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Feng Yuanjun
冯沅君
1900-1974
Présentation
Par Brigitte Duzan, 28 décembre
2018
Feng Yuanjun est l’une des grandes écrivaines de la
Chine moderne : ses premiers écrits de fiction ont
marqué la scène littéraire chinoise des années 1920,
mais elle a ensuite poursuivi sa carrière en faisant
des recherches sur la littérature classique et le
théâtre ancien chinois.
Entre études et écriture
Née en 1900 dans une famille de lettrés de Tanghe
dans le Henan (河南唐河),
elle est la sœur du grand philosophe Feng Youlan (冯友兰)
et du géologue Feng Jinglan (冯景兰).
Ils ont tous trois été encouragés à poursuivre des
études par leur mère, une femme de caractère qui
était veuve et directrice d’école.
Théâtre |
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Feng Yuanjun jeune |
Après avoir étudié sous la férule de sa mère, Feng Yuanjun est
envoyé à Pékin avec ses frères ; elle était pourtant promise en
mariage, mais sa mère n’a pas informé la famille du jeune homme
car elle savait qu’ils se seraient opposés à ce que leur future
bru aille faire des études dans la capitale. En 1917, Yuanjun
entre à l’Ecole normale supérieure de filles de Pékin (北京女子高等师范学校),
véritable vivier de talents féminins dans l’orbite du
mouvement du 4 mai.
Une manifestation d’étudiantes au
moment du 4 mai |
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Pendant ses années à l’Ecole, elle participe aux
manifestations du 4 mai et commence à écrire. Elle
met en scène une pièce de théâtre parlé (huaju
话剧)
dont elle a elle-même écrit le texte, adapté d’une
ancienne ballade populaire datant des Han de l’Est
(3e siècle) : « Le Paon vole vers le
sud-est » (《孔雀东南飞》)
.
C’est l’histoire d’un jeune marié, Jiao Zhongqing (焦仲卿),
obligé par sa mère à répudier sa jeune épouse Liu
Lanzhi (刘兰芝)
parce que sa mère ne la supporte pas ; comme son
frère veut la remarier, Liu Lanzhi préfère se
suicider, et Jiao Zhongqing la suit dans la mort. |
Le thème des drames provoqués par les mariages arrangés est
courant dans la littérature féminine de l’époque, mais, comme le
montre cette ballade, il ne date pas d’hier. Elle a été maintes
fois adaptée à l’opéra, mais Feng Yuanjun a traité le sujet de
manière originale, en pièce de théâtre parlé, en interprétant
elle-même le rôle de la marâtre. C’est son premier succès.
Nouvelles
Elle sort diplômée de l’Ecole en 1922 et entre alors comme
chercheuse en littérature classique dans la section Etudes
chinoises de l’Institut de recherche de l’Université de Pékin.
Cependant, elle se tourne vers l’écriture plutôt que la
recherche et commence dès 1923 à publier ses premières nouvelles
dans la revue trimestrielle et le bulletin hebdomadaire de la
Société de création (《创造季刊》/《创造周报》) :
les plus connues, « Voyage » (《旅行》),
« Séparation » (《隔绝》)
et « Après la séparation » (《隔绝以后》),
la rendent célèbre ; c’est ce qu’on a appelé les « nouvelles à
problèmes » (wenti xiaoshuo
问题小说)
car elles traitent essentiellement de problèmes familiaux, et en
particulier du problème des mariages arrangés. C’est le cas en
particulier de la seconde.
1. « Séparation » (Géjué《隔绝》)
connaît un grand succès dès sa parution non tant pour les thèmes
explorés - refus du mariage arrangé et exaltation de l’amour
libre - que pour la manière de les explorer : sur fond de
tradition toujours aussi forte, créant une crise de conscience
dramatique, car l’opposition à la tradition émerge là du sein
même de la tradition (在传统中反传统).
Elle y dépeint le désespoir d’une jeune femme soumise à une
insupportable pression familiale pour qu’elle se marie avec
l’homme choisi par sa famille, alors qu’elle en aime un autre.
Revenue voir sa mère qu’elle a quittée depuis plusieurs années,
elle se retrouve enfermée dans sa chambre, sa mère préférant la
voir sombrer dans le désespoir plutôt que d’avoir à rompre ses
engagements et être ainsi déshonorée. La fille exprime dans une
lettre à l’homme qu’elle aime le dilemme qui la laisse partagée
entre son amour pour lui et celui pour sa mère : tout amour est
sacré, dit-elle, que ce soit l’amour d’un homme pour une femme,
ou celui d’une mère pour son enfant.
Incapable de résoudre son dilemme, elle accuse la société d’être
trop rétrograde. Sa sœur et sa cousine offrent de l’aider à
échapper au mariage arrangé, voire à s’enfuir de la maison. Mais
il est clair que ce n’est pas une solution, car le couple ne
pourrait pas alors vivre au grand jour. Comme toujours, la seule
solution est la mort : les deux amoureux finissent par se
suicider. Si la fin est habituelle, le récit est représentatif
d’une nouvelle conscience de la nécessité de se libérer de la
tradition pour pouvoir, en modernisant les esprits et les mœurs,
moderniser la société.
Dans la nouvelle, l’homme est aussi victime que la femme, il
lutte avec elle, mais c’est la femme qui est enfermée et
stigmatisée. Elle en est encore au premier stade de
l’émancipation de la femme dans la société patriarcale
chinoise : l’émancipation du carcan familial et de l’autorité
parentale – autorité représentée par la mère en l’absence du
père
.
2. « Voyage » (Lüxing《旅行》)
raconte l’histoire d’un couple de jeunes étudiants de Pékin qui
vont passer dix jours dans une petite ville du sud, où ils se
retrouvent ensemble, à l’hôtel, pour la première fois. Le récit
est conté avec des flashbacks remontant à leurs années d’études,
et le narrateur exprime leur détermination à ne pas se soumettre
à un système marital entraînant des relations artificielles
entre les époux.
Mariage, recherche et enseignement
En 1925, elle obtient son diplôme de littérature de
l’Université de Pékin et commence à enseigner à
l’université Jinling de Nankin (金陵大学).
Mais elle revient à Pékin l’année suivante pour
enseigner à l’université franco-chinoise (中法大学).
A l’Université de Pékin, Feng Yuanjun a fait la
connaissance de
Lu Xun qui
l’aide à publier ses nouvelles. En 1926 et 1927,
elle publie les deux recueils Juanshi (《卷葹》)
et Chunhen (《春痕》),
le premier comprenant ses trois premiers récits.
Autant de nouvelles qui continuent à traiter des
mêmes thèmes.
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Feng Yuanjun et Lu Kanru |
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Puis elle va enseigner à Shanghai, et elle est
rejointe là par un diplômé du département d’Etudes
chinoises de l’Université de Pékin, Lu Kanru (陆侃如),
avec lequel elle se marie en 1929. Elle a raconté
leur histoire dans la nouvelle "moyenne"
« Cicatrices de printemps » (Chunhen《春痕》)
qui a donné son titre à son second recueil. Cette
même année 1929, elle publie un troisième recueil de
nouvelles : Jiehui (《劫灰》).
Mais elle abandonne ensuite l’écriture de fiction
pour se consacrer à la recherche. |
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Cicatrices de printemps
Histoire de la poésie chinoise |
Feng Yuanjun et son mari à
l’université du Shandong |
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A Shanghai, elle collabore avec Lu Kanru à une
« Histoire de la poésie chinoise » (《中国诗史》)
publiée en 1932. Lui a écrit les parties concernant
la période pré-Tang, tandis qu’elle traitait la
période ultérieure. |
En 1932, elle part à Paris avec lui poursuivre ses
études et, en 1935, obtient un doctorat en
littérature chinoise classique, avec une thèse
consacrée à « La technique et l’histoire du ts’eu ».
A Paris, elle participe aussi à un mouvement
pacifiste antifasciste mené par Henri Barbusse en
éditant une lettre d’information ronéotypée pour la
section chinoise du mouvement dont les membres
comprennent le poète Dai Wangshu (戴望舒)
et le dramaturge et critique littéraire Li Jianwu (李健吾).
Après quoi, elle rentre en Chine et, de 1935
jusqu’au début de la guerre en 1937, enseigne à
l’Ecole normale de jeunes filles du Hebei, à
Tianjin. Pendant ces deux années, elle passe son
temps libre, avec son mari, à rechercher et compiler
des éditions rares de « pièces de théâtre du Sud » (南戏),
finalement éditées dans un recueil intitulé
« Recueil de pièces retrouvées du théâtre du Sud »
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Recueil de textes publié après sa
mort |
Biographie en hommage à Feng Yuanjun |
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(Nanxi shiyi
《南戏
拾遗》).
Ces recherches éveillent son intérêt pour le théâtre
traditionnel qu’elle va étudier pendant les années
qui lui restent à vivre.
En attendant, trouvant étouffante l’atmosphère dans
le Nord sous occupation japonaise, elle part à
Kunming avec son mari, en passant par Shanghai, Hong
Kong et le Vietnam. Pendant le reste de la guerre,
ils vivent et enseignent tous deux dans le
Guangdong, le Guizhou, le Yunnan et le Sichuan en
suivant les universités transférées vers le sud et
l’intérieur du pays pour échapper aux bombardements
japonais. En 1942, elle prend un poste à
l’université du Dongbei installée dans le nord du
Sichuan, et là fonde avec Lu Kanru une Association
de résistance littéraire qui a son siège chez eux,
où ils organisent des rencontres et des conférences.
Cela ne l’empêche pas de continuer ses recherches
sur |
le théâtre classique. Les essais qu’elle écrit
pendant cette période sont édités dans un recueil
publié en 1945 : « Recueil de textes sur le théâtre
ancien » (《古剧说汇》).
A la fin de la guerre, en 1945, elle revient à
Shenyang avec l’université, puis, en 1946, est mutée
à l’université du Shandong à Qingdao, puis Jinan en
1958. Dans les années 1960, elle remplit diverses
fonctions officielles dans le Shandong, dont la
vice-présidence de la Fédération des femmes de la
province et, en 1963, est nommée vice-doyenne de
l’université du Shandong. Ses ouvrages sur le
théâtre et la littérature sont utilisés comme
manuels scolaires, certains sont même traduits en
plusieurs langues.
Pendant la Révolution culturelle, elle est déclarée
réactionnaire et « cible vivante de la ligne noire
de l’enseignement bourgeois ». Elle meurt d’un
cancer en juin 1974. |
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Feng Yuanjun et son époux,
lettrés à l’ancienne |
Feng Yuanjun et son frère aîné Feng
Youlan |
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Après sa mort, deux de ses anciens élèves à
l’université du Shandong publient un recueil de
traductions de ses textes (《冯沅君创作译文集》)
ainsi qu’une biographie (《冯沅君传》).
Elle est immortalisée dans une statue qui la
représente avec son époux, comme les couples de
lettrés de la Chine ancienne.
Elle est la tante de l’écrivaine
Zong Pu (宗璞)
fille de Feng Youlan. |
Traductions en anglais
- The Journey, in : Chinese Women Writers : a
Collection of Short Stories by Chinese Women Writers of the
1920’s and 1930’s, ed. and tr. by J. Anderson and T.
Mumford, San Francisco, China Books and Periodicals, 1985, pp.
168-178
- Separation, tr. Janet Ng, in : Writing
Women in Modern China: An
Anthology of Women's Literature from the Early Twentieth Century,
eds. Amy D. Dooling, Kristina M. Torgeson, Columbia University
Press, 1998, pp. 105-113.
Eléments bibliographiques
Feng Yuanjun by Kirk A. Denton, in Biographical Dictionary of
Chinese Women, the Twentieth Century 1912-2000, ed.
by Lily Xiao Hong Lee, M.E. Sharpe, East gate Book, 2003, p.
166-169
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