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Wang Duanshu 王端淑

1621- vers1706

Poétesse, peintre et calligraphe

par Brigitte Duzan, 21 août 2019

 

Originaire de Shanyin (山陰), aujourd’hui Shaoxing (绍兴), au sud de la baie de Hangzhou, Wang Duanshu a été l’une des grandes femmes de lettres et artistes de la période de transition de la fin des Ming et du début des Qing. Ses peintures et calligraphies sont aussi célèbres que ses poèmes et divers autres écrits, et son mode de vie hors normes (confucéennes) lui vaut une place spéciale dans l’histoire culturelle de l’époque.

 

Vie

 

Seconde fille du lettré Wang Siren (王思任), elle s’est fait remarquer très tôt par ses dons précoces, et fut considérée par son père comme la plus douée de ses enfants, plus talentueuse même qu’aucun de ses huit frères ; mais sa sœur aînée était aussi poète.

 

Wang Duanshu

 

En 1637, elle épouse le fils d’un ami de son père, Ding Shengzhao (丁圣肇), originaire de l’ouest de Pékin, mais dont la famille avait aussi des racines dans la région de Shaoxing. Le couple vit à Pékin jusqu’à l’approche des Mandchous de la capitale [1], puis part à Shanyin où les deux époux se joignent à un groupe de loyalistes Ming qui continuaient la lutte contre l’envahisseur ; outre leurs parents respectifs, le groupe comprenait entre autres l’historien et essayiste Zhang Dai (张岱) et divers artistes.

 

Son père, Wang Siren

 

Appauvris, les deux époux vivent dans la maison de Wang Siren, qui, refusant de se rendre, meurt en 1646 dans des circonstances tragiques : après avoir affiché une pancarte « pas de reddition » sur sa porte, il se rasa les cheveux et partit dans la montagne où il se laissa mourir de faim. Cet acte aussi valeureux que désespéré laissera une marque durable dans l’esprit de Wang Duanshu.

 

Sa renommée parvient jusqu’aux oreilles de l’empereur Kangxi, premier empereur de la dynastie des Qing, qui l’invite à la cour pour enseigner aux princesses et concubines impériales, mais elle refuse. Cependant elle est ruinée par la guerre et réduite à la misère. Poussée par la nécessité, elle se met alors à écrire et peindre pour vivre, invoquant la pauvreté pour justifier son manquement aux règles, de la même manière que Huang Yuanjie (黃媛介) à peu près au même moment. Ses frères

n’apprécient pas sa décision, lui rappelant les hauts faits de leur père. Mais Wang Duanshu leur répond par un poème : leur père, il est vrai, était un grand lettré, mais il ne leur a laissé en héritage que des peintures et des livres et, pour une femme qui n’est douée ni pour la couture ni pour les travaux d’aiguille, il ne reste que l’écrit pour vivre. 

 

Le lettré et philologue Mao Qiling (毛奇龄) la décrira avec un rien de romantisme, « poussée par le froid et la faim », quittant la maison avec son mari, lui poussant une charrette, pour aller vendre des rouleaux divers de peintures, calligraphies et écrits… respectable malgré tout. En 1644, d’ailleurs, elle avait vendu les bijoux de sa dot pour acheter une concubine à son mari, sans doute parce qu’elle-même ne pouvait lui donner d’enfant. La concubine vivra huit ans avec eux, en leur laissant un fils et une fille. C’est d’ailleurs Wang Duanshu qui écrira un poème pour son éloge funèbre. Elle était désormais vraiment chef de famille, ou plutôt maître, son mari la suivant en disciple attentif, et lui servant d’agent : c’est lui qui ira voir Mao Qiling pour lui demander une préface à l’anthologie de ses œuvres, et c’est lui qui réussit à réunir les fonds pour sa publication.

 

Les frères de Wang Duanshu, ensuite, reviendront sur leur première réaction et la soutiendront, écrivant même des préfaces à ses publications. En fait, ils se rendirent compte très vite qu’elle était loin d’être une tache sur la réputation familiale. De son vivant, d’ailleurs, leur père avait toujours dit qu’elle était la seule à avoir le talent pour lui succéder dignement, bien plus que ses frères. Il aurait dit : « Avoir huit fils, mieux vaut une fille » (“身有八男,不及一女!”). D’ailleurs, elle ne faisait que prendre sa suite : Wang Siren dépendait pour vivre de la vente des épitaphes et biographies qu’on lui demandait. Ecrire pour gagner de l’argent était donc en fait une tradition familiale instaurée par son père.

 

Mais Wang Duanshu écrivait aussi pour son mari. Elle a même écrit pour lui tant de lettres, poèmes, élégies, biographies et épitaphes, qu’un observateur ne les connaissant pas aurait pu croire qu’il était illettré, dit ironiquement Dorothy Ko. Elle alla jusqu’à concourir à sa place dans une compétition de poésie en imitant une voix masculine ; elle passa maître dans la parodie, mais sans aller jusqu’au travestissement.

 

En 1653, elle vit quelque temps dans la fameuse demeure – le « Pavillon des sarments verts » (青藤书屋) - du grand peintre et lettré Xu Wei (徐渭), qui était également de Shanyin et du même âge qu’elle [2].  Mais elle est ensuite allée vivre à Hangzhou, où elle est entrée en contact avec un large cercle de lettrés et d‘artistes. Elle s’est liée d’amitié avec le dramaturge Li Yu (李漁) pour lequel elle écrivit une préface en 1661 [3], et avec les deux poétesses

 

Portrait

Wu Shan (吴山) et Huang Yuanjie avec laquelle elle partageait nombre de points communs, et surtout celui de vivre de son pinceau, et d’en faire vivre son mari.  

 

Wang Duanshu a même commenté l’un des poèmes de son amie en soulignant sa finesse et en comparant sa calligraphie à celle de Wang Xizhi (王羲之), et son style poétique à celui du poète des Song Huang Tingjian (黃庭堅) : deux artistes masculins, ce qui est révélateur pour une femme qui empiétait comme son amie sur la sphère masculine en sortant peindre et vendre ses œuvres [4], ce qui les rapprochait toutes les deux plus de l’homme public que de la femme traditionnelle dans sa sphère domestique.

 

Wu Shan, en particulier, veuve qui vendait aussi des peintures pour vivre et menait une vie sociale très animée, lui fera connaître beaucoup de gens et contribuera à la sortir de ses difficultés financières à partir de 1656. Wang Duanshu a alors publié des anthologies qui l’ont rendue célèbre.

 

On perd ses traces après 1665. Elle serait entrée dans une période de réclusion et serait décédée quelques temps après 1701.

 

Œuvre littéraire et picturale

 

Ecrits et anthologies

 

 

La majeure partie de son œuvre littéraire a été éditée en une anthologie de 30 juan, « Anthologie de ballades de femmes » [5] (Yínhóng ji《吟红集》), achevée en 1657, avec une préface de Ding Shengzhao, mais qu’elle n’a cessé de compléter par la suite jusqu’à sa publication en 1661 avec des préfaces supplémentaires. Elle contient des textes de formes et de styles les plus divers, de poèmes rhapsodiques fu à des ballades et même des palindromes en vers de sept caractères qui traduisent son penchant pour les compétitions poétiques. Financée par ses amis, la publication contribua à la renommée de Wang Duanshu. De manière étonnante, l’un des sujets récurrents de ces textes est politique, c’est le soutien aux loyalistes Ming.

 

Elle a en particulier écrit une quinzaine de biographies de personnalités de la cause loyaliste, mais aussi les biographies de six héros morts pour cette cause ; elles sont dans un style narratif très vivant, sans égal chez les autres écrivaines chinoises jusque-là dont l’art était fondé sur la poésie, sous diverses formes, mais surtout comme expression raffinée des sentiments. Elle n’écrit pas de simples eulogies vantant le courage et le sacrifice de martyrs. Elle décrit l’engagement de héros ordinaires et ce qui les a amenés à prendre la décision qui leur a été fatale, en sentant sa propre fibre loyaliste vibrer en même temps.

 

Ce sont de courts récits qui tiennent de l’art du conteur, avec description du cadre et brefs dialogues en langue populaire, telle cette histoire d’un mendiant de Nankin qui, en 1644, entend des rumeurs annonçant la chute de la capitale « du nord » ; cherchant confirmation de la nouvelle, il apprend que l’empereur Chongzhen s’est pendu. Désespéré il achète le peu de vin que lui permettent de payer les quelques pièces qu’il possède, et, l’ayant bu, se prosterne des douzaines de fois vers le nord et va se jeter à l’eau [6]. On a l’impression de lire l’un des brefs portraits de « Personnages peu communs du monde ordinaire » (《俗世奇人》) de Feng Jicai (冯骥才).

 

Wang Duanshu a aussi édité une anthologie de poésie féminine, parue en 1667, « Trame de poésies de femmes de renom » (Mingyuan shiwei《名媛诗纬》) [7], qui est l’un des plus importants recueils de poèmes de la période. Pour le reste de ses écrits et anthologies, on dispose des titres, mais ni des textes ni de précisions datées.

 

Peinture et calligraphie

 

Wang Duanshu est également considérée comme l’un des grands calligraphes et surtout peintres de paysage du début de la dynastie des Qing. Six des peintures de sa série de « Peintures de paysage » (《山水图》) de 1664 (sans doute inspirées de Xu Wei) sont conservées au musée de la Cité interdite (故宫博物院) à Pékin.

 

 

Wang Duanshu, l’une des peintures

de paysage du Musée de la Cité interdite

 
 

Deux peintures de Wang Duanshu

 


 

Bibliographie

 

- Women Writers of Traditional China: An Anthology of Poetry and Criticism, Kang-i Sun Chang, Haun Saussy, Charles Yim-tze Kwong, Kang-i Sun Chang, Haun Saussy, Charles Yim-tze Kwong, Stanford University Press, 1999, pp. 363-366.

- Teachers of the Inner ChambersWomen and Culture in Seventeenth-century China, Dorothy Ko, Stanford University Press, 1994, pp. 129-137.


 

[1] La date exacte de leur départ n’est pas claire, mais ce fut vraisemblablement avant le suicide de l’empereur, plutôt au début de 1643, au moment de la mort de la mère de Wang Duanshu, contrairement à ce qu’a noté son mari dans la préface de son anthologie.

[2] Il écrira d’ailleurs une pièce de théâtre intitulée Nü zhuàngyuán (女状元), ou « La femme reçue première aux examens mandarinaux », qui serait inspirée de Wang Duanshu. La première et unique femme à l’avoir jamais été est une anomalie de l’histoire : c’était au moment du « Royaume céleste des Taiping » (太平天国) ; après la prise de Nankin, les Taiping proclamèrent une société égalitaire et organisèrent un examen pour les femmes, en janvier 1853 ; la tête de liste des lauréates s’appelait Fu Shanxiang (傅善祥).

[3] Préface au récit « Un couple de soles » (《比目鱼》).

[4] Souligné par Dorothy Ko dans son ouvrage Teachers of the Inner Chambers, voir Bibliographie ci-dessous.

[5] Hóng peut être traduit par populaire, mais on ne peut exclure ici un jeu de mots sur nǚgōng 女红 qui désigne les arts typiquement réservés aux femmes comme les travaux d’aiguille.

[6] Cité par Dorothy Ko, Teachers of the Inner Chambers, p. 132.

[7] Là encore, le titre joue sur les termes utilisés : wěi désigne normalement le fil de trame sur un métier à tisser (wěishā 纬纱: fil de trame horizontal). Wang Duanshu suggère donc dans l’esprit de ses lecteurs l’image associée à l’une des occupations prescrites aux femmes dans la Chine traditionnelle.

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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