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				Liu Qingbang 刘庆邦 
				Présentation 介绍 
				par Brigitte Duzan, 6 février 2011, actualisé 18 
				décembre 2015   
					
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						Si Liu Qingbang  (刘庆邦) |  | 
						Si Liu Qingbang 
						 (刘庆邦)
						est 
						connu en Chine, il l’est moins chez nous. Jusqu’à 
						maintenant, une seule de ses nouvelles a été traduite en 
						français : il s’agit d’une nouvelle ‘de taille moyenne’ 
						(中篇小说) 
						dont le titre chinois《神木》Shénmù  a été traduit par 
						« Le puits ». 
						  
						Or, cette 
						nouvelle a été adaptée au cinéma, et le film a eu un 
						succès tel que, comme souvent, il a fait connaître la 
						nouvelle et incité à la lire. Il s’agit de « Blind 
						Shaft » (《盲井》), de Li 
						Yang (李杨), 
						Ours d’argent au festival international du film de 
						Berlin en février 2003, et Lotus d’or au festival du 
						cinéma asiatique de Deauville au printemps de la même 
						année.  
						  
						C’est dans la 
						foulée de ces récompenses que la nouvelle a été traduite 
						en français, avec un titre et une couverture se |  
					
						| 
						référant 
						directement au film (1), mais le nom de l’auteur reste 
						quand même confidentiel. Il est pourtant un écrivain 
						réputé en Chine, comme l’a montré, entre autres, sa 
						présence dans le groupe des écrivains chinois qui ont 
						participé récemment aux 
						
						deuxièmes rencontres littéraires franco-chinoises 
						à Pékin, un écrivain original à plusieurs égards qui 
						mérite d’être apprécié à sa juste valeur.   
						Des 
						champs à la mine et de la mine au journalisme   
						Liu Qingbang 
						 est né en décembre 1951 au sud-est  du Henan, dans la 
						bourgade de Shenqiu (河南沈丘), 
						district de Zhoukou (周口市). 
						Il a terminé ses études secondaires, au lycée n° 4 de 
						Shenqiu, en 1967, mais n’a pu poursuivre des études 
						universitaires : il est devenu paysan, puis mineur, à 
						dix neuf ans.  
						  
						Il est alors 
						entré au service de l’information du Bureau des Mines, 
						où il fut remarqué pour la qualité de son écriture : il
						 |  |   
						 
						《神木》 |  
				fut donc muté à la 
				rédaction du « Journal des mines de charbon de Chine » (《中国煤炭报》),
				comme 
				journaliste, puis rédacteur en charge des suppléments. C’est 
				dans ce cadre qu’il a commencé à écrire, en 1972.   
					
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						Il a travaillé 
						au journal pendant près de vingt ans, avant de devenir, 
						en 2001, écrivain professionnel et membre de 
						l’Association 
						des écrivains de Pékin, dont il est aujourd’hui le 
						vice-président.  
						  
						S’il est 
						célèbre, c’est surtout pour ses nouvelles sur le monde 
						de la mine, mais il serait dommage de le réduire à cette 
						image convenue. Lui-même s’en défend. 
						  
						Chantre 
						de la campagne et de la mine   
						Etre mineur 
						pendant neuf ans est forcément une expérience qui 
						marque ; dans le cas de  Liu Qingbang, elle a ensuite 
						été complétée par un travail de journalisme d’une 
						vingtaine d’années sur le 
						terrain, qui l’a fait voyager dans tout le pays au gré 
						des reportages. Il connaît toutes les mines de Chine, 
						sauf celle du Tibet. La mine est devenue son univers 
						intime,que ses nouvelles nous 
				font découvrir et pénétrer de 
				l’intérieur.  |  | 
						 
						Shenqiu : la mosquée 
						(槐店清真寺) |     
				La mine : condensé 
				de la société chinoise et de son histoire 
				  
				La mine est un monde à 
				part, avec ses normes, ses codes, et ses signes distinctifs. Les 
				mineurs ont souvent de légères blessures au visage, explique Liu 
				Qingbang, blessures qui sont aussitôt, comme le reste du visage, 
				maculées de poussière de charbon ; il en reste des taches bleues 
				sur la peau, caractéristiques : 
				         
				“只要看到这种煤斑,你就知道那一定是煤矿来的弟兄。” 
				« Il 
				me suffit de voir ces taches de charbon, je sais aussitôt que 
				j’ai affaire à un frère de la mine. »   
					
						| 
						 
						« Journal des mines de 
						charbon de Chine » (《中国煤炭报》) |  | 
						C’est un 
						univers où l’on vit sous la menace constante de la mort, 
						une tension de chaque instant contre laquelle on ne peut 
						lutter que par l’humour, et l’alcool. C’est un univers 
						masculin, qui rêve de femmes, et en peuple les galeries 
						et tunnels des mines : les poteaux de soutènement sont 
						les « filles de fer » (“铁姑娘”)
						et les 
						souris, blanchies par une vie dans le noir, les « filles 
						aux cheveux blancs » (“白毛女”) 
						(2).    
						C’est un 
						univers de tragédies répétées, que Liu Qingbang connaît 
						bien pour avoir réalisé enquêtes et reportages sur le 
						sujet pendant des années, dans le cadre de son travail 
						de journaliste. Mais, quand le drame est trop poignant, 
						la situation trop désespérée pour que l’on puisse même 
						songer à documenter l’actualité et écrire un article, 
						cette actualité devient alors sujet de nouvelles.   
						Il se souvient, 
						par exemple, d’un accident dans une mine  |  
						du Jiangsu, juste avant 
				la Fête du Printemps 2000. Elle avait été inondée par une fuite 
				d’eau, et des mineurs y étaient restés emprisonnés. Il avait 
				neigé toute la journée. Malgré tout, comme toujours dans ces 
				circonstances, des parents et des proches attendaient, en 
				espérant, dans le froid. Parmi eux, un vieil homme qui attendait 
				des nouvelles de son petit-fils : son visage trahissait sa 
				frayeur, mais il n’osait pas pleurer de peur que cela leur porte 
				malheur…  
				  
				Dans de telles 
				circonstances, dit Liu Qingbang : 
				“.. 
				作为记者你不用问任何问题,你只能用心体察,用心体会。” 
				 … il est inutile à 
				un journaliste de poser des questions, on ne peut que comprendre 
				et percevoir du fond du cœur.  
				Et écrire ensuite une 
				nouvelle à partir de ces histoires, pour s’en libérer autant que 
				pour témoigner…   
				Au fil du temps s’est 
				ainsi constitué tout un réseau narratif constituant une image 
				d’une réalité sociale plus vaste, qui reflète celle de la Chine 
				entière ; dans la post-face de l’un de ses derniers romans, 
				« Charbon rouge » (《红煤》), 
				il a ainsi écrit : 
				“煤矿的现实就是中国的现实。” 
				         « La 
				réalité des mines de charbon est la réalité de la Chine »   
					
						| 
						Cet ouvrage, 
						publié en janvier 2006, est, pour une fois, une longue 
						histoire : un roman de 34 chapitres racontant la vie 
						d’un paysan, 
						Song Changyu (宋长玉), 
						prêt à tout pour se sortir de la misère. S’étant fait 
						embaucher dans une mine, il en courtise la fille du 
						propriétaire, qui le renvoie ; il part alors dans un 
						village proche où il finit par épouser la fille du 
						maître 
						d’école qui est 
						aussi le chef du village. Petit à petit, il arrive à 
						acquérir une mine et à faire fortune. Mais un accident 
						le contraint à la fuite pour éviter les problèmes, et il 
						se retrouve dans une situation pire qu’au début. 
						   
						Ce n’est pas 
						une fable morale, simplement le reflet de la réalité 
						chinoise d’aujourd’hui. Cette histoire aurait aussi bien 
						pu se passer dans n’importe quelle entreprise. En fait, 
						 |  | 
						
						 
						« Charbon rouge » 
						(《红煤》) |  
						cela pourrait 
				aussi être l’histoire d’un de ces paysans, un de ces mingong, allant 
				tenter sa chance en ville : beaucoup partent, bien peu, 
				finalement, réussissent.    
				  
				
				“不光理解宋长玉,还理解类似的、千千万万从农村奋斗到城里的人。” 
				« Je n’ai pas seulement voulu expliquer l’histoire de Song Changyu, 
				mais de tous les cas semblables, des centaines et des milliers 
				de paysans qui luttent pour s’affranchir de la campagne et aller 
				en ville. » 
				  
				Tout cela constitue 
				l’histoire de la Chine des deux ou trois dernières décennies. 
				Celle des mineurs est donc bien emblématique en ce sens. Elle 
				l’est d’autant plus que les mineurs sont des paysans, et qu’il 
				n’y a pas de rupture entre le monde de la mine et le monde 
				paysan. 
				  
					
						| 
						D’ailleurs, 
						contrairement à l’image que l’on a de lui, la moitié des 
						nouvelles de Liu Qingbang ont pour sujet la campagne. 
						  
						La 
						campagne et la mine : une même culture 
						  
						Quand on lui 
						demande pourquoi il s’intéresse tant à la mine, Liu 
						Qingbang répond que c’est le point de rencontre de la 
						ville et de la campagne : 
						“矿工多数来自农村,他们脱下农装换上工装,就成了矿工,收入比农民高,但代价也更高,他们的文化背景和性格特征都还是农民类型的。” 
						« la grande majorité des mineurs viennent de la campagne, ils 
						quittent leurs vêtements de paysans pour revêtir ceux 
						des mineurs, et deviennent ainsi mineurs ; s’ils gagnent 
						plus d’argent, le coût est aussi bien plus élevé ; mais 
						leur arrière plan culturel et leur caractère propre 
						restent de nature paysanne. » |  | 
						 
						« Le puits » (《神木》) |    
				Ce sont peut-être ses 
				meilleures nouvelles qui reflètent son expérience et ses 
				souvenirs de ce monde 
				d’avant la mine qui fut 
				le sien. Il dit lui-même que la nouvelle qu’il préfère n’est pas 
				celle qui l’a rendu célèbre, celle qu’on a traduite en français 
				par « Le puits » (《神木》), 
				mais une autre, intitulée  
				
				
				«
				
				Ensemble à vents » (《响器》) :
				ce terme désigne 
				en fait les ensembles qui jouent à la  
					
						| 
						campagne pour les 
						mariages, les enterrements et autres festivités 
						villageoises, et qui incluent aussi des instruments  à 
						vent appelés suona (唢呐).
						   
						L’histoire est 
						celle d’une jeune fille qui, au cours d’un enterrement, 
						entend par hasard le son d’un suona et, fascinée, 
						veut apprendre à en jouer. Mais, a-t-il dit, une 
						histoire est comme un arbre, on est impressionné par le 
						feuillage au point d’en oublier les branches. En fait, 
						il faut voir dans la nouvelle un message personnel, un 
						symbole du désir d’expression artistique à l’état latent 
						en chacun d’entre nous :  
						“我的观点是,每个人都是一个响器,都渴望发出自己最‘惊心动魄’的声音,而我的作品就是我的响器。” 
						« Mon point de vue est le suivant : chaque homme est un instrument de 
						musique qui désire rendre le son le plus touchant, le 
						plus émouvant, et moi, ce sont mes nouvelles qui jouent 
						ce rôle. » |  |   
						 
						« Ensemble à vents » 
						(《响器》) |  
				  
				Si les nouvelles sur la 
				mine peuvent être considérées comme traitant de la lutte de 
				l’homme contre la nature (“人与自然的抗争”),
				en revanche celle traitant de la vie à la campagne vont plutôt dans le 
				sens de la recherche d’une harmonie entre l’homme et la nature 
				(“人与自然的和谐”).
				Une harmonie 
				qu’il apprécie lui-même chaque fois qu’il revient chez lui, au 
				village. 
				  
				Ce qu’il désire le 
				plus, c’est émouvoir, et non tellement frapper par le réalisme 
				parfois cru de ses nouvelles sur la mine. Il considère qu’une 
				nouvelle réussie doit laisser le lecteur l’esprit absent, les 
				idées en suspens ; contrairement à ceux qui considèrent qu’il 
				faut « saisir » le lecteur, il pense plutôt qu’il faut le 
				laisser à ses pensées, pour qu’il lui reste ensuite comme un 
				arrière-goût, une effluve discrète qui persiste longtemps après 
				la fin de la lecture. 
				“作品都是表达作家脆弱的感情,真正好的作品,它应该是柔软的。” 
				« Les écrits d’un écrivain expriment ses 
				sentiments fragiles, et une nouvelle vraiment bonne doit être 
				tout en douceur. » 
				“人光看重血不看重眼泪是不对的,血你随便用刀子捅哪儿都可以流出来,但眼泪你不到悲伤的时候就是流不出来。” 
				« Accorder plus d’attention au sang qu’aux larmes n’est pas correct ; 
				le sang, on peut le faire couler à volonté avec une lame, alors 
				que les larmes, il faut une grande affliction pour les faire 
				couler. »   
					
						| 
						C’est bien de 
						témoigner pour les quelque six mille mineurs qui meurent 
						chaque année dans des accidents, il en assume la 
						responsabilité. Mais la littérature va pour lui au-delà 
						de l’utile ; la 
						littérature doit apporter sa part de poésie, de beauté. 
						C’est la direction qu’il privilégie maintenant, avec 
						pour thème principal ses souvenirs des années 60 et 70. 
						  
						Le roi de 
						la nouvelle : pour la littérature et contre le marché   
						En même temps, 
						il a évolué vers la forme longue du roman, parce qu’il 
						est plus apprécié du public, et des éditeurs, mais aussi 
						parce qu’il a maintenant plus de temps. Parmi ceux-ci, 
						« Poésie lointaine » (《远方诗意》) 
						ou  « Les chants de la plaine » (《平原上的歌谣》)
						
						correspondent à ses sujets de prédilection. Le premier, 
						publié en octobre 2002, est une sorte de conte 
						d’initiation, 
						 |  | 
						 
						« Poésie lointaine »
						(《远方诗意》) |  
				
						une quête identitaire du village à la ville, et de la 
				ville au village, le second, publié plus récemment, en novembre 
				2009, un récit particulièrement poignant : il relate son 
				expérience de la grande famine des « trois années terribles » 
				(1959-62). 
						   
					
						| 
						 
						« Les chants de la 
						plaine »  
						(《平原上的歌谣》) |  | 
						Cependant, il 
						continue à écrire surtout des nouvelles courtes, qui 
						correspondent mieux à ses exigences de forme, tout 
						autant que de fond. Dans l’histoire littéraire récente 
						de la Chine, il se place dans la lignée de
						
						
						Shen Congwen 
						(沈从文)
						
						et
						
						
						Wang Zengqi 
						(汪曾祺). 
						Il dit ne laisser au hasard ni une phrase, ni un 
						caractère, ni un élément de ponctuation, le choix des 
						sujets restant le plus difficile.  
						  
						Pourtant il 
						écrit énormément : tous les jours, sans discontinuer, 
						dès cinq heures du matin, quatorze ou quinze nouvelles 
						par an, ce qui reste modeste par rapport à Chekhov, 
						dit-il.   
						  
						On l’a ainsi 
						surnommé « le roi de la nouvelle chinoise 
						» 
						 (中国的短篇小说之王). 
						Il reconnaît que ce n’est pas très rémunérateur, il vaut 
						mieux écrire des récits plus longs, mieux à même d’être 
						adaptés en feuilletons télévisés. Mais ce n’est pas ce 
						qu’il recherche : sa prédilection pour la nouvelle est 
						aussi une sorte de rébellion contre le marché. 
						 |  
				  
				  
				  
				
				Notes 
				(1) Le puits, 
				traduction Marianne Lepolard, Bleu de Chine, octobre 2003.  
				(2) Référence à une 
				histoire légendaire adaptée en de multiples films et opéras. 
				  
 
				  
				A lire en complément :
				 
				  
				La 
				nouvelle : 
				
				
				«
				
				Ensemble 
				à vents » (《响器》)  
				  
				
				Analyse comparée : 
				
				
				
				« Le puits » (《神木》) 
				et « Blind Shaft » (《盲井》)La nouvelle de Liu Qingbang et le film de Li Yang
 
				  
				Actualités : 
				 
						
						
						Un recueil de trois nouvelles de 
						Liu Qingbang paru chez Gallimard 
				  
				Dans la série Read Paper Republic, la 
				traduction par Lee Yew Leong de la nouvelle initialement publiée 
				dans Chutzpah/Tiannan 《天南》, n° 6 (février 2012), « The 
				Revolutions » (革命) : The One who Picks Flowers 《挑花儿的》
 https://paper-republic.org/pubs/read/the-one-who-picks-flowers-1/
 
 
 
				  
				  
				  
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