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Shi Kang 石康

Présentation

par Brigitte Duzan, 4 avril 2016

 

Ecrivain et scénariste, Shi Kang est le reflet d’une époque et d’une génération, un phénomène littéraire, et d’édition, qui a commencé à la fin des années 1990 et a fait de Shi Kang le neuvième écrivain le plus riche de Chine en 2009.

 

Shi Kang a repris le flambeau de rébellion et d’iconoclasme à la suite de Wang Shuo (王朔) et de Wang Xiaobo (王小波), après la retraite (provisoire) du premier et la mort du second [1]. Ecrivains controversés mais populaires, ils représentent un mouvement qui se veut porte-parole d’une jeunesse désorientée et turbulente comme il en existe à toutes les époques, mais tout particulièrement dans la Chine du boom économique des années 1990…

 

Genèse d’une littérature alternative

 

Shi Kang (en 2012)

  

Né en mars 1968 à Pékin, dans une famille pauvre d’ouvriers, Shi Kang a fait des études d’informatique à la Union University de Pékin (北京联合大学) avant de faire un master en économie technologique à l’Institut de technologie de Harbin (哈尔滨工业大学) dont il est sorti en 1991.

 

Il a commencé à écrire en 1993 et a achevé son premier roman en 1995 : « Errances » (huànghuàng youyou晃晃悠悠) [2]. Il n’a été publié qu’en 1998 mais est devenu le bestseller de l’année 1999. Il s’en est vendu près d’un million d’exemplaires, en comptant les copies piratées.

 

Doutes et incertitudes

 

En partie autobiographique, le roman décrit les années d’étudiant de son personnage central, puis sa vie au cours des années qui suivent la fin de ses études. Il est écrit à la première personne, dans un style direct, familier, un rien provocateur, et délibérément confus, la forme répondant au fond ; d’ailleurs Shi Kang a déclaré qu’il ne le considérait pas comme une œuvre littéraire, les suivants non plus [3], l’œuvre littéraire, selon sa définition, ne s’adressant pas aux masses.  

 

Errances

 

« Errances » est devenu le roman culte de beaucoup de jeunes qui s’y sont reconnus : il dépeint la vie étudiante dans ses détails les plus typiques, les doutes et l’anxiété quant à l’avenir, l’angoisse croissante devant une vie de plus en plus répétitive, liée à un cynisme qui croît avec l’âge, la fuite devant les responsabilités et pourtant le désir de se rattacher à quelque chose, d’où ce sentiment qui ressort du récit, d’errer dans la vie sans attaches stables. Shi Kang avait 27 ans quand il a écrit le roman : il reflète sa personnalité d’alors. 

 

Shi Kang a prétendu que son livre est ancré dans la réalité, et qu’il appelle à l’ouverture d’esprit, à se libérer des préjugés, à avoir une attitude positive et dynamique en réalisant pleinement les efforts à faire pour surmonter la trivialité du quotidien. Mais ce n’est pas ainsi qu’il a été perçu. Shi Kang a eu du mal à trouver un éditeur.

 

Compromis et frustrations

 

Le délai reflète les difficultés rencontrées pour le faire accepter par un éditeur. Avec sa vision négative de la société, malgré tout ce qu’il peut dire, Shi Kang n’aurait pu percer sans le soutien d’éditeurs privés, et après une sérieuse révision pour le rendre « acceptable ». Shi Kang s’y est d’abord refusé, arguant qu’une révision serait une trahison : « Il n’y a que les imposteurs qui acceptent de réviser leurs textes, si on esthonnête,comment peut-on accepter des révisions ? » (因为只有骗子才会改变,诚实的人如何改变呢!) Mais il a fini par céder, pour éviter que son roman reste sur une étagère, et a révisé son manuscrit avec l’aide de son ami Yang Kui, qui était directeur de la maison d’édition de l’Association des écrivains.

 

Le travail a été long, page par page, pour gommer les aspects les plus « pessimistes » ou « marginaux » du roman. Shi Kang en est sorti frustré et mécontent, mais le résultat final est peut-être meilleur que la version brute [4]. En tout état de cause, le roman ainsi révisé a lancé sa carrière. Mais cette première publication, en 1996, n’a pas eu un grand succès : le roman ne s’est alors vendu qu’à quelques milliers d’exemplaires. L’éditeur trouvait que le roman manquait de potentiel et ne méritait pas une campagne promotionnelle de grande ampleur.

 

Bestsellers alternatifs

 

C’est lorsque Alpha Books, en 1999, en a fait une promotion comme « roman alternatif », un genre nouveau, à l’opposé du sentimentalisme alors en vogue dans l’édition populaire, que Shi Kang a acquis un nouvel intérêt, comme pionnier littéraire. Les ventes ont décollé.

 

En mille morceaux

 

Egarement

 

Il avait déjà écrit un second roman dans le même style, et toujours à la première personne : « En mille morceaux » (支离破碎). Puis, en 2001, un troisième titre est venu compléter ce qu’il est convenu d’appeler sa « trilogie de la jeunesse » : « Egarement » (一塌糊涂).

 

La stratégie de marketing d’Alpha Books [5] a provoqué une vague de romans « alternatifs » du même genre au tout début des années 2000 : les recueils de nouvelles « Personne ne sait que tu es un chien » (《没有人知道你是一条狗》) et « Personne ne sait combien de temps tu as l’intention d’être un vaurien » (没有人知道你打算坏多久) de Chen Tong (陈彤), publiés respectivement en 1999 et 2000, mais aussi le recueil « A nouveau à l’aise » (《再舒服一些》) et le roman « Connard » (《贱人》) de Yin Lichuan (尹丽川 ) [6], sortis en 2001 et 2002, ou le « Monologue d’un amoureux de la bière » (一个啤酒主义者的独白) de Gou Zi (狗子), qui était lui-même ivre les trois-quarts du temps.

 

Finalement, on a l’impression d’un mouvement qui se renouvelle à peu près tous les dix ans. Shi Kang se distingue cependant par une écriture très personnelle, teintée d’un couleur « pékinoise » et à la première personne, et par une structure originale, en centaines de chapitres très brefs, commençant tous par zéro, ce qui donne dès l’abord un rythme rapide, fragmentaire et syncopé à ses romans.

 

Partiellement autobiographique, la Trilogie reflète la crise spirituelle des années 1990, après l’idéalisme de la décennie précédente, crise liée au passage d’un Etat en banqueroute à une jungle néo-libérale. Dans « En mille morceaux », le Je narrateur est un écrivain d’une trentaine d’années, vaguement raté, qui observe en marginal le monde qui bouge autour de lui, l’économie qui décolle, la vitesse des changements, et qui se sent totalement à l’écart. L’éclatement de sa personnalité se reflète dans la fragmentation de la narration : l’histoire est contée par le biais de monologues, observation de scènes extérieures, réflexions et souvenirs, dans un style volontairement familier. Mais, derrière la confusion et le cynisme affichés, on sent quand même une sorte de nostalgie latente pour l’idéalisme romantique des années 1980, désormais impossible.

 

Shi Kang a évolué après la trilogie. Les années 2001-2002 sont un tournant dans son œuvre.

 

Après la trilogie

 

Ce tournant est marqué à la fois dans le domaine de l’écriture romanesque et dans celui de de l’écriture scénaristique.

 

2001-2002 : un tournant

 

D’une part, le roman qu’il publie en 2002, « Passion et confusion » (激情与迷茫) [7], comme le suivant, en 2003, « Salut, cœur brisé » (心碎你好), sont des histoires d’amour en milieu urbain, écrites à la troisième personne : Shi Kang donne l’impression de s’éloigner de son expérience personnelle de la crise des années 1990 pour se tourner vers une écriture plus fictionnelle, mais toujours orientée vers un public jeune et populaire.

 

Par ailleurs, en 2001, il travaille comme coscénariste pour Feng Xiaogang (冯小刚), pour la comédie de fin d’année « Big Shot’s Funeral » (《大腕》) [8]. C’est un tournant dans la filmographie du réalisateur, aussi, puisque les films précédents ont été réalisés sur des scénarios de Wang Shuo, même si ce n’étaient souvent que des points de départ pour Feng Xiaogang.

 

Passion et confusion

 

C’est la même chose pour « Big Shot’s Funeral » qui est en fait une idée originale du réalisateur, la part de Shi Kang dans l’écriture du scénario semblant être mineure. En fait, c’est plutôt une question de relations : le scénariste initial, Li Xiaoming (李晓明), avait étudié dans le même Institut de technologie que Shi Kang à Harbin, dix ans plus tôt. Mais c’est une expérience isolée pour Shi Kang :  c’est Liu Zhenyun (刘震云) qui est appelé en renfort pour terminer le scénario, et c’est Liu Zhenyun qui adaptera ses propres nouvelles pour Feng Xiaogang ensuite.

 

2007 : succès à la télévision

 

En 2007, Shi Kang se tourne vers la télévision et écrit le scénario du feuilleton en 32 épisodes réalisé par Zhao Baogang (赵宝刚), « Struggle» (Fendou奋斗), qui devient la bible des jeunes ‘post’80’, en grande partie en raison de la popularité de ses interprètes et de leur style vestimentaire. Mais l’histoire aussi, qui reprend la confusion des sentiments des personnages de la trilogie, rencontre une grande résonnance dans le public jeune, par un certain aspect de télé-vérité, y compris dans le langage utilisé.

 

« Struggle » annonce les films des années 2010 sur les émois et les troubles de la jeunesse estudiantine.

 

Et au bout, l’Amérique ?

 

Struggle (le feuilleton télé)

  

En 2009, Shi Kang a été classé 9ème dans la liste des écrivains chinois les plus riches. Il est devenu millionnaire.

 

Shi Kang, heureux, aux Etats-Unis

 

En 2011, il a fait un voyage aux Etats-Unis qui, selon ses déclarations, a changé sa vision des choses. Il a acheté une bmw et a parcouru 40 000 km en solitaire à travers tout le pays. Enthousiasmé, il a déclaré vouloir aller s’installer là-bas [9]. Deux choses l’ont particulièrement frappé : la beauté vierge du pays, comparé à la pollution de la Chine, et la qualité de l’éducation, ce dernier point, surtout.

 

Shi Kang a un côté superficiel qui transparaît dans ses écrits comme dans son

attitude générale devant la vie. Sa trilogie a été comparée au « Catcher in the Rye » de J.D. Salinger : on y retrouve effectivement des thèmes semblables d’angoisse, d’aliénation et de rébellion juvénile.

 

Mais, bien plus intéressant, Shi Kang lui-même a revendiqué comme modèle le romancier britannique Evelyn Waugh et son roman « Brideshead Revisited », publié en 1945. Or, dans une lettre adressée à Graham Greene en 1950, Waugh lui écrit : « J’ai relu Brideshead Revisited et j’ai été horrifié. »  Dans la préface à l’édition révisée de 1959, Waugh explique les conditions dans lesquelles il a écrit le roman, à la suite d’un accident de parachutisme sans gravité, entre décembre 1943 et juin 1944, et ajoute : « C’était une période sombre de privations réelles et de désastre menaçant … par conséquent, le livre est empreint d’une sorte de gloutonnerie, pour la nourriture et le vin, pour les splendeurs du passé récent, et pour un langage rhétorique et ornemental que je trouve maintenant, avec le recul, extrêmement déplaisant. »

 

On se demande si Shi Kang relit parfois ses romans…

 

 

Principales œuvres de fiction

 

Romans 

1998 Errances 晃晃悠悠
1999 En mille morceaux 支离破碎
2001 Egarement一塌糊涂
2001 Ensemble在一起
2002 Passion et confusion激情与迷茫
2003 Salut, cœur brisé 心碎你好
2007 Struggle奋斗
2009 Utopie de la lutte 奋斗乌托邦

 

Recueil de nouvelles

2009 Montagnes russes过山车

 

 


[1] La « fièvre Wang Shuo » a débuté à la fin des années 1980, et son œuvre a été interdite en 1996, après quoi il a cessé de publier pendant quelques années. Quant à Wang Xiaobo, sa célébrité fulgurante recouvre la même période, il est mort d’une crise cardiaque en 1997. Ce sont deux phénomènes littéraires nés juste avant 1989 et poursuivis dans la décennie suivante.

[2] On pourrait y voir une lointaine référence – sur le mode populaire - au recueil de nouvelles de 1926 de Lu Xun, traduit, justement, « Errances » (《彷徨》).

[3] "《晃晃悠悠》、《奋斗》等当然不属于文学作品"(interview de 2011 avec la revue Trends Home 《时尚家居》) : http://lz.book.sohu.com/fullscreen-chapter-242216.html

[4] La version initiale non révisée a cependant été éditée en 2005.

[5] La maison Alpha Books était enregistrée comme maison de distribution et diffusion, ce qui était toléré. Il y avait plusieurs milliers de petites maisons d’édition indépendantes comme Alpha qui étaient ainsi enregistrées à des titres divers, comme société culturelles, studios de création, ou même simples librairies. Le gouvernement semblait considérer qu’elles remplissaient un rôle utile, en comblant une niche du marché que ne pouvait occuper l’édition officielle.

[6] Après cela, Yin Lichuan est devenue réalisatrice, voir :  http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Yin_Lichuan.htm

[7] « Passion et confusion » devait être adapté au cinéma par le frère de Ang Lee, Kang Lee.

[9] Plan B for China's Wealthy : Moving to the U.S., Europe – Wall Street Journal, Feb 2012.

http://www.wsj.com/articles/SB10001424052970203806504577181461401318988#articleTabs%3Dvideo/

Vidéo :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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