme
un portrait spirituel de la femme kazakhe, une
fenêtre sur le monde de sa psyché, mais traité de
façon personnelle. Le récit d’ouverture,
« La
mère de feu de la prairie » (《草原火母》),
fait découvrir ce qu’est, chez les Kazakhs, la « mère
ombilicale » (脐母),
à travers l’histoire intime de l’auteur : une
tradition qui dépasse l’amour maternel habituel, en
instaurant une relation privilégiée entre un enfant
et une autre femme que sa mère, qui agit comme
modèle et inspiratrice
.
« Le loup dans la lumière bleue » (《蓝光中的狼》)
est |
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La mère de feu de la prairie |
Le loup dans la lumière bleue |
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sans doute le récit le plus complexe du recueil car
il explique l’image du loup chez les kazakhs en
remontant à l’histoire ancienne. D’abord, l’image du
loup chez les kazakhs est différente de celle,
féroce et inquiétante, qui nous est habituelle.
Selon sa manière habituelle, Yerkesy part d’un cas
concret, personnel : l’histoire d’un ami qui lui a
fait cadeau d’une peau de loup pour lui porter
chance dans la vie, qu’elle l’a accrochée au mur
chez elle comme signe de bon augure. Elle explique
ensuite comment cette image se retrouve dans la vie
quotidienne.
Si un berger rencontre un loup dans les pâturages,
c’est bon signe. Si quelqu’un a plusieurs fils, on
dit que ce sont les « frères du loup ». Si un jeune
garçon a l’allure intrépide et un fort caractère, on
le loue en disant qu’il est « comme un loup ». Et si
l’on veut définir une action audacieuse bien menée,
on ira que c’est comme un loup attaquant un troupeau
de moutons. |
Mais pourquoi la lumière bleue du titre ? C’est là qu’on entre
dans l’histoire, ou plutôt la légende. Dans le livre des Han (le
Hanshu
汉书),
la biographie de Zhang Qian
rapporte une légende de loup racontée dans une épopée célèbre
des ethnies de langue turque du Xinjiang : la légende d’Oghuz ou
Oghuzname, qui raconte la généalogie mythique de la tribu des
Turcs Oghuz, à partir du héros national Oghuz Khan.
Selon cette légende, au sommet de sa puissance, Oghuz demande la
soumission des puissances « à gauche et à droite ». Altun Khan,
à droite, se soumet, mais pas Urum Khan, à gauche (soit l’empire
byzantin). Alors Oghuz part en guerre contre lui ; or, une nuit,
un grand loup gris lui apparaît, entouré de lumière reflétant le
gris bleuté de sa fourrure, et lui offre de se mettre à la tête
des troupes pour les guider. D’où la vénération pour le loup
.
Il y a beaucoup de tribus kazakhes qui ont le loup pour emblème
et leurs poèmes épiques ont pratiquement tous des héros liés au
loup. La peau de loup mise au mur n’est pas une offense ; elle
n’aime ni la chaleur ni le confort ; en hiver, il faut la sortir
prendre le soleil ; dans le froid, les poils deviennent
brillants et souples comme si le loup venait juste d’être
écorché. Le loup symbolise chance et vitalité.
Dans « La femme cygne » (《天鹅女》),
Yerkesy éclaire l’image de cet autre animal sous un jour
poétique, en montrant que, dans la culture kazakhe, le cygne
symbolise noblesse et grandeur et que c’est en outre le symbole
de la femme. Autrefois les shamans kazakhs utilisaient les
plumes de cygne pour repousser les mauvais esprits. Les
chasseurs peuvent tuer un lapin, il leur est interdit de tuer un
cygne blanc car les cygnes sont des femmes venues des confins du
ciel, dont elles sont les émissaires. Ce sont des esprits
féminins ailés flottant sur l’eau.
« Le retour du cheval noir » (《黑马归去》)
est une évocation de l’esprit très spécial qui
s’attache aux poêles et marmites, poêles noires
comme le cheval du titre, que l’on ne prête que le
cœur serré…
« L’arbre du destin »
(《生命树》)est
tout aussi fascinant. Yerkesy yévoque les sépultures
(fénmù
坟墓).
Le terme désigne à la fois la cavité dans laquelle
on enterre le défunt et le tertre par-dessus. S’il
est grand, on parle de tombeau fén, s’il est
petit on parle de tombe mù. La sépulture
évoque le royaume des morts, l’au-delà ; elle donne
des frissons. En général, les gens n’osent pas
approcher seuls d’une tombe, surtout la nuit. Les
kazakhs, eux, ne croient pas que les morts puissent
venir déranger les vivants. Yerkesy raconte que,
dans le passé, si un Kazakh parti en voyage devait
passer une nuit hors de chez lui, il pouvait aller
dormir dans un cimetière ; là, il n’avait pas à
craindre d’être attaqué par |
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Le retour du cheval noir |
des bêtes sauvages, ni de se sentir seul. Non seulement il
ne ressentirait aucune frayeur, mais il aurait au contraire
le sentiment d’être protégé par les esprits.
Dans ce livre, Yerkesy analyse les divergences de sens que
prennent certains termes, et les notions et traditions qu’ils
recouvrent, dans des contextes culturels différents. Et comme il
est écrit en partant de son expérience personnelle, comme
« L’agneau éternel », le récit est vivant et touchant autant que
profond, tout en étant en outre infiniment poétique.
Yerkesy Hulmanbiek a atteint, avec la cinquantaine, une grande
maturité littéraire.
Publications
Fiction
1987 Petite mélodie de la rivière Irtych
《额尔齐斯河小调》(roman
pour enfants)
1989 Histoires choisies au petit bonheur
《随意拣来的故事》
2003 L’agneau éternel
《永生羊》
2006 La mère de feu de la prairie
《草原火母》
Recueil de récits dont :
- Le loup dans la lumière bleue
《蓝光中的狼》
- La femme cygne《天鹅女》
- Le retour du cheval noir
《黑马归去》
- L’arbre du destin
《生命树》
Essais
Mon pays ancestral, mon peuple
《我的祖国我的人民》
2005 Dans le pays de cocagne de la culture des nationalités
《走在民族文化的沃土里》
Traductions en anglais
Painless
《无痛》
Nouvelle traduite par Roddy Flagg, Pathlight juin 2014 + Read
Paper Republic n° 12
https://paper-republic.org/pubs/read/painless/
Eternal Lamb, traduit par Nicky Harman, extrait paru dans le
supplément Peregrine de la revue Chutzpah/Tiannann° 11, décembre
2012 Xingjiang Time. (malheureusement introuvable)
L’histoire personnelle contée par Yerkesy rappelle celle
d’une autre romancière kazakhe, encore peu connue :
Aynur Maolet, née en 1974, lauréate du 6ème
prix de prose Bingxin pour son roman « Apa » (grand-mère
en langue kazakhe) publié dans la revue Octobre en 2013
– roman autobiographique qui, à travers la peinture de
son amour pour sa grand-mère, illustre la coutume de
« rendre un enfant » qui veut qu’un jeune couple offre
son premier enfant à ses parents pour leur montrer sa
gratitude, ce qui est une manière de mieux assurer à la
fois la survie du bébé (les parents ayant plus
d’expérience) et les soins des parents âgés.
Différente de la tradition mongole rapportée par
Jiang Rong (姜戎)
dans « Le Totem du loup » (《狼图腾》).
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