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Huang Yuanjie
黃媛介
Vers
1620-1669
Peintre, poétesse et enseignante
par Brigitte Duzan, 14 août 2019
Huang Yuanjie est l’une de ces femmes brillantes
dont la vie et la carrière, chevauchant la toute fin
de la dynastie des Ming et le début de celle des
Qing, ont contrevenu aux règles fondamentales de la
condition féminine dans la Chine impériale, édictées
par la formule confucéenne des « Trois obéissances
et Quatre vertus » (三从四德) :
aussi éduquée qu’un lettré de son temps, et plus
douée que la plupart d’entre eux pour écrire de la
poésie, elle a mené une carrière professionnelle à
la fois de peintre et d’écrivain, mais aussi
d’enseignante pour les filles de familles aisées,
réussissant à nourrir son mari et ses enfants (en
renversant les rôles traditionnels)
.
Comme sa contemporaine
Wang Duanshu (王端淑),
elle illustre les étonnantes possibilités ouvertes
aux femmes de talent, et de caractère, dans la Chine
chaotique de la fin des Ming. |
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Huang Yuanjie |
Littérature, peinture et enseignement pour vivre
Zhang Pu |
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Elle ne venait pourtant pas d’une famille aisée. Née
dans une branche pauvre d’une famille illustre de la
ville de Jiaxing (嘉兴),
dans le nord du Zhejiang, Huang Yuanjie a grandi
avec un frère aîné qui préparait les examens
impériaux et une sœur aînée qui était poète, et qui
tous deux l’ont initiée très tôt à la littérature et
à la peinture. Sa famille était cependant si pauvre
que sa sœur a failli devenir concubine car elle
était convoitée par le petit-fils d’un éminent
dignitaire des débuts du 17e siècle nommé
Zhang Pu (张溥),
l’un des cofondateurs d’une très célèbre société de
lettrés de la fin des Ming : la Société du renouveau
(Fushe
复社),
renouveau classique s’entend.
Quoi qu’il en soit, elle épousa finalement un
lettré qui avait raté les examens impériaux et ne
fut jamais capable d’avoir un emploi lui permettant
de nourrir une famille. |
Quant à Zhang Pu, il aurait demandé la main de Huang Yuanjie
un an avant de mourir, en 1641 : elle était alors une
poétesse célèbre, depuis le début des années 1630. Elle
gagnait déjà sa vie en vendant ses poèmes, sa calligraphie
et ses peintures, ce qui n’était pas courant.
En 1645, néanmoins, dans le chaos sanglant de la conquête du sud
de la Chine par les Mandchous
,
Huang Yuanjie a subi ce qui est alors arrivé à beaucoup de
femmes : elle a été kidnappée, probablement violée et peut-être
vendue à une maison close. Elle a cependant réussi à en
réchapper. Après quelques temps passés dans le Jiangsu, elle est
hébergée dans la maison d’une famille de notables de Zhenjiang (镇江),
au sud de la province.
Plus tard, elle s’est installée un temps au bord du lac de
l’Ouest à Hangzhou, refuge traditionnel pour poètes et artistes,
et en particulier sous les Ming, pour les courtisanes et leurs
protecteurs, lettrés et marchands. Entourée de l’élite
artistique du temps, elle a alors beaucoup peint, et ses œuvres,
très demandées, ont atteint des prix de plus en plus élevés.
Elle avait, dit-on, ouvert un petit atelier de calligraphie près
du fameux Pont brisé du lac de l’Ouest (西湖断桥) ;
son mari assurait l’intendance, lui préparait pinceaux, encre et
papier. Elle était voisine de l’ancienne célèbre courtisane
Xue Susu (薛素素)
avec laquelle elle a alors entretenu d’étroits liens d’amitié,
échangeant avec elle poèmes et calligraphies.
Pendant cette période, Huang Yuanjie a beaucoup
voyagé, pour rencontrer des femmes de talent comme
elle, sans considération de leur statut social :
Liu Rushi (柳如是),
par exemple, courtisane célèbre, mais tumultueuse,
et poétesse réputée, ou encore l’autre poétesse
quasi légendaire Shang
Jinglan (商景兰)
dont Huang Yuanjie fréquenta le cercle poétique
qu’elle avait créé à Shaoxing, le club de poésie des
femmes de la famille Qi, mais qui comprenait aussi
des membres extérieurs à la famille. C’est toute une
communauté de femmes de lettres et d’artistes qui se
dessine ainsi, communautés réelles ou virtuelles,
soutenues par des échanges de poèmes, souvent
transmis par des voyageurs. |
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Liu Rushi |
Finalement, la renommée de Huang Yuanjie atteint la capitale, et
elle a été invitée à devenir la préceptrice de la fille d’un
riche mandchou, sous-secrétaire d’un ministère des Qing, qui lui
envoya de l’argent pour son voyage. Elle a alors rejoint les
rangs de plus en plus fournis des préceptrices itinérantes qui
enseignaient les lettres, la calligraphie, la peinture et les
classiques aux filles (et concubines) des grandes familles (mais
pas les épouses), ce qu’on a appelé les « préceptrices des
chambres intérieures » (guishu shi
闺塾师).
Malheureusement son fils se noie quand le bateau arrive à
Tianjin, et sa fille meurt l’année suivante. Très affectée,
Huang Yuanjie tombe malade et quitte la capitale pour revenir
dans le sud. Quand elle passe à Jiangning (江宁,
l’actuelle Nankin), elle se lie d’amitié avec la femme d’un
officier mandchou à la retraite, passionnée de littérature, qui
l’invite à rester chez elle pour se soigner et récupérer.
Mais Huang Yuanjie meurt six mois plus tard. Elle laissait un
millier de poèmes à la postérité.
Poèmes, calligraphie et peintures
De son œuvre poétique nous sont parvenus deux
recueils principaux : « Les chants d’une recluse » (《离隐词》)
et « Le manuscrit du lac » (《湖上草》).
En se proclamant recluse, elle suivait une mode de l’époque :
pour lutter contre la corruption et la dégénérescence des mœurs,
il était coutume chez les artistes et lettrés d’afficher un cœur
pur et sincère, loin des compromissions du monde. Le modèle
implicite était toujours les « Sept sages de la forêt de
bambous » (竹林七贤).
Wang Shizhen |
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Le grand critique littéraire du début des Qing Wang
Shizhen (王士禎)
appréciait particulièrement ses courts poèmes fu
(赋).
Ce genre de poésie ancienne, datant du 2e
ou 3e siècle avant J.C., était très en
vogue sous les Song. Descriptif dans sa forme
originelle, souvent traduit par « rhapsodies », ce
genre poétique a alors été associé à une forme de
critique socio-politique remontant aux « Chants de
Chu » (《楚辞》)
de Qu Yuan (屈原).
Sous les Ming et plus tard, les fu ont été
plus particulièrement associés à la poésie féminine,
avec un symbolisme implicite liant la femme luttant
pour faire reconnaître son talent au lettré
incapable de faire reconnaître les siens.
La grande poétesse ayant donné ses lettres de
noblesse au fu est
Ban Zhao (班昭),
célèbre pour avoir parachevé l’histoire des Han
commencée par son père puis son frère, |
et avoir écrit un recueil de préceptes pour les femmes du
palais, mais référence aussi en matière poétique. C’est
ainsi que Shang Jinglan a fait l’éloge de la poésie de Huang
Yuanjie : en disant qu’elle ne venait qu’après celle de Ban
Zhao.
Shang Jinglan a aussi égalé ses fu à ceux de Sima Xiangru
(司马相如),
autre grand poète de la dynastie des Han qui a contribué au
développement du genre. Mais c’est le seul poète auquel Huang
Yuanjie a été comparé, tous les autres modèles sont féminins,
impliquant une longue tradition d’érudition féminine.
Huang Yuanjie a également écrit, à la demande de
l’auteur, une préface et un commentaire enthousiaste
pour une comédie de son contemporain Li Yu (李漁) :
« Unions idéales » (《意中缘》).
La pièce décrit deux unions « idéales »,
c’est-à-dire scellées par le talent des
protagonistes, d’un côté deux peintres célèbres, et
de l’autre deux femmes peintres faussaires, qui
faisaient des copies de leurs tableaux – tous étant
des personnes réelles. Dans une scène, les deux
femmes, l’une déguisée en homme, vont même jusqu’à
célébrer un faux mariage entre elles, avec tout un
discours sur leurs affinités à travers la
littérature et la peinture.
Par ailleurs, les calligraphies et peintures de
Huang Yuanjie étaient tout autant appréciées, et
dans les mêmes termes que sa poésie, en les
comparant à de grandes œuvres du passé. Elles le
sont tout autant aujourd’hui. |
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Unions idéales |
Un cas d’émancipation féminine t au 17e siècle
Au-delà de ses succès littéraires et artistiques, Huang
Yuanjie apparaît comme un cas de mobilité et de réussite sociale
hors normes qui tend à montrer la fluidité de la société
chinoise à un moment de transition dynastique et d’invasion
étrangère, où les conventions qui enfermaient les femmes dans
les « appartements intérieurs » n’étaient sans doute plus aussi
fermes. Huang Yuanjie a montré que les femmes pouvaient acquérir
dans ces conditions, et en en prenant les risques, une certaine
autonomie économique, trois siècles avant que
Lu
Xun leur en
conteste la possibilité
.
Avec l’acquisition d’une certaine notoriété, la femme de lettres
pouvait sortir de la sphère privée pour devenir personnage
public, des lettres et des arts. Son enseignement n’était plus
réservé à la famille, mais pouvait devenir une profession
rémunérée, même s’il ne s’adressait qu’à d’autres femmes dans
leur propre sphère privée. Mais, à partir du moment où elle ne
restait pas à sa place assignée, hors du regard extérieur, elle
se heurtait quand même toujours à la suspicion quant à sa
moralité et à sa respectabilité. Ainsi, le frère de Huang
Yuanjie, qui soutenait sa carrière littéraire et artistique,
était opposé à sa fréquentation de son amie la poétesse
Liu Rushi (柳如是),
à cause de son passé de courtisane, et de courtisane à scandale.
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Calligraphie sur éventail de Huang
Yuanjie |
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Ses biographes, masculins, grands lettrés qui l’ont soutenue et
ont loué son talent, étaient malgré tout gênés par les
implications que pouvaient avoir la vie par monts et par vaux
qu’elle menait ; ils ont défendu sa valeur morale en en revenant
aux grand principes confucéens, en soulignant son héritage
familial et sa fidélité à son mari, endurant la pauvreté sans un
mot pour se plaindre. C’est ce que l’un de ses biographes
souligna en comparant Huang Yuanjie à la poétesse des Song Zhu
Shuzhen (朱淑真)
qui, victime d’un mariage désastreux, écrivit des poèmes pour se
lamenter sur son sort, qu’elle intitula « Poèmes à fendre le
cœur » (《断肠词》).
Une femme respectable devait avoir le bon goût de souffrir en
silence. Huang Yuanjie, elle, ne s’est plainte ni de son mari,
qu’elle a entretenu et supporté, ni de la pauvreté qu’elle a
combattue en écrivant et en vendant ses tableaux.
Brouillard sur les montagnes (1639) |
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Tout cela, pour son autre biographe, le grand
lettré, historien et poète Qian Qianyi (钱谦益),
était dû au fait qu’elle venait d’une famille
lettrée, ou du moins l’écrivit-il, dans une préface
élogieuse pour l’un de ses recueils de poésies. Mais
c’était lui-même un personnage hors normes, qui
fréquentait les femmes indépendantes des maisons
closes et des cercles artistiques qu’il traitait sur
un pied d’égalité. L’une d’elles était l’actrice Ma
Ruyu de Nankin, qui était également réputée pour sa
calligraphie et sa peinture et qui finit par
abandonner la scène pour entrer dans un monastère
bouddhiste. Mais une autre était, justement, l’amie
de Huang Yuanjie, Liu
Rushi (柳如是),
dont Qian Qianyi admirait tellement les talents
qu’il finit par l’épouser.
Dans la Chine de la fin de Ming et du tout début des
Qing, Huang Yuanjie a négocié une difficile
ouverture entre public et privé pour une femme dont
la respectabilité ne se comprenait encore que dans
le cadre de la sacro-sainte famille confucéenne.
Cette ouverture restait conditionnée à une image
façonnée de toutes pièces par ses amies et ses
proches, et elle-même, de vertueuse femme défendant
mari et foyer, loin de la corruption du monde
ambiant – image qui tient beaucoup, finalement, de
l’image d’Epinal, et plus de l’intention affichée
que de la réalité.
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Bibliographie
- Biographical Dictionary of Chinese Women
v. 1: The Qing Period, 1644-1911,
Lily Xiao Hong Lee, Clara Lau, A.D. Stefanowska, assisted by Sue
Wiles, University of Hong Kong Libraries Publications,
Routledge, ed. 2015 (1st ed. 1998), pp.
83-85
- Teachers of Inner Chambers, Women and Culture in 17th-Century
China, Dorothy Ko, Stanford University Press, 1994. 396 p.
Après la chute de Pékin et le suicide du dernier
empereur Ming, il y a eu dans le sud une résistance de
loyalistes de la dynastie vaincue qui ont érigé des
royaumes sans lendemain, semblant de sursaut dynastique
qu’on a appelé les Ming du sud (南明).
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