Auteurs de a à z

 
 
 
     

 

 

Xu Xiaobin 徐小斌

Présentation

par Brigitte Duzan, 12 juin 2021

 

Née en 1953 à Pékin, Xu Xiaobin (徐小斌) est à la fois écrivaine, scénariste et artiste, peintre et spécialiste de papiers découpés. Si elle est surtout célèbre pour son roman « Le Serpent à plumes » (《羽蛇》) paru à la fin des années 1990, ce n’est pourtant qu’une pointe émergée de l’immense iceberg que constitue une œuvre initiée sous les auspices du renouveau littéraire des lendemains de la Révolution culturelle.

 

Un demi-siècle d’écriture

 

Née dans une famille d’intellectuels au tout début de la République populaire, Xu Xiaobin était la troisième fille de la famille, après deux sœurs aînées, enfant choyée jusqu’à ce que naisse un petit frère, événement traumatique dans son existence, comme dans « Le Serpent à plumes ».

 

Xu Xiaobin

  

Elle a commencé des études de peinture à l’âge de treize ans, avant d’être engloutie dans les remous de la lutte contre les droitiers puis de la Révolution culturelle. A partir de 1968, elle passe neuf ans à la campagne, dont cinq dans le Corps de production et construction [ou bingtuan ] du Heilongjiang (黑龙江生产建设兵团) [1] et trois en usine. Si elle est partie dans le Heilongjiang, à l’âge de 16 ans, c’est volontairement, pour fuir sa famille où elle se sentait délaissée par sa mère au profit de son petit frère, et en annulant par là-même son hukou pékinois. Il a fallu qu’elle tombe malade pour que son père fasse tout le chemin jusqu’à la ferme, dormant sur le sol jusqu’à ce qu’il ait obtenu qu’elle soit transférée dans la banlieue de Pékin. Mais c’est pendant qu’elle était dans le Heilongjiang qu’elle a commencé à écrire.

 

En 1978, au moment de la réouverture des universités, elle entre à l’université pour faire des études d’économie et de finance, puis, en 1982, est nommée professeur à l’Université de la télévision et de la radio (中央广播电视大学) [2]. Après quoi elle est devenue scénariste attitrée de la télévision centrale, CCTV. Le métier lui a valu une réputation mitigée, car elle exprime toujours le fond de sa pensée. Cette expérience dans le saint des saints de la télévision nationale lui a inspiré une satire grinçante, la nouvelle moyenne « Au cœur de la comédie [3] » (《入戏》).

 

La collection de ses écrits en 15 volumes (2020)

 

Elle commence à publier en 1981 et n’a pas cessé depuis lors. En 2012, une sélection de ses œuvres de fiction a été publiée par la maison d’édition de l’Association des écrivains (作家出版社) en une série de huit volumes. En juillet 2020, la sélection s’est étoffée en une « Collection de classiques de Xu Xiaobin » (“徐小斌经典书系”) en quinze volumes qui, couvrant quarante ans de publications, compte ses romans et nouvelles, mais aussi ses nombreux essais ainsi que ses scénarios pour le cinéma et la télévision.

 

Nouvelles et romans

 

Héritage des conteurs

 

Elle a écrit sa première nouvelle à l’âge de 17 ans, dans la ferme du Heilongjiang : « L’aiglon qui s’exerce à voler » (《雏鹰奋翮》).

 

Dès ce premier texte, elle donne libre cours à son imaginaire, manière comme une autre d’échapper à la réalité ambiante, âpre réalité que celle du Heilongjiang, l’hiver en particulier, quand il fallait sortir travailler la terre par – 40°. Le soir, les zhiqing – ces jeunes instruits, comme elle, venus de la ville - se rassemblaient autour du poêle ; ils n’avaient ni bois ni charbon et faisaient brûler des tiges de haricots. Le feu ne durait pas longtemps et chauffait peu, mais Xu Xiaobin racontait des histoires, comme beaucoup d’autres au même moment, dans les mêmes circonstances. C’est alors qu’elle a commencé à en écrire, en 1970 ; « L’aiglon qui s’exerce à voler » est son premier récit - 100 000 caractères écrits tout petit, comme des pattes de mouche [4] - dont le manuscrit a circulé sous le manteau.

 

Années 1980-1990 : de la nouvelle au roman

 

Après la Révolution culturelle, elle a été encouragée à écrire par son père et un autre vieux lettré. Sa première nouvelle publiée est parue dans le deuxième numéro de 1981 de la revue « Littérature de Pékin » : « Acceptez s’il vous plaît ce bouquet de fleurs » (《请收下这束鲜花》). En 1983, encouragée par Zong Pu (宗璞), elle écrit une première nouvelle « moyenne » - « Sur les deux rives, un arbre de vie» (《河两岸是生命之树》) - et l’envoie à la rédaction de la revue Shouhuo (《收获》) dont Li Xiaolin (李小林), la fille de Ba Jin (巴金), était alors rédactrice en chef. La nouvelle est publiée dans la revue après quelques révisions [5].

 

C’est cependant une autre nouvelle, publiée en 1985, qui a contribué à la rendre célèbre : « Enquêtesur une malade mentale » (《对一个精神病患者的调查》). La nouvelle s’inscrit dans le courant de la littérature d’avant-garde de la deuxième moitié des années 1980, mais, si elle a fait connaître Xu Xiaobin, c’est parce qu’elle a été adaptée au cinéma [6]. Après la sortie du film, la nouvelle a été publiée en 1990 dans un recueil éponyme.

 

Les années 1990 s’ouvrent sur l’écriture d’une série de romans, à commencer par « Rêves de Dunhuang » (《敦煌遗梦》) qui paraît en 1994 [7]. Sur fond de légendes bouddhistes et de magie du lieu, le roman tisse une histoire qui recoupe les aventures de trois personnages réfugiés à Dunhuang en quête d’eux-mêmes sous prétexte de recherches académiques : Xiao Xingxing (肖星星), une jeune artiste peintre pleine de talent, Zhang Shu (张恕), un chercheur sur les fresques qui vient de démissionner d’un institut de recherche de Pékin, et Xiang Wuye (向无晔), un étudiant en médecine, chinoise bien sûr.

 

Tous trois sont en quête de paix intérieure et sont descendus dans une auberge qui semble hantée par des personnages bizarres. Ils sont entraînés dans un maelstrom d’intrigues amoureuses centrées sur des femmes qui hantent les grottes et semblent liées aux fresques telles des figures tutélaires. Zhang Shu est venu enquêter sur ce qui lui est apparu comme un blanc dans

 

Rêves de Dunhuang

l’une des grottes : une fresque volée, qui a disparu ; mais tout le monde semble garder ses propres secrets… Toute l’histoire est nimbée des mythes et légendes qui entourent Dunhuang d’une aura magique. 

 

En 1995, elle publie une nouvelle moyenne, « La Constellation des Poissons » (《双鱼星座》) qui, trois ans plus tard, sera publiée dans un recueil et sera couronnée du prix Lu Xun.

 

Avec Mo Yan en 2011 lors du

« 1er Forum littéraire sino-australien »

 

Xu Xiaobin devient dès lors l’une des représentantes de la littérature féminine chinoise, et c’est en tant que telle que, en 1996, elle est invitée pendant trois mois aux Etats-Unis pour donner des conférences sur l’écriture féminine chinoise dans diverses universités. C’est la première écrivaine chinoise à bénéficier d’une telle invitation officielle. Son cycle de conférences est intitulé « Les cris et chuchotements de la littérature féminine chinoise » (“中国女性文学的呼喊与细语”). Elle n’a cessé depuis lors de participer à des colloques

internationaux, dont un colloque littéraire « des deux rives » (两岸文学研讨会) tenu à Taiwan en 1999.

 

Le Serpent à plumes, apogée créatif

 

Le Serpent à plumes
(illustration reprise sur les couvertures

du livre, en chinois et en anglais)

 

Entretemps, en 1998, elle a publié son roman le plus célèbre et certainement le plus original : « Le Serpent à plumes » (《羽蛇》), écrit de 1995 à 1997. Xu Xiaobin y compte l’histoire d’une enfant hyper sensible devenue jeune femme en quête de rédemption, et de cinq générations de femmes autour d’elles -récit partiellement autobiographique et prouesse narrative sur un arrière-plan historique flou, volontairement non chronologique, mais dont on reconnaît les grandes dates même si elles ne sont pas expressément citées. L’histoire est tellement déconstruite qu’elle en apparaît mystérieuse, les personnages apparaissant sous différents aspects à différentes périodes, comme au cours de mues successives, jusqu’à ce que les derniers chapitres en reprennent les fils narratifs pour en livrer les derniers dénouements.

 

Elle a écrit ce roman dans des conditions difficiles, alors qu’elle traversait une crise, vivant dans un petit

appartement misérable et tapant sur une machine à écrire rudimentaire, caractère par caractère. Mais c’était d’autant plus une écriture compulsive, obsessionnelle, et ce caractère obsessionnel se transmet à la lecture. 

 

C’est certainement l’un des chefs d’œuvres de la littérature chinoise de la fin des années 1990, qui se rapproche d’une écriture allégorique moderne comme l’ont noté des critiques tant en Chine qu’à l’étranger. Et c’est un jugement approuvé par l’auteure elle-même.

 

La désillusion des années 2000

 

Cependant, « Le Serpent à plumes » s’inscrit dans le contexte d’une période charnière où la littérature chinoise cédait aux sirènes de l’économie de marché. On ne pourra bientôt plus écrire de romans aussi originaux. Pour Xu Xiaobin, l’essor de l’économie de marché est aussi l’essor d’un monde de consommateurs, sans valeurs et sans âme, un monde effrayant de désirs insatiables, mais de plus en plus avec les moyens de les satisfaire, et avec l’arrogance d’un bien-être matériel dénué de vie spirituelle.

 

Publié en 2013, « Le Cygne » (天鹅) est pourtant une histoire d’amour pur, parce qu’il faut encore y croire, ou plutôt parce que les circonstances exceptionnelles créent des histoires exceptionnelles. Gu Wei (古薇) et Xia Ningyuan (夏宁远) auraient pu être un couple d’amants assez ordinaires. Mais, comme Xu Xiaobin l’a expliqué dans sa postface, le roman lui a été inspiré par une histoire vraie qui s’est passée en 2003, pendant l’épidémie de SARS : un homme était en quarantaine parce qu’il avait été contaminé, la jeune femme a brisé les interdits pour pouvoir le voir, et a finalement attrapé la maladie ; au total, l’homme est sorti de l’hôpital, mais la femme est morte…

 

C’est une relecture moderne des histoires d’amour, mais en même temps, c’est aussi une manière de remettre en cause l’écriture des histoires d’amour, ou tout simplement la possibilité d’histoires d’amour pur, dans un monde où

 

Le Cygne《天鹅》, 2013

priment statut et richesse. Ecrit dans un style classique, le roman s’envole à la fin dans la poésie.

 

Noces de cristal, par Xu Xiaobin (2016)

 

Le ton se fait plus amer ensuite. Publié en 2016, « Noces de cristal » (《水晶婚》) déroule un récit qui se passe dans le contexte des turbulences des années 1980 et 1990. Xu Xiaobin y traite du sort des femmes célibataires qui subissent des pressions insoutenables de la famille comme de la société dans son ensemble pour rentrer dans le rang et se marier. Attractive et intelligente, mais d’un« faible QI émotionnel » (“低情商”), Yang Tianyi (杨天衣) finit par faire un mariage désastreux. Après les événements de la place Tian’anmen, elle retrouve celui qu’elle avait aimé, mais il est arrêté pour s’être mêlé aux démonstrations et envoyé en prison…

 

La femme d’âge mur de Xu Xiaobin, au 21e siècle, n’est plus la « fille de fer » (“铁姑娘”) de l’âge maoïste ; selon ses propres termes [8], la femme est devenue une « petite femme » (“小女人”) qui a perdu et son âme et

son sexe – c’est-à-dire sa nature même (“本性”). Le sort semble se refermer sur les femmes et leur laisser peu d’espace de liberté ; elles sont même incapables de garder le contrôle de leur corps, et condamnées à l’échec ; ce sont des perdantes dans un monde essentiellement réaliste (现实世界的失败者), mais elles gardent quand même une aura poétique et vaguement mystérieuse.  

 

L’épidémie de covid devrait fournir une source d’inspiration comme le SARS en son temps ; Xu Xiaobin a dit que ce serait sans doute une nouvelle, sur les livraisons express devenues seul lien avec l’extérieur. Mais, en attendant, début 2020, elle a encore publié un roman totalement atypique, nourri de ses lectures : « Une légende de héros atonale » (无调性英雄传说》), où elle brosse une sorte d’histoire politique chinoise en s’inspirant de la mythologie grecque et des tragédies d’Homère aussi bien que de la révolution cybernétique telle que dépeinte dans l’un de ses livres de chevet, « Cybernetics and Society » de Norbert Wiener [9]. La narration consiste en quatre fils narratifs correspondant à quatre dieux grecs, la tortue de Zénon, le chat de Schroedinger et le démon de Maxwell jouant un rôle dans le dénouement final. Comme d’habitude chez Xu Xiaobin, on nage en plein mystère, mais cette fois, le mystère est lie à la science : le mystérieux étant ce qui n’est pas scientifiquement prouvé, selon elle, cela laisse un vaste champ à exploiter à son imagination [10].

 

Principales publications

(Fiction)

 

Romans

1989 : « Feu marin » 《海火》

1994 : « Rêves envolés de Dunhuang » 《敦煌遗梦》

1998 : « Le Serpent à plumes » 《羽蛇》

2004 : « Princesse Deling » 《德龄公主》

2010 : « Fleurs du purgatoire » 《炼狱之花》

2013 : « Le Cygne » 《天鹅》

2016 : « Noces de cristal » 《水晶婚》

2020 : « Une légende de héros atonale »《无调性英雄传说》

 

Recueils de nouvelles

1990 : « Enquête sur une malade mentale » 《对一个精神病患者的调查》

1995 : « Le jardin psychédélique » 《迷幻花园》// « Comme une ombre » 《如影随形》

1996 : « La ville de Lumbini » 《蓝毗尼城》 [11]

1997 : « Dernier écho de la fin du monde » 《末世绝响》

1999 : « Après les abeilles » 《蜂后》// « La constellation des Poissons » 《双鱼星座》

2000 : « Une beauté céleste » 《天生丽质》

2002 : « L’arme secrète de la star de la chanson » 《歌星的秘密武器》

2003 : « Le monastère Seigenji » 《清源寺》 [12]

2005 : « Un automne extraordinaire »   《非常秋天》

2009 : « Le soleil de la fin des temps » 《末日的阳光》

2009 : « Autrui. Pétales » 《别人·花瓣》

2015 : « La blessure du serpent endormi » 《睡蛇的伤口》

 

Une écriture complexe

 

Elle écrit comme Bach écrivait ses variations, vit l’écriture en lien avec la peinture, se passionne pour le chat de Schroedinger et les ambiguïtés du monde réel, s’interroge sur les possibilités de l’intelligence artificielle, et voue une admiration sans borne à Agnès Varda et à son ami JR, le maître du collage photographique et des illusions d’optique [13]… Elle écrit des histoires de femmes qui finissent par constituer une sorte de structure labyrinthique tridimensionnelle et, au bout du compte, deviennent un tableau de la société tout entière, vue d’un point de vue féminin, dans un style en constante évolution.

 

Recherche de style et influences

 

Son style a évolué au long des années. On a dit que c’était un style subversif, mais ce n’est pas un choix délibéré. Comme elle l’a elle-même souligné en parlant de ses romans [14], chacun est écrit dans un style différent, déterminé par son sujet :

-   son premier roman, « Feu marin », était une peinture du monde universitaire, le style est celui d’un étudiant (de l’époque) ;

-   dans « Rêves de Dunhuang », il y a quelque chose de religieux, voire de mystique, dans le sujet, et de mystérieux dans le style ;

-   « Le Serpent à plumes » est l’histoire secrète des femmes d’une famille, contée avec ses non-dits, des retours en arrière, un parcours flou et sinueux porté par la beauté du verbe, dans un style qui est aussi celui de « La Constellation du poisson » ;

-   « Princesse Deling » est un roman historique, fondé sur un personnage réel [15], mais dans le style des romans de la période Ming-Qing, selon le modèle du « Rêve dans le pavillon rouge » (《红楼梦》) ;

-    « Fleur du purgatoire » est un roman satirique contemporain, écrit dans la langue des jeunes de 2010,

-    et pour « Le Cygne », le style est plutôt celui, tout simple, d’un croquis à l’encre de Chine (白描式).

 

Son écriture a bénéficié de ses lectures, poésie et romans chinois, mais surtout littérature étrangère. Deux œuvres l’ont très tôt marquée : « Le rêve dans la pavillon rouge », qu’elle a lu pour la première fois à l’âge de neuf ans, et « Anna Karenine », découvert à l’âge de treize ans. Mais elle reconnaît aussi l’influence de Mérimée, Stefan Zweig, Robbe-Grillet, Borges, Italo Calvino ou encore Angela Carter. De manière significative, l’un des livres qu’elle a trouvé le plus intéressant, parmi les titres traduits en chinois ces dernières années, est le « Codex Seraphinianus », un livre fascinant d’un Italien nommé Luigi Serafini, initialement publié en 1981 dans une édition limitée, préfacée par Calvino. C’est une sorte d’encyclopédie illustrée de choses imaginaires, dans ce qui semble être un métalangage inventé. Serafini a dit qu’il voulait que chaque lecteur ait le sentiment d’être comme un enfant illettré devant des livres dont il ne comprend rien. C’est justement ce qui a fasciné Xu Xiaobin.

 

Princesse Deling, la vraie

 

Un monde entre réalité et conte de fées 

 

Outre ses recherches sur le style, elle s’efforce d’approfondir la psychologie de ses personnages afin de la faire sienne, de manière aussi réaliste que possible. Mais, en réalité, elle vit dans un monde de contes et légendes, et c’est la poésie de ce monde qui donne le plus de profondeur, de richesse et d’attrait à ses récits. L’originalité de son écriture tient à la combinaison qu’elle parvient à réaliser entre un espace-temps d’illusion (comme le jardin « psychédélique » de l’une de ses premières nouvelles), et la peinture la plus réaliste possible de ses personnages et de leur vie. Plutôt que Balzac ou Tolstoï, cependant, les auteurs qu’elles préfèrent sont Dostoievski et Kafka, des auteurs qui lui semblent refléter bien mieux l’essence de l’art, et dont le sort est presque toujours lié à la maladie, à la folie ou au suicide.

 

Elle dit [16] :

我觉得,自己的秘密世界有如一面魔镜,它好像是真实的,但每一个细节都不真实。走入那面魔镜是自欺欺人的开端,可怕的是,通往魔镜的道路有去无回。这大概就是后一类作家非疯即死的答案吧。

Je pense que le monde secret qui est le mien est comme un miroir magique, il semble être réel, mais aucun détail ne l’est. […] Entrer dans ce miroir est le début d’un processus d’auto-duperie, et le plus effrayant est que, une fois que l’on s’est engagé dans cette voie, il n’y a pas de retour en arrière possible. C’est sans doute la raison pour laquelle les auteurs de la deuxième catégorie [ les Kafka et les Dostoievski ] n’ont d’autre solution que la mort ou la folie.

 

Ils ont réussi à franchir les frontières spatio-temporelles entre réalité et fiction. Une fois que l’on a brisé ces frontières, on peut combiner et concilier tous les pôles opposés, ou apparemment opposés, comme l’a si bien fait, par exemple, Italo Calvino, ou Borges et d’autres écrivains latino-américains. Leur univers est celui du rêve, éveillé ou non, qui est aussi celui de Xu Xiaobin.

 

Le rêve a un rôle majeur, avec une connotation psychanalytique reflétant l’époque, dans l’une de ses premières nouvelles, « Enquête sur une malade mentale », initialement publiée en 1985 et adaptée au cinéma en 1988 (voir ci-dessous). Cette nouvelle « moyenne » est bâtie autour d’un rêve récurrent de l’héroïne, Jing Huan (景焕), placée dans un hôpital psychiatrique parce qu’elle se prend pour une sorcière : sur un lac gelé, dans une pâle lumière bleue à la lueur de la lune, l’héroïne patine, toute seule, en répétant constamment la même figure, un huit. La narration revient sur la source des fantasmes de la jeune femme, avec des réminiscences autobiographiques, comme dans beaucoup d’autres textes de l’auteure.

 

En fait, Xu Xiaobin a toujours fait des rêves, depuis l’enfance, et ses rêves sont l’étoffe de ses récits. L’histoire du coquillage géant, au fond du lac, dans « Le Serpent à plumes », par exemple, est un de ses rêves d’enfant. Parfois, se réveillant la nuit, elle avait du mal à distinguer le rêve de la réalité ; l’aura de mysticisme que l’on retrouve dans certaines de ses pages vient de là. Etonnamment, elle a moins rêvé une fois mariée, les rêves sont revenus quand elle a divorcé. Il y a bien là quelque chose de la sorcière, aurait dit Marguerite Duras.

 

Scénarios pour la télévision et adaptations au cinéma

  

En 1992, Xu Xiaobin a intégré le Centre de production de téléfilms de la télévision centrale, CCTV, et fait partie depuis lors de l’équipe des scénaristes de CCTV.  En 1993, sa pièce « La frêle voix des carillons » (《风铃小语》) a obtenu le 10ème prix Feitian (获十届飞天奖) [17].

 

Elle a aussi écrit des scénarios de films et fait partie de l’Association des cinéastes chinois (中国电影家协会). Sa première adaptation d’une de ses nouvelles au cinéma est le scénario du film de Zhang Junzhao (张军钊) sorti en 1988 : « L’Arc lumineux » ( Húguāng 《弧光》), adapté de la nouvelle « Enquête sur une malade mentale » (《对一个精神病患者的调查》) initialement publiée en 1985. Zhang Junzhao était célèbre pour avoir réalisé le premier véritable film de la « cinquième génération », un véritable ovni à l’époque : « One and Eight » (《一个和八个》) [18]. Il est vrai qu’il avait dû revenir vers des réalisations moins originales pour ne pas mettre les studios avec lesquels

 

L’Arc lumineux Huguang, le film

il travaillait sur la paille. « L’Arc lumineux » est bien fait, mais plutôt orienté vers le public populaire ; la nouvelle est plus intéressante. 

 

« Princesse Deling » a été adapté en feuilleton télévisé, mais pourrait être également adapté au cinéma, par le réalisateur italien Giuseppe Tornatore. Le film adapté de « Rêves de Dunhuang », retardé pour cause de covid, devrait sortir en 2021 ou 2022. Elle rêve toujours d’adapter « Le Serpent à plumes ».

 

Mais aussi création artistique

 

Une peinture de Xu Xiaobin : « Elle » 《伊人》

 

Malgré cette œuvre littéraire prolifique, ou plutôt pour soutenir son activité d’écriture, Xu Xiaobin n’a pas cessé de peindre et de faire des papiers découpés.

 

Elle a découvert les papiers découpés par hasard, alors qu’elle traversait une phase de dépression, à la fin des années 1980. Elle avait acquis une certaine notoriété, mais l’avenir semblait très sombre. Un jour, par désœuvrement, elle entreprit de découper une feuille de papier noir sur laquelle elle avait dessiné la silhouette

d’une femme. Sur fond de papier blanc, la figure avait fière allure. C’était le début de ses papiers découpés, un univers en noir et blanc qui lui fut alors un réconfort. 

 

En 1990, une exposition de ses papiers découpés a eu lieu à l’Institut central des beaux-arts (徐小斌个人刻纸艺术展). D’autres expositions, de peinture, ont suivi.

 

Il n’y a pas de frontière nette chez elle entre l’écriture et la peinture. En écrivant, elle « voit » des scènes se dessiner devant ses yeux, et les peindre l’aide à mieux l’écrire. Mais en retour son œuvre picturale lui a inspiré deux ouvrages qui s’inscrivent dans la longue série de ses recueils d’essais (散文随笔集): « Somptueux silence et

 

Ouverture sur l’imaginaire : « The Door » 《门》

bavardage solitaire » (《华丽的沉默.与孤寂的饶舌》) publié fin 2006 et « Poussières capricieuses » (《任性的尘埃》) publié en 2016

 


 

Traductions en anglais

 

- Feathered Serpent《羽蛇》, tr. John Howard-Gibbon and Joanne Wang. NY, Simon and Schuster, 2009.

- Dunhuang Dream《敦煌遗梦》, tr. John Balcom, NY, Atria International, 2011

- Crystal Wedding《水晶婚》, tr. Nicky Harman,London:Balestier 2016

(Winner of English Pen Translates Award).

Préface de l’auteur à lire sur le site de l’éditeur : https://balestier.com/preface-crystal-wedding/

- Queen Bee and Other Stories, tr. John Howard-Gibbon, Natascha Bruce, Nicky Harman and Alvin Leung,Balestier, 2019.

- A Classic Tragedy: Short Stories, tr. Natascha Bruce, Nicky Harman, Balestier, mai 2021.

 


 

À lire (en anglais)

 

Snow《雪》, tr. Natascha Bruce and Nicky Harman, Read Paper Republic series, March 24, 2016

https://paper-republic.org/pubs/read/snow/

 

(Aucune traduction en français)

 


 


[1] Ferme militaire établie en juin 1968 par la Région militaire de Shenyang.

[2] Aujourd’hui Open University of China (国家开放大学).

[3] traduit comédie car c’est drôle, mais qui pourrait aussi bien être traduit par drame si l’on considère le sens profond de la satire.

[4] Ce qui en fait une nouvelle « moyenne » assez longue.

[5] Invitée à venir à Shanghai, elle est accueillie à la gare par le rédacteur de la revue Guo Zhuo (郭卓) qui l’introduit auprès de la rédaction en disant : « Venez l’accueillir, c’est une femme ! » (接来了,是女的!”) – détail que son nom, bien sûr, ne révélait pas.
Anecdote contée dans l’article de Qiu Yuantin (
邱苑婷) paru dans l’hebdomadaire Renwu Zhoukan《人物周刊》en juillet 2020 : « Un clou dans le cercueil de l’idéalisme de Xu Xiaobin » (《徐小斌理想主义的一颗棺材钉》), disponible en ligne : https://www.nfpeople.com/article/10130

[6] Voir Scénarios et adaptations au cinéma.

[8] Selon les propose recueillis dans un article disponible en ligne sur divers sites, dont chinawriter et The Paper  :https://m.thepaper.cn/yidian_promDetail.jsp?contid=6951205&from=yidian

[9] Un livre initialement publié en 1950 et révisé en 1954, intitulé plus exactement « The Human Use of Human Beings, Cybernetics and Society”. Avocat de l’automation, Wiener y analyse les bénéfices pour l’homme de la coopération avec les machines.

[10] Source : The Paper, article cité ci-dessus (note 9).

[11] Au Népal, lieu de naissance de Siddhartha Gautama, dit Shakyamuni, connu comme le Bouddha (l’Éveillé), fondateur historique de la communauté de moines errants qui donnera naissance au bouddhisme.

[12] À Kyoto.

[13] Street-artiste, roi du collage photographique grandeur nature, collaborateur de Varda pour la réalisation de son avant-dernier film « Visages, Villages ». Un film qui a quelque chose d’emblématique pour Xu Xiaobin.

[14] En particulier dans sa longue entrevue avec Fu Xiaoping (傅小平) publiée juillet 2020 sur le site de l’Association des écrivains :

http://www.chinawriter.com.cn/n1/2020/0710/c405057-31778234.html

[15] Une princesse mandchoue revenue en Chine à l’âge de 17 ans après six ans passée à l’étranger ; elle et sa sœur furent appelées à la cour pour faire des traductions et devinrent deux des huit femmes occupant un poste officiel à la Cité interdite, aux côtés de Cixi.

[16] Dans l’interview citée précédemment.

[17] Prix attribués à des œuvres télévisées.

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.