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Li Jieren  李劼人

1891-1962

Présentation

par Brigitte Duzan, 06 avril 2011

 

Li Jieren (李劼人) fut le chantre de Chengdu au début du vingtième siècle et un brillant représentant de la ‘nouvelle littérature’. Dans son « Histoire de la nouvelle littérature chinoise » (《中国新文学史》), l’historien littéraire Sima Changfeng (司马长风) le place parmi les sept grands écrivains chinois des années trente ; quant à l’écrivain et critique littéraire Cao Juren (曹聚仁), il le jugeait supérieur à Mao Dun (茅盾) et Ba Jin (巴金).

 

Il fut cependant rapidement éclipsé, alors que montait la gloire de Lu Xun et des écrivains autour de lui. Encensé par Guo Moruo (郭沫若), il connut un bref regain de faveur dans les années 1950, mais pour retomber dans l’oubli. C’est dans les années 1980 qu’il fut redécouvert et remis à

l’honneur, jouissant d’une nouvelle aura d’écrivain régional, peintre du Sichuan au début du siècle dernier.

 

Li Jieren (李劼人)

 

Des débuts sous les auspices du mouvement du 4 mai

 

Li Jieren (李劼人) est né dans une famille aisée à Chengdu (Sichuan) en 1891. Il est donc venu au monde dans la période troublée de la fin de la dynastie des Qing : première guerre sino-japonaise, dite guerre jiawu (甲午战争), en 1894-95, et surtout rébellion des Boxers à partir de 1899, entraînant

l’intervention d’une coalition de huit nations occidentales se terminant par une défaite humiliante pour la Chine, en 1901.

 

Etudiant engagé

 

C’est l’humiliation subie qui suscita alors un mouvement

d’opposition anti-dynastique, conduisant in fine à la révolution de 1911, dite révolution xinhai (辛亥革命).Or, le Sichuan se trouva à l’épicentre du mouvement. Les manuels d’histoire font de la rébellion de Wuchang (banlieue de Wuhan), le 10 octobre 1911, le point de départ

 

de la révolution de 1911. Ce qu’on sait moins, c’est que la rébellion avait été précédée au Sichuan, au mois de mai, d’un mouvement dit « de révolte des chemins de fer » (四川保路同志会的活动).

 

L’élite locale avait investi dans une société de construction de voies de chemin de fer. En mai 1911, le ministre des transports et télécommunications présenta un projet de nationalisation des deux lignes principales, arguant des retards dans la construction et en faisant un question de défense nationale. Le projet devait dorénavant être financé par des emprunts étrangers ; c’était, vu du Sichuan, se vendre aux financiers occidentaux. Cette politique entraîna la résurgence d’un fort sentiment anti-mandchou dans la région et une révolte ouverte contre le gouvernement, marquée par des incidents violents.

 

Li Jieren y participa en tant que représentant étudiant. C’était en quelque sorte son baptême du feu et son entrée dans la vie active. Il avait vingt ans. C’est cette période entre la guerre jiawu et la révolution xinhai qui constituera par la suite la toile de fond de ses romans.

 

Journalisme puis études en France

 

En 1922, en France

 

Il consacra ensuite deux années à l’enseignement, puis commença un travail de journaliste. Il fut rédacteur au « Journal des masses » (《群报》), puis créa le « Journal du Sichuan » (《川报》), avant de devenir rédacteur en chef de l’hebdomadaire de Chengdu « Dimanche » (《星期日》).

 

Il s’imposa comme représentant du courant de pensée de la nouvelle culture au Sichuan, écrivant sa première nouvelle, « Garden Party » (《游园会》) en 1912. Il participa ensuite activement au mouvement du 4 mai en 1919 (1).

 

Il partit ensuite en France, dans le cadre du programme « Travail-Etudes » (勤工俭学 qíngōng jiǎnxué) , qui, pour les seules années 1919 et 1920, permit à plus de 1 400 étudiants chinois de venir se former en France tout en

travaillant pour payer leurs études (2). Li Jieren écrira d’ailleurs un court roman fondé sur sa propre expérience en France, « Compassion » (同情》), publié à Shanghai en 1924.

 

Li Jieren étudia à l’université de Montpellier, puis à Paris. Ce séjour fut déterminant pour sa carrière d’écrivain : à son retour en Chine, en 1924, il se lança dans une intense activité de traduction des grandes œuvres de la littérature française du dix-neuvième siècle, œuvres qui allaient en retour l’inspirer et l’influencer.

 
Traducteur, mais industriel aussi

 
Il traduisit entre autres « Le petite chose » de Daudet (《小东西》), des nouvelles de Maupassant, des livres des frères Goncourt, de Romain Rolland, d’Anatole France, mais surtout le chef d’œuvre de Flaubert « Madame Bovary », dont il rendit initialement le titre, selon l’usage de l’époque, par la transcription phonétique 《马丹波娃利》
Mǎdān Bōwálì (3)

 

« Compassion »

 
Mais il était aussi ingénieur, et avait une âme d’entrepreneur. A son retour au pays, il devint directeur
d’une usine de la société de bateaux à vapeur Minsheng (民生轮船公司), à Chongqing, menant de front ce travail et celui de traduction. Ce n’est qu’en 1935 qu’il démissionna de ce poste et revint à Chengdu pour se consacrer à l’écriture.
 

 

En 1936, cependant, le bombardement de Chengdu par
l’aviation japonaise le força à quitter le centre ville pour
s’installer provisoirement dans la petite ville de Shahe (沙河) où il se construisit une chaumière près d’un étang bordé de châtaignes d’eau. Il orna le linteau au-dessus de la porte d’entrée de l’inscription horizontale (匾额) « Le nid aux châtaignes d’eau » (“菱窠” língkē) et s’y réfugia pour écrire, comme les lettrés d’antan.
 
Revenu ensuite à Chengdu, il reprit des activités industrielles jusqu’en 1950, devenant PDG d’une société produisant du papier, et complétant le tout avec des activités de soutien en faveur d’écrivains en difficultés, comme Zhang Tianyi (张天翼) ou Chen Baichen (陈白尘).
 
Il est mort à Chengdu en 1962.

 
Le chantre de Chengdu
 
Li Jieren est un auteur relevant du mouvement du 4 mai et de la nouvelle littérature qui en est issue (1), et un précurseur méconnu de la littérature en baihua.
 
Un précurseur

 

En effet, après sa première nouvelle, « Garden Party » (《游园会》), publiée à Chengdu en 1912 dans le journal « La cloche du matin » (《晨钟报》), il en a publié une seconde, « Ombres de l’enfance » (《儿时影》), qui est considérée comme la première nouvelle en baihua : elle a en effet été publiée en 1915, soit trois ans avant « Le journal d’un fou » (《狂人日记》) de Lu Xun (鲁迅) qui est généralement présenté comme la référence en la matière.
 
S’il est une figure marquante de cette nouvelle littérature, il n’en est cependant une figure ni typique ni représentative ; c’est un écrivain indépendant et inclassable : ni de droite ni de gauche, même pas membre du Parti. Il est avant tout un écrivain ancré dans la culture, l’histoire et les traditions de son coin de terre, Chengdu et, plus généralement, le Sichuan : 成都乡土作家.

 

李劼人精选集 Œuvres choisies

 
Une trilogie historique
 

Son œuvre est en effet une peinture de la société de Chengdu au tournant du siècle, pendant les années tumultueuses de la fin de la dynastie des Qing, celles qu’il a lui-même vécues et ont conduit à la révolution de 1911.
 

« Rides sur les eaux dormantes »

(《死水微澜》)

 

C’est le cas surtout de sa trilogie désormais célèbre, généralement désignée par le terme de « Trilogie du fleuve » ou « Suite des romans du grand fleuve » (大河小说系列) : il s’agit de « Rides sur les eaux dormantes »

(《死水微澜》)« Vent de tempête avant la pluie » (《暴风雨前》) et « La grande vague » (《大波》).Là encore, Li Jieren faisait figure de précurseur : c’était la première œuvre littéraire sur le thème de la révolution de 1911, qu’elle dépeint de l’intérieur, à travers un tableau de la société et de la vie quotidienne des couches populaires.

 

Grand admirateur de Li Jieren, Guo Moruo (郭沫若)a comparé le dernier des trois romans à une ancienne chronique de Chengdu datant du milieu du quatrième siècle, faisant de « La grande vague » la « Chronique de Huayang des temps modernes » (近代《华阳国志》), Huayang étant l’ancien nom de Chengdu.

 

Mais c’est le premier tome de la trilogie qui est le plus célèbre, considéré comme l’œuvre représentative de Li Jieren.

 

Rides sur les eaux dormantes

 

Ces eaux dormantes sont évidemment une image emblématique de la situation de la Chine à la fin de la dynastie des Qing, alors que, comme après un long sommeil, commencent à émerger les forces du renouveau, telles des rides (微澜 wēilán) à la surface de l’eau sous l’effet d’une brise encore légère, qui deviendra vent de tempête dans la deuxième partie de la trilogie, et immense vague emportant tout sur son passage dans la troisième.

 

Le roman a été terminé en juillet 1935, et publié l’année suivante à Kunming (昆明中华书局). L’action se passe dans un village à la périphérie de Chengdu, Tianhui (天回镇), entre 1894, au début de la première guerre sino-japonaise, et 1901, date de la fin de la rébellion des Boxers et du traité qui y mit fin : le Protocole de paix des Boxers ou Protocole final pour le règlement des désordres de 1900 (《辛丑条约》), signé le 7 septembre 1901 entre la Chine et les puissances de la coalition étrangères.

 

Traduction française

 

C’est donc une période de guerre et de troubles, s’achevant sur un pacte aux conséquences catastrophiques pour la Chine. Mais l’Histoire, la grande, n’est qu’une toile de fond  d’un drame personnel : celui d’une femme, Deng Yaogu (邓幺姑), mariée à un épicier à moitié idiot, Cai Xingchun (蔡兴顺), surnommé, justement, « l’idiot » (“傻人”) ; entravée par les contraintes sociales et familiales, comme la Chine l’était par des siècles de tradition « féodale », elle cherche son bonheur dans des aventures extra conjugales. 

 

C’est un roman directement inspiré de « Madame Bovary » : on a dit qu’il avait un arrière-goût de Flaubert et le souffle de Tolstoï. Mais si le personnage principal ressemble effectivement à Emma Bovary dans son aspiration au bonheur face à un mari inepte, le roman est bien plus un tableau de la société du Sichuan à l’époque, « mauvais propriétaires et peuple ingouvernable » selon l’expression consacrée (劣绅刁民 lièshēn diāomín), à l’image de la Chine entière. C’est au total un tableau historique sans précédent qui justifie l’enthousiasme de Guo Moruo.

 

C’est sans doute sous son impulsion qu’il a été remanié par Li Jieren en novembre 1954, et republié en 1955, cette fois par la maison d’édition des écrivains (作家出版社).Mais son sujet l’a ensuite fait disparaître de la circulation jusqu’à la fin de la Révolution culturelle.

 

C’est au début des années 1980, dans le climat de fièvre littéraire et culturelle et de recherche des anciens trésors occultés de la littérature chinoise, que le roman a resurgi.

C’est d’ailleurs en 1981 qu’une traduction en français, réalisée par Wen Jinyi (温晋仪), a été publiée par Gallimard, sous le titre « Rides sur les eaux dormantes » (4).

 

Le roman est devenu un classique, et a fait l’objet, dans les années 1990, de multiples adaptations, à la télévision, à

l’opéra (opéra du Sichuan 川剧 en particulier) et au cinéma. Le film le plus célèbre est celui de Ling Zifeng, sorti en 1992 : « Ripples across Stagnant Waters » () (5).

 

Ripples across stagnant waters (《狂》)

 

Epilogue

 

L’ancien « nid aux châtaignes d’eau »

李劼人-故居

 

En novembre 1986, Ba Jin (巴金), qui était alors le président de l’association des écrivains chinois, visita le « nid aux châtaignes d’eau » (“菱窠”) ; ému par l’atmosphère qui y régnait, il décida de préserver l’ancienne demeure de Li Jieren pour que soit conservé le souvenir de l’écrivain car « sous sa plume est gardé vivant le passé de Chengdu » (过去的成都都活在他的笔下), pour que « les touristes d’aujourd’hui sachent qu’il y a eu à Chengdu un écrivain de ce calibre » (要让今天的旅游者知道成都有过这样一位大作家).
 

 

 

 

Notes :

(1) Voir : Repères historiques, I. 1900-1917 et II. 1917-1927.

(2) Pour une histoire du mouvement, voir :

http://www.bm-lyon.fr/lyonetlachine/vf/mouvtravailetudes.html

(3) Aujourd’hui traduit 《包法利夫人》

(4) Le livre affiche l’ancienne transcription des noms chinois : Li Tie’jen et Wan Chunyee.

(5) Voir l’article sur ce film : http://cinemachinois.blogs.allocine.fr/cinemachinois-301005-_ripples_across_stagnant_waters___autre_tres_beau_film_de_ling_zifeng.htm

 


 

Note sur les nouvelles

 

Li Jieren a publié deux recueils de nouvelles :

-          un recueil de nouvelles ‘de taille moyenne’ (中篇纪实小说publié sous le titre de la nouvelle de 1924 « Compassion » (同情》)

-          un recueil de nouvelles courtes (短篇小说集) intitulé « Une famille bien » (《好人家》).

 

A lire en complément :

Une famille bien《好人家

 

 

 


 

 

 

 

     

 

 

 

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