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Su Xuelin
苏雪林
1897-1999
Présentation
par Brigitte Duzan, 15 janvier 2019
En raison de ses origines familiales et de son
anticommunisme, Su Xuelin a été étiquetée
« écrivaine bourgeoise de boudoir » comme
Ling Shuhua (凌叔华),
et honnie par les écrivains de gauche. Elle a
relativement peu écrit car elle a consacré beaucoup
de son temps à l’enseignement et à la recherche, et,
tandis que Ling Shuhua était célébrée pour ses liens
avec le groupe de Bloosmbury, l’œuvre de Su Xuelin
n’a été redécouverte qu’après sa mort.
Elle a cependant fait partie des premières
écrivaines et artistes chinoises venues étudier en
France dans les années 1920, et elle en a été l’un
des éléments les plus brillants. Elle est l’une des
grandes écrivaines chinoises des années 1930 qui
reste pourtant méconnue même en France où aucun de
ses écrits n’a été traduit.
De l’Anhui à la France et retour |
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Su Xuelin |
Su Xuelin est née en février 1897 dans une famille
traditionnelle de petits fonctionnaires originaire du village de
Lingxia du district de Taiping, dans l’Anhui (太平县岭下村).
Son grand-père avait été magistrat dans le Zhejiang, et c’est là
qu’est née Su Xuelin, à Rui’an (瑞安).
Sa grand-mère était une matriarche à l’ancienne qui lui banda
les pieds quand elle avait quatre ans. Elle permit cependant à
sa petite-fille d’étudier les classiques, puis de fréquenter une
école de missionnaires américains, parce qu’elle voulait que
l’enfant lui lise des textes bouddhistes. Quant au père, qui
n’avait pu continuer longtemps ses études, il était très ouvert
sur le plan éducatif, mais pour ses fils. Si les filles
voulaient étudier, dans ces familles, il fallait qu’elles y
soient déterminées et qu’elles se battent.
A l’âge de quinze ans, Su Xuelin entre en conflit avec sa
famille afin de pouvoir continuer ses études. Ayant menacé de se
noyer si on ne la laissait pas intégrer l’Ecole normale de
filles de l’Anhui, à Anqing, où son père a été muté, elle
obtient gain de cause. En 1919, elle est admise dans le
département de chinois de l’Ecole normale supérieure pour filles
de Pékin, où elle a pour camarades
Lu Yin
(庐隐)
et
Feng Yuanjun (冯沅君).
Trois ans et demi à Lyon
Elle obtient son diplôme en 1921 et, voulant alors poursuivre
ses études à l’étranger, elle pense aux Etats-Unis car l’anglais
lui semble plus utile que le français, mais elle passe le
concours ouvert par l’Institut franco-chinois de Lyon (里昂中法大学)
tout juste fondé. Elle est reçue et non seulement obtient
l’accord de sa famille, mais en outre une aide de son père qui
finance son voyage et sa première année d’étude. A l’automne
1921, elle part donc avec le premier groupe d’étudiants chinois
accueillis à l’Institut franco-chinois : elle est l’une des 15
étudiantes pour environ 120 étudiants, inscrite sous le nom de
Sou Mai, née en février 1900. Elle va y séjourner du 3 octobre
1921 au 22 avril 1925, étudiant d’abord la peinture, puis la
littérature.
Su Xuelin jeune, pendant son séjour
en France |
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Fiche d’inscription à l’Institut
franco-chinois |
L’Institut se situait alors au Fort Saint-Irénée, près des
ruines romaines ; l’endroit lui plaît, et elle admire le
directeur, qui en était aussi l’un des cofondateurs avec Cai
Yuanpei (蔡元培) :
Wu Zhihui (吴稚晖),
grand lettré, militant anarchiste et anti-communiste qui
influera profondément sur sa personnalité et sa pensée à ce
moment charnière de son existence. Mais elle vit avec ses
camarades dans un environnement parfaitement chinois, sans
beaucoup de contacts avec l’extérieur. Son niveau de français
s’en ressent.
Ciel vert |
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Elle s’en évade donc pour prendre une chambre en
ville, dans un pensionnat de jeunes filles ; pendant
les vacances, elle participe à des travaux agricoles
à la campagne, vendanges et cueillette de fruits,
qu’elle a racontés dans des textes courts, du genre
notes de voyages, qui figurent avec des petits
tableaux poétiques des gens rencontrés et des
coutumes françaises dans le recueil « Ciel
vert » (《绿天
》)
paru après son retour en Chine en 1927.
Dans le roman autobiographique « Un cœur dans un
buisson d’épines » (jí
xīn《棘心》),
publié en 1929, elle a aussi raconté son histoire à
travers celle d’une jeune étudiante chinoise qui,
comme elle, suit à la fois des cours à l’Institut
franco-chinois et à l’Ecole des Beaux-Arts. Elle y
dépeint indirectement les difficultés qui furent les
siennes en France. Elle a alors traversé une crise
identitaire liée à sa conversion au catholicisme en
août 1924, en contradiction avec ses |
convictions intellectuelles et ses racines familiales et
culturelles. Mais, contrairement à la plupart des écrivains
chinois qui se sont convertis dans les années 1920, et dont
la conversion n’a pas dépassé le niveau formel et a donc été
vite oubliée, chez elle, la foi a persisté, ce qui a
intrigué historiens et critiques littéraires, certains
allant jusqu’à considérer sa religion comme inséparable de
son œuvre littéraire.
Un cœur dans un buisson d’épines, éd.
1929,
signé de son nom de plume Lü Yi 绿漪 |
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Un cœur dans un buisson d’épines, éd.
1957,
signé Su Xuelin |
Elle était la personnalité la plus connue de l’Institut à son
époque. Cependant, en 1925, au bout de trois ans et demi en
France alors qu’il était prévu qu’elle y reste dix ans, la mort
de son frère et la maladie de sa mère l’incitent à rentrer en
Chine. Elle épouse alors l’homme que celle-ci lui a choisi – un
ingénieur titulaire d’un doctorat du MIT, aux Etats-Unis, dont
elle se séparera quatre ans plus tard, sans jamais divorcer, par
conviction religieuse, mais aussi parce que la famille de son
mari y était opposée. Ces quatre années, elle les passe à
enseigner dans des écoles de filles à Suzhou et à Shanghai, où
elle se lie d‘amitié avec Yuan
Changying (袁昌英).
Une écriture et une pensée originales
Elle était alors déjà connue pour la beauté de sa prose,
remarquée dans son recueil « Ciel vert » publié en 1927. Mais
tout aussi célèbres étaient ses textes de critique littéraire
rassemblés dans le recueil « Histoire d’amour d’un poète Tang »
(Li Yishan lian'ai shiji kao《李义山恋爱事迹考》),
publié l’année suivante, en 1928, avant le roman « Un cœur dans
un buisson d’épines ».
Dans un contexte où les auteurs chinois cherchaient à développer
un style différent, dans une langue moderne proche de la langue
parlée, et non plus la langue classique, Su Xuelin a utilisé ses
connaissances approfondies de la littérature classique chinoise
pour se forger un style personnel original, à cheval sur la
langue classique et la langue vernaculaire.
Parallèlement, elle a mené des recherches sur la poésie
classique. Après quelques postes dans des écoles de
missionnaires, sa carrière d’enseignante a décollé vraiment
quand elle a été nommée professeure à l’université de Wuhan, au
début des années 1930 : en 1934, elle crée là le premier cours
de littérature chinoise moderne, des années 1920 et 1930,
parallèlement à un cours d’histoire de la littérature classique.
Ce cours en fait la pionnière de l’étude de la littérature
chinoise comme discipline moderne.
En même temps, elle se passionne pour les nouvelles études sur
les mythes et légendes, qui n’étaient pas sans rapport avec les
études religieuses comparées qui se développaient de pair. Su
Xuelin a en particulier étudié les « Chants de Chu » (《楚辞 》)
de Qu Yuan (屈原),
en défendant la réalité du personnage, et en soutenant que ces
textes tenaient du mythe au sens où ils étaient fondateurs et
reposaient sur d’anciennes pratiques rituelles représentant la
culture populaire.
Cela l’amène, au début des années 1940, à étudier la mythologie
comparative, tout en continuant à écrire des nouvelles et des
pièces de théâtre.
Départ à Taiwan
Brillante sans aucun doute, elle est entrée en conflit avec les
écrivains de gauche, et surtout
Lu Xun
dont elle ne partageait pas l’engagement politique et
qu’elle a traité de névropathe, indigne de toute l’admiration
dont il était l’objet. Elle était violemment anti-communiste, et
fut ébranlée par la guerre civile qui suivit la défaite
japonaise.
En 1949, quand les Communistes arrivent au pouvoir, elle part à
Hong Kong, où l’église catholique lui offre un poste de
rédaction et traduction à la Catholic Truth Society (香港公教真理學會),
Mais elle n’y reste qu’un an, ne trouvant pas de quoi alimenter
ses recherches dans les bibliothèques de Hong Kong. En 1950,
avec l’aide de l’Eglise, elle va en pèlerinage à Rome, puis
s’installe deux ans à Paris. Elle suit des cours sur les
religions babyloniennes et assyriennes au Collège de France,
ainsi que ceux de Georges Dumézil en philologie comparée. Mais
elle est déçue par la sinologie française, et reste étrangère
aux thèses développées par Mircea Eliade et Claude Lévi-Strauss.
Elle quitte Paris frustrée.
En 1952, elle part s’installer à Taiwan où elle a
enseigné jusqu’à sa retraite, en 1973, à
l’Université nationale normale de Taiwan et à
l’université Cheng Kung à Tainan. A partir de 1959,
ses recherches sont financées par le gouvernement
nationaliste de Taiwan. Elle a publié un ouvrage en
quatre volumes sur le résultat de ses recherches sur
Qu Yuan. Mais il n’a pas retenu beaucoup
d’attention.
A la fin de sa vie, elle était considérée comme un
« fossile vivant du mouvement |
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Su Xuelin à Tainan |
de la Nouvelle Culture ». A l’âge de 94 ans, elle a écrit
son autobiographie : « Une vie flottante de 94 années » (《浮生九四》).
En 1998, elle est revenue visiter son pays natal, dans
l’Anhui, puis est décédée à Tainan en avril 1999, à l’âge de
102 ans.
Autobiographie 1997 |
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Une vie flottante de 94 ans |
Son œuvre a alors été publiée sur le Continent, y compris ses
premiers écrits de la fin des années 1920 qui ont alors été
redécouverts – dont les essais du « Ciel bleu », un recueil de
pièces de théâtre et le recueil de nouvelles « La mue de la
cigale » (《蝉蜕集》),
publié en 1999.
C’est malgré tout ce qu’il reste de plus fascinant dans son
œuvre, avec son autobiographie. Des essais choisis ont encore
été réédités en 2015 et 2017.
A lire en complément
Su Xuelin et la première vague d’étudiantes à l’IFCL :
Cartographie d’un désir d’ailleurs, Jaqueline Estran,
Transtext(e)s Transcultures 9/2014, en ligne :
https://journals.openedition.org/transtexts/517
Résumé : Alors que les universités chinoises leur ouvrent tout
juste leurs portes, quinze étudiantes font le choix de venir
étudier en France, à l’IFCL en 1921, au moment de sa création.
C’est le groupe féminin le plus important jamais accueilli par
l’IFCL. Leurs travaux de recherche, leurs courriers ainsi que
les écrits laissés par Su Xuelin témoignent d’une quête
identitaire qui se situe géographiquement en France mais reste
profondément ancrée dans leur culture d’origine, objet de leur
questionnement et référence incontournable tout au long de leur
parcours.
Traduction en anglais
Harvest, tr. Amy D. Dooling & Kristina M. Torgeson, in:
Writing Women in Modern China, an Anthology of Women’s
Literature from the Early 20th Century, ed. by
Amy D. Dooling & Kristina M. Torgeson, Columbia University
Press, 1998, pp. 201-207.
Court essai initialement publié dans le recueil « Ciel bleu » en
1928. Menues réflexions sur la culture des patates douces et
souvenirs de la cueillette des cerises près de Lyon, la deuxième
année de son séjour en France.
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