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Liang Qichao
梁啟超/梁启超
1873-1929
Présentation
par
Brigitte Duzan, 14 décembre 2020
Universitaire réformiste, journaliste, philosophe et
écrivain, Liang Qichao a inspiré par son exemple
autant que ses nombreux écrits les intellectuels
chinois de la fin des Qing et du début de la
République. Son influence a touché tous les domaines
de la vie politique et culturelle de son temps, mais
ses écrits continuent d’exercer une influence non
négligeable par les références qu’ils constituent.
I. Un réformiste engagé
Liang Qichao est né dans un petit village du
Guangdong en février 1873. Son père était fermier ;
sa connaissance des classiques, bien que limitée,
lui permit d’initier son fils à la littérature dès
l’âge de six ans. À neuf ans, l’enfant savait
composer quelques textes et entra |
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Liang Qichao |
à l’école du district. Brillant, il passa le premier degré
des examens impériaux (le niveau xiucai
秀才)
à l’âge de onze ans. A seize ans, il réussit le second degré
(le niveau juren
举人)
et fut le plus jeune lauréat de ce grade à l’époque.
Disciple de Kang Youwei
Kang Youwei |
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En 1890, il échoua cependant au niveau supérieur (jinshi
进士),
à Pékin. On raconte que Liang Qichao a passé
l’examen en même temps que le célèbre intellectuel
réformiste Kang Youwei (康有为),
de quinze ans son aîné. Voulant recaler Kang Youwei
pour ses idées iconoclastes critiquant les
institutions existantes, l’examinateur mit une
mauvaise note à la copie qui lui semblait être la
sienne (les copies étaient corrigées dans
l’anonymat), mais Kang Youwei avait rusé et
dissimulé ses convictions ; il réussit l’examen et
c’est Liang Qichao qui fit les frais de cette
histoire.
Mais, de retour chez lui, il alla étudier avec Kang
Youwei qui enseignait à Canton dans un établissement
appelé le Wanmu Caotang (万木草堂).
Il commença ainsi à s’intéresser à la question de la
réforme. En 1895, il |
se rendit avec son maître à Pékin pour repasser l’examen
impérial et, pendant ce temps, participa au mouvement
d’opposition au traité de Shimonoseki conclu avec le Japon
le 17 avril. Il échoua à nouveau à l’examen, mais resta à
Pékin pour seconder Kang Youwei.
Il l’aida à publier un journal d’information, puis à
organiser la Société pour le renforcement national (强学会)
dont il devint le secrétaire. Il fut également
engagé par le gouverneur de la province du Hunan
pour éditer des journaux réformistes.
La Réforme des cent jours
Toujours avec Kang Youwei, et avec une équipe de
jeunes réformateurs, il conçut finalement un
programme de réformes qui fut envoyé à l’empereur
Guangxu (光绪帝).
Rencontrant une oreille favorable auprès de
l’empereur, touchant tous les domaines, de
l’économie à la politique, à l’éducation et à la
culture, le programme déboucha sur ce qu’il est
convenu d’appeler « la Réforme des cent jours » (wùxū
biànfǎ 戊戌变法)
qui dura exactement 103 jours, du 11 juin au 21
septembre 1898. |
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L’empereur Guangxu |
Kang Youwei et Liang Qichao en 1895 |
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Durant l’été, le jeune empereur émit 130 décrets qui
prévoyaient des réformes aussi vastes que celles de
l’ère Meiji au Japon, avec en particulier :
sur le plan politique, un système de monarchie
constitutionnelle,
outre la modernisation de l'armée ; sur le plan
institutionnel, la modernisation du système des
examens impériaux ; sur le plan éducatif,
l'ouverture d'écoles et d'universités modernes et un
nouveau système éducatif abandonnant l'étude du confucianisme ;
sur le plan économique, l'adoption d’une politique
d'industrialisation de la Chine, utilisant les
techniques importées d'Occident. |
Le programme se heurta à la vive opposition des conservateurs à
la cour impériale, mais aussi des réformistes plus modérés ainsi
que de tous les officiels qui craignaient de perdre leurs
postes. À l’automne, l’impératrice Cixi fit un véritable coup
d’Etat avec l’appui d’un général qui fit intervenir l’armée.
Kang Youwei avait tenté d’obtenir l’aide de Yuan Shikai et de sa
Nouvelle Armée, mais en vain. Le 21 septembre, la Cité interdite
fut encerclée, et l’empereur mis aux arrêts. Il fut déclaré
incapable de régner, et Cixi se proclama régente.
Six des principaux artisans des réformes, dont le
frère de Kang Youwei, furent décapités le 28
septembre. Ils sont restés dans les annales
chinoises comme les « six hommes intègres des Cent
Jours » (
wùxū liù
jūnzǐ
戊戌六君子).
Liang Qichao parvient à s’enfuir avec Kang Youwei au
Japon.
Quatorze ans au Japon
À Tokyo, Liang Qichao se lie d’amitié avec le futur
premier ministre Inukai Tsuyoshi. |
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Les six hommes intègres des Cent
Jours |
Il continue depuis le Japon à défendre la cause des réformes
et de la démocratie par ses écrits destinés aux émigrés
chinois, mais aussi aux gouvernements étrangers. Il continue
aussi à soutenir l’idée de monarchie constitutionnelle
contre les idées de Sun Yatsen qu’il rencontre au Canada
lors d’un voyage en 1899.
C’est lors d’un second voyage au Canada, en 1900, au moment de
la Révolte des Boxers, qu’il fonde la « Société pour la
protection de l’empereur » (Baohuang Hui
保黄会).
Cette société sera ensuite le noyau du Parti
constitutionnaliste, toujours dans l’intention réformiste de
fonder une monarchie constitutionnelle, contre les idées
révolutionnaires de Sun Yatsen.
En 1900-1901, il se rend ensuite en Australie pour un voyage de
six mois visant à obtenir des soutiens pour un vaste mouvement
de réforme du système impérial dans le but de moderniser le pays
grâce à la technologie occidentale et des accords industriels.
Il donne des conférences puis revient au Japon fin 1901. En
1903, il part aux Etats-Unis pour huit mois pour donner des
conférences, et rencontre entre autres le président Théodore
Roosevelt.
Il rentre en Chine en novembre 1912.
Après la chute de l’Empire
L’ancienne habitation de Liang Qichao
à Tianjin |
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Après la révolution de 1911 et la chute de la
dynastie des Qing, la question de la monarchie
constitutionnelle n’a plus lieu d’être. En 1913,
Liang Qichao fusionne son parti, rebaptisé Parti
démocratique, avec celui des Républicains pour
former le Parti progressiste (
jìnbù dǎng
进步党).
Très critique de Sun Yatsen, il s’oppose pourtant à
l’expulsion des nationalistes de l’Assemblée
nationale. |
En 1915, il s’élève contre la tentative de Yuan Shikai de se
proclamer empereur et mène une action décisive contre lui. Il
persuade son disciple Cai E (蔡锷),
gouverneur militaire du Yunnan, de se révolter. Les branches du
Parti progressiste manifestent pour déposer Yuan Shikai.
D’autres provinces déclarent leur indépendance. Liang Qichao
finit donc par adopter l’action révolutionnaire qu’il avait
toujours repoussée pour venir à bout des prétentions de Yuan
Shikai. On mesure là l’immense influence qu’il exerçait alors.
Il fut, avec Duan Qirui (段祺瑞),
le principal avocat de l’entrée en guerre de la Chine aux côtés
des Alliés pendant la Première Guerre mondiale, estimant que
cela améliorerait l’image de la Chine dans le monde. En juillet
1917, il condamna par ailleurs le soutien apporté par son ancien
maître Kang Youwei à la tentative avortée de restaurer la
dynastie des Qing. Mais il se retira ensuite de la vie
politique, comme les lettrés autrefois déçus par les intrigues
de la cour, et se consacra à la réflexion et à l’écriture.
Maladie et décès
En février 1926, Liang Qichao a été hospitalisé pour un problème
rénal à l’hôpital de l’Union Medical College de Pékin (北京协和医院)
; la médecine traditionnelle chinoise étant inefficace, il a été
opéré d’un rein en mars, après quoi son traitement a soulevé
toute une controverse sur le diagnostic mettant en cause la
médecine occidentale. Il a lui-même écrit un article en juin
pour calmer les esprits et défendre la science occidentale. Même
sa maladie est un reflet des controverses qui animaient les
milieux intellectuels du 4 mai.
Liang Qichao a été de nouveau hospitalisé fin novembre 1928 et
il est mort le 19 janvier 1929, à l’âge de 57 ans.
II. Carrière de journaliste et d’écrivain
Homme de presse
La presse fut pour lui un moyen de diffusion de ses idées
réformistes. Lin Yutang (林语堂)
a dit de Liang Qichao qu’il était « la plus grande personnalité
de l’histoire du journalisme chinois » () et son biographe
Joseph Levenson qu’il était « l’intellectuel-journaliste le plus
influent du tournant du siècle ». Il a montré l’efficacité des
journaux pour diffuser les idées politiques et être le bras armé
de la révolution, révolution qu’il voulait d’encre et non de
sang. Mais il s’en servit aussi comme d’un outil éducatif.
Pour lui, l’historien et le journaliste avaient la
même responsabilité morale, déclarant
« en examinant le passé et en révélant le futur,
vouloir montrer la voie du progrès à la population
de la nation ».
C’est dans ce but qu’il fonda son premier journal,
le Qingyi bao (《清议报》),
ou « journal de la critique pure », nommé d’après le
nom d’un mouvement d’opinion et de critique de la
gestion des affaires publiques de la dynastie des
Han de l’Est.
C’est au Japon, ensuite, qu’il a créé le bimensuel
Xinmin Congbao
(《新民丛报》),
ou Nouveau Citoyen, lancé à Yokohama le 8 février
1902, pour diffuser ses idées réformistes et
progressistes dans les domaines les plus divers.
Liang Qichao pensait ainsi inaugurer une nouvelle
étape dans l’histoire des journaux chinois.
Effectivement, il fit école : un an plus tard, une
dizaine de journaux du même style firent leur
apparition. Le
Xinmin Congbao
fut publié pendant cinq ans, et, quand il cessa de
paraître, |
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Le Xinmin
congbao |
en 1907, après 96 numéros, on estime qu’il était lu par près
de 200 000 personnes. Il est resté un modèle.
Historien
La Nouvelle Histoire |
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De même qu’il a exercé une influence déterminante
dans l’histoire de la presse chinoise, Liang Qichao
a également été très influent sur le développement
de l’historiographie chinoise, étant considéré comme
un précurseur de la pensée historiographique moderne
en Chine. Il reprochait aux « vieux historiens » (旧史家)
de ne pas promouvoir une sensibilité nationale qui
aille de pair avec une nation forte et moderne. Il
prônait donc une histoire nouvelle marquant
l’émergence d’une conscience historique moderne
parmi les intellectuels chinois.
Au tournant du siècle, poursuivant dans le même
ordre d’idées, il lança une « révolution
historiographique » (史学革命)
qu’il poursuivit au Japon, publiant en 1902 une
« Nouvelle Histoire » (《新史学》)
contre les tenants de l’historiographie
traditionnelle
.
Il appelait les historiens à étudier l’histoire
étrangère, pas seulement l’histoire |
chinoise, à
abandonner l’étude de l’histoire des dynasties pour
s’attacher à celle de la nation, à étudier l’histoire des
idées plutôt que celle des événements.
Il développa une théorie des Grands Hommes qu’il
exposa dans son ouvrage « Les Héros et leur temps »
(《英雄与时势》) ;
en complément, il écrivit des biographies des grands
hommes d’Etat étrangers qu’il admirait, Bismarck,
Cromwell, Kossuth, Cavour, etc. mais aussi des
grands hommes chinois du passé, comme
l’amiral-explorateur Zheng He (郑和)
et le chancelier réformiste de la dynastie des Song
Wang Anshi (王安石),
sans oublier son camarade Tan Sitong (谭嗣同)
qui, en 1898, refusa de partir au Japon et fut l’un
des « six hommes intègres » décapités en 1898.
Parallèlement, Liang Qichao étudiait les œuvres des
grands penseurs de l’Europe des lumières dont il
écrivit des interprétations adaptées à ce qu’il
considérait comme des caractéristiques fondamentales
de la société chinoise. Il a ainsi écrit ses idées
sur la société dans une série d’articles publiés
dans le Xinmin congbao en 1902 sous le titre
« Le Peuple nouveau » (《新民说》)
.
Il y oppose en particulier la morale individuelle à
la morale collective et son interprétation de la
liberté, par exemple, est une défense de la liberté
au sein de la collectivité, non de la liberté
individuelle, car il faut que la liberté de chacun
soit protégée, et elle ne peut l’être que par une
instance supérieure, pour la collectivité (chap. 9 :
de la liberté
论自由).
Liang Qichao est donc un penseur extrêmement
complexe, qui mêle une pensée de lettré restée
ancrée dans la tradition à une analyse sophistiquée
de l’histoire et de la pensée occidentales. Il a
exercé une profonde influence sur la pensée des
intellectuels du 4 mai et du mouvement de la
Nouvelle Culture, mais dans un rapport ambivalent.
Écrivain |
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Les Héros et leur temps
Le Peuple nouveau |
Réformiste dans le domaine culturel aussi, Liang Qichao s’est
fait l’avocat de la réforme en poésie et en littérature telle
que mise en œuvre dans le cadre des idées du 4 mai, qui
correspondaient aux siennes, et il l’a lui-même appliquée. Son
œuvre littéraire constitue un ensemble de 148 volumes, publié
sous le titre « Anthologie du studio du buveur de glace » (
yǐnbīngshì héjí
《饮冰室合集》),
s’étant lui-même présenté comme « le maître » dudit studio (饮冰室主人).
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L’anthologie du
yǐnbīngshì |
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Admirateur de
Zhuang Zi, il s’est
inspiré pour ce titre d’un passage des chapitres internes (内篇)
de son œuvre - le
Rénjiān shì
(《庄子.人间世》)
ou le monde humain :
吾朝受命而夕飲冰,我其內熱與
Le matin reçois mandat d’action, le soir bois la glace (de la
désillusion)
Mais ne perds pas pour autant mon intime passion
L’idée était bien sûr qu’il était conscient des difficultés
inhérentes à la situation politique et sociale, mais qu’il était
déterminé à les surmonter pour tenter les réformes qui lui
paraissaient nécessaires, son œuvre littéraire en étant un
reflet.
Il a écrit un grand nombre d’essais. À la fin de sa vie, dans
les années 1920, il a écrit de nombreux ouvrages sur l’histoire
de la littérature et de la culture chinoises, ainsi que sur la
pensée politique de la période antérieure à la dynastie des
Qing. Intéressé par le bouddhisme, il a également écrit des
articles sur son influence sur la pensée politique chinoise. Il
a également exercé une influence sur l’œuvre de Wang Li (王力),
fondateur de la linguistique chinoise moderne
.
Réflexion sur la fiction, la politique et l’histoire
Il reste une référence en particulier en matière littéraire.
L’un de ses plus célèbres essais est celui intitulé « Des
relations entre la fiction et le gouvernement du peuple » (《论小说与群治之关係》),
publié en 1902 dans le journal Xin xiaoshuo (《新小说》) :
il y appelle à réformer et moderniser la littérature afin de
rénover la morale, la religion, les mœurs et les arts, et
remodeler par là-même les cœurs et les esprits du peuple, car,
dit-il, la fiction exerce un pouvoir inestimable sur l'humanité
– fiction entendue au sens de
xiaoshuo.
L’essai préfigure une réflexion sur l’écriture de fiction dans
ses rapports avec l’écriture de l’histoire – c’en est en fait la
forme originale
.
Il est frappant de constater que, dans son ouvrage paru en 2020,
« Why
Fiction Matters in Contemporary China »,
David Der-wei Wang reprend l’idée développée par Liang Qichao
dans son article de 1902, mais cite également un récit de
fiction publié la même année, intitulé
« L’avenir
de la Chine nouvelle » (《新中国未来记》),
qui apparaît comme une application pratique de sa théorie sur la
fiction. Il s’agissait en effet de donner ses lettres de
noblesse à un genre méprisé des lettrés.
C’est un récit d’anticipation politique où l’auteur imagine une
Chine prospère en 1962. Le récit est conté en flashback, à
partir d'un discours célébrant le 50ème anniversaire de la
République de la Grande Chine prononcé par un énième descendant
de Confucius. Le récit relate les efforts de ce lettré et de son
meilleur ami pour trouver le meilleur mode de gouvernement pour
la Chine, mais sans qu’ils parviennent à réconcilier leurs
désaccords. L'histoire reste inachevée.
L’une des raisons est que la publication a été arrêtée en raison
de la baisse des ventes du magazine. Mais la raison essentielle
semble être plutôt que Liang Qichao a changé d’avis sur le
meilleur gouvernement possible pour la Chine, et que
l’inachèvement de son histoire traduit ses propres incertitudes.
Il reste que cette narration fictionnelle est une autre manière
d’aborder l’histoire et la politique et que, là encore, Liang
Qichao fait figure de précurseur et maître à penser.
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